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11/02/2025 | LUXEMBOURG | N°48352

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 février 2025, 48352


Tribunal administratif Numéro 48352 du rôle du Grand-Duché … ECLI:LU:TADM:2025:48352 4e chambre Inscrit le 6 janvier 2023 Audience publique du 11 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision de la Commission des pensions en matière de mise à la retraite pour raisons de santé en présence de …

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48352 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2023 par Maître Jean-Marie BAULER, avoc

at à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (...

Tribunal administratif Numéro 48352 du rôle du Grand-Duché … ECLI:LU:TADM:2025:48352 4e chambre Inscrit le 6 janvier 2023 Audience publique du 11 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision de la Commission des pensions en matière de mise à la retraite pour raisons de santé en présence de …

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48352 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2023 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision de la Commission des pensions du 13 octobre 2022 ayant retenu qu’il est hors d'état de continuer son service à temps plein, mais reste capable de reprendre le service sur base d'un service à temps partiel pour raisons de santé à raison de 50 % d'une tâche complète, après un changement d'affectation sur un poste à aménager selon les capacités résiduelles constatées par le médecin du travail ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 18 janvier 2023 portant signification de ce recours à l’administration communale de …, établie à L-…, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;

Vu le mémoire en réponse déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 31 mars 2023 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 mai 2023 par Maître Jean-Marie BAULER, préqualifié, pour le compte de son mandant :

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 23 mai 2023 ;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 décembre 2024, Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL s’étant excusé.

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Il ressort des affirmations respectives des parties que Monsieur (A) entra aux services de … en date du 1er octobre 1985 en tant que fonctionnaire communal, affecté au service ….

En date du 14 avril 2022, le collège échevinal de …, ci-après dénommé le « collège échevinal », saisit la Commission des Pensions prévue par l’article 46 de la loi modifiée du 25 mars 2015 instituant un régime de pension spécial transitoire pour les fonctionnaires de l’Etat et des communes ainsi que pour les agents de la Société nationale des Chemins de fer luxembourgeois, dénommées ci-après « la Commission de pensions », respectivement « la loi du 25 mars 2015 », au motif que Monsieur (A) avait été absent pendant 201,5 jours ouvrables au cours d’une période de 12 mois consécutifs et ce, afin de vérifier si la mise à la retraite pour des raisons de santé serait indiquée.

Saisi par la Commission des pensions, le médecin de contrôle dressa un rapport médical en date du 14 juillet 2022 concluant que Monsieur (A) n’est plus capable d’exercer ses fonctions actuelles et qu’une « reprise du travail sur un post adapté en STPRS semble probable », tout en sollicitant la transmission du dossier à la division de la santé au travail du secteur public.

Dans un rapport du 25 août 2022, le médecin du travail retint que Monsieur (A) « est INAPTE à son poste de … et que son état de santé justifie un Reclassement Professionnel sur un Poste sans port de charges ni travail accroupi ou à genoux ni sollicitation de la colonne vertébrale, et ce dans le cadre d'un STPRS à 50%. ».

Par une décision du 13 octobre 2022, la Commission des pensions retint que Monsieur (A) est hors d'état de continuer son service à temps plein, mais reste capable de reprendre le service sur base d'un service à temps partiel pour raisons de santé à raison de 50% d'une tâche complète, après un changement d'affectation sur un poste à aménager selon les capacités résiduelles constatées par le médecin du travail, décision motivée comme suit :

« (…) Vu la requête du 14 avril 2022 par laquelle le Collège des bourgmestre et échevins saisit la Commission des pensions sur base de l'article 46 et suivants de la loi modifiée du 25 mars 2015 instituant un régime de pension spécial transitoire pour les fonctionnaires de l'Etat et des communes ainsi que pour les agents de la Société nationale des Chemins de Fer luxembourgeois ;

Vu le rapport du 14 juillet 2022 du médecin de contrôle, le docteur …, sur l'état de santé de l'intéressé ;

Vu le rapport du 25 août 2022 du médecin du travail, le docteur …, sur les capacités résiduelles de l'intéressé ;

Attendu que les parties furent régulièrement convoquées à l'audience du 22 septembre 2022 ;

Attendu que l'Administration communale … était représentée à l'audience par Madame …, Service des ressources humaines de … ;

Après avoir entendu en leurs explications Monsieur (A) et le représentant de l'Administration communale … ;

Considérant que Monsieur (A) est d'accord à ce que la Commission délibère et décide sur base des rapports établis par le médecin de contrôle et le médecin du travail ;

2 Considérant qu'il résulte du rapport du médecin de contrôle que l'intéressé n'est plus capable d'exercer ses fonctions actuelles à plein temps, mais qu'il reste capable de les exercer dans le cadre d'un service à temps partiel pour raisons de santé ;

Considérant qu'il résulte du rapport du médecin du travail que l'intéressé n'est plus capable d'exercer ses fonctions actuelles à plein temps, mais qu'il reste capable de les exercer dans le cadre d'un service à temps partiel pour raisons de santé à raison de 50% d'une tâche complète après un changement d'affectation sur un poste sans port de charges ni travail accroupi ou à genoux ni sollicitation de la colonne vertébrale ;

Considérant que l'intéressé et le représentant de l'Administration communale … se prononcent plutôt pour l'octroi d'une mise à la pension pour cause d'invalidité ;

PAR CES MOTIFS la Commission des pensions, statuant contradictoirement ;

Monsieur (A) et le représentant de l'Administration communale … entendus en leurs explications ;

ouï le Président de la Commission des pensions en son rapport ;

DECLARE que Monsieur (A) est hors d'état de continuer son service à temps plein, mais reste capable de reprendre le service sur base d'un service à temps partiel pour raisons de santé à raison de 50% d'une tâche complète, après un changement d'affectation sur un poste à aménager selon les capacités résiduelles constatées par le médecin du travail sans port de charge, ni travail accroupi ou à genoux, ni sollicitation excessive de la colonne vertébrale et l'affectation sur le nouveau poste de travail est à concerter au préalable avec le médecin du travail ;

ORDONNE le réexamen de l'affaire par le médecin du travail en février 2023 sur base de l'article 51 de la loi modifiée du 25 mars 2015 précitée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 janvier 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation sinon subsidiairement à l’annulation de la décision précitée de la Commission des pensions du 13 octobre 2022.

Il convient d’abord de relever que … n’a pas fait déposer de mémoire en réponse dans le délai légal, bien que la requête introductive d’instance lui ait été signifiée en bonne et due forme.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée « la loi du 21 juin 1999 », le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties par unjugement ayant les effets d’une décision contradictoire, même si la partie tierce intéressée n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.

Dans son mémoire en réponse, la partie gouvernementale déclare se rapporter « à prudence de justice quant à la recevabilité de l’acte introductif d’instance (compétence « ratione materiae », compétence « ratione temporis » et intérêt à agir). ».

Aux termes de l’article 42 de la loi du 25 mars 2015, « Le tribunal administratif statue en première instance et comme juge du fond sur les recours dirigés contre les décisions, y compris celles émises par la Commission des pensions, relatives aux pensions et autres prestations prévues par la présente loi.

Les recours sont intentés dans le délai de trois mois à partir de la notification de la décision.

En cas de décision de la Commission des pensions conformément à l’article 49 ci-

après, les recours des intéressés sont dirigés contre cette décision. ».

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour statuer sur le recours principal en réformation et le moyen d’incompétence soulevé par le délégué du gouvernement et non autrement étayé est à rejeter pour manquer de fondement.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

En ce qui concerne la recevabilité du recours, force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors, étant donné que la partie gouvernementale est restée en défaut de préciser dans quelle mesure le délai du recours n’aurait pas été respecté, ni pour quelle raison Monsieur (A) n’aurait pas d’intérêt à agir, les moyens d’irrecevabilité afférents encourent le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

Le recours principal en réformation est dès lors encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, tout en passant en revue les rétroactes relevés ci-avant, explique être entré au service de l’administration communale de de … en date du 1er octobre 1985 et souffrir, depuis plusieurs années, de problèmes de santé ayant progressivement diminué ses capacités tant physiques qu'intellectuelles.

Il fait souligner que le rapport du médecin de contrôle du 14 juillet 2022 aurait retenu qu’il ne serait plus capable d'exercer ses fonctions actuelles à temps plein, mais seulement à temps partiel et ce, en raison de son état dépressif réactionnel important lié à un traumatisme familial majeur (décès d'un enfant), sans prise en charge psychothérapeutique ni médicamenteuse, combiné à des pathologies orthopédiques avancées avec gonarthrose suite àune plastie du LCA, coxarthrose bilatérale avec mise en place de 2 prothèses totales de hanche et surtout détérioration du rachis lombaire (à l'origine de douleurs lombaires hyperalgiques et d'une limitation importante du périmètre de marche).

Le médecin de contrôle aurait également fait une note à l’adresse de son médecin traitant en raison d’une tension artérielle très élevée tout en soulignant l’importance d’une psychothérapie de soutien plus efficace.

Dans son rapport du 25 août 2022, le médecin du travail aurait également préconisé une réduction du temps de travail à raison de 50 % d'une tâche complète après un changement d'affectation, tout en relevant que le nouveau poste ne devrait comporter ni port de charges ni travail accroupi ou à genoux ni sollicitation de la colonne vertébrale.

Le demandeur donne encore à considérer qu’il ressortirait des résultats d'un scanner du rachis lombaire, au niveau L2/L3, un étalement discal global contribuant à un rétrécissement endocanalaire débutant, et, au niveau L3/L4, un étalement discal global contribuant à un rétrécissement endocanalaire débutant, ainsi qu’une ostéochondrose érosive en postéro-latéral à droite avec débord disco-ostéophytique postéro-latéral droit pouvant éventuellement entrer en contact avec le bord inférieur de la racine L3 droite sur sa trajectoire neuroforaminale, ainsi qu’au niveau L4/L5, une butée disco-ostéophytique postéro-latérale gauche contribuant à une sténose du récessus gauche, probablement avec conflit avec l'émergence durale de la racine L5 gauche et un débord disco-ostéophytique postéro-latéral gauche contribuant également à un rétrécissement neuroforaminal à gauche.

Le demandeur fait finalement relever qu’à l’audience devant la Commission des pensions, tant lui-même que le représentant de l'administration communale de … auraient requis sa mise en pension complète pour cause d'invalidité.

En droit, le demandeur conclut en premier lieu à une violation de l’article 49 alinéa 1er de la loi du 25 mars 2015, sinon de l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l´Etat et des communes, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », au motif que la décision déférée ne serait motivée ni en droit ni en fait, du fait qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’y serait citée et que la Commission des pensions se serait limitée à reprendre les grandes lignes du rapport du médecin de travail, sans préciser les raisons justifiant une réduction du temps de travail à 50%.

Il fait encore répliquer à cet égard que ce serait manifestement à tort que la partie étatique arguerait que la décision du 13 octobre 2022 respecterait les obligations en matière de motivation par la seule référence à la loi du 25 mars 2015, ainsi que par le relevé de « toute une série d'éléments factuels issus notamment des explications fournies de part et d'autres lors de l'audience du 22 septembre 2022, ainsi que du rapport du médecin de contrôle du 14 juillet 2022, ainsi que du rapport du médecin de travail du 25 août 2022 dont plusieurs considérations ont été reprises », alors qu’il aurait appartenu à la Commission des pensions de joindre en annexe de sa décision le rapport médical auquel elle se serait référé pour prendre sa décision, un simple renvoi y afférent étant insuffisant.

En deuxième lieu, le demandeur conclut à un excès de pouvoir, respectivement à une erreur manifeste d'appréciation de ses divers problèmes de santé dont il souffrirait depuis de nombreuses années.

Il rappelle que ses problèmes de santé auraient commencé en 2010, avec des douleurs de dos, suivis en 2014 par des douleurs à la hanche côté droit et de l’arthrose et en 2015 par des douleurs au genou gauche et de l’arthrose.

En 2015, l’imagerie radio-magnétique aurait encore mis en lumière au niveau du genou droit, une « ligamentoplastie du croisé antérieur. Arthrose fémoro-tibiale interne et fémoro-patellaire débutante. Probable ostéochondromatose intra-articulaire ».

Ayant subi une opération pour une prothèse à la hanche côté droit en 2017, il aurait eu des douleurs à la hanche gauche en 2018, nécessitant également l’installation d’une prothèse en 2019, année au cours de laquelle un rapport de scanner du rachis lombaire aurait encore relevé une discopathie dégénérative et d’autres problèmes à tous les niveaux, de sorte qu’un certificat du 20 novembre 2019 de son neurochirurgien aurait proscrit tout effort physique rachidien.

Le demandeur explique qu’en 2021, il aurait dû suivre une thérapie auprès d'un psychiatre et psychologue à la suite de la mort de son fils aîné.

En 2022, outre une infection au virus COVID-19 et des douleurs de dos, il aurait dû « mettre des disques intervertébraux au L2/L3, L3/L4, L4/L5 et S1 ».

Il fait encore souligner que dans un rapport médical du 19 novembre 2020, le médecin du travail lui aurait certifié une inaptitude temporaire ainsi qu’une nécessité d'une prise en charge médicale, tout en constatant une « Lombosciatique Gauche hyperalgique », faisant en sorte qu’il ne tiendrait ni assis, ni debout.

Dans un rapport du 14 mai 2020 son médecin traitant généraliste aurait attesté qu’il ne pourrait pas porter des charges dépassant 3 kg, ni effectuer des travaux de dos fléchi, respectivement en position accroupie prolongée.

Malgré ces constats, tant le médecin du travail, dans son rapport le 25 août 2022, que le médecin de contrôle, dans son rapport du 14 juillet 2022, auraient considéré qu’il serait encore capable d'exercer des fonctions dans un service à temps partiel.

Le demandeur estime qu’une telle appréciation serait manifestement erronée et disproportionnée dans la mesure où il ressortirait de tout ce qui précède qu’il ne serait plus capable, ni de rester debout, ni de rester assis pendant un temps prolongé, de sorte que le fait de devoir continuer à travailler, même à temps partiel, risquerait de préjudicier encore plus son état de santé déjà atteint de façon importante.

Il renvoie finalement à un rapport du 24 novembre 2022 de son médecin généraliste qui aurait retenu une contre-indication pour :

« Le port de charges dépassant les 2 kg Le travail dos fléchi La position accroupie prolongée Position debout dépassant 10 minutes d'affilée Position assise dépassant 10 minutes d'affilée ».

Le demandeur donne encore à considérer qu’en date du 13 décembre 2022, il aurait, par le biais de son litismandataire, contesté la décision du collège échevinal de … du 2 décembre 2022, prise en exécution de la décision déférée du 13 octobre 2022, de l'affecter « sur un poste aménagé au renforcement provisoire dans la cellule « déchets verts/terres arables » au sein du service … (..) L'horaire de travail sera fonction des besoins du service, des restrictions médicales de l'agent et tiendra compte de la nature particulière des missions de l'agent », alors qu'au vu de son état de santé actuel, il ne serait plus capable d'exercer un quelconque travail conforme à ses aptitudes physiques et intellectuelles, ne pouvant se tenir ni assis ni debout pendant plus de 10 minutes d’affilée. Il aurait d’ailleurs, dans ce contexte, également formellement demandé à être entendu conformément aux dispositions de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

A titre plus subsidiaire, le demandeur sollicite la nomination d’un expert médical avec la mission de déterminer dans un rapport écrit et motivé que, « compte tenu de son état de santé, [il] n'est pas capable de reprendre un service à temps partiel pour raison de santé à raison de 50 % d'une tâche complète, après changement d'affectation et un aménagement du poste de travail ; ».

Dans son mémoire en réplique, le demandeur s’oppose à la demande du délégué du gouvernement visant à écarter le rapport de son médecin traitant du 24 novembre 2022, au motif que ce dernier serait postérieur à la décision déférée de la Commission des pensions du 13 octobre 2022, alors que, dans le contexte d'un recours contentieux, il n'existerait aucune règle en matière d'administration de la preuve impliquant la nécessité de fournir des éléments antérieurs à la décision administrative déférée, d’autant plus que le but du recours consisterait en la réformation de cette dernière.

Ce serait encore à tort que la partie étatique arguerait que sa situation médicale serait suffisamment documentée, de sorte qu'il n'y aurait pas lieu d'ordonner une expertise médicale, alors que compte tenu de son état de santé très fragile et de ses souffrances continues, une expertise médicale, par un médecin indépendant, serait la mesure la plus appropriée en vue d’attester ses capacités résiduelles réelles.

Aussi, le fait que la Commission des pensions ait ordonné le réexamen de l'affaire par le médecin du travail n'empêcherait en rien de procéder, dans le cadre de l’affaire sous analyse, à une expertise médicale par un médecin indépendant et impartial.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur invoque finalement encore un nouveau moyen tenant à une violation du principe d'impartialité consacré par les droits de la défense et par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », alors que le délégué du gouvernement représentant l’Etat dans la présente affaire ne serait autre que le président de la Commission des pensions ayant pris la décision litigieuse.

Ainsi, le fait que le délégué du gouvernement qui serait partie en cause, soit également la personne siégeant dans l'organe décisionnel ayant pris la décision litigieuse serait pour le moins discutable, sinon critiquable par rapport à la garantie de l'indépendance.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

Le tribunal n'est pas tenu de suivre l'ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l'intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent1.

En ce qui concerne d’abord le moyen tiré de la violation du principe d’impartialité en ce que le délégué du gouvernement représentant l’Etat à la présente instance contentieuse, aurait également présidé la Commission des pensions ayant adopté décision déférée du 13 octobre 2022, il échet de relever qu’au-delà du constat qu’une impartialité ne saurait être logiquement exigée d’une partie au procès, dont, en l’espèce, l’Etat, représenté par son délégué du gouvernement2 défendant la décision qu’il a lui-même prise, le moyen litigieux encourt le rejet pour être simplement suggéré, alors que le demandeur reste en défaut d’indiquer de quelle manière notamment, mais aussi à quel niveau ou à quel instant de la procédure contentieuse ou précontentieuse ses droits de la défense auraient été, en l’espèce, violés, l’article 6 de la CEDH n’étant d’ailleurs applicable qu’aux institutions juridictionnelles, qualité que ne revêt pas la Commission des pensions.

En ce qui concerne ensuite le moyen tenant à la légalité externe de la décision déférée de la Commission des pensions, force est au tribunal de retenir que c’est à tort que le demandeur conclut à une insuffisance de sa motivation, alors qu’au-delà du constat qu’une insuffisance, voire un défaut de motivation d’un acte administratif individuel n’est pas de nature à entraîner son annulation, mais seulement une suspension des délais de recours, l’administration est encore autorisée à fournir un complément de motivation en cours d’instance et même encore en appel, étant relevé qu’il ressort de la lecture de la décision déférée, citée in extenso ci-avant, que la Commission des pensions a fourni non seulement une motivation en droit, en précisant avoir été saisie sur base des articles 46 et suivants de la loi du 25 mars 2015, mais également en fait, par le renvoi au rapport du médecin de contrôle du 14 juillet 2022, respectivement au rapport du médecin du travail du 25 août 2022, ainsi qu’aux explications fournies de part et d’autre lors du débat oral du 22 septembre 2022, motivation encore valablement précisée par le délégué du gouvernement en cours d’instance, de sorte qu’il n’y a en l’occurrence pas de violation de l’article 49 de la loi du 25 mars 2015, disposant que la décision de la Commission des pensions « doit être motivée », ni de violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, lequel n’exige d’ailleurs qu’une motivation sommaire. Le moyen afférent encourt dès lors le rejet, étant relevé que la pertinence et le bien-fondé de cette motivation est une question de fond, laquelle sera traitée par la suite.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle il estime que les rapports médicaux auraient dû être annexés à la décision déférée, alors qu’au-

delà du constat qu’une telle exigence ne ressort pas des dispositions légales ou réglementaires applicables, le demandeur a bien été au courant des conclusions des médecins chargés par la Commission des pensions, tel que cela ressort notamment du fait qu’il s’est déclaré d’accord pour que cette dernière « délibère et décide sur base des rapports établis par le médecin de contrôle et le médecin du travail », accord acté dans la décision déférée.

1 trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.

2 voir en ce sens : Trib. adm., 10 mars 2004, n° 17365 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 994.Quant au bien-fondé de la décision de la Commission des pensions, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 46 de la loi du 25 mars 2015, « Il est institué auprès du département de la Fonction publique une commission spéciale appelée à se prononcer dans tous les cas où l’état de santé du fonctionnaire, du prétendant-droit ou du bénéficiaire d’une pension ou d’un service à temps partiel pour raisons de santé est déterminant pour l’octroi, la modification ou le retrait d’une pension ou d’un service à temps partiel pour raisons de santé, la réintégration dans l’administration ou un changement d’emploi ou d’affectation avec ou sans changement d’administration ».

L’article 48 de la loi du 25 mars 2015 dispose que « Lorsque la commission statue sur les cas comportant la constatation d’une invalidité, sa décision ne peut être prise que sur le vu d’un rapport médical.

Le rapport médical est dressé par le médecin de contrôle. Le président de la commission ou son délégué peut lui adjoindre un ou plusieurs médecins spécialistes pour chaque cas et suivant les besoins.

(…) Pour le cas où le médecin de contrôle estime que le fonctionnaire peut continuer l’exercice de ses fonctions, à service à temps partiel pour raisons de santé prévu à l’article 51 qui suit sous réserve de l’aménagement de son poste de travail, ou reprendre l’exercice d’une autre fonction, le cas échéant à service à temps partiel pour raisons de santé, le rapport médical doit être complété par un avis circonstancié d’un médecin du travail définissant les capacités résiduelles du fonctionnaire. (…) ».

Force est ensuite de relever que le recours en réformation est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire – indépendamment de la légalité – l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés3. Ainsi, il y a lieu d’examiner l’état de santé du demandeur à la date à laquelle le tribunal est amené à prononcer son jugement sur le fond de l’affaire.

Le tribunal est ainsi saisi en l’espèce de la question de savoir si le demandeur est atteint d’infirmités l’empêchant de continuer son service à temps plein, mais qu’une reprise à temps partiel ne dépassant pas 50 % d’une tâche complète sur un poste aménagé est envisageable sur un plan médical, ou si, tel que le demandeur le soutient, ses infirmités sont telles qu’une mise la retraite pour invalidité s’impose.

3 Cour adm., 6 mai 2008, n° 23341C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées. En l’espèce, la Commission des pensions a adopté la décision déférée du 13 octobre 2022 sur base du rapport établi en date du 14 juillet 2022 par le médecin de contrôle, ainsi que sur celui du médecin du travail du 25 août 2022.

De son côté, le médecin de contrôle a retenu, dans le chef du demandeur, un « Etat dépressif réactionnel important à un traumatisme familial majeur (décès d'un enfant), [ainsi que des] Pathologies orthopédiques avancées avec gonarthrose suite à une plastie du LCA, coxarthrose bilatérale avec mise en place de 2 prothèses totales de hanche et surtout détérioration du rachis lombaire (à l'origine de douleurs lombaires hyperalgiques et d'une limitation importante du périmètre de marche) » nécessitant « impérativement la mise en œuvre d'une adaptation déjà recommandée par le passé du poste de travail, ceci pour permettre à l'agent de pouvoir stopper sa mise en arrêt de travail et de reprendre une tâche professionnelle médicalement réalisable. ».

Si le médecin de contrôle en conclut qu’une « reprise du travail sur un poste adapté en STPRS semble probable », cette analyse est ensuite confortée par le médecin du travail, saisi dans ce contexte, qui retient que le demandeur « est INAPTE à son poste de … et que son état de santé justifie un Reclassement Professionnel sur un Poste sans port de charges ni travail accroupi ou à genoux ni sollicitation de la colonne vertébrale, et ce dans le cadre d'un STPRS à 50%. ».

Il s’ensuit que la décision déférée a dès lors valablement pu entériner, conformément aux articles 46 et 48 de la loi du 25 mars 2015, ces conclusions concordantes relatives à la possibilité du demandeur de reprendre un poste à mi-temps adapté à ses capacités résiduelles, conclusions qui ne sont pas non plus remises en cause par le certificat médical postérieur de son médecin traitant du 24 novembre 2022, préconisant que le demandeur soit « reclassé de manière à pouvoir exercer une profession en relation avec sa souffrance physique », avec comme contre-indications :

« - Le port de charges dépassant les 2 kg, Le travail dos fléchi - La position accroupie prolongée - Position debout dépassant 10 minutes d'affilée - Position assise dépassant 10 minutes d’affilée ».

Il résulte de ces considérations qu’aucun des avis médicaux soumis au tribunal ne permet d’infirmer le constat d’une capacité résiduelle du demandeur à occuper un poste à mi-

temps adapté à ses besoins, sans que cette conclusion ne soit énervée par le simple souhait, exprimé tant par le demandeur que par son employeur devant la Commission des pensions, de se voir mis à la retraite pour cause d’invalidité totale, étant d’ailleurs relevé, dans ce contexte, qu’il ressort des pièces versées par le demandeur, que … lui a néanmoins proposé, par courrier du 2 décembre 2022 et en exécution de la décision déférée de la Commission des pensions, l’affectation à un poste aménagé à raison de 50 % d’une tâche complète sur base de ses capacités résiduelles.

Il en va de même en ce qui concerne les informations fournies en cours de délibéré par les parties au litige, telles que sollicitées par le tribunal à l’audience des plaidoiries, selon lesquelles le demandeur n’aurait toujours pas pu donner une suite à sa réaffectation en raison du fait qu’il se trouve en incapacité de travail continue non autrement circonstanciée depuis juin 2022.

En l’absence de conclusions médicales divergentes et à défaut de toute autre documentation relative à l’état de santé actuel du demandeur et les conséquences afférentes sur sa capacité de travail, la demande en institution d’une expertise médicale est à rejeter, étant relevé qu’en tout état de cause, une expertise médicale ne saurait pallier le manquement d’une partie dans la production d’éléments de preuve dont elle a la charge.

Eu égard aux considérations qui précèdent, le moyen du demandeur tiré d’un excès de pouvoir, respectivement d’une erreur manifeste d’appréciation dans le chef de la Commission des pensions ayant adoptée la décision du 13 octobre 2022 est à rejeter pour ne pas être fondé.

Il s’ensuit, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, que le recours sous analyse est à rejeter pour être non fondé.

S’agissant finalement de la demande en communication du dossier administratif formulée par le demandeur sur base de l’article 8, paragraphe (5) de la loi du 21 juin 1999 exclusivement dans le dispositif de sa requête introductive d’instance, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut pour le demandeur de remettre en question le caractère complet du dossier mis à sa disposition à travers le mémoire en réponse, sa demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant devenue sans objet.

Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000,- euros, telle que sollicitée par le demandeur sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

Il ne va de même et pour les mêmes raisons en ce qui concerne la demande de l'effet suspensif du présent recours pendant le délai et l'instance d'appel en vertu de l'article 35 alinéa 1er de la loi du 21 juin 1999.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation dirigé contre la décision de la Commission des pensions du 13 octobre 2022 ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en institution d’une expertise médicale ;

rejette la demande en communication du dossier administratif ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;

rejette la demande d’application de l'article 35 alinéa 1er de la loi du 21 juin 1999 condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 février 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 48352
Date de la décision : 11/02/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-02-11;48352 ?

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