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06/02/2025 | LUXEMBOURG | N°48801

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 février 2025, 48801


Tribunal administratif N° 48801 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48801 2e chambre Inscrit le 7 avril 2023 Audience publique du 6 février 2025 Recours formé par Madame (A), …, et la société anonyme (AA) SA, …, contre un arrêté du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, en présence de la société anonyme (BB) SA, …, en matière d’établissements classés

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48801 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2023 par la société à responsabi

lité limitée RODESCH Avocats à la Cour, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avoca...

Tribunal administratif N° 48801 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48801 2e chambre Inscrit le 7 avril 2023 Audience publique du 6 février 2025 Recours formé par Madame (A), …, et la société anonyme (AA) SA, …, contre un arrêté du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, en présence de la société anonyme (BB) SA, …, en matière d’établissements classés

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48801 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2023 par la société à responsabilité limitée RODESCH Avocats à la Cour, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1470 Luxembourg, 7-11, route d’Esch, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B265322, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de 1) Madame (A), demeurant à L-… et 2) la société anonyme (AA) SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable du 14 février 2023, référencé sous le numéro …, autorisant la société anonyme (BB) SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, à exploiter sur un pylône, sis à L-…, un site radiotechnique comprenant trois antennes ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine KOVELTER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 26 avril 2023, portant signification de ce recours à la société anonyme (BB) SA, préqualifiée ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2023 par la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ SA, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1610 Luxembourg, 24-26, avenue de la Gare, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B220251, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Anne FERRY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société anonyme (BB) SA, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2023 par le délégué du gouvernement pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2023 par la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ SA pour compte de la société anonyme (BB) SA, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2023 par la société à responsabilité limitée RODESCH Avocats à la Cour pour compte des parties requérantes, préqualifiées ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2023 par la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ SA, pour compte de la société anonyme (BB) SA, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 novembre 2023 par le délégué du gouvernement pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause ainsi que l’acte critiqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Rachel JAZBINSEK, Madame le délégué du gouvernement Cathy MAQUIL et Maître Anne FERRY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 novembre 2024.

___________________________________________________________________________

Il est constant en cause que la société anonyme (BB) SA, anciennement (BB), ci-après désignée par « la société (BB) », avait obtenu en date du 24 avril 2018 une première autorisation d’exploiter, sur une parcelle sise à L-… et inscrite au cadastre de la commune de Steinfort, section … de Grass, sous le numéro (P1), ci-après désignée par « la parcelle (P1) », un site radiotechnique avec une puissance totale à l’entrée des antennes de 736 W, émettant dans trois directions les fréquences 800 MHz, 900 MHz et 1.800 MHz.

Il se dégage encore des explications de la partie étatique que par décision du ministre ayant l’Environnement dans ses attributions du 30 septembre 2021, référencée sous le numéro …, l’autorisation prévisée fut modifiée une première fois en ce que la fréquence de 700 MHz fut ajoutée, que les antennes furent changées et que la somme des puissances à l’entrée des antennes fut augmentée.

En date du 8 août 2022, la société (BB) introduisit auprès de l’administration de l’Environnement une demande d’autorisation d’exploitation en relation avec le site radiotechnique se trouvant sur la parcelle (P1).

Par arrêté du 14 février 2023, référencé sous le numéro …, le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par « le ministre de l’Environnement », délivra à la société (BB) l’autorisation d’exploitation sollicitée, ledit arrêté ayant la teneur suivante :

« […] Vu la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés ;

Considérant la demande du 4 août 2022, présentée par (BB) S.A., aux fins d'obtenir l’autorisation d’exploiter à L-…, LUREF :…, sur un pylône, les établissements classés suivants - un site radiotechnique comprenant des antennes suivantes :

[…] Considérant l’arrêté … du 30 septembre 2021, délivré par le ministre ayant l’Environnement dans ses attributions, autorisant la société (BB) S.A. à exploiter un site d’installations radioélectriques fixe situé dans la commune de STEINFORT ;

Considérant que l’objet du dossier de demande concerne :

- la modification de la puissance à l’entrée des antennes émettant les fréquences 700 MHz, 800 MHz, 900 MHz, 1.800 MHz, 2.100 MHz ;

- le remplacement d’antennes ;

Considérant le règlement grand-ducal modifié du 10 mai 2012 portant nouvelles nomenclature et classification des établissements classés ;

Considérant la loi du 25 novembre 2005 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement ;

Considérant le règlement grand-ducal du 25 janvier 2006 déclarant obligatoire le plan directeur sectoriel stations de base pour réseaux publics de communications mobiles ;

Considérant le traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, notamment son article 191 relatif à la politique de l'Union dans le domaine de l'environnement et disposant que la politique de l'Union dans le domaine de l'environnement est fondée entre autres sur les principes de précaution et d'action préventive afin de contribuer à un niveau de protection élevé ;

Considérant la recommandation du Conseil du 12 juillet 1999 relative à la limitation de l'exposition du public aux champs électromagnétiques (de 0 Hz à 300 GHz) (1999/519/CE) ;

Considérant l’enquête commodo et incommodo et l’avis émis en date du 12 décembre 2022 par le collège des bourgmestre et échevins de la commune de de STEINFORT ;

Considérant que pendant le délai légal d’affichage, des observations ont été présentées à l’égard du projet susmentionné ;

Considérant que ces observations trouvent leur retombée dans les conditions de l’arrêté pour autant que la législation sur les établissements classés constitue une base habilitante ;

Considérant que la somme des puissances maximales fournies à l’entrée des antennes de l’ensemble du site d’installations radioélectriques est supérieure à 2.500 W ;

Considérant que, conformément à l'article 4 de la loi modifiée du 10 juin 1999, les compétences en matière d'autorisation du ministre ayant l'Environnement dans ses attributions se limitent aux établissements des classes 1, 1B, 3 et 3B selon le règlement grand-ducal modifié du 10 mai 2012 ; que le présent arrêté est donc limité à ces établissements classés ;

Considérant qu’en raison d’une approche intégrée, l’arrêté relatif à l’établissement délivré antérieurement et étant actuellement encore en vigueur est intégré dans le présent arrêté ; que par conséquent l’arrêté … du 30 septembre 2021 est à abroger ;

Considérant qu'en application du principe de précaution l'intensité du champ électrique est limitée par élément rayonnant dans les lieux où peuvent séjourner des gens ;

Considérant que les conditions imposées dans le cadre du présent arrêté sont de nature à limiter les nuisances sur l'environnement à un minimum ;

Que partant il y a lieu d'accorder l'autorisation sollicitée, A R R Ê T E :

Article 1er : Cadre légal L'autorisation sollicitée en vertu de la législation relative aux établissements classés est accordée sous réserve des conditions reprises aux articles subséquents.

Article 2 : Domaine d’application 1. Objets autorisés a) Dans le cadre du présent arrêté, le terme « établissement classé » se rapporte aux établissements, installations et activités à risques potentiels repris dans la nomenclature et classification des établissements classés. Font partie intégrante d'un établissement classé toute activité et installation s'y rapportant directement, susceptible d'engendrer des dangers ou des inconvénients à l'égard des intérêts environnementaux repris à l'article 1er de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés.

b) Sont autorisés les établissements classés suivants :

N° de nomenclature Désignation sites d’installations radioélectriques fixes*, dont la somme des puissances maximales fournies à l’entrée des antennes est de 2.032,2 W 500101 02 * endroit fixe où sont installées sur une même parcelle cadastrale une ou plusieurs installations radioélectriques de la même technologie 2. Emplacement L’établissement classé ne peut être aménagé et exploité qu’à l’emplacement suivant :

Adresse L-… Cadastre Steinfort, Section … de Grass (P1) Installation sur un pylône Site opérateur Radiotechnique Site N0496 LUREF … □ nouveau site □ nouvel opérateur sur site existant  site existant 3. Conformité à la demande Les établissements classés doivent être aménagés et exploités conformément à la demande du 4 août 2022 sauf en ce qu’elle aurait de contraire aux dispositions du présent arrêté. Ainsi la demande fait partie intégrante du présent arrêté. L’original de la demande, qui vu sa nature et sa taille, n’est pas jointe au présent arrêté, peut être consultée par tout intéressé au siège de l’Administration de l’environnement, sans déplacement.

4. Délais et limitations dans le temps a) Le site d’installations radioélectriques fixes doit être mis en exploitation dans un délai de 36 mois à compter de la date du présent arrêté.

b) L’exploitant doit communiquer préalablement à l’Administration de l’environnement la date du début de l’exploitation des divers établissements classés.

Article 3 : Conditions fixées en vertu de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés 1. Conditions pour tous les établissements […] 2. Conditions spécifiques 2.1.Concernant le numéro de nomenclature 500101 2.1.1. Définitions […] 2.1.2. Limitations L’exploitation est limitée aux installations suivantes :

[…] 2.1.3. Limitation des émissions d’ondes électromagnétiques en provenance des sites radiotechniques de la téléphonie mobile a) En ce qui concerne les éléments rayonnants des antennes passives, l’apport au champ électrique global doit être inférieur ou égal à 3 V/m, valeur maximale dans les lieux où peuvent séjourner des gens.

b) Pour des raisons de précaution, les effets athermiques pouvant résulter d’un émetteur d’ondes électromagnétiques ne doivent pas engendrer des risques pour l’environnement humain.

c) L’exploitant doit tenir un registre contenant les paramètres d’exploitation du site radioélectrique. Ce registre doit être tenu à disposition des agents de contrôle.

Article 4 :

Conditions fixées en vertu de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés relatives à la réception et au contrôle de l’établissement […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2023, Madame (A) et la société anonyme (AA) SA, ci-après désignée par « la société (AA) », ont fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel prévisé du 14 février 2023.

I.

Quant à la compétence du tribunal Etant donné que l’article 19, alinéa 1er de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés, ci-après désignée par « la loi du 10 juin 1999 », prévoit un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

II.

Quant à la recevabilité du recours principal en réformation Moyens et arguments des parties A l’appui de leur recours, les parties requérantes expliquent qu’en date du 18 février 2020, Madame (A) aurait signé une concession de droit de superficie pour 30 ans avec un projet de construction d’un local commercial et d’un logement d’habitation et que ce serait lors de la préparation des travaux en relation avec ce projet qu’elle aurait dû se rendre compte de l’existence d’une antenne-relais à … mètres de son futur domicile et commerce. Elle précise que le bâtiment projeté l’accueillerait elle et son compagnon de même qu’une locataire ainsi que trois personnes employées dans la future ….

Les parties requérantes précisent ensuite que Madame (B) aurait également pu se rendre compte de l’existence d’une antenne relai étant donné qu’elle demeurerait professionnellement, ensemble avec une trentaine de salariés travaillant pour son entreprise, à environ … mètres de celle-ci.

Au vu de ces considérations et du fait qu’elles-mêmes, sinon leurs salariés seraient soumis aux émissions des antennes autorisées à travers l’arrêté ministériel litigieux, les parties requérantes estiment justifier d’un intérêt personnel, direct, actuel et certain à agir contre celui-

ci. Elles ajoutent que Madame (A), qui serait « sensible à cette problématique » et souffrirait d’une exposition aux antennes-relais, serait actuellement en train de modifier la conception de son immeuble afin de se protéger des conséquences des émissions du site radioélectrique. La société (AA) serait également sensible à cette problématique, ce d’autant plus que « la proximité du parc éolien [serait] déjà problématique à gérer ».

Dans son mémoire en réponse, la société (BB) invoque l’irrecevabilité du recours principal en réformation pour défaut d’intérêt à agir et/ou de capacité à agir dans le chef aussi bien de Madame (A) que de la société (AA).

Pour ce qui est de Madame (A), la société (BB) donne à considérer que s’il se dégageait du dossier administratif que l’intéressée avait introduit en date du 21 novembre 2022 une observation dans le cadre de l’enquête commodo incommodo réalisée préalablement à la délivrance de l’arrêté ministériel litigieux, il y aurait lieu de constater que ses observations auraient été formulées sur une lettre-type au contenu identique à celles adressées par plusieurs personnes n’habitant pas la commune de Steinfort. Elle en conclut que les observations introduites par Madame (A) n’emporteraient ni preuve, ni même identification d’un intérêt direct et personnel, né et actuel dans le chef de celle-ci pour agir contre l’autorisation litigieuse.

Elle ajoute que si Madame (A) indiquait dans le recours sous analyse avoir signé en son nom personnel en date du 18 février 2020 un acte portant concession d’un droit de superficie pour 30 ans et avoir pour projet d’y construire un local commercial et un logement d’habitation, aucune pièce ne serait toutefois versée à l’appui de cette affirmation, de même qu’aucun numéro cadastral permettant de localiser précisément l’endroit de son projet immobilier ne serait fourni.

Par ailleurs, si l’intéressée affirmait encore que ce ne serait qu’au cours de l’élaboration de son projet qu’elle se serait rendue compte de la présence d’une antenne-relais dans les environs rapprochés du terrain devant accueillir son projet immobilier, la société (BB) fait valoir que l’installation critiquée existerait à l’endroit en cause depuis 2018 de sorte à avoir préexisté à la prétendue signature, au cours du mois de février 2020, d’un acte portant apparemment en faveur de Madame (A) un droit de superficie dans les environs immédiats du site litigieux. Il s’ensuivrait que l’intéressée qui affirmerait être sensible et souffrir d’une exposition aux antennes-relais ne pourrait se plaindre d’une installation ayant préexisté à l’endroit en cause.

A titre subsidiaire, la société (BB) donne encore à considérer que contrairement à ce qu’elle affirmerait, Madame (A) ne serait actuellement pas installée à … mètres de l’installation en cause puisqu’elle habiterait à Rodange. De ce fait, elle ne démontrerait pas l’existence de la lésion d’un intérêt personnel, direct, actuel et certain conditionnant pourtant la recevabilité de son recours. La société (BB) ajoute que comme la zone en cause serait réservée aux activités commerciales et qu’une habitation à cet endroit ne se concevrait pas, cet état de fait contredirait les prétendus plans de l’intéressée.

Pour ce qui est de la société (AA), la société (BB) relève que dans le recours sous analyse il serait précisé que celle-ci serait représentée dans le cadre de celui-ci par son conseil d’administration actuellement en fonction. Or, à la lecture dudit recours, il apparaîtrait que ce serait en réalité Madame (B) qui se serait rendue compte de l’existence de l’antenne litigieuse pour demeurer professionnellement à l’endroit en cause. Au vu de ces considérations, il y aurait lieu de mettre en doute que ce serait bien le conseil d’administration de la société (AA) qui avait décidé d’introduire le présent recours.

A cela s’ajouterait que même à supposer que le recours ait été introduit par l’organe compétent, il serait manifeste que la société (AA) resterait en défaut de préciser quel est son intérêt personnel, direct, actuel et certain pour agir contre l’arrêté litigieux. La seule affirmation suivant laquelle ladite société serait sensible à la problématique des émissions du site radiotechnique et que la proximité du parc éolien aurait déjà été une problématique à gérer serait en tout état de cause insuffisante pour asseoir dans le chef de ladite personne morale un intérêt à agir.

La partie étatique se rapporte, quant à elle, à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours sous analyse tout en précisant toutefois, à toutes fins utiles, que l’antenne en cause serait située dans la zone d’activités de la région ouest (zone d’activités de la région ouest - ZARO) à Grass/Steinfort et que suivant le plan d’aménagement général de la commune de Steinfort, les terrains concernés seraient classés en « zone-r », où seules seraient autorisées en termes de logement, des habitations de service.

Dans leur mémoire en réplique, les parties requérantes insistent sur le fait que la qualité de propriétaire de Madame (A) serait confirmée par l’acte notarié de concession d’un droit de superficie versé à l’appui dudit mémoire, tout en faisant valoir que, pour ce qui est de la société (AA), il ne serait, selon elles, certainement pas nécessaire de verser une copie de procès-verbal d’une réunion du conseil d’administration pour justifier son intérêt à agir étant donné que le mandat donné à l’avocat serait suffisant. Elles estiment, en tout état de cause, que comme elles se trouveraient chacune à proximité des antennes litigieuses, elles subiraient le rayonnement émanant de celles-ci, ce qui suffirait à caractériser un intérêt à agir dans leur chef.

Dans son mémoire en duplique, la société (BB) maintient son moyen d’irrecevabilité en relevant, pour ce qui est de Madame (A), que l’acte notarié de concession d’un droit de superficie versé en cause aurait été signé en date du 18 février 2020 par une société dénommée (CC) SARL, ci-après désignée par « la société (CC) », avec siège à Rodange, et que le droit de superficie porterait sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Steinfort. Comme il s’en dégagerait, par ailleurs, que la société en question s’engagerait à construire sur ledit terrain un bâtiment à des fins d’exploitation économique, il devrait en être conclu que contrairement aux informations contenues dans les écrits contentieux, Madame (A) ne serait à l’heure actuelle ni propriétaire, ni superficiaire d’une quelconque parcelle qui serait située à une distance de … mètres de l’installation litigieuse. Il ressortirait, au contraire de l’acte notarié que la parcelle faisant l’objet du droit de superficie se situerait à quelques … mètres de la parcelle accueillant les antennes en cause. Tout en insistant sur le fait que toute habitation serait proscrite à l’endroit en question, la société (BB) en conclut que Madame (A) se baserait sur des informations volontairement inexactes pour se construire de toute pièce une qualité, respectivement un intérêt à agir qui n’existerait pas.

Pour ce qui est de la société (AA), la société (BB) insiste sur le fait que le tribunal administratif serait, en l’espèce, saisi d’un recours en réformation introduit par une société commerciale qui ni au niveau de son recours, ni au niveau de son mémoire en réplique ne développerait le moindre intérêt à agir dans son propre chef. Il y aurait lieu de constater qu’aucun des écrits contentieux ne contiendrait ne serait-ce qu’un début de commencement d’explication quant à un intérêt à agir dans le chef de la personne morale en question dont les locaux se situeraient à quelques … mètres de l’installation litigieuse.

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique maintient ses développements antérieurs en insistant sur le fait que l’argumentation sommaire et non autrement étayée des parties requérantes suivant lesquelles elles se trouveraient à proximité des antennes litigieuses de sorte à subir le rayonnement émanant de celles-ci serait insuffisante pour démontrer l’existence dans leur chef d’un intérêt personnel, direct, actuel et certain à agir contre l’arrêté ministériel déféré.

Analyse du tribunal En ce qui concerne la question de l’intérêt à agir des parties requérantes, telle que débattue par les parties en cause, il convient de relever que la recevabilité d’un recours est conditionnée par l’existence d’un intérêt à agir dans le chef du requérant. Pour justifier d’un tel intérêt à agir, il faut pouvoir se prévaloir d’un intérêt personnel dans le sens que la réformation ou l’annulation de l’acte attaqué confère au demandeur une satisfaction certaine et personnelle1.

Ainsi, l’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’un recours administratif ne doit pas seulement être né et actuel, effectif et légitime, mais encore personnel et direct. Un intérêt indirect à agir ne suffit pas pour former un recours administratif2.

En d’autres termes, le juge doit vérifier, eu égard à l’intérêt mis en avant par le demandeur, si l’acte déféré est susceptible d’avoir une incidence sur la situation du demandeur :

c’est au regard de l’incidence concrète de la décision sur la situation du demandeur que l’intérêt à agir de ce demandeur devant le juge administratif doit être apprécié3. En effet, le demandeur ne pourrait être regardé comme ayant un intérêt à agir que si l’acte entraîne à son égard les conséquences fâcheuses constituant le grief mis en avant4.

Le juge administratif est encore amené à examiner si l’intérêt que le demandeur met en exergue pour justifier son action en justice lui confère une qualité suffisante pour ce faire. Le juge ne doit – ni ne peut – s’intéresser à un quelconque autre intérêt qu’on pourrait le cas échéant reconnaître au demandeur.

Ensuite, et tel que retenu ci-avant, il y a lieu de relever que l’intérêt conditionne la recevabilité d’un recours contentieux et qu’en matière de contentieux administratif portant, comme en l’espèce, sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut tirer un avantage corrélatif de la sanction de la décision par le juge administratif5. Il faut, en tout état de cause, que la décision querellée affecte la situation personnelle du requérant dans des conditions suffisamment spéciales, certaines et directes.

Le requérant doit ainsi justifier d’un intérêt personnel et direct à obtenir la réformation ou l’annulation de l’acte attaqué, le juge administratif devant seulement avoir égard à ce que le requérant avance à ce sujet, dès lors qu’il lui appartient de démontrer son intérêt. Il faut à la fois que l’atteinte alléguée résulte directement de la décision querellée et que les conséquences de cette décision soient suffisamment précises, suffisamment graves et suffisamment probables.

1 Trib. adm., 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 12 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 11 octobre 1999, nos 11243 et 11244 du rôle, c. par Cour adm., 17 février 2000, n° 11608C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 17 et les autres références y citées.

3 Voir en ce sens : Conseil d’Etat fr., 16 juin 2004, req. 264185 et 264220.

4 Jacques Falys, La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, Bruylant, 1975, n° 159.

5 Cour adm., 14 juillet 2009, nos 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse n° 2 et les autres références y citées.

Un requérant doit encore justifier d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt général.

L’intérêt doit en outre être direct. Ainsi, ne justifie pas d’un intérêt direct, un demandeur qui ne fait état que d’une affectation de sa situation, mais qui omet d’établir l’existence d’un lien suffisamment direct entre la décision querellée et sa situation personnelle6.

En matière plus particulièrement d’établissements classés, il est admis que les voisins directs par rapport à un établissement projeté, de même que les propriétaires de terrains situés à proximité, peuvent légitimement craindre des inconvénients résultant pour eux du projet et qu’ils ont intérêt à voir respecter les règles applicables en matière d’établissements dangereux et de permis de construire, du moins dans la mesure où la non-observation éventuelle de ces règles est susceptible de leur causer un préjudice nettement individualisé7. En revanche, l’intérêt à agir personnel et direct de propriétaires ou habitants - personnes physiques ou morales - d’immeubles situés dans les environs d’une exploitation litigieuse, lesquels n’ont pas la qualité de voisins directs par rapport à l’établissement litigieux, est conditionné par le caractère suffisant de la proximité géographique de leur lieu d’habitation par rapport au lieu d’implantation de l’établissement classé dont s’agit, lequel caractère suffisant étant lui-même fonction de l’envergure de l’installation en cause, ainsi que de la nature et de l’importance des risques de nuisances mis en avant par les demandeurs8.

En l’espèce, pour ce qui est tout d’abord de Madame (A), il est constant en cause que celle-ci habite à l’heure actuelle à Rodange et non pas à Grass, localité dans laquelle la société (BB) a été autorisée à exploiter le site radiotechnique litigieux par le biais de l’arrêté ministériel déféré, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme voisin direct par rapport à l’établissement projeté ni comme pouvant justifier à ce titre d’un intérêt personnel, actuel, direct et certain à agir contre l’autorisation déférée.

Madame (A) affirme néanmoins être soumise aux émissions des antennes autorisées à travers l’arrêté ministériel litigieux en se prévalant du fait qu’elle aurait signé en date du 18 février 2020 un acte de concession d’un droit de superficie sur un terrain situé à environ … mètres du site sur lequel sont autorisées les antennes en cause et qu’elle projetterait de construire sur ce terrain un bâtiment comprenant un local commercial et un logement d’habitation, tout en précisant que ledit bâtiment serait destiné à l’accueillir elle et son compagnon de même qu’un locataire et trois salariés.

Le tribunal relève, à cet égard, tout d’abord que l’acte notarié en question a été signé par Madame (A) en sa qualité de gérant unique de la société à responsabilité limitée (CC) SARL, ci-après désignée par « la société (CC) », de sorte que le droit de superficie portant sur la parcelle (P2) a été conféré à travers ledit acte à la société (CC) et non pas à Madame (A) en son nom personnel.

Il s’ensuit que Madame (A), outre de ne pas être un voisin direct par rapport à l’établissement classé litigieux, n’a elle-même pas non plus la qualité ni de propriétaire ni même de titulaire d’un droit de superficie sur une parcelle située dans la localité de Grass à proximité de l’installation en cause, cette dernière qualité revenant à la société (CC).

6 Trib. adm., 27 juin 2001, n° 12485 du rôle, c. par Cour adm., 17 janvier 2022, n° 13800C du rôle, Pas. adm.

2023, V° Procédure contentieuse, n° 16 et les autres références y citées.

7 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9474 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etablissements classés, n° 155 et les autres références y citées.

8 Trib. adm., 16 décembre 2022, n°14920 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 140 et les autres références y citées.

S’il se dégage encore de l’acte notarié de concession d’un droit de superficie du 18 février 2020 que la convention en question a été conclue entre le syndicat intercommunal « Zone d’activités économiques à caractère régional dans la Région de l’Ouest du pays », en abrégé « ZARO », et la société (CC) en raison du fait que celle-ci s’était « engagée à faire construire et exploiter sur le terrain visé par la présente un bâtiment qu’elle utilisera à des fins d’exploitation économique conforme aux […] critères de développement d’une activité industrielle, artisanale ou de prestation de services, créatrice d’emplois » et plus particulièrement un bâtiment devant servir « à l’exercice d’une activité d’une … artisanale et diététique au feu de bois, la pâtisserie artisanale et sans sucre, la fabrication de pizzas sans sel et diététiques cuites au feu de bois, la petite restauration […] » le tribunal se doit de constater qu’il n’est pas contesté, tel que l’affirme la société (BB), que le terrain sur lequel porte le droit de superficie de la société (CC) n’est à l’heure actuelle, soit plus de quatre ans et demi depuis la signature de l’acte notarié, ni construit ni exploité, sans qu’il ne se dégage des éléments soumis au tribunal que ladite société ait toujours un projet concret d’installation et d’exploitation d’un bâtiment sur le terrain en cause, l’affirmation contenue dans la requête introductive d’instance suivant laquelle « Madame (A) [serait] actuellement entrain de modifier la conception de son immeuble pour se protéger des conséquences des émissions du site radioélectrique » restant à l’état de pure allégation pour n’être sous-tendue par aucun élément de preuve tangible. Le même constat s’impose d’ailleurs en ce qui concerne l’affirmation péremptoire et non autrement sous-tendue de Madame (A) suivant laquelle elle projetterait d’habiter elle-même dans un logement destiné à cet effet dans le bâtiment à construire, ce d’autant plus qu’il n’est pas contesté que la parcelle en cause est classée suivant le plan d’aménagement général de la commune de Steinfort en « Zones d’activités économiques régionales [ECO-r] » qui est principalement réservée aux activités industrielles légères, artisanales, de commerce de gros, de transport ou de logistique et où ne sont admis que des logements de service à l’usage du personnel dont la présence permanente est nécessaire pour assurer la direction ou la surveillance d’une entreprises particulière.

Le tribunal relève encore, pour être tout à fait complet, que le terrain sur lequel porte le droit de superficie de la société (CC) se situe, suivant les explications non autrement énervées de la société (BB) et le plan annoté versé en cause par celle-ci, non pas à environ … mètres du site radiotechnique autorisé, tel que soutenu péremptoirement par les parties requérantes pour tenter de justifier l’existence d’un intérêt à agir dans le chef de Madame (A), mais à quelques … mètres de celui-ci, sans qu’il ne soit concrètement expliqué dans quelle mesure, au vu de cette distance non contestée, des inconvénients résultant de l’installation autorisée soient légitiment à craindre pour les personnes censées venir travailler, voire même habiter dans le bâtiment une fois que celui-ci aura été construit sur le terrain en cause.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, le tribunal se doit de conclure que Madame (A) reste en défaut de justifier d’un intérêt personnel et direct suffisant à agir contre l’arrêté ministériel litigieux, mais qu’elle a, au contraire, tenté de se construire un intérêt à agir fondé sur des informations volontairement inexactes ou incomplètes.

Pour ce qui est de la société (AA), le tribunal se doit tout d’abord de relever que les principes relatifs à l’exigence d’un intérêt à agir personnel, direct, actuel et certain s’appliquent indistinctement aux personnes physiques et aux personnes morales.

S’il n’est pas contesté que les locaux commerciaux appartenant à la société en question se situent à environ … mètres du site sur lequel est projetée l’installation autorisée à travers l’arrêté ministériel litigieux, la société (AA) reste toutefois en défaut de développer la moindre argumentation visant à démontrer l’existence dans son chef d’un intérêt personnel et individualisé suffisant à agir contre l’arrêté en question.

En effet, l’affirmation suivant laquelle la société (AA) serait « sensible à la problématique des émissions du site radioélectrique », ce d’autant plus que « la proximité du parc éolien [serait] déjà une problématique à gérer » ne permet, en tout état de cause, pas de conclure à l’existence dans son chef d’un intérêt à agir personnel et direct, distinct de l’intérêt général. Ce constat n’est pas ébranlé par l’affirmation péremptoire et tout à fait générale qu’elle agirait « du fait de la responsabilité de la sécurité des travailleurs », ce d’autant plus qu’il n’est pas contesté que les locaux de la société sont situés à quelques … mètres de l’installation litigieuse et que la société (AA) reste en défaut d’expliquer concrètement dans quelle mesure, au vu de cette distance, des inconvénients résultant de l’installation projetée soient légitiment à craindre dans le chef « des travailleurs » dont les conditions de travail dans les locaux commerciaux de ladite société ne sont aucunement mises en lumière.

Pour être tout à fait complet, le tribunal se doit encore de relever que si un demandeur peut, le cas échéant, notamment en tant qu’employeur de salariés travaillant sur les lieux, disposer d’un début d’intérêt moral à voir respecter la législation sur les établissements classés, il n’en reste pas moins que cet unique intérêt moral, dans la mesure où il existe, se confondrait avec l’intérêt général et ne saurait donner lieu à ouverture d’un recours.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, le recours est à déclarer irrecevable pour défaut d’intérêt à agir dans le chef des parties requérantes.

III.

Quant aux demandes en allocation d’une indemnité de procédure Eu égard à l’issue du litige, la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 3.000 euros, telle que formulée par les parties requérantes sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », est à rejeter.

La société (BB) sollicite, quant à elle, la condamnation des parties requérantes au versement d’une indemnité de procédure de 5.000 euros sur base du même fondement légal et ce au motif que le recours sous analyse devrait s’analyser en un abus de droit et que par conséquent il serait inéquitable de lasser à sa charge les frais non compris dans les dépens.

Nonobstant l’issue du litige, il y a lieu de rejeter comme non justifiée la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société (BB), alors que les conditions d’application de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de la partie tierce-

intéressée n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare irrecevable le recours principal en réformation ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette les demandes tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure, telles que formulées de part et d’autre ;

condamne les parties requérantes aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 6 février 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 13


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48801
Date de la décision : 06/02/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-02-06;48801 ?

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