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04/02/2025 | LUXEMBOURG | N°47743,48049

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 février 2025, 47743,48049


Tribunal administratif Nos 47743 et 48049 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:47743+48049 3e chambre Inscrits les 25 juillet 2022 et 14 octobre 2022 Audience publique du 4 février 2025 Recours formés par la société anonyme (AA) SA, …, et consorts, contre deux arrêtés du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, en matière de marchés publics

JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 47743 du rôle et déposée le 25 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée F&F LEGAL SARL, in

scrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie ...

Tribunal administratif Nos 47743 et 48049 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:47743+48049 3e chambre Inscrits les 25 juillet 2022 et 14 octobre 2022 Audience publique du 4 février 2025 Recours formés par la société anonyme (AA) SA, …, et consorts, contre deux arrêtés du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, en matière de marchés publics

JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 47743 du rôle et déposée le 25 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée F&F LEGAL SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1720 Luxembourg, 6, rue Heine, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B230842, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Tom FELGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de :

1. la société anonyme (AA) SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

2. la société anonyme (BB) SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

3. la société anonyme (CC) SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

4. la société anonyme (DD) SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

5. la société à responsabilité limitée (EE) SARL, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions ;

tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté pris en date du 25 avril 2022 par le ministre de la Mobilité et des Travaux publics et portant retrait de l’arrêté d’adjudication publique du 21 janvier 2022 aux termes duquel l’association momentanée composée des sociétés (AA) SA, (BB) SA, (CC) SA, (DD) SA et (EE) SARL, préqualifiées, a été déclarée adjudicataire du marché public de travaux de courants faibles àexécuter dans l’intérêt du bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 décembre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 janvier 2023 par la société à responsabilité limitée F&F LEGAL SARL pour compte de ses mandantes, préqualifiées ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 février 2023 ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 48049 du rôle et déposée le 14 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée F&F LEGAL SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1720 Luxembourg, 6, rue Heine, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B230842, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Tom FELGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de :

1. la société anonyme (AA) SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

2. la société anonyme (BB) SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

3. la société anonyme (CC) SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

4. la société anonyme (DD) SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

5. la société à responsabilité limitée (EE) SARL, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions ;

tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté pris en date du 29 juillet 2022 par le ministre de la Mobilité et des Travaux publics et portant annulation de la procédure de passation du marché public relatif aux travaux de courants faibles à exécuter dans l’intérêt du bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 décembre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 janvier 2023 par la société à responsabilité limitée F&F LEGAL SARL pour compte de ses mandantes, préqualifiées ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 février 2023 ;

I. + II.

Vu les pièces versées en cause et notamment les actes critiqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Florent JEANMOYE, en remplacement de Maître Tom FELGEN et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 mai 2024.

___________________________________________________________________________

Par avis de marché daté du 28 avril 2021, le ministère de la Mobilité et des Travaux Publics, Administration des bâtiments publics1, annonça l’ouverture d’une procédure européenne de soumission publique en vue de l’attribution du marché public relatif aux travaux de courants faibles (MCL19) à exécuter dans l’intérêt de la construction du bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg.

L’association momentanée constituée des sociétés (AA) SA, (BB) SA, (CC) SA, (DD) SA et (EE) SARL, préqualifiées, ci-après désignées ensemble par « l’association momentanée (AE) », l’association momentanée constituée des sociétés (FF), (GG), (HH) et (II), ci-après désignées ensemble par « l’association momentanée (FI) », ainsi que la société à responsabilité limitée (JJ) SARL, ci-après désignée par « la société (JJ) », déposèrent une offre.

Suite à l’ouverture des offres qui eut lieu en date du 28 juin 2021, le directeur de l’Administration des bâtiments publics soumit, par courrier daté du 17 janvier 2022, au ministre de la Mobilité et des Travaux Publics, ci-après dénommé « le ministre », les offres recueillies dans le cadre de cette procédure de soumission, ainsi que le rapport d’analyse des offres dressé le 2 décembre 2021 par le groupement de maîtrise d’œuvre intégrée2 (KK) GmbH, désigné ci-

après par « (KK) », et se rallia, par procès-verbal d’adjudication publique également daté du 17 janvier 2022, à la proposition dudit groupement de confier l’exécution du marché à l’association momentanée (AE), aux prix et conditions de son offre, soit … euros TTC.

Par arrêté daté du 21 janvier 2022, le ministre approuva le prédit procès-verbal d’adjudication publique comme suit :

1 L’Administration des bâtiments publics, agissant au nom et pour le compte du ministère de la Mobilité et des Travaux publics, est identifiée dans le dossier de soumission comme « Commettant responsable, Maître de l’Ouvrage responsable, pouvoir adjudicateur ».

2 Il est précisé à la page 21, point 1.11.1 du dossier de soumission que le pouvoir adjudicateur est notamment assisté par la « Maîtrise d’œuvre intégrée (MOI) ».« […] Vu le résultat de la procédure ouverte concernant les travaux d’installations électriques de courants faibles à exécuter dans l’intérêt du bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg ;

Vu les dispositions du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics ainsi que du cahier spécial des charges approuvé le 23 mars 2021, No … ;

Sur la proposition du Directeur des Bâtiments publics du 17 janvier 2022, No … et avis n° … ;

Arrête:

Art. 1er. Le procès-verbal d’adjudication publique suivant lequel l’association momentanée (AE) (mandataire (AA) SA), …, à L-…, s’engage à exécuter les prestations ci-dessus mentionnées moyennant le prix de sa soumission, soit … EUR, est approuvé.

La dépense au montant de … EUR TTC (hors contrat de maintenance) est financée par le biais de la loi de garantie.

Le délai d’achèvement est fixé conformément aux dispositions du cahier des charges. […] ».

Par courriel envoyé par l’intermédiaire du Portail des Marchés Publics, le ministre informa l’association momentanée (AE) que le marché en cause lui avait été attribué et lui transmit une copie du prédit arrêté.

Par courrier daté du 25 mars 2022, le ministre fit part à l’association momentanée (AE) de son intention de procéder au retrait de la prédite décision d’adjudication du 21 janvier 2022, en ces termes :

« […] Conformément à l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’État et des communes, je tiens à vous faire part de mon intention de retirer ma décision d’adjudication du 21 janvier 2022 déclarant l’association momentanée composée des sociétés (AA) SA, (CC) SA, (BB) SA, (DD) SA, (EE) Sàrl adjudicataire du marché sous rubrique.

Il résulte d’une analyse approfondie qu’il existe des causes susceptibles de justifier l’annulation contentieuse de la décision alors que celle-ci se heurte au respect du principe de l’égalité de traitement des soumissionnaires.

Dès lors, je vous informe qu’en application de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations de l’Etat et des communes, vous disposez d’un délai de huit jours pour présenter vos observations.

Passé ce délai, une décision sera prise quant au retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022.

4 Dans l’hypothèse où il serait procédé au retrait de la décision d’adjudication précitée, je me permets de vous informer d’ores et déjà qu’un réexamen des offres remises dans le cadre de la soumission publique émargée aura lieu, suivi d’une nouvelle adjudication du marché en cause à l’offre conforme et économiquement la plus avantageuse, déterminée sur base du prix. […] ».

Par courrier de son litismandataire du 1er avril 2022, l’association momentanée (AE) demanda au ministre (i) de lui communiquer les raisons exactes sous-tendant son intention de procéder au retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022 et (ii) à être entendue en personne, conformément aux dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».

Par courrier du 15 avril 2022, le ministre répondit ce qui suit :

« […] En réponse à votre courrier reçu en date du 8 avril 2022 par lequel votre mandante sollicite à être entendue en personne afin de prendre position quant à un éventuel retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022, je vous informe qu’une réunion avec mes services compétents pourra se tenir dans les meilleurs délais.

Je vous propose ainsi une réunion le matin du 20 avril, l’après-midi du 21 avril ou le 22 avril dans les locaux du ministère de la Mobilité et des Travaux publics et vous invite à prendre contact avec mes services à cette fin.

Quant aux circonstances qui amènent le pouvoir adjudicateur à envisager un tel retrait de la décision d’adjudication susmentionnée, il résulte d’une analyse approfondie du dossier que la transmission d’une version adaptée du cahier des charges a conduit à une confusion quant aux documents justificatifs effectivement requis et pris en considération au moment de l’analyse des offres.

De ce fait, il s’est avéré que l’analyse des différentes offres n’a pas été effectuée conformément au respect du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires.

Tel que précisé dans le courrier du 25 mars 2022 […], il existe ainsi des causes susceptibles de justifier l’annulation contentieuse de ladite décision. […] ».

Une réunion fut tenue entre parties en date du 22 avril 2022 dans les locaux du ministère de la Mobilité et des Travaux publics.

Par arrêté du 25 avril 2022, le ministre décida de retirer la décision d’adjudication publique du 21 janvier 2022, en ces termes :

« […] Vu l’arrêté d’adjudication du 21 janvier 2022 attribuant l’exécution des travaux de courants faibles à exécuter dans l’intérêt du Bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg à l’association momentanée composée des sociétés (AA) SA, (CC) SA, (BB) SA, (DD) SA, (EE) Sàrl (mandataire (AA) SA, L-…) ;

Vu que des erreurs substantielles sont contenues dans le dossier de soumission ;

Vu que le principe d’égalité de traitement n’a pas été assuré dans l’analyse des offres ;

5 Vu qu’il existe dès lors des causes susceptibles de justifier l’annulation contentieuse de la décision d’adjudication ;

Vu l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes relatif au retrait d’une décision administrative ;

Vu que conformément à l’article 9 de ce même règlement grand-ducal, l’association momentanée composée des sociétés (AA) SA, (CC) SA, (BB) SA, (DD) SA, (EE) Sàrl Sàrl (mandataire (AA) SA, L-…) a été informée par courrier de l’intention du retrait de l’arrêté d’adjudication ;

Vu que la partie concernée a fait valoir dans les délais son droit d’être entendue en personne suivant l’article 9 alinéa 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes ;

Vu l’entrevue qui a eu lieu dans les locaux du Ministère de la Mobilité et des Travaux publics le 22 avril 2022 et au cours de laquelle de plus amples explications ont été fournies ;

Arrête:

Art. 1er. L’arrêté d’adjudication publique du 21 janvier 2022 suivant lequel l’association momentanée composée des sociétés (AA) SA, (CC) SA, (BB) SA, (DD) SA, (EE) Sàrl Sàrl (mandataire (AA) SA, L-…) a été déclarée adjudicataire du marché public de travaux de courants faibles à exécuter dans l’intérêt du Bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg, est retiré conformément à l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes relatif au retrait d’une décision administrative […] ».

Par courrier de son litismandataire du 11 mai 2022, l’association momentanée (AE) remit en cause la légalité tant externe qu’interne du prédit arrêté du 25 avril 2022 et demanda au ministre de revenir sur sa décision.

Faute de réaction de la part du ministre, le litismandataire de l’association momentanée (AE) lui adressa un courrier de rappel en date du 2 juin 2022.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 juillet 2022 et inscrite sous le numéro 47743 du rôle, l’association momentanée (AE) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation du prédit arrêté ministériel du 25 avril 2022.

En date du 29 juillet 2022, le ministre prit position comme suit par rapport aux courriers précités de la demanderesse des 11 mai et 2 juin 2022 :

« […] En mains vos courriers des 11 mai et 2 juin dernier intervenus dans le cadre de l’affaire émargée.

Par la présente, j’y prends position, sans reconnaissance préjudiciable aucune, suivant les points que vous soulevez.

6 I. Quant au prétendu non-respect de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes L’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes pose les conditions suivantes dès lors qu’une autorité propose de révoquer une décision :

- l’autorité en question doit informer par courrier recommandé la partie concernée de son intention de retirer sa décision en lui communiquant des éléments de fait et de droit - un délai de 8 jours doit être accordé à la personne concernée pour faire valoir ses observations - lorsqu’elle le demande endéans le délai précité, la partie concernée doit être entendue en personne Par courrier recommandé du 25 mars 2022, votre mandante a été informée de mon intention de retirer la décision d’adjudication prise en sa faveur en date du 21 janvier 2022 au motif qu’une rupture d’égalité entre soumissionnaires a été constatée. Dans ce même courrier, votre mandante apprenait qu’elle disposait d’un délai de 8 jours pour faire valoir d’éventuelles observations. Contrairement à ce que vous prétendez, la décision de retrait n’a pas été prise à ce moment. Il s’agissait simplement de faire part à votre mandante de cette éventualité.

Par votre courrier du 1er avril 2022, vous sollicitiez davantage de précisions quant au motif gisant à la base de mon intention de retirer la décision en question. Réponse vous a été donnée par courrier du 15 avril 2022 où il a été porté à votre connaissance qu’une confusion s’était produite dans l’analyse des différents documents versés par les soumissionnaires suite à la mise à disposition d’une version adaptée du cahier des charges.

Votre mandante a encore fait usage de son droit d’être entendue en personne ; ce qui lui a été accordé puisqu’en date du 22 avril 2022 se tenait une entrevue réunissant votre mandante, vous-même, un membre de mon service juridique ainsi que l’architecte en charge du projet auprès de l’Administration des bâtiments publics. Au cours de cette entrevue, des explications ont encore été fournies dans la limite du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires, sachant que certaines de vos questions ont dû rester sans réponse, afin de ne pas favoriser votre mandante au détriment des autres soumissionnaires dans le cadre d’un nouvel appel d’offres qui sera lancé ultérieurement pour le même projet. Il y a lieu de préciser que cette circonstance n’a en rien compromis la complétude des explications fournies quant aux motifs ayant finalement conduit au retrait de la décision d’adjudication en question.

Quant à la formulation « erreurs substantielles » au sein de l’arrêté de retrait, elle ne fait que synthétiser les motifs qui vous avaient déjà été communiqués ; à savoir, la confusion commise dans l’analyse des documents ayant débouché sur une rupture d’égalité entre soumissionnaires et la commission d’une analyse erronée.

Il ne s’agit en aucun cas d’un motif nouveau mais plutôt d’un terme générique cité par la loi et synonyme de ceux qui ont été portés à votre connaissance.

Mon intention de voir retirer la décision d’adjudication du 21 janvier 2022 a été motivée à suffisance en fait (la confusion dans l’analyse des documents des offres suite à la mise à disposition d’un cahier des charges adapté) ainsi qu’en droit (il s’agit d’une erreur 7 substantielle qui a eu pour conséquence de contrevenir au principe d’égalité de traitement des soumissionnaires).

Il apparait donc évident que les conditions posées par l’article 9 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 ont été scrupuleusement respectées.

II. Quant à la prétendue absence de toute inégalité dans le traitement des soumissionnaires et contestation des erreurs Contrairement aux allégations de votre mandante, et comme cela a été expliqué par mes services au cours de l’entrevue du 22 avril dernier, des erreurs substantielles se sont bien glissées dans le dossier de soumission initial. En effet, pour certaines positions (3.3.4.1;

3.3.4.2 ; 3.3.5.1; 3.3.6.1; 3.3.7.1 ; 3.3.18.2), les quantités n’étaient pas indiquées. L’unité faisait également défaut à la position 3.1.1.17.

Suite à ces erreurs constatées, il a été décidé de communiquer sur le portail des marchés publics en date du 4 juin 2021 une version adaptée du cahier des charges afin d’apporter les correctifs nécessaires. Cette version adaptée prévoyait, de plus, la transmission par les soumissionnaires de bien plus de documents justificatifs que la version initiale.

Sachant que l’offre de votre mandante, et plus particulièrement les fiches techniques remises par cette dernière, répondait à certaines exigences de la version adaptée qui ne figuraient pas dans la version initiale, mes services pouvaient légitimement estimer que ladite offre avait été établie sur base de cette seconde version.

Or, il ne s’est avéré qu’après l’entrevue du 22 avril 2022 que le téléchargement de la version adaptée n’était pas accompagnée d’une notification aux soumissionnaires. Par conséquent, il n’a été constaté qu’à la suite de ladite réunion qu’aucun soumissionnaire n’a téléchargé la version adaptée du dossier.

Il s’ensuit que votre mandante a remis davantage de fiches techniques que la version initiale ne le prévoyait contrairement aux autres soumissionnaires. Au regard de la version adaptée du dossier, l’offre de votre mandante est apparue comme étant conforme contrairement à celles remises par les autres soumissionnaires qui ne comportaient que les documents sollicités par la version initiale. Or, après analyse plus approfondie, après la décision d’adjudication, les fiches techniques remises par votre mandante pour les positions 1.1.1.10 ;

1.1.1.12 ; 2.3 ; 2.11 ont révélé une non-conformité technique de l’offre. Au cours de l’entretien du 22 avril dernier des exemples et explications concrètes quant à ces non-conformités ont été donnés à votre mandante.

Au vu des développements qui précèdent, il est évident que la décision du 25 avril 2022 répond aux conditions légales dans la mesure où les formalités fixées par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ont été respectés. En outre, cette décision de retrait s’inscrit dans une volonté de remédier à l’inégalité de traitement des soumissionnaires qu’aurait engendré l’application de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022. L’analyse qui a abouti à cette dernière décision a été faite de façon erronée alors qu’il s’est avéré de surcroit que l’offre remise par votre mandante est non conforme. […] ».

Suite à ce courrier, le ministre procéda à l’annulation de la procédure d’adjudication en cause par arrêté du 29 juillet 2022 libellé comme suit :

« […] Vu l’arrêté d’adjudication du 21 janvier 2022 attribuant les travaux de courants faibles à exécuter dans l’intérêt du Bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg à l’association momentanée composée des sociétés (AA) SA, (CC) SA, (BB) SA, (DD) SA, (EE) Sàrl (mandataire (AA) SA, L-…);

Vu l’arrêté de retrait du 25 avril 2022 retirant la décision d’adjudication du 21 janvier 2022 ;

Vu les erreurs substantielles contenues dans le dossier de soumission ;

Vu qu’il y a dès lors lieu d’établir une version rectifiée du dossier ;

Vu qu’il y a donc lieu d’annuler la mise en adjudication au motif susmentionné ;

Vu l’article 39 (3) e) de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics.

Arrête:

Art. 1er. La procédure ouverte relative aux travaux de courants faibles à exécuter dans l’intérêt du Bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg est annulée.

Art. 2. Les travaux susmentionnés feront l’objet d’une nouvelle procédure ouverte. […] ».

Par courrier du même jour, le ministre en informa la demanderesse, dans les termes qui suivent :

« […] Par la présente, je vous informe que la procédure ouverte du marché visé sous rubrique est annulée au motif que des erreurs substantielles ont été constatées au sein du dossier de soumission. Une version rectifiée du dossier doit dès lors être établie avant l’introduction d’une nouvelle procédure ouverte.

La procédure ouverte citée sous rubrique est donc annulée conformément à l’article 39 (3) e) de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics. Vous trouverez en annexe l’arrêté d’annulation de la procédure ouverte. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 octobre 2022 et inscrite sous le numéro 48049 du rôle, l’association momentanée (AE) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation du prédit arrêté ministériel du 29 juillet 2022.

I. Jonction des recours Il y a lieu de prononcer la jonction des deux recours, inscrits sous les numéros 47743 et 48049 du rôle. Il est en effet dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de prononcer ces deux affaires par un seul et même jugement, dans la mesure où elles sont intimement liées alors que les actes visés par les deux recours sous examen ont comme toile de fond la procédure d’adjudication publique du marché relatif aux travaux de courants faibles à exécuter dans l’intérêt de la construction du bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg.

II. Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité des recours Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, seuls des recours en annulation ont pu être introduits à l’encontre des arrêtés ministériels des 25 avril et 29 juillet 2022.

Le tribunal est dès lors incompétent pour connaître des recours principaux en réformation.

Dans ses mémoires en réponse déposés dans les deux rôles en date du 13 décembre 2022, la partie étatique s’est rapportée à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité des recours quant au délai et quant à la forme.

S’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation3, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions4.

Dès lors, et dans la mesure où la partie étatique est restée en défaut d’expliquer en quoi les recours seraient irrecevables quant au délai et quant à la forme, ses contestations afférentes encourent le rejet.

Lors de l’audience des plaidoiries du 21 mai 2024, le délégué du gouvernement a en outre soulevé le défaut d’intérêt à agir de la demanderesse en argumentant que les travaux objets du marché litigieux auraient fait l’objet d’une nouvelle procédure de soumission et que les sociétés (AA) SA, (CC) SA et (EE) SARL, préqualifiées, n’auraient pas participé à cette seconde procédure, contrairement aux sociétés (BB) SA et (DD) SA, préqualifiées, qui se seraient vues attribuer le marché en question.

Le délégué du gouvernement en a conclu que les sociétés (AA) SA, (CC) SA, (EE) SARL, (BB) SA et (DD) SA ne pourraient plus se prévaloir d’un quelconque intérêt à agir ou préjudice.

La demanderesse a conclu au rejet de ce moyen.

Le tribunal relève de prime abord que le moyen d’irrecevabilité fondé sur un défaut d’intérêt à agir a été invoqué par la partie étatique pour la première fois à l’audience des plaidoiries. Dans la mesure où la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite, des moyens non soulevés dans les écrits ayant été échangés mais invoqués pour la première fois oralement à l’audience des plaidoiries sont en principe à écarter, sous réserve des moyens d’ordre public que le tribunal serait d’ailleurs obligé de soulever d’office. Dans la mesure où la question de la recevabilité de la requête est d’ordre public, le tribunal procédera à l’examen du moyen afférent.

En matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l’intérêt à agir ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative 3 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 905 (1er volet) et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 905 (2e volet) et les autres références y citées.affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif5.

Un demandeur, pour justifier d’un intérêt à agir, doit ainsi justifier d’un intérêt personnel et certain, en ce sens que la réformation ou l’annulation de l’acte litigieux doit lui procurer une satisfaction certaine et personnelle6. L’intérêt invoqué doit encore être distinct de l’intérêt général, le demandeur devant justifier de l’existence d’un lien suffisamment direct entre la décision querellée et sa situation personnelle7.

En l’espèce, nonobstant le fait que les affirmations afférentes du délégué du gouvernement n’ont été étayées par aucune pièce probante, force est de constater que si l’annulation des arrêtés ministériels attaqués ne saurait certes plus avoir un effet concret en termes d’adjudication même du marché objet des présents recours, les membres de l’association momentanée (AE) disposaient néanmoins d’un intérêt à agir au jour de l’introduction de leurs recours et conservent un intérêt suffisant à obtenir une décision relativement à la légalité des actes de retrait, respectivement d’annulation en relation avec le premier appel d’offres public, de la part de la juridiction administrative, ce d’autant plus que selon les affirmations étatiques, seuls deux des cinq membres de l’association momentanée (AE) se sont vus attribuer le marché dont la procédure a été lancée postérieurement aux prédits actes de retrait et d’annulation et que ses trois autres membres ont décidé, pour des raisons qui leur sont propres et qu’il n’appartient pas au tribunal d’analyser, de ne pas participer à la nouvelle soumission publique y relative.

Il s’ensuit que la demanderesse justifie d’un intérêt suffisant pour voir contrôler la légalité de l’arrêté ministériel du 25 avril 2022 en ce qu’il porte retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022 et de l’arrêté ministériel du 29 juillet 2022 portant annulation de la procédure d’adjudication litigieuse.

Les recours sont partant à déclarer recevables, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas de cause d’irrecevabilité d’ordre public, outre la question de l’intérêt à agir analysée ci-dessus, qui serait à soulever d’office.

III. Quant au recours contre l’arrêté ministériel du 25 avril 2022 Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours, et après avoir passé en revue les faits et rétroactes de l’affaire tels que repris ci-avant, la demanderesse conclut en premier lieu à l’annulation de la décision litigieuse pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

A cet égard, la demanderesse reproche à la partie étatique de ne pas avoir précisé, dans son courrier du 25 mars 2022, les éléments de fait et de droit qui l’auraient conduite à envisager le retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022 et de s’être bornée à y indiquer qu’« il résulte d’une analyse approfondie qu’il existe des causes susceptibles de justifier l’annulation 5 Cour adm., 14 juillet 2009, nos 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 2 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 12 et les autres références y citées.

7 Trib. adm., 27 juin 2001, n° 12485 du rôle, confirmé par Cour adm., 17 janvier 2002, n° 13800C du rôle, Pas.

adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 16 et les autres références y citées.contentieuse de la décision alors que celle-ci se heurte au respect du principe de l’égalité de traitement des soumissionnaires ».

Elle ajoute que dans son courrier du 15 avril 2022, la partie étatique se serait également limitée à affirmer qu’« il résulte d’une analyse approfondie du dossier que la transmission d’une version adaptée du cahier des charges a conduit à une confusion quant aux documents justificatifs effectivement requis et pris en considération au moment de l’analyse des offres. », sans autre précision.

La demanderesse fait ensuite grief à la partie étatique de lui avoir fourni, lors de la réunion du 22 avril 2022, « des explications sommaires et non vérifiables motivant le retrait de l’arrêté d’adjudication ».

Elle reproche encore au ministre d’avoir invoqué, pour la première fois seulement dans son arrêté du 25 avril 2022, l’existence d’erreurs substantielles dans le dossier de soumission, ce qui l’aurait privée de la possibilité d’être entendue et de faire valoir sa prise de position sur ce point et soutient finalement que la décision litigieuse aurait d’ores et déjà été prise avant la prédite réunion du 22 avril 2022.

En second lieu, l’association momentanée (AE) se prévaut d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Dans ce contexte, la demanderesse fait tout d’abord grief au ministre de s’être limité à conclure à la présence d’erreurs substantielles dans le dossier de soumission et à une violation du principe d’égalité de traitement dans le cadre de l’analyse des offres et ce, sans étayer sa position.

Elle argumente ensuite que les motifs invoqués par le ministre seraient non vérifiables et non vérifiés, incompréhensibles et partiellement contradictoires, ce qui équivaudrait à une absence de motifs au sens de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Dans son courrier du 25 mars 2022, le ministre se serait ainsi contenté d’affirmer que la décision d’adjudication se heurterait « au respect du principe de l’égalité de traitement des soumissionnaires », sans pour autant expliquer concrètement pour quelle(s) raison(s) ce principe aurait été violé. A travers son courrier du 15 avril 2022, le ministre aurait ensuite expliqué que les circonstances qui l’auraient amené à envisager un retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022 reposeraient sur le fait que la transmission d’une version adaptée du cahier des charges aurait « conduit à une confusion quant aux documents justificatifs effectivement requis », ce qui serait incompréhensible. Au cours de la réunion tenue entre parties le 22 avril 2022, le ministre aurait finalement expliqué laconiquement qu’un deuxième dossier de soumission aurait été transmis aux opérateurs économiques, ce que la demanderesse conteste.

En ordre subsidiaire et concernant la légalité interne, la demanderesse critique le bien-

fondé des motifs avancés par la partie étatique pour justifier le retrait de l’arrêté d’adjudication du 21 janvier 2022.

A cet égard, elle conteste en premier lieu toute violation du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires. Sur ce point, elle expose plus particulièrement qu’aucune version adaptée du cahier des charges n’aurait été communiquée aux soumissionnaires, de sorte que ces derniers auraient remis leurs offres sur base de la seule version du cahier des charges à leurdisposition, respectivement sur base des mêmes informations.

L’association momentanée (AE) conteste en second lieu la présence d’erreurs substantielles dans le dossier de soumission et insiste sur le fait que le ministre serait resté en défaut d’expliquer concrètement en quoi auraient consisté ces prétendues erreurs.

Dans son mémoire en réponse, la partie étatique conclut au rejet de cette argumentation.

S’agissant de la violation alléguée de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la partie étatique soutient que la demanderesse aurait (i) été informée par courrier recommandé du 25 mars 2022 de l’intention du pouvoir adjudicateur de retirer l’arrêté d’adjudication du 21 janvier 2022, (ii) été informée des éléments de fait et de droit à la base de cette intention de retrait, (iii) disposé d’un délai de 8 jours pour faire valoir ses observations et (iv) été entendue en personne le 22 avril 2022.

A titre subsidiaire, la partie étatique fait plaider que suivant une jurisprudence constante des juridictions administratives, la participation de l’administré à l’élaboration de la décision administrative ne présenterait une réelle utilité que dans la mesure où celui-ci serait en mesure, par son intervention, d’apporter des éléments et arguments de nature à influencer la décision à intervenir, d’une part, et que l’annulation d’une décision, acte grave, ne devrait intervenir que lorsque le contenu de la nouvelle décision à intervenir à la suite de l’annulation serait susceptible de différer de celui de la décision annulée. Or, en l’espèce, l’argumentation de la demanderesse ne serait nullement de nature à remettre en cause la légalité de l’arrêté attaqué, de sorte que son annulation pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 aurait pour seule conséquence le renvoi du dossier devant le ministre, lequel prendrait encore une fois la même décision, ce qui serait dépourvu de tout effet utile.

En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la partie étatique expose que l’arrêté du 25 avril 2022 serait motivé à suffisance par l’existence d’erreurs substantielles au sein du dossier de soumission, ainsi que par la rupture d’égalité de traitement des soumissionnaires qui résulterait de ces erreurs.

En ordre subsidiaire, la partie étatique avance encore que la demanderesse aurait été parfaitement informée de la motivation de l’arrêté en cause, notamment suite à la réunion qui se serait tenue entre parties le 22 avril 2022.

S’agissant de la légalité interne, le délégué du gouvernement soutient que la décision litigieuse serait intervenue « pour une des causes qui auraient justifié [son] annulation contentieuse », soit dans le respect des dispositions de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

A cet égard, il fait tout d’abord valoir que le dossier de soumission aurait été entaché d’erreurs substantielles, dans la mesure où l’unité, respectivement les quantités en relation avec les positions 3.1.1.17, respectivement 3.3.4.1, 3.3.4.2, 3.3.5.1, 3.3.6.1, 3.3.7.1 et 3.3.18.2 n’auraient pas été indiquées dans le bordereau de soumission initialement mis à disposition des soumissionnaires par le biais du Portail des Marchés Publics.

La partie étatique expose ensuite avoir décidé de remédier à ces erreurs - lesquelles auraient seulement été détectées préalablement à l’ouverture des offres - en mettant à disposition des soumissionnaires une version adaptée du dossier de soumission, laquelle aurait contenu, outre uncorrectif desdites erreurs, des exigences supplémentaires, telles que « la communication par les soumissionnaires de davantage de fiches techniques ».

Elle poursuit en expliquant que « la version adaptée [du dossier de soumission], bien que mise en ligne, [n’aurait pas été] accompagnée d’une communication aux soumissionnaires concernés. », élément qui aurait seulement été découvert à l’issue d’une analyse approfondie et après l’émission de l’arrêté d’adjudication en faveur de la demanderesse.

La partie étatique affirme, à cet égard, s’être « basé[e] uniquement sur la version adaptée » du dossier de soumission au moment de l’analyse des différentes offres, de sorte que leur appréciation aurait été faite « sur une base erronée », situation qui aurait conduit à une inégalité de traitement au détriment des deux autres soumissionnaires qui auraient exclusivement versé les pièces demandées dans la version initiale du dossier de soumission, contrairement à la demanderesse qui aurait déposé d’autres pièces.

En se fondant sur les extraits d’un jugement du Tribunal administratif rendu le 9 octobre 2017 et inscrit sous les numéros 38104 et 38105 du rôle, la partie étatique fait par ailleurs valoir que l’absence d’indication des quantités pour certaines positions du bordereau de soumission n’aurait pas mené à une réponse adéquate à ses besoins.

La partie étatique en déduit que la décision litigieuse serait justifiée par « la confusion dans l’analyse des documents des offres suite à la mise à disposition d’un cahier des charges adapté » et par l’existence d’erreurs substantielles qui auraient conduit à une rupture d’égalité entre soumissionnaires et à une analyse erronée de leurs offres, tout en précisant que ces faits n’auraient pas été susceptibles de régularisation compte tenu du degré d’avancement de la procédure d’adjudication.

Dans son mémoire en réplique, outre de réitérer les arguments figurant dans sa requête introductive d’instance, la demanderesse réfute intégralement l’argumentation développée par la partie étatique en précisant tout d’abord dans les faits et rétroactes que le dossier de soumission révisé n’aurait « pas [fait] partie des documents de soumission », faute d’avoir été notifié aux soumissionnaires.

Elle poursuit en expliquant que (i) son offre se serait élevée au montant de … euros HTVA et aurait été économiquement la plus avantageuse sur la base du prix, (ii) l’offre de l’association momentanée (FI) se serait élevée au montant de … euros HTVA, ce qui aurait constitué une différence conséquente de … euros HTVA par rapport au montant de son offre et (iii) l’offre de la société (JJ) n’aurait pas été prise en considération, faute pour cette dernière d’avoir remis l’ensemble des pièces requises par le pouvoir adjudicateur.

La demanderesse cite ensuite les extraits du rapport dressé en date du 2 décembre 2021 par l’(KK), aux termes desquels « des écarts calculés sur la base de prix unitaires reçus des entreprises en phase soumission entre les montants des offres annoncés par les groupements dans le récapitulatif et les montants réels après vérification comptable. Ceux-ci s’expliquent par la non prise en compte par les soumissionnaires du bordereau de soumission modifié transmis pendant la consultation. Cela représente un écart de +… EUR pour les soumissionnaires (AE) et de … EUR pour les soumissionnaires (FI). », pour mettre en exergue le fait que le pouvoir adjudicateur aurait évalué les offres sur base de la seule version du bordereau de soumission notifiée aux soumissionnaires.

L’association momentanée (AE) argumente ensuite, toujours en s’appuyant sur le prédit rapport d’analyse, que son offre aurait constitué l’offre économiquement la plus avantageuse sur base du prix et ce, nonobstant les écarts causés par la modification du bordereau de soumission.

Elle ajoute que dans la mesure où le rapport d’analyse en question aurait été dressé en date du 2 décembre 2021, soit avant l’adjudication du marché, la partie étatique n’aurait pu ignorer le fait que les offres déposées par les soumissionnaires auraient été basées sur le seul bordereau porté à leur connaissance.

La demanderesse poursuit en affirmant que la partie étatique elle-même aurait estimé que le dossier de soumission n’était pas entaché d’erreurs substantielles puisqu’elle aurait conclu que les offres remises étaient conformes d’un point de vue comptable.

S’y ajouterait que l’(KK) aurait conclu, après avoir pris en compte et analysé toutes les fiches techniques remises par les soumissionnaires, que tant l’offre de la demanderesse que celle de l’association momentanée (FI) étaient techniquement conformes.

Or, en soutenant que l’offre de la demanderesse serait apparue comme étant conforme au regard de la version adaptée du dossier de soumission et ce, contrairement aux offres remises par les autres soumissionnaires qui ne comportaient que les documents sollicités par la version initiale, la partie étatique se contredirait par rapport aux conclusions contenues dans le rapport établi par le bureau d’études mandaté par ses propres soins.

En ce qui concerne son moyen tiré de la violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la demanderesse précise que la partie étatique se serait limitée, dans son courrier du 25 mars 2022, à invoquer une prétendue rupture du principe de l’égalité entre soumissionnaires et que l’argument lié au défaut de transmission d’une version adaptée du dossier de soumission aurait seulement été porté à sa connaissance à travers le courrier du ministre du 15 avril 2022.

L’association momentanée (AE) explique ensuite que le motif lié à l’existence d’erreurs substantielles n’aurait figuré dans aucun courrier échangé avant la prise de l’arrêté de retrait en cause.

Concernant son moyen tiré de la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la demanderesse insiste sur le fait que le ministre se serait contenté d’indiquer dans la décision attaquée que des erreurs substantielles auraient été contenues dans le dossier de soumission et que le principe d’égalité de traitement des soumissionnaires n’aurait pas été respecté dans le cadre de l’analyse de leurs offres, motivation qui serait toutefois insuffisante en l’espèce.

S’agissant de la légalité interne, la demanderesse fait valoir que l’absence d’indication d’une unité pour une seule position et des quantités pour certaines positions du bordereau de soumission ne constituerait pas une erreur substantielle et n’aurait en tout état de cause aucune influence décisive sur l’exécution du marché litigieux, ce d’autant plus que les montants en jeu seraient marginaux au regard du montant global de son offre.

Elle avance encore que le principe d’égalité de traitement aurait été respecté en l’espèce, alors que toutes les offres auraient été remises sur base du seul dossier de soumission dûmentnotifié, élément qui résulterait clairement du rapport d’analyse dressé par l’(KK) et ne pourrait dès lors être ignoré par le pouvoir adjudicateur.

La demanderesse en déduit qu’au jour de l’attribution du marché en cause, les erreurs contenues dans le bordereau de soumission n’auraient pas été considérées comme substantielles par le pouvoir adjudicateur lui-même, pour avoir porté sur des positions de faible importance et avoir eu un impact minime sur le montant total de son offre, en l’occurrence … euros.

Au vu de la différence importante entre l’offre de la demanderesse et celle de l’association momentanée (FI), le redressement de ces oublis n’aurait, de surcroît, eu aucune incidence sur la décision d’attribution du marché à son profit et n’aurait pas été nécessaire, étant donné que le pouvoir adjudicateur aurait, dans tous les cas, pu conclure un marché répondant à ses exigences et ses besoins.

La demanderesse reproche ainsi à la partie étatique de ne prouver ni l’existence d’erreurs dans le dossier de soumission, ni leur caractère substantiel, ni même leurs répercussions concrètes sur l’exécution du marché.

La demanderesse conteste ensuite l’argumentation de la partie étatique selon laquelle la version révisée du dossier de soumission - et qui n’aurait jamais été notifiée aux soumissionnaires - aurait contenu « des exigences supplémentaires telles que la communication de davantage de fiches techniques » et que son offre aurait été retenue au motif qu’elle respecterait cette exigence supplémentaire.

Etant donné que la demanderesse, de même que les deux autres soumissionnaires, auraient remis leurs offres sur base de la seule version du dossier de soumission mise à leur disposition, ils auraient par la force des choses préparé leurs offres en se basant sur les mêmes informations, de sorte qu’aucune inégalité de traitement ne pourrait être retenue à ce titre.

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique explique en premier lieu que le cahier des charges révisé aurait été « déposé » sur le Portail des Marchés Publics, de sorte à avoir été « bien visible et accessible par toute personne », mais que ce « dépôt » n’aurait été accompagné d’aucune notification, ce qui aurait eu pour conséquence que les opérateurs économiques qui avaient d’ores et déjà téléchargé le dossier de soumission n’auraient pas été informés que le document en question avait fait l’objet d’une mise à jour. Elle poursuit en affirmant qu’un opérateur économique qui aurait téléchargé le dossier de soumission après sa « mise à jour » aurait automatiquement téléchargé la version adaptée du cahier des charges, de sorte qu’il serait erroné de soutenir que ladite version n’aurait pas fait partie des documents de soumission.

Le délégué du gouvernement argumente ensuite que « [s]’il est vrai que l’analyse des offres effectuée par l’(KK) fait état du fait que les soumissionnaires n’ont pas pris en compte le bordereau de soumission modifié, l’analyse de l’Administration des bâtiments publics [aurait été] toute autre ».

Sur ce point, la partie étatique reproche plus précisément à la demanderesse de procéder à une confusion entre le pouvoir adjudicateur et la maîtrise d’œuvre « en attribuant à la partie étatique les propos tenus par le bureau d’études au sein de son analyse » et en tentant de qualifier la maîtrise d’œuvre de pouvoir adjudicateur, alors pourtant qu’il s’agirait de parties bien distinctes.

Elle donne à considérer, dans ce contexte, qu’un bureau d’études effectuerait un contrôle qui déboucherait sur une simple proposition, conformément aux dispositions de l’article 95 du règlement grand-ducal modifié du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 avril 2018 », et que la décision d’attribution d’un marché public incomberait au pouvoir adjudicateur, de sorte qu’il ne saurait être exigé que ce dernier suive aveuglement une proposition d’adjudication, « peu importe de qui elle émane ».

Le délégué du gouvernement argumente ensuite que le ministre n’aurait pu se douter du fait que les soumissionnaires n’auraient pas reçu notification de la version adaptée du cahier des charges, alors que la demanderesse aurait répondu aux exigences relatives aux fiches techniques telles qu’elles auraient été requises dans cette version adaptée. Si, dans une première phase, la partie étatique a « tout naturellement fondé son analyse sur base de la version modifiée du cahier des charges croyant à une méprise de la maîtrise d’œuvre », elle aurait toutefois envisagé le retrait de la décision d’adjudication après s’être rendue compte que les offres avaient été remises sur base d’un cahier des charges incomplet, élément qui aurait favorisé la demanderesse au détriment des autres soumissionnaires.

Après avoir précisé que son seul but aurait été de rétablir « une certaine égalité entre soumissionnaires et donc une saine mise en concurrence et de corriger les erreurs qui se [seraient] glissées dans la version initiale du bordereau de soumission. », la partie étatique insiste ensuite sur le fait que l’erreur invoquée par ses soins porterait sur l’omission de quantités, respectivement sur le matériel à fournir et serait partant à qualifier de substantielle dans la mesure où l’exécution du marché aurait été impossible pour les positions impactées.

Elle ajoute à cet égard que l’aspect financier ne serait pas l’unique élément pertinent en l’espèce et qu’il serait nécessaire de prendre en considération les exigences et besoins du pouvoir adjudicateur ainsi que l’existence d’une saine mise en concurrence qui ne pourrait être effective sans moyen de comparaison.

Finalement, après avoir expliqué que les soumissionnaires auraient indiqué un prix dans leurs offres sans connaître les quantités requises par le projet et que la connaissance des quantités pourrait influer sur le prix final, la partie étatique soutient qu’elle aurait ignoré à quelles quantités les prix offerts auraient correspondu, ce qui aurait rendu impossibles tant la comparaison que le classement des offres remises.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, il convient de relever que dans la mesure où le tribunal administratif siège en l’espèce en tant que juge de l’annulation, son contrôle se limite à vérifier si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision litigieuse, de même qu’il peut examiner si la mesure prise ne comporte pas une erreur d’appréciation8. En effet, le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de 8 Cour adm., 16 octobre 2008, 24350C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 45 et les autres références y citées.proportionnalité9, encore que les considérations de pure opportunité d’une décision administrative échappent au contrôle du juge de l’annulation.

Il échet encore de rappeler que le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent10.

A) Quant à la légalité externe de la décision attaquée 1) Quant à la violation alléguée de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 L’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose que « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.

Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.

Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. […] ».

Cette disposition instaure ainsi l’obligation de l’administration, à moins qu’il n’y ait péril en la demeure, d’aviser la personne concernée de l’ouverture d’une procédure et d’initier une procédure contradictoire destinée à protéger les droits de la défense de l’administré dans deux cas de figure, à savoir lorsque l’administration entend révoquer ou modifier d’office pour l’avenir une décision qui a créé ou reconnu des droits, c’est-à-dire lorsque l’administration entend remettre en question une situation administrative acquise, d’une part, ou lorsque l’administration se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, c’est-à-dire lorsqu’elle agit d’office et en dehors d’un processus décisionnel dans lequel l’administré concerné est impliqué, d’autre part.

Il est constant en cause que le ministre s’est proposé de prendre l’arrêté querellé du 25 avril 2022 en dehors de l’initiative de la demanderesse, de sorte que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est applicable en l’espèce.

Ces observations étant faites, il y a lieu de constater que (i) la demanderesse a été informée, par lettre recommandée du 25 mars 2022, de l’intention du ministre de procéder au retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022, (ii) le ministre a indiqué, dans la prédite lettre, les éléments de fait et de droit qui l’ont amené à agir, à savoir l’existence de causes susceptibles de justifier l’annulation contentieuse de ladite décision, en lien avec la violation du principe de l’égalité de traitement des soumissionnaires, tout en donnant la possibilité à la demanderesse de présenter ses observations dans un délai de 8 jours, (iii) la demanderesse a pris position, respectivement a présenté son point de vue avant la prise de la décision concernant 9 Cour adm., 9 novembre 2010, n° 26886C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 40 et les autres références y citées.

10 Trib. adm., 21 novembre 2001, n° 12921, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.l’éventuel retrait de la décision d’adjudication du marché à son profit, par courrier du 1er avril 2022, (iv) la demanderesse a, suite à la demande contenue dans son courrier du 1er avril 2022, été entendue en personne en date du 22 avril 2022 dans les locaux du ministère de la Mobilité et des Travaux publics et (v) la décision litigieuse a été prise le 25 avril 2022, étant précisé à cet égard qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que ladite décision aurait été prise préalablement au courrier de la demanderesse du 1er avril 2022 ou à la réunion qui s’est tenue entre parties en date du 22 avril 2022.

Le moyen relatif à une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est partant à rejeter.

2) Quant à la violation alléguée de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 Aux termes de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, « [t]oute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle:

[…] révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit […] ».

Cette disposition vise spécifiquement la « révocation » ou la « modification » d’une décision administrative.

Suivant le commentaire de cet article, « Il s’agit des cas où l’autorité qui a délivré une autorisation est amenée sans intervention du bénéficiaire à la retirer pour l’avenir ou à en modifier les conditions, dans les cas où la loi lui reconnaît cette faculté. […] Pour des raisons terminologiques, le texte parle de révocation et non de retrait, ce dernier terme étant généralement utilisé lorsque la décision est rapportée avec effet rétroactif le jour où elle a été édictée. Dans les cas visés ici il s’agit de la révocation de l’acte pour l’avenir. […]11 ».

En d’autres termes, en prononçant le « retrait » d’une décision, l’autorité administrative procède à l’annulation de la décision qui en fait l’objet. La décision sera réputée ne jamais avoir existé. Ainsi, au niveau de ses effets, le retrait par l’autorité administrative a les mêmes effets qu’une décision d’annulation prononcée par la juridiction administrative, en ce sens que, dans les deux cas les décisions disparaissent rétroactivement de l’ordonnancement juridique. La « révocation » constitue, quant à elle, l’acte par lequel l’administration annule ou modifie une décision administrative avec effet pour l’avenir seulement. Il y a ainsi lieu de retenir que le terme « révocation » n’est pas considéré en droit luxembourgeois comme un synonyme du terme « retrait », s’agissant de deux notions distinctes12.

L’exigence de motivation ne trouve dès lors pas application lors d’un retrait rétroactif, régi par l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, tel qu’en l’espèce.

Il s’ensuit que le moyen tiré de la violation de l’article 6 dudit règlement est à écarter.

11 Commentaire de l’article 6 du projet de règlement grand-ducal relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat, doc. parl., n° 2209, page 2428.

12 Trib. adm. 6 octobre 2008, n° 24806 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 224 (1er volet) et les autres références y citées.B) Quant à la légalité interne de la décision attaquée ➢ Cadre juridique applicable et observations liminaires Conformément à l’article 39 de la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics, ci-après désignée par « la loi du 8 avril 2018 » :

« (1) Il est obligatoirement procédé à l’attribution du marché s’il a été reçu au moins une soumission répondant aux conditions du cahier de charges.

[…] (3) Sans préjudice d’autres causes de nullité, une procédure de passation d’un marché peut être annulée pour les motifs suivants :

a) si aucune des offres ne répond aux conditions prescrites ou si le pouvoir adjudicateur a considéré la soumission comme n’ayant pas donné de résultat satisfaisant. Dans ce dernier cas, le pouvoir adjudicateur doit prendre, préalablement à l’annulation, l’avis de la Commission des soumissions ;

b) s’il est établi que les soumissionnaires, au mépris de l’honnêteté commerciale, se sont concertés pour établir leur prix ;

c) si, à la suite de circonstances imprévues, les bases de la passation du marché ont subi des changements substantiels ;

d) si toutes les offres susceptibles d’être acceptées ont été retirées à l’expiration du délai de passation du marché ;

e) s’il a été reconnu que des erreurs substantielles sont contenues dans le dossier de soumission ou que des irrégularités d’une influence décisive ont été constatées au sujet de l’établissement des offres ;

f) s’il est établi que des tiers ont entravé ou troublé la liberté des soumissionnaires par violence ou par menaces soit avant, soit pendant les soumissions. ».

L’annulation au sens de cet article constitue l’abandon d’un marché public en raison de circonstances externes au pouvoir adjudicateur et pour des raisons en principe indépendantes de sa volonté13.

Au-delà de la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’annuler une mise en adjudication pour les motifs prévus à l’article 39, précité, se situant à un stade préalable à l’adjudication du marché, le retrait d’une décision d’attribution, en dehors des cas où la loi en dispose autrement, est en principe possible sous condition de s’inscrire dans les prévisions de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 197914.

Aux termes dudit article :

« En dehors des cas où la loi en dispose autrement, le retrait rétroactif d’une décision ayant créé ou reconnu des droits n’est possible que pendant le délai imparti pour exercer contre 13 Cour adm., 20 octobre 2015, n° 36094C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Marchés publics, n° 188 ; Doc. parl., n°6982, commentaire des articles, p. 122.

14 Voir en ce sens trib. adm., 5 avril 2006, n° 20339 du rôle, confirmé par Cour adm., 9 janvier 2007, n° 21413C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision.

Le retrait d’une telle décision ne peut intervenir que pour une des causes qui auraient justifié l’annulation contentieuse de la décision. ».

La condition du délai pour procéder au retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022 n’étant pas autrement litigieuse en l’espèce, il y a partant lieu d’examiner si les motifs invoqués par la partie étatique pour procéder à ce retrait auraient justifié l’annulation contentieuse de ladite décision.

A titre liminaire, le tribunal relève que le marché en cause comprend deux volets : le premier porte sur la fourniture, l’installation et la mise en service des installations de détection incendie et de commandes de désenfumage, à exécuter dans l’intérêt du bâtiment Jean Monnet 2, tandis que le second concerne l’extension de garantie et la maintenance desdites installations.

Suivant la pièce n°5 de la partie étatique, l’offre remise par la demanderesse s’est élevée au montant de … euros HTVA, décomposé comme suit :

- … euros HTVA au titre du coût des travaux de fourniture, d’installation et de mise en service des installations, - … euros HTVA correspondant aux coûts liés à l’extension de garantie et à la maintenance desdites installations.

L’association momentanée (FI) et la société (JJ) ont, quant à elles, remis des offres d’un montant respectif de … euros HTVA et … euros HTVA.

Selon le tableau récapitulatif de la conformité des offres contenu dans le rapport d’analyse des offres dressé par l’(KK) en date du 2 décembre 2021 :

Soumissionnaire Dume Dossier Dossier Bilan de Administratif Technique l’offre [Association momentanée (AE)] C C C C [Association momentanée (FI)] C C C C (JJ) C NC NC NC R= reçu NR= non reçu I= incomplet NC=non-conforme ICR= informations complémentaires requises C= conforme Il est précisé au point 1.3. dudit rapport, intitulé « Analyse Comptable des offres », que « L’analyse comptable n’a pu être réalisée que pour les deux entreprises moins disantes qui ont fournis un fichier numérique comme stipulé. Pour l’entreprise (JJ), celle-ci n’a pu être 21 réalisée faute de fichier numérique exploitable dans son offre15 ni de réponse aux demandes complémentaires de la MOA. ».

Seules les offres remises par la demanderesse et l’association momentanée (FI) ont partant été déclarées conformes sur le plan administratif et technique et ont fait l’objet d’une analyse comptable détaillée.

A défaut d’indications contraires fournies par la partie étatique, le tribunal part du principe que la société (JJ) et l’association momentanée (FI) n’ont pas contesté la non-

conformité, respectivement le rejet de leur offre.

En l’espèce, la partie étatique justifie le retrait de l’arrêté d’adjudication du 21 janvier 2022 par le fait que le dossier de soumission aurait contenu des erreurs substantielles qui auraient conduit à une analyse erronée des offres, analyse qui aurait, à son tour, entraîné une rupture du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires.

Le tribunal relève d’emblée que les parties sont en désaccord quant à la version du dossier de soumission applicable au litige, la partie étatique soutenant que la « version adaptée du dossier de soumission16 », ferait partie des documents de marché, tandis que la demanderesse affirme que seule la version initiale du dossier de soumission17 aurait été notifiée aux soumissionnaires et prise en considération par ces derniers pour préparer leurs offres.

Avant d’analyser le bien fondé des motifs invoqués par la partie étatique pour justifier le retrait de la décision d’adjudication litigieuse, il est impératif de déterminer, dans un premier temps, la version du dossier de soumission applicable au litige.

➢ Quant à la version du dossier de soumission applicable au litige Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 38, paragraphe (1) du règlement grand-

ducal du 8 avril 2018 :

« Si, avant l’expiration du délai de soumission, des erreurs sont constatées dans le dossier de soumission ou s’il est constaté que la description des prestations demandées manque de clarté une rectification doit être notifiée à tous les concurrents. Dans ce cas, le délai de la soumission doit être prolongé de façon adéquate. ».

Suivant l’article 41 dudit règlement :

« Les précisions, rectifications ou modifications fournies en réponse aux problèmes visés par les articles 38 à 40 doivent être adressées simultanément à tous les intéressés ayant retiré le dossier de soumission. À cet effet, une liste confidentielle de ces intéressés est tenue. ».

Se pose ainsi la question de savoir si la partie étatique a procédé, conformément aux dispositions règlementaires précitées, à la rectification des erreurs ou imprécisions dont elle se prévaut 15 Suivant le point 4 du dossier de soumission « Bordereau des prix », « Les marques et types à renseigner sont à indiquer impérativement dans le fichier numérique. De même le remplissage du fichier numérique (Prix unitaires, Marques, types) est obligatoire sur ce dossier. […] ».

16 Pièce n°3 de la partie étatique.

17 Pièce n°2 de la partie étatique. dans le cadre du présent litige, en notifiant la rectification opérée dans le dossier de soumission à tous les soumissionnaires.

Sur ce point, il y a lieu de relever qu’en matière d’échange d’informations, la loi du 8 avril 2018 prévoit que, sauf cas exceptionnels18, toutes les communications et tous les échanges d’informations pour les procédures de passation de marchés publics relevant des Livres II et III de ladite loi doivent exclusivement être réalisés par des moyens de communication électroniques. Il en résulte que toutes les communications, tous les échanges d’informations et la remise des offres devaient en l’espèce obligatoirement être réalisés via le Portail des Marchés Publics.

Conformément à l’article 270, paragraphe (3) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, le Portail des Marchés Publics sert à la mise à disposition, par voie électronique, des documents de la soumission, à la remise électronique des offres et des candidatures, et à toute communication ou notification tout au long de la procédure, aux conditions prévues par le prédit règlement et par le règlement grand-ducal relatif à l’utilisation des moyens électroniques dans les procédures des marchés publics.

Le règlement grand-ducal modifié du 27 août 2013 relatif à l’utilisation des moyens électroniques dans les procédures de passation de marchés publics et les procédures d’attribution de contrats de concession, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 27 août 2013 », précise à ce sujet que :

- « Le portail intègre une fonction de messagerie qui permet la communication et l’échange d’informations par des moyens de communication électroniques entre les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices et les opérateurs qui se sont préalablement inscrits conformément à l’article 6, paragraphe 2. La date et l’heure d’envoi et de réception ainsi que la teneur des communications et informations échangées sont consignées dans le fichier journal visé à l’article 18. » (article 2), - « (1) Aucune inscription ou identification n’est nécessaire pour consulter et télécharger les avis et les documents de marché ou de concession publiés sur le portail.

(2) L’échange de communications et la remise d’offres ou de demandes de participation au moyen du portail requièrent une inscription à la procédure de passation de marché […]. L’opérateur économique ou son représentant doit, pour s’inscrire, indiquer sa raison sociale ou son nom et son prénom ainsi qu’une adresse de courrier électronique valable. Les modalités de cette inscription sont réglées par voie de règlement ministériel.

(3) Une fois l’opérateur économique inscrit à une procédure de passation de marché […] par le biais du portail, les communications électroniques entre l’opérateur économique et le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice ont lieu exclusivement au moyen du portail. » (article 6), - « Afin de permettre les communications avec les opérateurs économiques, chaque pouvoir adjudicateur et chaque entité adjudicatrice dispose sur le portail, pour chaque procédure, d’un registre des opérateurs économiques qui se sont inscrits en vue de communiquer avec les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices et d’un registre 18 Définis aux articles 197 et 242 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018.des opérateurs économiques qui ont remis une offre ou une demande de participation au moyen du portail. » (article 7).

Le document intitulé « Guide relatif aux communications électroniques y compris la remise et l’ouverture électronique des offres », publié sur le site Internet du Portail des Marchés publics, détaille également, sous son point 2.2.1, les modalités pratiques d’envoi des messages d’information ou de notification :

« Les messages d’information ou de notification sont envoyés pour informer la ou les entreprises concernées. Il peut s’agir par exemple d’une modification des documents de soumission.

En règle générale ces messages sont envoyés avec l’option d’envoi 3 « Courrier électronique avec uniquement un lien de téléchargement obligatoire » (Accusé de réception préalable à l’accès au courrier). Cette option est sélectionnée par défaut. ».

Il n’est pas contesté en l’espèce que les soumissionnaires concernés n’ont pas téléchargé de manière anonyme les documents de marché tels que déposés initialement sur le Portail des Marchés Publics et se sont inscrits à la procédure de passation litigieuse, conformément aux dispositions de l’article 6, paragraphe (2), précité, du règlement grand-ducal du 27 août 2013.

Il appartenait dès lors au pouvoir adjudicateur de veiller à ce que l’intégralité des messages d’information ou de notification leur soient communiqués dans le respect des dispositions citées ci-dessus, en s’assurant notamment de la réception des accusés de réception afférents.

Suivant les explications fournies par la partie étatique, le dépôt sur le Portail des Marchés Publics de la version adaptée du dossier de soumission n’a toutefois pas été notifié aux soumissionnaires et ce n’est « qu’à l’issue d’une analyse approfondie et après l’émission de l’arrêté d’adjudication en faveur de la demanderesse » qu’il s’est avéré que « la version adaptée, bien que mise en ligne, n’avait pas été accompagnée d’une communication aux soumissionnaires concernés. ».

Il résulte en effet du dossier administratif, respectivement de la pièce versée par la partie étatique et intitulée « Historique Portail des marchés publics », que le dossier de soumission, tel que publié initialement, a été remplacé électroniquement par une version adaptée dudit dossier en date du 4 juin 2021 à 16.04 heures, mais qu’aucune notification n’en a été faite via le Portail des Marchés Publics, étant relevé que le pouvoir adjudicateur n’a, sur base de ses propres déclarations, effectué aucune vérification à ce sujet, que ce soit au moment de l’analyse des offres ou lors de la prise de décision d’attribution du marché.

Or, dans la mesure où la transmission aux opérateurs économiques de tous les messages, documents, fichiers, etc., via le Portail des Marchés Publics, relève de la responsabilité des pouvoirs adjudicateurs, il ne saurait, nonobstant les affirmations de la partie étatique, être reproché aux soumissionnaires concernés de ne pas avoir spontanément téléchargé la version « adaptée » du dossier de soumission avant l’ouverture des offres, ces derniers ayant valablement - et faute d’avoir reçu une quelconque notification à ce sujet sur le Portail des Marchés Publics - pu se fier à la version initiale du dossier de soumission, telle que mise à leur disposition, pour préparer leurs offres.

Au regard de ces éléments, l’argumentation de la partie étatique selon laquelle la « version adaptée du dossier de soumission » aurait fait partie des documents de soumission est à rejeter. Il en va de même de son affirmation selon laquelle « l’Etat ne pouvait se douter que les soumissionnaires n’avaient pas eu notification du cahier des charges modifié ».

Admettre le contraire reviendrait à passer outre le non-respect des dispositions règlementaires reproduites ci-dessus et à redresser les négligences de la partie étatique et ce, au détriment des soumissionnaires.

Il résulte de l’ensemble de ces développements que seule la version initiale du dossier de soumission, versée en pièce n°2 par la partie étatique, est applicable en l’espèce.

➢ Quant à la matérialité des erreurs invoquées par la partie étatique En ce qui concerne ensuite les développements de la défenderesse relatifs à l’absence d’indication de quantités pour certaines positions du bordereau de soumission, le tribunal constate que (i) la version initiale du bordereau de soumission ne renseigne aucune quantité pour les positions 3.1.1.17 (« Bouton-poussoir du type vitre à briser »), 3.3.4.1 (« Coffrets (L400xH600xP250) »), 3.3.4.2 (« Coffrets (L400xH800xP250) »), 3.3.5.1 (« Alimentations et convertisseurs »), 3.3.6.1 (« Centrales de répartition »), 3.3.7.1 (« Répartiteurs de données ») et 3.3.18.2 (« Tubes type acier rigide DN 25 ») et (ii) les quantités afférentes à ces positions ont seulement été ajoutées dans la « version adaptée du dossier de soumission ».

Selon les explications fournies à cet égard par l’(KK) sous le point 1.3 de son rapport d’analyse des offres du 2 décembre 2021 :

« Il a été constaté des écarts calculés sur la base de prix unitaires reçus des entreprises en phase soumission entre les montants des offres annoncés par les groupements dans le récapitulatif et les montants réels après vérification comptable. Ceux-ci s’expliquent par la non prise en compte par les soumissionnaires du bordereau de soumission modifié transmis pendant la consultation. Cela représente un écart de +… € pour le soumissionnaire (AE) et de … € pour le soumissionnaire (FI). Les montants des écarts sont rappelés dans le tableau ci-dessous. […] […] […] (AE) (FI) (JJ) […] […] […] […] […] TOTAL GENERAL […] […] … € … € … € TOTAL ACTE […] … € … € … € D’ENGAGEMENT […] Ecart avec l’acte […] … € … € .. € d’engagement du à la non prise en compte du bordereau envoyé en QRT2★ ★ Calculé sur la base de prix unitaires reçus des entreprises en phase soumission ».

(Extraits du « Tableau comparatif MCL 19 COURANTS FAIBLES COURANTS FAIBLES ») En se basant, entre autres, sur les données financières contenues dans le prédit tableau comparatif des offres, le tribunal constate que le montant de … euros, correspondant à la différence entre le montant indiqué par la demanderesse dans son offre et le montant « réel après vérification comptable », a été calculé comme suit par l’(KK) :

Positions du Prix unitaire Montant total Quantité Montants bordereau de indiqué par la indiqué par la ajoutée dans « réels après soumission demanderesse demanderesse la version vérification dans son offre dans son offre « mise a jour comptable » 17/05/2021 » du dossier de soumission 3.3.4.1 Coffrets (L400xH600xP250) … euros 0 x … euros 1 … euros 3.3.4.2 Coffrets (L400xH800xP250) … euros 0 x … euros 1 .. euros 3.3.5.1 Alimentations et … euros 0 x … euros 1 … euros convertisseurs 3.3.6.1 Centrales de répartition … euros 0 x … euros 1 … euros 3.3.7.1 Répartiteurs de données … euros 0 x … euros 1 … euros 3.3.18.2 Tubes type acier rigide DN25 … euros 0 x … euros 10 … euros TOTAL 0 euro … euros Il résulte encore du prédit tableau comparatif que les montants de … euros et … euros correspondant à la différence entre les montants indiqués respectivement par l’association momentanée (FI) et la société (JJ) dans leurs offres et les montants « réels après vérification comptable », ont été calculés selon les mêmes modalités.

Sur base de l’analyse des offres effectuée par l’(KK) et en particulier de ses calculs, le tribunal est amené à retenir que seules les positions 3.3.4.1, 3.3.4.2, 3.3.5.1, 3.3.6.1, 3.3.7.1 et 3.3.18.2 du bordereau de soumission étaient en réalité affectées par l’absence d’indication de quantités.

Il échet d’ailleurs de relever que la mention « Qté constatée à 0 » a seulement été apposée dans le tableau comparatif détaillé des offres établi par l’(KK) au niveau des positions 3.3.4.1, 3.3.4.2, 3.3.5.1, 3.3.6.1, 3.3.7.1 et 3.3.18.2 du bordereau de soumission et qu’aucune remarque similaire n’a été formulée au sujet de la position 3.1.1.17 dudit bordereau.

Il est dès lors établi que la version du bordereau de soumission sur base de laquelle les soumissionnaires ont déposé leurs offres, contient des erreurs, respectivement omissions en relation avec les seules positions 3.3.4.1, 3.3.4.2, 3.3.5.1, 3.3.6.1, 3.3.7.1 et 3.3.18.2.

Il reste cependant à déterminer si de telles omissions peuvent être considérées comme des « erreurs substantielles » au sens de l’article 39, paragraphe (3), e) de la loi 8 avril 2018, tel que le fait valoir la partie étatique.

➢ Quant à la qualification juridique des erreurs contenues dans le dossier de soumission Afin de pouvoir être qualifiée de « substantielle », l’erreur doit porter sur une condition essentielle du cahier des charges ayant une influence décisive sur l’exécution du marché, respectivement le matériel à fournir ; son redressement doit être nécessaire au risque de forcer le pouvoir adjudicateur à conclure un marché ne répondant pas à ses exigences et besoins. Le caractère substantiel ou important ne se mesure pas uniquement d’un point de vue financier, mais s’évalue également en tenant compte des conséquences sur l’effectivité de la mise en concurrence, ou encore des conséquences futures lors de l’exécution du contrat. Il peut aussi se mesurer par rapport aux caractéristiques techniques du matériel, l’erreur pouvant être considérée comme substantielle si le défaut de redressement a des conséquences sur la longévité du matériel et sur les coûts de son entretien 19.

A ce sujet, la partie étatique affirme notamment que « l’oubli d’indication des quantités constitue incontestablement une erreur substantielle dans la mesure où, si son redressement n’est pas opéré, la conclusion du marché ne peut répondre aux exigences et besoins du pouvoir adjudicateur. ».

Cette argumentation est toutefois contredite par les éléments du dossier, pour les raisons qui suivent.

Aux termes de son rapport d’analyse des offres, l’(KK) a proposé d’adjuger le marché à la demanderesse « pour le montant de … € HT […] soit … € HT pour les travaux d’installation et … € HT pour l’extension de garantie et la maintenance. », tout en précisant que « la différence de … € entre le montant indiqué dans l’offre et le montant d’adjudication » « s’explique par des erreurs minimes de quantité dans l’offre. ».

Dans son courrier adressé en date du 17 janvier 2022 au ministre et auquel étaient annexés l’analyse de la soumission, le procès-verbal d’adjudication, le tableau de comparaison, la fiche de comparaison, l’offre de l’adjudicataire proposé, ainsi que l’offre de chacun des autres soumissionnaires, le directeur de l’Administration des bâtiments publics a exposé, sans la moindre réserve, ce qui suit :

« […] Après vérification et correction arithmétiques20, le résultat de la soumission se présente comme suit :

1. Association momentanée (AE) :

EUR … HTVA 2. Association momentanée (FI) - (GG) (HH) – (II) :

EUR … HTVA 3. (JJ) s.à.r.l. :

EUR … HTVA Devis définitif adapté :

EUR … HTVA 19 Trib. adm., 9 octobre 2017, nos 38104 et 38105 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Marchés publics, n° 184.

20 Souligné par le tribunal. L’offre conforme la plus favorable a été présentée par l’association momentanée (AE) ((AA), (CC), (BB), (DD) et (EE)).

Je me permets de préciser que l’offre se compose de deux volets, un relatif aux travaux de construction, à charge du budget du projet Jean Monnet 2, au montant de EUR … HTVA et un concernant la maintenance, pris en charge par les Fonds de la Commission européenne, au montant de EUR ….- HTVA.

Le résultat de la soumission du volet travaux de construction se présente comme suit :

1. Association momentanée (AE) : EUR … HTVA 2. Association momentanée (FI) – (GG) (HH) - (II) EUR … HTVA 3. (JJ) s.à.r.l. :

EUR … HTVA Devis définitif adapté :

EUR … HTVA Vu que les prix de l’offre sont acceptables, je me rallie à la proposition du groupement de maîtrise d’œuvre (KK) GmbH, tendant à confier l’exécution des travaux à l’entreprise préqualifiée, aux prix et conditions de son offre du 28 juin 2021, s’élevant à EUR … HTVA + EUR … HTVA = EUR … TTC. […] ».

Le procès-verbal d’adjudication dressé le même jour renseigne également une proposition d’adjudication du marché à hauteur d’un montant de … euros HTVA.

Force est de constater que ce montant de … euros HTVA a été obtenu par l’addition du montant indiqué par la demanderesse dans son offre, soit … euros HTVA, avec le montant de … euros HTVA correspondant aux coûts des positions 3.3.4.1, 3.3.4.2, 3.3.5.1, 3.3.6.1, 3.3.7.1 et 3.3.18.2 du bordereau de soumission, tel que celui-ci a été calculé par l’(KK) sur base des prix unitaires mentionnés par la demanderesse dans son offre et détaillés ci-dessus.

Il s’ensuit que la partie étatique, en approuvant le prédit montant de … euros HTVA, calculé selon ses propres déclarations « Après vérification et correction arithmétiques », a en réalité redressé les omissions dont elle se prévaut à l’heure actuelle pour justifier le retrait de la décision d’attribution du marché en cause.

Dans ces circonstances, la partie étatique n’est dès lors pas fondée, sauf à se contredire au détriment de la demanderesse, à se placer dans l’hypothèse dégagée par la jurisprudence administrative dans laquelle l’oubli d’indication de quantités constituerait une erreur substantielle « dans la mesure où, si son redressement n’est pas opéré21, la conclusion du marché ne peut répondre aux exigences et besoins du pouvoir adjudicateur. ».

Dans le même ordre d’idées, la partie étatique n’est pas davantage fondée à plaider que l’omission d’indication de certaines quantités dans le dossier de soumission n’aurait pas été susceptible de régularisation compte-tenu de l’état d’avancement de la procédure de passation du marché, étant donné qu’elle a précisément régularisé elle-même ces omissions en approuvant les « montants réels après vérification comptable », tels que calculés par l’(KK).

21 Souligné par le tribunal. L’argumentation développée à cet égard par la partie étatique suivant laquelle « la décision d’attribution revient au pouvoir adjudicateur et on ne saurait exiger que ce dernier suit aveuglement une proposition d’adjudication, peu importe de qui elle émane » est d’ailleurs inopérante.

Sur ce point, le tribunal rappelle que suivant l’article 95 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 :

« (1) L’attribution du marché public se fait sur la base de propositions du service administratif ou technique compétent ou, à défaut, sur proposition du bureau d’études commis.

(2) Ces propositions doivent être appuyées d’un tableau comparatif et précis. ».

Tel qu’il résulte des pièces du dossier, l’(KK) a procédé à l’examen et à la vérification des dossiers de soumission quant à leur conformité administrative et technique, ainsi qu’au regard de leur valeur économique, notamment quant au bien-fondé des prix et quant à l’exactitude des calculs, et a soumis son analyse des offres au pouvoir adjudicateur à travers son rapport daté du 2 décembre 2021.

Dans son courrier du 17 janvier 2022, le directeur de l’Administration des bâtiments publics s’est ensuite rallié, sans émettre la moindre réserve ou objection, à la proposition d’adjudication de l’(KK) et a préparé un procès-verbal d’adjudication en ce sens.

Dans son arrêté d’adjudication du 21 janvier 2022, le ministre a, quant à lui, approuvé le procès-verbal d’adjudication publique suivant lequel « [la demanderesse] s’engage à exécuter les prestations ci-dessus mentionnées moyennant le prix de sa soumission, soit … + … (TVA 17%) =… EUR […] ».

Il s’ensuit que le ministre a suivi la proposition d’adjudication du directeur de l’Administration des bâtiments publics et s’est, par la force des choses, également rallié à l’analyse faite par l’(KK).

Il importe également de relever dans ce contexte qu’aux termes de l’article 80 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 :

« (1) Le pouvoir adjudicateur examine et vérifie les dossiers de soumission quant à leur conformité administrative et technique, ainsi qu’au regard de leur valeur économique, notamment quant au bien-fondé des prix et quant à l’exactitude des calculs. Les offres qui ne satisfont pas aux conditions du cahier spécial des charges ou dont les prix sont reconnus inacceptables sont éliminées. En cas de besoin, il est fait appel à des experts.

(2) Lorsque les informations ou les documents qui doivent être soumis par les opérateurs économiques sont ou semblent incomplets ou erronés ou lorsque certains documents sont manquants, les pouvoirs adjudicateurs peuvent, sauf clause contraire du cahier spécial des charges ou sauf mention du cahier spécial des charges qu’il s’agit d’informations ou de documents qui doivent être joints aux offres sous peine d’exclusion, demander aux opérateurs économiques concernés de présenter, compléter, clarifier ou préciser les informations ou les documents concernés dans un délai approprié, à condition que :

a) ces demandes respectent pleinement les principes d’égalité de traitement et de transparence, et 29 b) qu’elles ne conduisent pas indûment à favoriser ou défavoriser le ou les candidats ou soumissionnaires auxquels lesdites demandes ont été adressées et c) qu’elles n’aboutissent pas à permettre qu’il soit dérogé aux articles 63, 80, paragraphe 1er, et 83, paragraphe 1er, de sorte à aboutir à la présentation, par les soumissionnaires concernés, d’une offre nouvelle. ».

La législation sur les marchés publics pose le principe de l’immutabilité des offres après l’ouverture des soumissions, impliquant l’interdiction de la possibilité de modification des offres une fois déposées, les seules exceptions étant en principe limitées au redressement d’erreurs matérielles ou arithmétiques que le pouvoir adjudicateur est susceptible de constater, dont la rectification n’est pas susceptible de fausser le libre jeu de la concurrence22.

En approuvant l’adjudication du marché en faveur de l’association momentanée (AE) pour un montant calculé « Après vérification et correction arithmétiques », soit avec un écart de … euros par rapport au montant indiqué dans l’offre litigieuse, la partie étatique a manifestement elle-même considéré que les omissions dont elle se prévaut à l’heure actuelle étaient à qualifier d’erreurs matérielles ou arithmétiques susceptibles de rectification, sans que cela ne fausse le libre jeu de la concurrence, de sorte que cette dernière ne peut désormais soutenir le contraire, sauf à se contredire à nouveau au détriment de la demanderesse.

Abstraction faite de ces considérations, même en se basant sur l’hypothèse dans laquelle la partie étatique n’aurait pas redressé les omissions litigieuses, force est au tribunal de constater que la partie étatique reste en tout état de cause en défaut de rapporter la preuve des conséquences préjudiciables de telles omissions, de même que leurs effets sur l’exécution du marché en cause, alors qu’elle se contente de formuler des développements théoriques à ce sujet.

Le tribunal relève à cet égard que la valeur économique des positions litigieuses est très faible par rapport à l’envergure du marché litigieux et représente un écart d’environ 0,012 % par rapport au montant de l’offre déposée par l’association (AE) ou au montant du devis préparé par le pouvoir adjudicateur.

S’y ajoute finalement que l’(KK) a elle-même qualifié dans son rapport d’analyse les omissions en cause « d’erreurs minimes de quantité dans l’offre ».

Il s’ensuit que la partie défenderesse reste en défaut d’établir dans quelle mesure l’absence d’indication, dans la version initiale du bordereau de soumission, des quantités pour les six positions litigieuses n’aurait pas mené à une réponse adéquate à ses besoins et serait partant à qualifier d’erreur substantielle.

➢ Quant à la prétendue non-conformité de l’offre de la demanderesse La partie étatique explique dans ses mémoires que l’association momentanée (AE) aurait « répond[u] aux exigences relatives aux fiches techniques requises fixées par la dernière version [du cahier des charges] », de sorte qu’elle aurait « donc tout naturellement fondé son analyse sur base de la version modifiée du cahier des charges croyant à une méprise de la maîtrise d’œuvre. Plus tard, lorsqu’elle s’est rendue compte que les offres étaient finalement 22 Cour adm., 8 mai 2018, n° 40528C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.basées sur un cahier des charges incomplet, la partie étatique a envisagé le retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022. ».

Le tribunal est toutefois amené à constater que de telles affirmations se heurtent partiellement à l’argumentation développée en phase précontentieuse par la partie étatique.

En effet, dans son courrier daté du 15 avril 2022, la partie étatique a exposé « [qu’]il résulte d’une analyse approfondie du dossier que la transmission d’une version adaptée du cahier des charges a conduit à une confusion quant aux documents justificatifs effectivement requis et pris en considération au moment de l’analyse des offres. De ce fait, il s’est avéré que l’analyse des différentes offres n’a pas été effectuée conformément au respect du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires. », pour faire valoir ensuite dans son courrier du 29 juillet 2022, « [qu]’il ne s’est avéré qu’après l’entrevue du 22 avril 2022 que le téléchargement de la version adaptée n’était pas accompagnée d’une notification aux soumissionnaires. Par conséquent, il n’a été constaté qu’à la suite de ladite réunion qu’aucun soumissionnaire n’a téléchargé la version adaptée du dossier. ».

Il s’ensuit que le 25 mars 2022, date à laquelle le ministre a fait part à l’association momentanée (AE) de son intention de procéder au retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022, la partie étatique ignorait, conformément à ses propres déclarations, le fait que la version adaptée du dossier de soumission n’avait été téléchargée par aucun des soumissionnaires.

Indépendamment de la question de savoir à quelle date exacte la partie étatique s’est finalement rendue compte que le dépôt de la version adaptée du dossier de soumission n’avait pas été notifié aux soumissionnaires, celle-ci admet dans son mémoire en duplique que « l’analyse des offres effectuée par l’(KK) fait état du fait que les soumissionnaires n’ont pas pris en compte le bordereau de soumission modifié ».

Le tribunal constate d’ailleurs que l’(KK) a clairement mentionné, dans son rapport d’analyse des offres du 2 décembre 2021, la « non prise en compte par les soumissionnaires du bordereau de soumission modifié transmis pendant la consultation », de même que « la non prise en compte du bordereau envoyé en QRT2★ ».

Outre le fait qu’il appartenait au pouvoir adjudicateur, conformément aux développements exposés ci-dessus, de s’assurer de la transmission aux opérateurs économiques de la version adaptée du dossier de soumission à travers le Portail des Marchés Publics, le tribunal relève que la partie étatique, bien qu’elle n’ait valablement pu ignorer le fait que les offres n’avaient pas été remises sur base de cette version, a malgré tout décidé d’adjuger le marché à la demanderesse.

La position défendue par la partie étatique dans le cadre de la présente procédure s’avère difficilement conciliable avec l’attitude qu’elle a pu adopter au cours de la phase d’attribution du marché.

Il échet au demeurant de noter que suivant le rapport d’analyse des offres établi par l’(KK), l’offre de la demanderesse, de même que celle de l’association momentanée (FI), ont été déclarées techniquement conformes, tandis que l’offre de la société (JJ) a été déclarée non conforme sur ce volet (tout comme pour les volets administratif et comptable), faute notamment d’avoir répondu aux questions posées par l’(KK).

L’argumentation développée par la partie étatique suivant laquelle « [a]u regard de la version adaptée du dossier, [l]’offre [de la demanderesse] est apparue comme étant conforme, contrairement à celles remises par les autres soumissionnaires qui ne comportaient que les documents sollicités par la version initiale. » laisse dès lors d’être établie et se trouve au contraire contredite par le rapport d’analyse des offres dressé par l’(KK), de sorte qu’elle encourt le rejet.

Le tribunal constate finalement que le motif lié à une prétendue confusion quant aux « documents justificatifs requis effectivement requis et pris en considération au moment de l’analyse des offres » n’a pas été autrement développé par la partie étatique et que cette dernière est restée en défaut d’expliquer concrètement en quoi l’offre de la demanderesse n’aurait finalement pas été conforme sur le plan technique, en dépit des déclarations contraires de l’(KK).

L’argumentation de la partie étatique selon laquelle l’offre de la demanderesse n’aurait pas été conforme n’est partant pas de nature à convaincre le tribunal.

➢ Quant à la violation alléguée du principe d’égalité de traitement Aux termes de l’article 12, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi du 8 avril 2018 :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée. ».

Le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires, qui a pour objectif de favoriser le développement d’une concurrence saine et effective entre les entreprises participant à un marché public, impose que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et il implique donc que celles‑ci soient soumises aux mêmes conditions pour tous les compétiteurs. Les soumissionnaires doivent donc se trouver sur un pied d’égalité aussi bien au moment où ils préparent leurs offres qu’au moment où celles‑ci sont évaluées par le pouvoir adjudicateur23.

Ainsi, le pouvoir adjudicateur est tenu de veiller, à chaque phase d’une procédure d’appel d’offres, au respect de ce principe et, par voie de conséquence, à l’égalité des chances de tous les soumissionnaires24.

Le principe de transparence a, quant à lui, pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur. Ce principe implique que les conditions et modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges de façon, premièrement, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, deuxièmement, à 23 Voir notamment arrêt du Tribunal de l’Union européenne, 29 octobre 2015, Vanbreda Risk & Benefits c.

Commission, T‑199/14, points 64 et 65 et jurisprudence y citée.

24 Voir notamment arrêt du Tribunal de l’Union européenne, 13 décembre 2016, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki c. Commission, T‑764/14, point 256 et jurisprudence y citée.mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause25.

Les arguments développés par la partie étatique selon lesquels les soumissionnaires auraient indiqué un prix dans leurs offres sans connaître les quantités requises par le projet, de sorte qu’il aurait été impossible d’effectuer une comparaison et donc un classement des offres soumises, n’emportent pas la conviction du tribunal.

En effet, il est communément admis que l’obligation d’indiquer un prix pour toutes les positions du bordereau de soumission, telle que prescrite à l’article 61 du règlement grand-

ducal du 8 avril 201826, repose sur la prémisse que seule une offre détaillée, s’inscrivant dans un schéma déterminé, identique pour tous les soumissionnaires, permet d’assurer un maximum de comparabilité entre les différentes offres et de garantir ainsi l’égalité de traitement des différents soumissionnaires dans un souci d’attribution objective du marché concerné27.

Or, outre le fait que l’omission de quantités dont se prévaut la partie étatique a été redressée par cette dernière, conformément aux développements exposés ci-dessus, force est au tribunal de constater, sur base du rapport de l’(KK), que les soumissionnaires en cause ont rempli toutes les positions du bordereau de soumission à leur disposition et ont proposé en particulier des « prix unitaires28 » pour chacune des positions litigieuses et ce, bien que les quantités afférentes n’y aient pas été précisées.

Le prix pour les quantités effectivement requises étant dès lors facilement déterminable et ayant par ailleurs été déterminé par l’(KK) à travers de simples opérations de multiplication et d’addition, il y a lieu d’en conclure que les offres en cause étaient parfaitement comparables.

Il échet de surcroît de relever que l’(KK) a pris soin d’intégrer deux modes de calcul dans son tableau comparatif des offres : le premier, intitulé « TOTAL GENERAL », consiste en l’addition du montant indiqué par les soumissionnaires dans leurs offres avec les « montants réels après vérification comptable », tandis que le second intitulé « TOTAL ACTE D’ENGAGEMENT » renseigne uniquement le montant indiqué par les soumissionnaires dans leurs offres :

AM (AE) (FI) (JJ) TOTAL GENERAL … € … € … € ( TOTAL ACTE … € … € … € D’ENGAGEMENT Dans chacun des deux scénarios envisagés, l’offre de la demanderesse demeure économiquement la plus avantageuse sur la base du prix, critère d’attribution du marché retenu par le pouvoir adjudicateur conformément à l’article 1.9.2 du dossier de soumission, et présentait une différence de plus de … euros avec l’offre de l’association momentanée (FI).

25 Voir en ce sens, arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 septembre 2017, Casertana Costruzioni, C-223/16, point 34 et jurisprudence y citée.

26 « Toutes les positions du bordereau doivent être remplies, elles ne peuvent ni être barrées, ni contenir le terme « néant », ni le chiffre zéro (-, o), à moins que le cahier spécial des charges n’en dispose autrement […]. ».

27 Cour adm., 17 octobre 2006, 21236C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

28 Cf. page 4 du rapport d’analyse des offres de l’(KK) « ★ Calculé sur la base de prix unitaires reçus des entreprises en phase soumission ».

A titre superfétatoire, il est encore utile de souligner que l’(KK) a elle-même précisé dans son rapport d’analyse des offres que « Le classement est également le même avant et après vérification comptable. […]. ».

La partie étatique reste partant en défaut d’expliquer concrètement en quoi le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires aurait été violé en raison de l’absence d’indication de certaines quantités dans la version du dossier de soumission sur base de laquelle ces derniers ont remis leurs offres, de sorte que son argumentation afférente est à rejeter dans son intégralité.

Les affirmations selon lesquelles la partie étatique aurait basé son appréciation sur des documents du dossier de soumission qui n’ont pas été notifiés aux soumissionnaires, ce qui aurait ainsi « favorisé [la demanderesse], « qui a[urait] versé les documents requis par la version modifiée du cahier des charges contrairement aux autres soumissionnaires » laissent, d’autre part, d’être établies et sont partant à écarter, étant donné que la « version adaptée du dossier de soumission » n’a, tel que cela a été retenu ci-dessus, été téléchargée par aucun des soumissionnaires.

Il importe finalement de relever que chacun des soumissionnaires a remis son offre sur base de la même version du dossier de soumission et partant des mêmes informations, et qu’aucun d’eux n’a, à défaut d’informations contraires soumises au tribunal, posé de questions au sujet des positions litigieuses du bordereau de soumission ou ne s’est plaint d’un quelconque manque de transparence ou d’égalité de traitement entre eux.

L’argumentation développée par la partie étatique relative à une prétendue violation du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires doit partant être rejetée, étant donné que le tribunal ne s’est pas vu soumettre un quelconque élément pertinent et probant ayant pu permettre de retenir un traitement discriminatoire à l’égard des soumissionnaires en ce qui concerne l’examen de la conformité administrative, technique et financière de leurs offres.

* La partie étatique étant restée en défaut de prouver que le retrait de la décision d’adjudication du 21 janvier 2022 est intervenu dans le respect des dispositions de l’article 39, paragraphe (3), e) de la loi 8 avril 2018, respectivement de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, il s’ensuit que l’arrêté ministériel du 25 avril 2022 est à annuler.

IV. Quant au recours contre l’arrêté ministériel du 29 juillet 2022 Moyens et arguments des parties Après avoir reproduit l’intégralité des développements factuels contenus dans son recours inscrit sous le numéro de rôle 47743, la demanderesse conclut en premier lieu à l’annulation de l’arrêté ministériel du 29 juillet 2022 pour violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Sur ce point, elle argumente que la décision litigieuse ne serait pas motivée à suffisance, alors qu’aucune motivation, même sommaire, n’y serait énoncée, d’une part, et reproche au ministre de s’être limité à conclure à la présence d’erreurs substantielles dans le dossier desoumission, sans autre précision, d’autre part.

En second lieu, la demanderesse conclut au caractère infondé des motifs invoqués par la partie étatique pour justifier la décision d’annulation de la procédure de passation du marché, en reprenant substantiellement l’argumentation développée dans le cadre de son premier recours inscrit sous le numéro 47743 du rôle.

La partie étatique conclut, quant à elle, au rejet du recours en se fondant essentiellement sur l’argumentation contenue dans ses mémoires en réponse et en duplique notifiés dans le cadre de l’affaire inscrite sous le numéro 47743 du rôle.

Appréciation du tribunal A) Quant à la légalité externe de la décision attaquée Aux termes de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsque notamment, comme en l’espèce, elle révoque ou modifie une décision antérieure. Il échet encore de souligner, dans ce contexte, que, contrairement à ce que fait plaider la demanderesse, l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, alors que seule une motivation « sommaire » est expressément exigée.

En l’espèce, le tribunal constate que l’arrêté attaqué du 29 juillet 2022 a été motivé par la présence d’erreurs substantielles dans le dossier de soumission et la nécessité « d’établir une version rectifiée du dossier », d’une part, et que la partie étatique, qui a pris position quant à l’ensemble des moyens soulevés par la demanderesse, a développé de façon détaillée dans ses mémoires en réponse et duplique les motifs factuels et juridiques pour lesquels elle a décidé d’annuler la procédure de soumission litigieuse, d’autre part.

La motivation ainsi fournie est suffisamment complète pour permettre au tribunal d’exercer son contrôle de légalité, d’une part, et à la demanderesse d’assurer la défense de ses intérêts en parfaite connaissance de cause, d’autre part.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’un défaut de motivation de l’arrêté litigieux est à rejeter.

B) Quant à la légalité interne de la décision attaquée Étant donné que le tribunal vient de déclarer le premier recours fondé, faute pour la partie étatique d’établir la présence dans le dossier de soumission d’erreurs substantielles au sens de l’article 39, paragraphe (3), e) de la loi 8 avril 2018 ou de toute violation du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires, et qu’il a partant annulé la décision de retrait de l’arrêté d’adjudication du 21 janvier 2022, l’arrêté ministériel du 29 juillet 2022 portant annulation de la procédure de passation du marché en cause, pris suite à l’adoption de la prédite décision de retrait, n’a pas valablement pu être adopté sur base du prédit article 39, paragraphe (3), e), en présence d’une décision d’adjudication valable et encourt dès lors, à son tour, l’annulation.

V. Quant aux demandes en obtention d’indemnités de procédure La demanderesse sollicite l’allocation d’indemnités de procédure d’un montant de 10.000 euros dans chacun des deux rôles, sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».

Ces demandes sont cependant à rejeter, faute pour la demanderesse d’établir en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.

VI. Quant aux frais et dépens Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de condamner la partie étatique aux frais et dépens dans les deux rôles.

Quant aux demandes de distraction des frais et dépens au profit du litismandataire de la demanderesse qui les sollicite dans les deux rôles, celles-ci sont à rejeter alors que pareille façon de procéder n’est pas prévue en matière de procédure contentieuse administrative29.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

joint les affaires inscrites sous les numéros 47743 et 48049 du rôle ;

se déclare incompétent pour connaître des recours en réformation introduits à titre principal ;

déclare les recours en annulation introduits à titre subsidiaire recevables en la forme ;

au fond, les dit justifiés ;

partant, annule (i) l’arrêté pris en date du 25 avril 2022 par le ministre de la Mobilité et des Travaux publics portant retrait de l’arrêté d’adjudication publique du 21 janvier 2022 suivant lequel l’association momentanée composée des sociétés (AA) SA, (BB) SA, (CC) SA, (DD) SA et (EE) SARL, a été déclarée adjudicataire du marché public de travaux de courants faibles à exécuter dans l’intérêt de la construction du bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg et (ii) l’arrêté pris en date du 29 juillet 2022 par le ministre de la Mobilité et des Travaux publics portant annulation de la procédure ouverte relative aux travaux de courants faibles à exécuter dans l’intérêt de la construction du bâtiment Jean Monnet 2 de la Commission européenne à Luxembourg ;

rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure telles que formulées par la demanderesse dans les deux rôles ;

rejette les demandes en distraction des frais formulées par le litismandataire de la demanderesse dans les deux rôles ;

29 Trib. adm., 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1317 et les autres références y citées.

condamne la partie étatique aux frais et dépens dans les deux rôles.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 février 2025 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 37


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47743,48049
Date de la décision : 04/02/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-02-04;47743.48049 ?

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