Tribunal administratif N° 50079 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50079 2e chambre Inscrit le 22 février 2024 Audience publique du 3 février 2025 Recours formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50079 du rôle et déposée le 22 février 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Cora MAGLO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Venezuela), et de son épouse, Madame (B), née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur enfant mineure (C), née le … à … (Venezuela), tous de nationalité vénézuélienne, demeurant ensemble à L-…, dirigée contre une décision du ministre des Affaires intérieures du 18 janvier 2024, erronément attribuée au « Ministre de l’Immigration et de l’Asile », refusant de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale, ainsi que contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah BESSAH, en remplacement de Maître Cora MAGLO, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 décembre 2024.
Le 1er juillet 2022, Monsieur (A) et son épouse, Madame (B), accompagnés de leur enfant mineure (C), ci-après désignés par « les consorts (AB) », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Leurs déclarations sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée / police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 23 novembre 2022 et 16 janvier 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Madame (B) fut entendue le 28 novembre 2022 pour les mêmes raisons.
1 Par décision du 18 janvier 2024, notifiée aux intéressés par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », informa les consorts (AB) que leurs demandes de protection internationale avaient été refusées comme non fondées, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle la décision sera devenue définitive.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 février 2024, les consorts (AB) ont fait introduire un recours dirigé contre la décision du ministre du 18 janvier 2024 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
A l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours sous analyse au regard du fait que l’original de la requête introductive d’instance déposée au greffe du tribunal administratif le 22 février 2024 ne comporte pas l’intégralité des pages, le texte de ladite requête étant, en effet, interrompu à la page 5 pour ne contenir, à la page suivante, que la seule date et signature du litismandataire des requérants, sans toutefois comporter de dispositif. Le tribunal a, à cette occasion, relevé qu’il en était de même pour les copies de la requête introductive d’instance telles que déposées au greffe du tribunal administratif.
Le litismandataire des requérants a fait valoir, à l’audience des plaidoiries, disposer d’une copie tamponnée de la requête introductive d’instance, numérotée des pages 1 à 8, et comportant un dispositif, tout en insistant sur le fait qu’il s’agirait d’une des copies déposées au greffe du tribunal administratif. Il conclut à la recevabilité du recours sous analyse, tout en soulignant l’intérêt des requérants à voir déclaré leur recours recevable.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, s’est rapporté à prudence de justice.
Aux termes de l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 » : « Tout recours, en matière contentieuse, introduit devant le tribunal administratif, dénommé ci-après « tribunal », est formé par requête signée d’un avocat inscrit à la liste I des tableaux dressés par les conseils des Ordres des avocats.
La requête, qui porte date, contient :
- les noms, prénoms et domicile du requérant, - la désignation de la décision contre laquelle le recours est dirigé, - l’exposé sommaire des faits et des moyens invoqués, - l’objet de la demande, et - le relevé des pièces dont le requérant entend se servir. ».
Suivant l’article 2 de la loi du 21 juin 1999, « La requête introductive est déposée au greffe du tribunal, en original et quatre copies. […] ».
Ces dispositions requièrent, dès lors, entre autres, l’indication de l’objet de la demande dans la requête introductive d’instance, qui doit être déposée en original et quatre copies.
Selon la jurisprudence des juridictions administratives, les prétentions du demandeur tout comme l’objet de la demande telle que véhiculée à travers la requête introductive 2 d’instance conformément à l’article 1er de la loi du 21 juin 1999, sont en principe à indiquer au dispositif de la requête introductive d’instance1, qui a pour objet de les préciser et de les cadrer de façon claire. Le résultat que le plaideur entend obtenir est partant celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance. L’importance du dispositif a également été consacrée par rapport aux mémoires en ce qu’il a été retenu que foi doit être donnée au dispositif d’un mémoire par rapport aux motifs le soutenant2.
Il est certes vrai que de façon exceptionnelle une imprécision au niveau de la formulation du dispositif, voire une contrariété entre le dispositif et la motivation de la requête introductive ne portent pas à conséquence en termes de recevabilité du recours, en l’occurrence, lorsque des éléments précis se dégagent sans méprise possible du corps de la requête sous-tendant directement le dispositif et à condition qu’il n’y ait pas atteinte aux droits de la défense3.
La situation est toutefois différente en l’espèce. En effet, le tribunal constate que la requête introductive d’instance ne pèche pas par une imprécision de son dispositif, voire par des contradictions l’affectant, mais que les requérants ont fait déposer une requête introductive d’instance lacunaire qui s’arrête à la page 5, pour contenir à la page suivante, non numérotée, uniquement la date et la signature du litismandataire des requérants, et qui, surtout, ne comporte pas de dispositif, et ce en contradiction avec les allégations de leur litismandataire à l’audience des plaidoiries, lequel affirme, en effet, avoir déposé l’intégralité des pages de son recours au greffe du tribunal administratif.
Force est, en effet, de constater que l’original de la requête introductive d’instance ainsi que les copies déposées ensemble avec celle-ci au greffe du tribunal administratif en date du 22 février 2024 à 17 :29 heures, respectivement à 17 :30 heures, donc le dernier jour du délai pour agir, ne contiennent pas les pages 6 et 7 sur lesquelles figurent la suite des prétentions des requérants, ainsi que le dispositif, étant précisé que c’est encore cette même requête introductive d’instance lacunaire qui a été envoyée le jour même, à savoir le 22 février 2024 à 18 :55 heures, après le dépôt physique, par voie de courrier électronique au greffe du tribunal administratif.
Dans ces conditions, la requête introductive d’instance telle que déposée au greffe du tribunal administratif, à défaut de dispositif, ne contient pas les prétentions des requérants. La conséquence en est que le tribunal n’a pas été valablement saisi, les requérants l’ayant mis dans l’impossibilité d’exercer son office à défaut d’avoir libellé leurs prétentions, et ainsi l’objet de leur recours, et le tribunal ne pouvant pas suppléer à cette carence en cherchant à déterminer les prétentions des parties à travers la motivation de la requête, laquelle est, en l’espèce, d’ailleurs également lacunaire puisque, tel que relevé ci-avant, la requête s’arrête à la page 5.
Dans ces conditions, le tribunal ne peut que déclarer la requête introductive d’instance irrecevable4.
C’est à cet égard en vain que les requérants ont tenté de combler la requête introductive d’instance lacunaire par le fait de verser ex post et en dehors du délai pour agir les pages manquantes par voie de courrier électronique, dans la mesure où c’est la requête introductive 1 Cour adm., 18 décembre 2007, n° 23363C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 386 ; Cour adm., 29 juillet 2020, n° 44224C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1166.
2 Cour adm., 1er décembre 2016, n° 38334C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 903.
3 En ce sens : Cour adm., 18 décembre 2007, précité.
4 Idem.
3 d’instance telle que déposée au greffe du tribunal administratif, qui doit comporter toutes les mentions requises par la loi, qui saisit le tribunal et qui est censée cadrer en l’occurrence les prétentions des parties5.
Il s’ensuit que le courrier électronique du 26 février 2024, par lequel le litismandataire des consorts (AB) a informé le tribunal de son « erreur » commise lors du « dépôt numérique » du 22 février 2024, en ce que « les pages 6 et 7 éta[ient] manquantes, suite à une erreur de scan », ne saurait être pris en considération par le tribunal.
A cet égard, il y a encore lieu de constater que la requête introductive d’instance transmise au greffe du tribunal administratif par courrier électronique du 26 février 2024 comprend 8 pages, et non pas 6, tel que c’est le cas de la requête introductive d’instance déposée physiquement au greffe du tribunal administratif le 22 février 2024, pour comporter non seulement l’intégralité du dispositif, mais également une partie supplémentaire de la motivation du recours des requérants.
Il s’ensuit que la copie de la requête introductive d’instance communiquée par voie de courrier électronique en date du 26 février 2024 ne correspond ni à l’original de la requête introductive d’instance telle qu’elle a été déposée en date du 22 février 2024 au greffe du tribunal administratif ni même à la version transmise par voie de courrier électronique le jour même du dépôt de l’original.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à déclarer irrecevable.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare irrecevable le recours, partant le rejette ;
condamne les demandeurs aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, et lu à l’audience publique du 3 février 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 5 En ce sens : Cour adm., 11 juillet 2024, n° 50339C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.