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13/01/2025 | LUXEMBOURG | N°48085

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 janvier 2025, 48085


Tribunal administratif N° 48085 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48085 1re chambre Inscrit le 25 octobre 2022 Audience publique du 13 janvier 2025 Recours formé par Monsieur (A1) et consorts, … contre une décision du conseil communal de Bech, en présence de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, Luxembourg en matière d’urbanisme

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48085 et déposée en date du 25 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif p

ar la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’...

Tribunal administratif N° 48085 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48085 1re chambre Inscrit le 25 octobre 2022 Audience publique du 13 janvier 2025 Recours formé par Monsieur (A1) et consorts, … contre une décision du conseil communal de Bech, en présence de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, Luxembourg en matière d’urbanisme

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48085 et déposée en date du 25 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’ordre des avocates du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B240929, représentée par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1) Monsieur (A1), demeurant à …, 2) Madame (A2), demeurant à …, 3) Madame (A3), demeurant à …, 4) Madame (A4), demeurant à …, 5) Monsieur (A5), demeurant à …, 6) Monsieur (A6), demeurant à …, 7) Monsieur (A7), demeurant à …, 8) Monsieur (A8), demeurant à …, 9) Monsieur (A9), demeurant à …, 10) Monsieur (A10), demeurant à …, 11) Monsieur (A11), demeurant à …, 12) Monsieur (A12), demeurant à …, 13) Madame (A13), demeurant à …, 14) Madame (A14), demeurant à …, 115) Monsieur (A15), demeurant à …, 16) Monsieur (A16), demeurant à …, 17) Monsieur (A17), demeurant à …, 18) Madame (A18), demeurant à …, 19) Madame (A19), demeurant à …, 20) Monsieur (A20), demeurant à …, 21) Monsieur (A21), demeurant à …, 22) Madame (A22), demeurant à …, 23) Monsieur (A23), demeurant à …, 24) Madame (A24), demeurant à …, 25) Monsieur (A25), demeurant à …, 26) Madame (A26), demeurant à …, 27) Madame (A27), demeurant à …, 28) Monsieur (A28), demeurant à …, 29) Madame (A29), demeurant à …, 30) Madame (A30), demeurant à …, 31) Monsieur (A31), demeurant à …, 32) Madame (A32), demeurant à …, 33) Madame (A33), demeurant à …, 34) Madame (A34), demeurant à …, 35) Monsieur (A35), demeurant à …, 36) Monsieur (A36), demeurant à …, 37) Madame (A37), demeurant à …, 38) Madame (A38), demeurant à …, 39) Madame (A39), demeurant à …, 240) Monsieur (A40), demeurant à …, 41) Monsieur (A41), demeurant à …, 42) Madame (A42), demeurant à …, 43) Madame (A43), demeurant à …, 44) Madame (A44), demeurant à …, 45) Monsieur (A45), demeurant à …, 46) Monsieur (A46), demeurant à …, 47) Madame (A47), demeurant à …, 48) Monsieur (A48), demeurant à …, 49) Monsieur (A49), demeurant à …, 50) Madame (A50), demeurant à …, 51) Madame (A51), demeurant à …, 52) Monsieur (A52), demeurant à …, 53) Monsieur (A53), demeurant à …, 54) Madame (A54), demeurant à …, 55) Monsieur (A55), demeurant à …, 56) Madame (A56), demeurant à …, 57) Monsieur (A57), demeurant à …, 58) Monsieur (A58), demeurant à …, 59) Madame (A59), demeurant à …, 60) Monsieur (A60), demeurant à …, 61) Madame (A61), demeurant à …, 62) Madame (A62), demeurant à …, 63) Monsieur (A63), demeurant à …, 64) Monsieur (A64), demeurant à …, 365) Monsieur (A65), demeurant à …, 66) Monsieur (A66), demeurant à …, 67) Madame (A67), demeurant à …, 68) Madame (A68), demeurant à …, 69) Monsieur (A69), demeurant à …, 70) Madame (A70), demeurant à …, 71) Monsieur (A71), demeurant à …, 72) Madame (A72), demeurant à …, 73) Monsieur (A73), demeurant à …, 74) Monsieur (A74), demeurant à …, 75) Madame (A75), demeurant à …, 76) Monsieur (A76), demeurant à …, 77) Madame (A77), demeurant à …, 78) Monsieur (A78), demeurant à …, 79) Madame (A79), demeurant à …, 80) Monsieur (A80), demeurant à …, 81) Monsieur (A81), demeurant à …, 82) Madame (A82), demeurant à …, 83) Monsieur (A83), demeurant à …, 84) Madame (A84), demeurant à …, 85) Madame (A85), demeurant à …, 86) Monsieur (A86), demeurant à …, 87) Monsieur (A87), demeurant à …, 88) Monsieur (A88), demeurant à …, 89) Madame (A89), demeurant à …, 490) Monsieur (A90), demeurant à …, 91) Madame (A91), demeurant à …, 92) Monsieur (A92), demeurant à …, 93) Monsieur (A93), demeurant à …, 94) Madame (A94), demeurant à …, 95) Monsieur (A95), demeurant à …, 96) Madame (A96), demeurant à …, 97) Monsieur (A97), demeurant à …, 98) Madame (A98), demeurant à …, 99) Madame (A99), demeurant à …, 100) Monsieur (A100), demeurant à …, 101) Madame (A101), demeurant à …, 102) Monsieur (A102), demeurant à …, 103) Madame (A103), demeurant à …, 104) Monsieur (A104), demeurant à …, 105) Monsieur (A105), demeurant à …, 106) Madame (A106), demeurant à …, tendant à l’annulation de la « délibération du conseil communal de Bech, prise en date du 25 juillet 2022, par laquelle il a approuvé l’acte notarié portant constitution d’un droit d’emphytéose dressé en date du 19 juillet 2022 par devant Maître Danielle KOLBACH, notaire résidant à Junglinster, conclu avec la Fondation pour l’Accès au Logement portant sur les terrains inscrits au cadastre sous les numéros (P1) et (P2), section … de Altrier/Hersberg, ayant pour objet la réalisation d’un projet de construction de logements subventionnés par l’Etat à destination de personnes ou familles défavorisées » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Christine KOVELTER, huissier de justice suppléant, en remplacement de l’huissier de justice Frank SCHAAL, demeurant à Luxembourg, du 2 novembre 2022 portant signification de ce recours à la commune de Bech, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie à L-

6230 Bech, 1, Enneschtgaass, ainsi qu’à la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro G201, représentée par ses organes statutaires actuellement en fonctions, dont le siège est situé à L-

1713 Luxembourg, 202b, rue de Hamm ;

5 Vu la constitution d’avocat à la Cour de la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1470 Luxembourg, 7-11, route d’Esch, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B265322, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée le 7 novembre 2022 au greffe du tribunal administratif pour compte de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, préqualifiée ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Martine LAMESCH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée le 18 novembre 2022 au greffe du tribunal administratif pour compte de la commune de Bech, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2023 par la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR SARL, préqualifiée, pour compte de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2023 par Maître Martine LAMESCH pour compte de la commune de Bech, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2023 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA pour compte de ses mandants, préqualifiés ;

Vu le mémoire en duplique dépose au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2023 par Maître Martine LAMESCH pour compte de la commune de Bech, préqualifiée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, Maître Martine LAMESCH et Maître Rachel JAZBINSEK, en remplacement de Maître Albert RODESCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juin 2024 ;

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Lors de sa séance publique du 16 décembre 2020, le conseil communal de Bech, ci-

après désigné par « le conseil communal », approuva un acte constitutif d’un droit d’emphytéose conclu en date du même jour entre le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bech, ci-après désigné par « le collège échevinal », et la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, ci-après désignée par « la FAL » portant sur des parcelles sises à …, inscrites au cadastre de la commune de Bech sous les numéros (P1) et (P3), section … de Hersberg et Altrier, ci-après désignées par « les parcelles », ayant pour objet la réalisation d’un projet de construction de logements subventionnés par l’Etat à destination de personnes ou familles défavorisées.

Lors de sa séance publique du 21 avril 2021, le conseil communal approuva la convention conclue avec la FAL concernant la réalisation des travaux d’infrastructure dans le cadre du projet de construction d’un immeuble résidentiel de 6 appartements pour des personnes exposées à la précarité.

6Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 juillet 2021, inscrite sous le numéro 46214 du rôle, les requérants listés dans le chapeau du présent jugement ont fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la délibération du conseil communal du 21 avril 2021 portant approbation de la convention conclue avec la FAL concernant la réalisation des travaux d’infrastructure dans le cadre du projet de construction d’un immeuble résidentiel de 6 appartements pour des personnes exposées à la précarité.

Lors de sa séance publique du 25 février 2022, le conseil communal se prononça en faveur de la mesure de déclassement des parcelles du domaine public en domaine privé.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 mai 2022, inscrite sous le numéro 47474 du rôle, les mêmes requérants ont encore fait introduire un recours en annulation contre la délibération du conseil communal du 25 février 2022, à travers laquelle le conseil communal se prononça en faveur du déclassement des parcelles litigieuses du domaine public en domaine privé.

Lors de sa séance publique du 25 juillet 2022, le conseil communal se prononça en faveur de la résiliation de l’acte constitutif d’un droit d’emphytéose existant conclu avec la FAL et approuvé par le conseil communal en sa séance du 16 décembre 2020.

Lors de la même séance publique, le conseil communal approuva un acte constitutif d’un droit d’emphytéose conclu en date du 19 juillet 2022 entre le collège échevinal et la FAL portant sur les parcelles.

Cette délibération est basée sur les motifs et considérations suivants :

« (…) Vu la loi communale du 13 décembre 1988 ;

Vu la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes ;

Vu la décision du conseil communal du 24 novembre 2021 portant autorisation pour le morcellement des terrains numéros (P4) et (P5), section … de Hersberg/Altrier ;

Vu la délibération du conseil communal du 25 février 2022 relative à la décision portant déclassement des parcelles (P1) et (P6) SIS à …, du domaine public communal en domaine privé communal, approuvée par la Ministre de l’Intérieur le 13 avril 2022, référence TT/042/21 ;

Considérant que le bourgmestre a fourni des explications au conseil communal sur des changements du projet devenus nécessaires par suite d’incohérences constatées entre les parties écrites du PAG et du PAP QE ;

Attendu que l’article 1.23. de la partie écrite du PAP-QE dispose que « Pour les constructions plurifamiliales, un seul emplacement de stationnement par logement est admissible à l’air libre. » Attendu que ceci aura pour conséquence que 5 emplacements seront intégrés dans le bâtiment, ce qui entraîne que probablement le nombre d’unités de logements sera diminué à 5 ;

7 Vu l’acte notarié portant constitution d’un droit d’emphytéose dressé en date du 19 juillet 2022 par devant Maître Danielle Kolbach, notaire résidant à Junglinster, conclu avec la Fondation pour l’Accès au Logement portant sur les terrains inscrits au cadastre sous les numéros (P1) et (P2), section … de Altrier/Hersberg ;

Considérant que l’acte est conclu dans l’intérêt de la réalisation d’un projet de construction de logements subventionnés par l’Etat à destination de personnes ou familles défavorisées ;

Attendu que le conseil communal est dès lors appelé à se prononcer à ce sujet ;

Après avoir délibéré conformément à la loi.

Décide avec six voix positives et une voix négative (…) :

D’approuver l’acte notarié portant constitution d’un droit d’emphytéose dressé en date du 19 juillet 2022 par devant Maître Danielle Kolbach, notaire résidant à Junglinster, conclu avec la Fondation pour l’Accès au Logement portant sur les terrains inscrits au cadastre sous les numéros (P1) et (P2), section … de Altrier/Hersberg, ayant pour objet la réalisation d’un projet de construction de logements subventionnés par l’Etat à destination de personnes ou familles défavorisées ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 octobre 2022, inscrite sous le numéro 48085 du rôle, les requérants listés dans le chapeau du présent jugement ont fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la « délibération du conseil communal de Bech, prise en date du 25 juillet 2022, par laquelle il a approuvé l’acte notarié portant constitution d’un droit d’emphytéose dressé en date du 19 juillet 2022 par devant Maître Danielle KOLBACH, notaire résidant à Junglinster, conclu avec la Fondation pour l’Accès au Logement portant sur les terrains inscrits au cadastre sous les numéros (P1) et (P2), section … de Altrier/Hersberg, ayant pour objet la réalisation d’un projet de construction de logements subventionnés par l’Etat à destination de personnes ou familles défavorisées ».

I.

Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Arguments des parties Tant la commune que la FAL soulèvent l’incompétence ratione materiae du tribunal pour connaître du recours introduit à l’encontre de la délibération du 25 juillet 2022, étant donné que ladite délibération aurait été prise dans un contexte contractuel purement civil. Elle soulignent à cet égard qu’en vertu de l’article 84 de la Constitution, les contestations ayant pour objet des droits civils seraient exclusivement du ressort des tribunaux judiciaires.

Les requérants rétorquent à ce moyen d’incompétence que la nature civile de la délibération du conseil communal serait remise en question par le fait qu’elle ne concernerait pas le domaine privé de la commune, mais le domaine public, de sorte à ne pas concerner seulement la mise à disposition d’un terrain appartenant à la commune mais aussi la désaffectation du domaine public.

8Ils font valoir que l’acte de constitution d’un droit d’emphytéose et l’approbation par le conseil communal constitueraient deux actes différents, étant donné que (i) la convention serait un contrat alors que l’approbation serait un acte unilatéral, (ii) dans les deux actes seraient intervenus des organes différents ayant des compétences divergentes, (iii) la portée des deux actes serait différente, alors que le contrat ne s’appliquerait qu’aux contractants et la délibération du conseil communal s’adresserait à tous les habitants de la commune et (iv) il y aurait un décalage temporel entre les deux actes.

Les requérants soutiennent ensuite que le tribunal aurait déjà eu l’occasion de se déclarer compétent en cas de présence d’un contrat et son approbation, à savoir dans le cadre d’affaires concernant les marchés publics et le droit de préemption, en vertu de la théorie des actes détachables du contrat.

Ils insistent sur le fait qu’en l’espèce la délibération du conseil communal présenterait toutes les caractéristiques d’un acte administratif, étant donné que (i) il s’agirait d’une décision administrative émanant d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décision unilatérales obligatoires pour les administrés, (ii) il s’agirait d’une véritable décision affectant les droits et intérêts des requérants et (iii) l’acte émanerait d’une autorité participant à l’exercice de la puissance publique.

Les requérants précisent que ce serait « la reconnaissance de l’intérêt du contrat pour la commune, qui résulte[rait] de la décision du conseil communal, et non pas du contrat, et qui [irait] beaucoup plus loin que les effets du contrat civil à l’égard des tiers ».

Analyse du tribunal Il convient d’abord de rappeler qu’en vertu de l’article 98 de la Constitution révisée, entrée en vigueur le 1er juillet 2023, applicable en ce qui concerne la question de la compétence du tribunal de statuer sur le présent recours « Les juridictions de l’ordre judiciaire ont compétence générale en toute matière, à l’exception des attributions conférées par la Constitution à d’autres juridictions à compétence particulière. », tandis que l’article 99 de la Constitution révisée prévoit que « Le contentieux administratif et fiscal est du ressort des juridictions de l’ordre administratif, dans les cas et sous les conditions déterminés par la loi. ».

Il s’agit ici du contentieux administratif au sens strict qui est un contentieux objectif consistant en un procès fait non pas à une partie défenderesse, mais à l’acte, en vue de contester sa conformité au droit objectif.

La Constitution révisée ne définit pas le contentieux administratif, énoncé à son article 99 à l’instar de son prédécesseur : l’article 95bis. Les définitions y relatives résultent de la loi.

En raison des articles 98 et 99 de la Constitution révisée, il n’est pas permis de dire que le Constituant aurait eu l’intention de voir soumettre aux juridictions administratives toutes les décisions émanant d’une autorité administrative1.

Ainsi, il appartient à la loi de définir les limites exactes du contentieux administratif et fiscal.

1 Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, Rusen ERGEC, mis à jour par Francis DELAPORTE, président de la Cour administrative, Pasicrisie 2023, page 46.

9Ainsi, la Constitution révisée opère une summa divisio entre les juridictions de l’ordre judicaire qui ont compétence générale en toute matière, à l’exception du contentieux administratif et fiscal dévolu aux juridictions de l’ordre administratif2.

Le tribunal administratif étant en effet une juridiction d’exception, sa compétence ratione materiae doit résulter d’une disposition légale spécifique sinon entrer dans les prévisions de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », suivant lequel « le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements », étant relevé que le tribunal administratif est encore compétent pour connaître des actes à caractère réglementaire sur le fondement de l’article 7, paragraphe (1) de la même loi, en vertu duquel « le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent. ».

Il est admis que le contentieux des contrats conclus par l’administration, impliquant des actes unilatéraux accomplis par l’administration relatifs à la conclusion, l’exécution ou la résiliation des contrats, relève en principe des juridictions judiciaires, non seulement dans la mesure où l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 vise uniquement des manifestations unilatérales de volonté, alors que les contrats, produits d’un concours plus ou moins réel de consentements, n’en font pas partie, mais encore dans la mesure où un contrat donne naissance, dans le chef des parties, à des droits subjectifs dont le juge est celui de l’ordre judiciaire3 ; tel est le cas du contentieux relatif à la formation du contrat ; il en va de même du contentieux de l’exécution ou de la réalisation des contrats, qui met en jeu des droits subjectifs et qui est du ressort exclusif des tribunaux de l’ordre judiciaire4.

Aussi, lorsqu’un litige porte sur le respect ou le non-respect d’un contrat, respectivement sur sa résiliation, l’objet du litige consistant alors respectivement en la réformation ou l’annulation d’une décision par laquelle un particulier reproche à une autorité administrative d’avoir méconnu des obligations contractuellement assumées par elle, respectivement d’avoir procédé à une résiliation abusive d’un contrat, la connaissance de pareil litige relève des tribunaux judiciaires qui, dans ce cas, en imposant le respect du contrat, respectivement en accordant des dommages et intérêts, ont le pouvoir de procurer au particulier un résultat pratique équivalent à l’annulation de l’acte incriminé5.

Ce principe suivant lequel le contentieux contractuel, même impliquant une autorité administrative, relève des juridictions judiciaires, reçoit un tempérament en faveur de la théorie des actes détachables du contrat, qui veut que les juridictions administratives restent compétentes pour connaître de la régularité d’un acte de nature administrative intervenant comme préalable au support nécessaire à la réalisation d’un rapport de droit privé6. Tel est l’hypothèse plus particulièrement en matière de marchés publics, les décisions de refus d’octroi 2 Cour adm., 12 novembre 2024, n° 50924C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

3 Michel Leroy, Contentieux administratif, Bruylant, 2008, p.231.

4 Ibidem, p.234.

5 Trib. adm. 11 octobre 2001, n° 12729 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Compétence, n° 88 et les autres références y citées.

6 Cour adm. 12 mars 1998, n° 10497C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Compétence, n° 94 et autres références y citées.

10d’un marché, respectivement d’attribution d’un marché, préalables à la conclusion du contrat, étant susceptibles d’un recours devant le tribunal administratif. Tel est encore le cas en matière d’exercice du droit de préemption7.

En l’espèce, les requérants entendent attaquer non pas l’acte portant constitution d’un droit d’emphytéose entre la commune et la FAL en tant que tel, mais la délibération du conseil communal d’approuver cet acte notarié, de sorte que se pose la question de savoir s’ils sont fondés à la qualifier d’acte détachable de la conclusion de ce contrat susceptible de recours devant les juridictions administratives. Dans ce contexte, se pose la question de savoir si le conseil communal a pris une décision, en dehors de la conclusion proprement dite du contrat, ayant pour effet d’affecter l’ordonnancement juridique, soit en le modifiant par ajout de dispositions soit par leur disparition ou encore par maintien de dispositions et qu’il a exercé dans le cadre de la mise en œuvre de ses prérogatives de puissance publique de nature à porter grief à un administré8, qui justifierait la compétence des juridictions administratives. Autrement dit, se pose la question de savoir si la délibération déférée est rattachable à l’exercice de la puissance publique, c’est-à-dire à l’exercice des prérogatives de puissance publique de nature à porter grief à un administré.

S’il est certes vrai que le conseil communal intervient en tant qu’autorité administrative en vertu des articles 57, point 7° et 106 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, appelée à approuver l’acte en question, sa délibération n’est en l’espèce pas déférée au tribunal per se, au vu de vices qui lui seraient propres, respectivement d’illégalités ou d’irrégularités commises par le conseil communal dans le cadre de sa mission d’approbation, mais uniquement pour avoir approuvé l’acte notarié portant constitution d’un droit d’emphytéose dressé en date du 19 juillet 2022 s’inscrivant dans le strict cadre contractuel. Aussi, à ce titre, la délibération n'est pas détachable de l’acte approuvé et s’inscrit dans cette mesure, dans ce même cadre contractuel9.

Au vu des considérations qui précèdent et sans qu’il y ait lieu de statuer plus en avant, le tribunal est amené à se déclarer incompétent ratione materiae pour connaître du recours dirigé contre la délibération déférée, celle-ci n’étant pas constitutive d’une décision administrative susceptible d’un recours contentieux.

S’agissant de la demande des requérants tendant à l’obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de 10.000 euros sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. », il échet de retenir qu’au vu de l’issue du litige cette demande encourt le rejet.

La demande en obtention d’une indemnité de procédure de la part de la commune d’un montant de 10.000 euros est elle aussi, à rejeter, étant donné qu’elle n’a pas établi qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.

Par ces motifs, 7 Cour adm. 21 janvier 2020, n° 43240C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Logement, n° 47, en matière de droit de préemption 8 Ibidem.

9 Trib. adm., 14 novembre 2012, n° 28764 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

11 le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours tel qu’introduit par les requérants ;

rejette les demandes tendant à l’obtention d’une indemnité de procédure ;

condamne les requérants aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 janvier 2025 par :

Alexandra CASTEGNARO, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Alexandra CASTEGNARO 12


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 48085
Date de la décision : 13/01/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 25/01/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-01-13;48085 ?

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