Tribunal administratif N° 47474 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:47474 1re chambre Inscrit le 25 mai 2022 Audience publique du 13 janvier 2025 Recours formé par Monsieur (A1) et consorts, … contre une décision du conseil communal de Bech, en présence de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, Luxembourg en matière d’urbanisme
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47474 et déposée en date du 25 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’ordre des avocates du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B240929, représentée par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :
1) Monsieur (A1), demeurant à …, 2) Madame (A2), demeurant à …, 3) Madame (A3), demeurant à …, 4) Madame (A4), demeurant à …, 5) Monsieur (A5), demeurant à …, 6) Monsieur (A6), demeurant à …, 7) Monsieur (A7), demeurant à …, 8) Monsieur (A8), demeurant à …, 9) Monsieur (A9), demeurant à …, 10) Monsieur (A10), demeurant à …, 11) Monsieur (A11), demeurant à …, 12) Monsieur (A12), demeurant à …, 13) Madame (A13), demeurant à …, 14) Madame (A14), demeurant à …, 115) Monsieur (A15), demeurant à …, 16) Monsieur (A16), demeurant à …, 17) Monsieur (A17), demeurant à …, 18) Madame (A18), demeurant à …, 19) Madame (A19), demeurant à …, 20) Monsieur (A20), demeurant à …, 21) Monsieur (A21), demeurant à …, 22) Madame (A22), demeurant à …, 23) Monsieur (A23), demeurant à …, 24) Madame (A24), demeurant à …, 25) Monsieur (A25), demeurant à …, 26) Madame (A26), demeurant à …, 27) Madame (A27), demeurant à …, 28) Monsieur (A28), demeurant à …, 29) Madame (A29), demeurant à …, 30) Madame (A30), demeurant à …, 31) Monsieur (A31), demeurant à …, 32) Madame (A32), demeurant à …, 33) Madame (A33), demeurant à …, 34) Madame (A34), demeurant à …, 35) Monsieur (A35), demeurant à …, 36) Monsieur (A36), demeurant à …, 37) Madame (A37), demeurant à …, 38) Madame (A38), demeurant à …, 39) Madame (A39), demeurant à …, 240) Monsieur (A40), demeurant à …, 41) Monsieur (A41), demeurant à …, 42) Madame (A42), demeurant à …, 43) Madame (A43), demeurant à …, 44) Madame (A44), demeurant à …, 45) Monsieur (A45), demeurant à …, 46) Monsieur (A46), demeurant à …, 47) Madame (A47), demeurant à …, 48) Monsieur (A48), demeurant à …, 49) Monsieur (A49), demeurant à …, 50) Madame (A50), demeurant à …, 51) Madame (A51), demeurant à …, 52) Monsieur (A52), demeurant à …, 53) Monsieur (A53), demeurant à …, 54) Madame (A54), demeurant à …, 55) Monsieur (A55), demeurant à …, 56) Madame (A56), demeurant à …, 57) Monsieur (A57), demeurant à …, 58) Monsieur (A58), demeurant à …, 59) Madame (A59), demeurant à …, 60) Monsieur (A60), demeurant à …, 61) Madame (A61), demeurant à …, 62) Madame (A62), demeurant à …, 63) Madame (A63), demeurant à …, 64) Madame (A64), demeurant à …, 365) Monsieur (A65), demeurant à …, 66) Monsieur (A66), demeurant à …, 67) Madame (A67), demeurant à …, 68) Madame (A68), demeurant à …, 69) Monsieur (A69), demeurant à …, 70) Madame (A70), demeurant à …, 71) Monsieur (A71), demeurant à …, 72) Madame (A72), demeurant à …, 73) Monsieur (A73), demeurant à …, 74) Monsieur (A74), demeurant à …, 75) Madame (A75), demeurant à …, 76) Monsieur (A76), demeurant à …, 77) Madame (A77), demeurant à …, 78) Monsieur (A78), demeurant à …, 79) Madame (A79), demeurant à …, 80) Monsieur (A80), demeurant à …, 81) Monsieur (A81), demeurant à …, 82) Madame (A82), demeurant à …, 83) Monsieur (A83), demeurant à …, 84) Madame (A84), demeurant à …, 85) Madame (A85), demeurant à …, 86) Monsieur (A86), demeurant à …, 87) Monsieur (A87), demeurant à …, 88) Monsieur (A88), demeurant à …, 89) Madame (A89), demeurant à …, 490) Monsieur (A90), demeurant à …, 91) Madame (A91), demeurant à …, 92) Monsieur (A92), demeurant à …, 93) Monsieur (A93), demeurant à …, 94) Madame (A94), demeurant à …, 95) Monsieur (A95), demeurant à …, 96) Madame (A96), demeurant à …, 97) Monsieur (A97), demeurant à …, 98) Madame (A98), demeurant à …, 99) Madame (A99), demeurant à …, 100) Monsieur (A100), demeurant à …, 101) Madame (A101), demeurant à …, 102) Monsieur (A102), demeurant à …, 103) Madame (A103), demeurant à …, 104) Monsieur (A104), demeurant à …, 105) Monsieur (A105), demeurant à …, 106) Madame (A106), demeurant à …, tendant à l’annulation de la « délibération du conseil communal de Bech, prise en date du 25 février 2022, par laquelle il s’est prononcé en faveur du déclassement du domaine public en domaine privé portant sur les parcelles cadastrales [(P1)] et (P2), section … de Hersberg/Altrier, sis à …, en vue de la réalisation du réalisation du projet de construction d’un immeuble résidentiel de 6 appartements pour des personnes exposées à la précarité, par la Fondation pour l’Accès au Logement »;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick MULLER, demeurant à Diekirch, du 1er juin 2022 portant signification de ce recours à l’administration communale de Bech, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie à L-6230 Bech, 1, Enneschtgaass ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Kelly FERREIRA SIMOES, huissier de justice suppléant, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 1er juin 2022 portant signification de ce recours à la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT ; inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro 5G201, représentée par ses organes statutaires actuellement en fonctions, dont le siège est situé à L-1713 Luxembourg, 202b, rue de Hamm ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée le 8 juin 2022 au greffe du tribunal administratif pour compte de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, préqualifiée ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Martine LAMESCH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée le 20 juin 2022 au greffe du tribunal administratif pour compte de l’administration communale de Bech, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2022 par Maître Martine LAMESCH pour compte de l’administration communale de Bech, préqualifiée ;
Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2022, par laquelle la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1470 Luxembourg, 7-11, route d’Esch, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B265322, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclare reprendre le mandat pour le compte de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2022 par la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR SARL, préqualifiée, pour compte de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2022 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA pour compte de ses mandants, préqualifiés ;
Vu le mémoire en duplique dépose au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2022 par Maître Martine LAMESCH pour compte de l’administration communale de Bech, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2022 par la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR SARL, préqualifiée, pour compte de la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, préqualifiée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, Maître Martine LAMESCH et Maître Rachel JAZBINSEK, en remplacement de Maître Albert RODESCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juin 2024 ;
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6 Lors de sa séance publique du 16 décembre 2020, le conseil communal de Bech, ci-
après désigné par « le conseil communal », approuva un acte constitutif d’un droit d’emphytéose conclu en date du même jour entre le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bech, ci-après désigné par « le collège échevinal », et la FONDATION POUR L’ACCES AU LOGEMENT, ci-après désignée par « la FAL » portant sur des parcelles sises à …, inscrites au cadastre de la commune de Bech sous les numéros (P1) et (P3), section … de Hersberg et Altrier, ci-après désignées par « les parcelles », ayant pour objet la réalisation d’un projet de construction de logements subventionnés par l’Etat à destination de personnes ou familles défavorisées.
Lors de sa séance publique du 21 avril 2021, le conseil communal approuva la convention conclue avec la FAL concernant la réalisation des travaux d’infrastructure dans le cadre du projet de construction d’un immeuble résidentiel de 6 appartements pour des personnes exposées à la précarité.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 juillet 2021, inscrite sous le numéro 46214 du rôle, les requérants listés dans le chapeau du présent jugement ont fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la délibération du conseil communal du 21 avril 2021 portant approbation de la convention conclue avec la FAL concernant la réalisation des travaux d’infrastructure dans le cadre du projet de construction d’un immeuble résidentiel de 6 appartements pour des personnes exposées à la précarité.
Lors de sa séance publique du 25 février 2022, le conseil communal se prononça en faveur de la mesure de déclassement des parcelles du domaine public communal en domaine privé communal.
Cette délibération est basée sur les motifs et considérations suivants :
« (…) Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ;
Vu la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain ;
Vu le projet du nouveau plan d’aménagement général de la commune de Bech, tel qu’il a été définitivement approuvé par le conseil communal en sa séance du 19 février 2018 et par le Ministre de l’Intérieur le 25 juillet 2018, (…).
Vu le projet d’aménagement particulier « Quartier Existant », approuvé par le conseil communal en sa séance du 19 février 2018 et par le Ministre de l’Intérieur le 25 juillet 2018, (…).
Vu la délibération du conseil communal du 24 novembre 2021 se prononçant en faveur du projet de morcellement portant sur les terrains inscrits au cadastre sous les numéros (P4) et (P5), section … de Altrier/Hersberg, conformément au plan dressé par le bureau d’architecture (AA) dressé en date du 18.11.2021, réalisé dans le cadre du projet pour la construction de logements à loyer abordable pour personnes en précarité à Altrier ;
Vu le plan cadastral n° … du 7 février 2022 émanant du projet de morcellement précité ;
7 Vu l’article 106, 9°, de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 disposant que le changement de jouissance de biens communaux doit faire l’objet d’une délibération du conseil communal, qui est soumise à l’approbation de la ministre de l’Intérieur ;
Attendu que le bien, consistant en la parcelle (P1), sur laquelle se trouve implantée l’ancienne école, ne remplit plus les conditions qui le font relever du domaine public ;
Attendu que la parcelle, nouvellement créée par le morcellement précité et portant le numéro cadastral (P2), appartenait auparavant au numéro cadastral (P4) est destinée à servir comme emplacement de stationnement pour les logements du projet précité et ne remplit donc plus les conditions qui la font relever du domaine public ;
Attendu que ces biens ne sont donc plus affectés à un service public ou à l’usage direct du public, une mesure de déclassement du domaine public en domaine privé s’impose ;
Considérant que seuls les biens du domaine privé des personnes publiques peuvent faire l’objet d’une cession ou vente, et comme la conclusion d’un bail emphytéotique s’apparente à une vente, le conseil communal est appelé à se prononcer lors de la présente séance sur la mesure de déclassement.
Attendu que les membres du conseil communal sont appelés à se prononcer à ce propos ;
Après avoir délibéré conformément à la loi décide :
Décide avec six voix positives et deux voix négatives (…) :
De se prononcer en faveur de la mesure de déclassement du domaine public en domaine privé portant sur les parcelles cadastrales (P1) et (P2), section … de Hersberg/Altrier, sis à …, conformément au plan n° … du 7 février 2022, faisant partie intégrante de la présente décision.
(…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 mai 2022, inscrite sous le numéro 47474 du rôle, les mêmes requérants ont encore fait introduire un recours en annulation contre la délibération du conseil communal du 25 février 2022, précitée, à travers laquelle le conseil communal se prononça en faveur du déclassement des parcelles litigieuses du domaine public en domaine privé.
Lors de sa séance publique du 25 juillet 2022, le conseil communal se prononça en faveur de la résiliation de l’acte constitutif d’un droit d’emphytéose existant conclu avec la FAL et approuvé par le conseil communal en sa séance du 16 décembre 2020.
Lors de la même séance publique, le conseil communal approuva un acte constitutif d’un droit d’emphytéose conclu en date du 19 juillet 2022 entre le collège échevinal et la FAL portant sur les parcelles.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 octobre 2022, inscrite sous le numéro 48085 du rôle, les requérants listés dans le chapeau du présent jugement ont fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la « délibération du conseil communal de Bech, prise en date du 25 juillet 2022, par laquelle il a approuvé l’acte notarié 8portant constitution d’un droit d’emphytéose dressé en date du 19 juillet 2022 par devant Maître Danielle KOLBACH, notaire résidant à Junglinster, conclu avec la Fondation pour l’Accès au Logement portant sur les terrains inscrits au cadastre sous les numéros (P1) et (P2), section … de Altrier/Hersberg, ayant pour objet la réalisation d’un projet de construction de logements subventionnés par l’Etat à destination de personnes ou familles défavorisées ».
En date du 2 mai 2023, le bourgmestre de la commune de Bech, ci-après désigné par « le bourgmestre », autorisa la FAL à procéder à la démolition de l’ancienne école et à la construction d’une résidence à 4 logements sur les parcelles.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er août 2023, inscrite sous le numéro 49251 du rôle, les requérants listés dans le chapeau du présent jugement ont encore fait introduire un recours en annulation à l’encontre de l’autorisation précitée du 2 mai 2023.
Lors de sa séance publique du 8 février 2024, le conseil communal approuva la convention conclue avec la FAL concernant la réalisation des travaux d’infrastructure dans le cadre du projet de construction d’un immeuble résidentiel de 4 appartements pour des personnes exposées à la précarité.
I.
Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours en annulation du 25 mai 2022 Arguments des parties L’administration communale de Bech, ci-après désignée par « la commune », conclut à l’incompétence du tribunal pour connaître du présent recours, étant donné que la décision de déclassement du domaine public en domaine privé consisterait en un acte réglementaire et n’aurait pas un effet direct sur les intérêts privés d’une ou de plusieurs personnes.
Elle fait ensuite valoir que ledit recours serait irrecevable à défaut d’intérêt à agir des requérants qui ne se prévaudraient pas de la lésion d’un intérêt personnel.
Elle soutient que l'acte litigieux ne serait pas susceptible d'aggraver la situation de voisins des requérants, dans la mesure où le classement en domaine privé ne changerait pas l'affectation actuelle retenue pour les parcelles concernées. Elle précise que les parcelles se trouveraient, par ailleurs, classées en « zone de bâtiments et d’équipements publics (BEP) », ci-après désignée par « zone BEP », zone qui admettrait expressément les logements locatifs sociaux et les logements destinés à l'accueil de demandeurs de protection internationale. Dans la mesure où l’argumentation des requérants à l'appui de leur recours tiendrait à critiquer cette affectation et non pas la délibération communale du classement en domaine privé, l'acte déféré ne serait pas susceptible de leur causer grief et n’impacterait pas leur situation individuelle qui se trouverait inchangée.
La FAL conclut en substance à la compétence du tribunal pour connaître du recours en annulation déféré tout en soulevant un défaut d’intérêt à agir dans le chef des requérants, qui se borneraient à critiquer le projet de construction de l’immeuble sans justifier d’un intérêt à agir en relation avec la décision de déclassification des parcelles du domaine public en domaine privé.
9Les requérants rétorquent au moyen d’incompétence de la commune que le nombre de personnes qui profitent de la décision serait bien déterminé, étant donné que le seul bénéficiaire de l’acte déféré serait la FAL, respectivement un nombre très limité de personnes, à savoir les futurs locataires des logements à construire.
Ils soutiennent que les personnes qui subiraient le préjudice induit par l’acte déféré ne seraient pas au nombre indéterminé, mais seraient celles qui ont utilisé le domaine public en question dans le passé, respectivement celles qui ont acheté une propriété à Altrier.
La décision viserait, dès lors, une situation individuelle, étant donné qu’elle ne concernerait non pas toute une zone du territoire communal, comportant une multitude de terrains et de propriétés, mais qu’elle se rapporterait à deux parcelles cadastrales bien précises.
Ils donnent encore à considérer que même si la décision querellée était considérée comme un acte administratif réglementaire, leurs arguments resteraient valables, notamment en ce qui concerne la nécessité de l'existence de motifs à sa base.
Quant au moyen ayant trait à un défaut d’intérêt à agir, les requérants soulignent qu’ils seraient des voisins immédiats des parcelles sur lesquelles le projet sera implanté et qu’en tant que habitants du village, ils subiraient les effets du projet en raison de l’exiguïté du village. Ils font encore valoir que le site concerné aurait servi depuis des générations comme place villageoise, qui aurait été « le fondement et le moteur de la vie collective » et aurait dans ce contexte servi à l'organisation des fêtes villageoises.
Ils donnent encore à considérer que « l’existence d'une communauté villageoise et la conscience d'un esprit de société [serait] important pour le développement et l'avenir de leurs enfants qui seront les adultes de demain ».
Les requérants ajoutent ensuite qu’ils disposeraient d’un intérêt à agir en leur qualité de contribuables, alors que le projet engendrerait des dépenses pour la collectivité qui auraient pu être évitées, si la commune avait pris en considération leurs propositions alternatives.
Les requérants soutiennent que le projet serait suffisamment concret pour être considéré comme « fait vérifié », étant donné qu’il existerait des plans détaillés de la résidence et du parking ainsi que de leur implantation sur le domaine public. Il serait dès lors « facile d'en déduire les conséquences qu'aura[it] la réalisation du projet sur le domaine public et sur les valeurs qu'y attache[eraient] les requérants, habitants du village ».
Ils estiment qu'il ne serait pas nécessaire d'attendre l'autorisation de construire pour manifester leur intérêt. Leur grief serait concret et imminent. Ils exposent que s’ils devaient attendre l'autorisation de construire pour s'opposer au projet, « tant de choses ser[aient] devenues définitives que les chances pour revenir en arrière [seraient] pratiquement inexistantes ».
Ils font ensuite valoir qu’il serait de jurisprudence que l'intérêt pourrait être futur s’il est certain, sinon probable. En l’espèce, il n’y aurait pas de doute sur la volonté de la commune de réaliser le projet, étant donné qu’elle aurait réitéré sa volonté de poursuivre le projet, malgré l'opposition des habitants du village, volonté qui se serait manifestée à travers la délibération du conseil communal concernant la constitution d'un droit d'emphytéose en faveur de la FAL.
Les requérants en déduisent un intérêt à agir certain et non seulement probable dans leur chef.
10 Ils donnent ensuite à considérer que la jurisprudence n'exigerait pas que le dommage invoqué soit déjà entièrement réalisé, mais suivrait le principe de précaution selon lequel il y aurait lieu de préférer des mesures pour prévenir le dommage que d'attendre que le dommage soit réalisé et ensuite essayer de l'éliminer ex post.
Quant à l’argument de la commune selon lequel les requérants ne rapporteraient pas la preuve qu’ils seraient individuellement et directement affectés par la délibération communale, ils rétorquent que le fait de défendre « l'intérêt collectif de tous les habitants du village à la conservation d'un noyau du village et de la qualité de vie y relative, ne signifie[rait] nullement que chacun des requérants n'est pas en même temps affecté individuellement ».
Ils expliquent à cet égard que beaucoup de personnes qui choisiraient de vivre dans un village à la campagne parce qu'ils rechercheraient un aspect de la vie qui n'existerait dans les villes caractérisées par une plus grande anonymité. « Ce besoin de se sentir impliqué dans un entourage de connaissances, une recherche de contacts dans la vie réelle (et non seulement contacts virtuels sur internet) devien[drait] de plus en plus fort dans la société actuelle, caractérisée par l'isolation et l'individualisation progressives. Il s'agi[rait] d'un problème fondamental dont les répercussions [iraient] très loin : ainsi on constate[rait] le développement de maladies nouvelles dues à la solitude dans les formes de vie moderne ». Les requérants en déduisent qu’il serait « compréhensible » qu’ils « s'investi[raient], chacun pour son propre compte, afin de s'assurer que des éléments essentiels du cadre de vie, pour lesquels [ils auraient] choisi de vivre dans un village, soient conservés. ».
Ils donnent à considérer qu’ils auraient participé aux nombreuses manifestations de la vie publique et commune qui se seraient déroulées sur les lieux publics destinés à accueillir les constructions à affectation purement privée.
Les requérants expliquent que l’intérêt à agir se manifesterait de manière différente selon les personnes. Ainsi, les personnes qui se sont installées dans le village auraient investi dans un immeuble pour y vivre dans un contexte villageois qui risquerait « d'être bouleversé », dans la mesure où il n’y aurait plus de vie sociale au village, défaut qui ne serait pas compensé par un jardin privé. Les personnes, qui sont originaires du village l'auraient connu dans le passé et souhaiteraient conserver les valeurs qui auraient caractérisé la vie sociale dans le village durant leur vie. Les personnes âgées seraient particulièrement dépendantes de lieux de rencontre dans les environs immédiats. Les personnes de nationalité non luxembourgeoise auraient choisi de s’installer au village afin de nouer plus facilement des contacts.
Ils insistent sur le fait qu’à l'endroit où se serait trouvé dans le passé le domaine public avec ses aménagements et ses utilisations, se retrouverait dorénavant une résidence à 5 ou 6 logements. Ainsi, non seulement leur vue serait fortement altérée, mais également « les utilisations et leurs fréquences seraient plus difficiles à supporter que celles du passé ».
S’ajouterait encore que quelques requérants seraient les voisins directs du projet litigieux, de sorte que « leur situation sera[it] globalement aggravée ».
Analyse du tribunal 11En vue de toiser utilement la compétence d’attribution du tribunal en la matière, il convient en tout premier lieu de dégager si l’acte déféré du conseil communal du 25 février 2022 constitue une décision administrative individuelle visée par l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 ou si, par contre, il s’agit d’un acte administratif à caractère réglementaire visé par son article 7, précité.
Il échet de rappeler que le fait qu'un acte est susceptible d'avoir des effets sur un nombre indéterminé de personnes suffit à lui seul pour lui conférer le caractère d'un acte réglementaire, même s'il n'établit pas de mesure générale et abstraite1.
La délibération communale déférée, telle que prérelatée, a pour objet le déclassement des parcelles du domaine public communal au domaine privé communal.
Un tel acte s’impose à l’ensemble des citoyens, étant donné qu’il est de nature à affecter un bien placé préalablement sous le régime particulier du domaine public destiné à garantir la destination publique du bien en cause ou d’assurer son affectation à un service public2, au domaine privé communal. Ladite démarche s’est imposée en l’espèce à la commune en raison du fait que les biens du domaine public communal sont inaliénables, de sorte que l’autorité communale était obligée, afin de pouvoir conclure un bail emphytéotique avec la FAL, de déclasser les parcelles en domaine privé communal.
Il s’ensuit que la délibération communale déférée, de par son objet, s’analyse en mesure d’ordre général et impersonnel, partant en mesure réglementaire.
Le tribunal administratif est compétent pour connaître des recours en annulation dirigés contre toute disposition à caractère réglementaire, peu importe que ledit acte administratif à caractère réglementaire est ou n'est pas de nature à produire un effet direct sur les intérêts privés d'une ou de plusieurs personnes ou qu'il nécessite, en vue d'affecter immédiatement la situation d'une telle personne, la prise d'un acte administratif individuel d'exécution, cette question devant être examinée lors de l'analyse de la recevabilité du recours dans le cadre de l'appréciation de l'intérêt à agir3.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation – aucune disposition législative ne prévoyant un recours au fond en la présente matière - introduit à l’encontre de la délibération du conseil communal déférée, indépendamment, à ce stade, de la question de l’intérêt à agir des requérants, qui sera apprécié dans le cadre de la recevabilité du recours ci-après.
Il appartient ensuite au tribunal, dans le cadre de l’appréciation de la recevabilité du recours, de vérifier si l’acte réglementaire déféré est de nature à produire un effet direct sur les intérêts privés des requérants.
En effet, un demandeur doit justifier d'un intérêt personnel distinct de l'intérêt général.
Par ailleurs, concernant le caractère direct de l'intérêt à agir, pour qu'il puisse être reçu à agir contre un acte administratif à caractère réglementaire, il ne suffit pas qu'il fasse état d'une 1 Cour adm., 17 juin 1997, n° 9481C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Compétence, n° 30.
2 Dans ce sens : Conseil d’Etat belge, 2 mars 2011, n° 211.712 du rôle, La SA Tennis Club du Bois de la Cambre c/ La Commune d’Ixelles.
3 Trib. adm., 26 septembre 2001, n° 11992 du rôle, confirmé par Cour adm., 6 juin 2002, n° 14136C du rôle, Pas.
adm. 2023, V° Actes réglementaires, n° 2 et les autres références y citées.
12affectation de sa situation, mais il doit établir l'existence d'un lien suffisamment direct entre l'acte querellé et sa situation personnelle. Finalement, la condition relative au caractère né et actuel, c'est-à-dire au caractère suffisamment certain, de l'intérêt invoqué implique qu'un intérêt simplement éventuel ne suffit pas pour que le recours contre un acte administratif à caractère réglementaire soit déclaré recevable4.
Ainsi, le recours contentieux contre un acte réglementaire n'est recevable que si l'annulation est susceptible de profiter personnellement et directement au requérant en ce sens que sa situation, de fait ou de droit, doit s'en trouver améliorée. Sont à considérer comme intérêts directs les intérêts que l'acte attaqué touche sans interposition d'un lien de droit ou de fait étranger à la relation entre le requérant et cet acte, étant entendu que le jour de l'introduction du recours vaut comme point de référence pour apprécier la recevabilité et partant les questions d'intérêt à agir5.
Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’intérêt à agir est l’utilité que présente pour le requérant la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter6, étant souligné que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés7.
En effet, l’exigence d’un intérêt direct suppose, d’une part, qu’une relation causale existe entre l’acte entaché d’irrégularité et le tort, et d’autre part, que cette liaison causale présente un intérêt direct8.
Le tribunal constate que les arguments mis en avant par les requérants sont manifestement insuffisants pour justifier d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt général, tel que circonscrit plus en avant par le tribunal. En effet, le tribunal se doit tout d’abord de relever que les requérants restent en défaut d’expliquer dans quelle mesure le déclassement des parcelles du domaine public communal en domaine privé communal est concrètement de nature à affecter négativement leur situation personnelle d’administrés en droit et en fait.
Ainsi, l’intérêt pour agir implique non seulement qu’un mal ait été éprouvé, mais encore que la mesure sollicitée remédie à ce mal9 : l’annulation doit apporter au requérant une satisfaction effective.
Outre le fait que la seule situation de voisinage ne saurait suffire aux fins d’intérêt à agir à l’encontre d’un acte administratif concernant les parcelles voisines, il convient encore de constater de manière générale qu’il ressort des développements des requérants que ces derniers sont gênés davantage par le futur projet de construction planifié sur les parcelles litigieuses que 4 Trib. adm., 15 mai 2022, n° 14420 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 janvier 2004, n° 16628C du rôle, Pas.
adm., 2023, V° Procédure contentieuse, n° 39 et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 25 juin 2008, 22066 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 39 et les autres références y citées.
6 Voir Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, V° Recours pour excès de pouvoir (Conditions de recevabilité), n° 247.
7 Trib. adm. prés. 27 septembre 2002, n° 15373, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées.
8 J. Falys, La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, Bruylant, 1975, n° 175, p.149.
9 Trib. adm. 5 janvier 2009, n° 23987, confirmé par arrêt du 11 juin 2009, n° 25409C, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 50 et les autres références y citées.
13par le déclassement des parcelles du domaine public communal en domaine privé communal, les requérants n’avançant en effet aucun argument en lien avec les effets de ce déclassement.
En effet, les requérants n’expliquent pas de manière convaincante dans quelle mesure le déclassement du domaine public communal en domaine privé communal, étranger à des mesures d’urbanisation qu’ils craignent sur les parcelles litigieuses, est concrètement susceptible d’impacter d’une quelconque manière négativement leur qualité de vie, respectivement la vie collective du village, de sorte qu’ils ne peuvent pas non plus se prévaloir d’un intérêt à agir personnel et direct de ce chef.
En effet, il ressort des développements de la FAL, non contestés par les requérants, que les parcelles abritent une ancienne école et une cour de récréation et que, depuis 2015, l’école est fermée et utilisée par le centre d’initiative et de gestion régional du canton de Grevenmacher, de sorte que ledit bâtiment n’était déjà plus ouvert au public depuis une certaine durée.
Il suit de tout ce qui précède qu’une annulation de l’acte déféré n’aurait pas comme effet de mettre fin au vrai grief des requérants, à savoir le projet de construction de logements sociaux dont ils redoutent les répercussions négatives sur leur qualité de vie.
Ce constat ne saurait être infirmé par l’argument des requérants aux termes duquel ils s’opposeraient au projet de construction d’une résidence à quatre logements pour des personnes exposées à la précarité, en leur qualité de contribuables, étant donné que ledit projet engendrerait des dépenses pour la collectivité qui auraient pu être évitées, dans la mesure où ils restent en défaut d’expliquer en quoi la délibération du conseil communal décidant du déclassement du domaine public communal en domaine privé communal est concrètement et per se de nature à affecter leur situation de contribuables, voire de leur imposer des charges financières quelconques.
Il suit de tout ce qui précède qu’il n’est pas démontré en quoi l’acte déféré affecterait directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des parcelles habitées par les requérants d’une telle manière que ceux-ci verraient leur situation s’aggraver effectivement et réellement.
Il suit des considérations qui précèdent que les requérants ne justifient pas d’un intérêt suffisant à agir à l’encontre de la délibération déférée, de sorte que le recours est à déclarer irrecevable dans leur chef.
S’agissant de la demande tendant à l’obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de 10.000 euros formulée par les requérants sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. », il échet de retenir qu’au vu de l’issue du litige cette demande est à rejeter.
La demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de 10.000 euros de la part de la commune est, elle aussi, à rejeter, étant donné qu’elle n’a pas établi qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens.
Par ces motifs, 14 le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en annulation irrecevable ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées par les requérants, respectivement l’administration communale de Bech ;
condamne les requérants aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 janvier 2025 par :
Alexandra CASTEGNARO, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Alexandra CASTEGNARO 15