Tribunal administratif N° 47315 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47315 5e chambre Inscrit le 14 avril 2022 Audience publique du 20 décembre 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée (AA) SARL, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47315 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2022 par la société à responsabilité limitée LOYENS & LOEFF SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2540 Luxembourg, 18-20, rue Edward Steichen, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B174248, au nom de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par ses gérants actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 17 janvier 2022, référencée sous le numéro 1, ayant déclaré irrecevable la réclamation introduite le 26 octobre 2021 à l’encontre des bulletins de la bonification d'impôt pour investissement des années 2016 et 2017 et des bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités des années 2016 et 2017, tous émis le 28 juillet 2021 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 juillet 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 6 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par la société LOYENS & LOEFF SARL, préqualifiée, pour le compte de la société à responsabilité limitée (AA) SARL préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER et Maître Pierre-Antoine KLETHI, en remplacement de Maître Petrus MOONS, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 mai 2024.
Par courrier du 25 juin 2021, le bureau d’imposition Sociétés 1 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », informa la société à responsabilité limitée (AA) SARL ci-après désignée par « la société (AA) », de son intention, sur le fondement du § 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO », d’effectuer des redressements sur les déclarations fiscales de la société (AA) pour les années 2016 et 2017 concernant les 1bonifications d’impôt pour investissement, tout en l’invitant à formuler ses éventuelles objections éventuelles jusqu’au 16 juillet 2021 au plus tard.
En date du 28 juillet 2021, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (AA) les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2016 et 2017, ci-après désignés par « les bulletins d’imposition ».
Par courrier du 25 octobre 2021, réceptionné le 26 octobre 2021, la société (AA) représentée par Monsieur (A), en sa qualité de VP Global Tax, et Madame (B), en sa qualité de Senior Tax Manager, introduisit une réclamation contre les bulletins d’imposition auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur ».
Par courrier du 28 octobre 2021, le secrétaire de la division Contentieux de l’administration des Contributions, ci-après désignée par « l’administration », invita Monsieur (A) et Madame (B), sur base des §§ 107, 238 et 254 AO, à justifier pour le 29 novembre 2021 au plus tard de leurs pouvoirs d’agir en versant au dossier leurs procurations établissant leurs mandats exprès et spéciaux pour la réclamation introduite pour le compte de la société (AA).
Par courrier du 17 novembre 2021, Madame (B) transmit à l’administration un courrier, intitulé « Power of Attorney », daté du 12 novembre 2021, libellé comme suit :
« […] (AA), a société anonyme incorporated under the laws of Luxembourg, having its registered office at …, Grand-Duchy of Luxembourg, registered in the Luxembourg Trade and Companies' Register (R.C.S. Luxembourg) under number … (the "Company"), duly represented by the undersigned in his capacity as authorised signatory, hereby nominates, constitutes and appoints (A) and (B), each having his/her professional address at …, Luxembourg, (the "Attorneys" and each an "Attorney") as duly authorized representatives of the Company.
The Company hereby grants a power of attorney to each Attorney to act on Company's behalf and to bind the Company with his/her sole signature in relation to all tax matters, and particularly (i) to represent the Company in any proceedings in Luxembourg, including, but not limited to, in front of the Luxembourg tax jurisdictions (juridictions administratives) and the Luxembourg Directeur des contributions directes, (ii) to sign any tax related documents as deemed necessary by an Attorney and (iii) to discuss with, to make statements to and to take decisions towards Luxembourg tax authorities (including in the context of any proceedings), in particular Administration des contributions directes du Grand-Duché de Luxembourg, and any other relevant Luxembourg authorities.
This power of attorney granted hereby shall include the power of substitution.
This power of attorney is effective as of 01.01.2021 until 31.12.2022 (the "Term").
This power of attorney expires immediately as soon as one of the following occurs:
1.
Expiry of the Term;
2.
Non-compliance with legal and regulatory requirements by an Attorney; or 3.
Termination of employment contract between an Attorney and the Company or any of the Company's subsidiary.
2This power of attorney is not remunerated. […] ».
Par le même courrier du 17 novembre 2021, Madame (B) transmit à l’administration un courrier, intitulé « Power of Attorney », daté du 15 novembre 2021, signé par Monsieur (C) et Monsieur (D), libellé comme suit :
« (AA), a société à responsabilité limitée incorporated under the laws of Luxembourg, having its registered office at …, Grand-Duchy of Luxembourg, registered in the Luxembourg Trade and Companies' Register (R.C.S. Luxembourg) under number … (the "Company"), duly represented by the undersigned in their capacity as directors, hereby nominates, constitutes and appoints (A) and (B) each having his/her professional address at …, Luxembourg, (the "Attorneys" and each an "Attorney") as duly authorized representatives of the Company.
The Company hereby grants a power of attorney to each Attorney to act on Company's behalf and to bind the Company with his/her sole signature in relation to all tax matters, and particularly (i) to represent the Company in any proceedings in Luxembourg, including, but not limited to, in front of the Luxembourg tax jurisdictions (juridictions administratives) and the Luxembourg Directeur des contributions directes, (ii) to sign any tax related documents as deemed necessary by an Attorney and (iii) to discuss with, to make statements to and to take decisions towards Luxembourg tax authorities (including in the context of any proceedings), in particular Administration des contributions directes du Grand-Duché de Luxembourg, and any other relevant Luxembourg authorities.
This power of attorney granted hereby shall include the power of substitution.
This power of attorney is effective as of 01.01.2021 unti1,31.12.2022 (the "Term").
This power of attorney expires immediately as soon as one of the following occurs:
1.
Expiry of the Term;
2.
Non-compliance with legal and regulatory requirements by an Attorney; or 3.
Termination of employment contract between an Attorney and the Company or any of the Company's subsidiary.
This power of attorney is not remunerated. […] ».
Par courrier du 19 novembre 2021, l’administration invita Monsieur (A) et Madame (B), sur base des §§ 107, 238 et 254 AO, à justifier pour le 29 novembre 2021 au plus tard, de leurs pouvoirs d’agir en versant au dossier la procuration établissant leurs mandats exprès et spéciaux pour la réclamation introduite pour le compte de la société (AA) en remplissant le formulaire « confirmation de mandat » joint audit courrier.
Pour courrier du 24 novembre 2021, réceptionné le lendemain, Madame (B) transmit à l’administration le formulaire « confirmation de mandat » complété et daté du 24 novembre 2021.
Par décision du 17 janvier 2022, référencée sous le numéro 1 du rôle, le directeur déclara la réclamation introduite par Monsieur (A) et Madame (B) au nom de la société (AA) irrecevable faute de qualité. Cette décision est libellée comme suit :
3« […] Vu la requête introduite le 26 octobre 2021 par le sieur (A) et la dame (B), de la société anonyme (AA), au nom de la société à responsabilité limitée (AA), avec siège social à L-…, pour réclamer contre les bulletins de la bonification d'impôt pour investissement des années 2016 et 2017, réunis en un même écrit avec les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités des années 2016 et 2017, tous émis le 28 juillet 2021;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que le § 254, alinéa 2 AO autorise le directeur de l'Administration des contributions directes à exiger d'un mandataire une preuve écrite de son mandat (« Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen.»);
Considérant qu'en droit luxembourgeois, pour pouvoir exercer l'action d'autrui, il faut justifier en toutes matières d'un mandat ad litem exprès et spécial aux fins de l'instance ;
Considérant que « l'acte d'introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l'imposition revue le cas échéant in pejus, présente un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l'intéressé ; qu'une procuration afférente doit dès lors être non seulement expresse, mais encore de nature à renseigner clairement l'intention du mandant d'investir le mandataire du pouvoir d'agir par la voie d'une réclamation à l'encontre d'une décision déterminée avec toute la précision requise »;
Considérant qu'en l'espèce, faute de procuration jointe, les déposants ont dû être invités par lettre du 28 octobre 2021 à justifier de leur pouvoir d'agir en versant au dossier une procuration qui établit leur mandat exprès et spécial pour les instances introduites ;
Considérant qu'il est de jurisprudence constante qu'une procuration expresse et spéciale doit avoir existé antérieurement à l'introduction d'une réclamation ; qu'il a notamment été retenu « que le mandataire d'un contribuable doit prouver l'existence d'un mandat spécial et exprès au moment de l'introduction de la réclamation pour le compte de son mandant, le tribunal, statuant dans le cadre d'un recours en réformation, peut prendre en compte des pièces qui n'étaient pas à la disposition du directeur au moment où ce dernier a pris sa décision, sous condition que le mandat versé pendant la phase contentieuse ait été antérieur à l'introduction de la réclamation litigieuse » ;
Considérant qu'« en effet que si le paragraphe 254 alinéa 2 de la loi générale des impôts (AO) porte que « Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen », disposition muette sur la date à laquelle devrait exister le pouvoir visé, il n'en est pas moins que l'invitation à verser une procuration doit être entendue en ce sens qu'il s'agit de communiquer à l'administration la procuration existante qui aura pu manquer au dossier, rendant ainsi incertaine l'existence de la qualité d'agir du mandataire et non pas de faire rédiger a posteriori une procuration, un mandataire n'ayant pu introduire la réclamation pour compte d'autrui qu'au cas où il était muni d'une procuration spéciale et expresse à cette fin » ;
Considérant que le 17 novembre 2021, la dame (B) a fait parvenir deux procurations, 4entrées en date du 19 novembre 2021, la première signée par le sieur (D) en date du 12 novembre 2021 et la seconde signée par les sieurs (D) et (C) en date du 15 novembre 2021;
que cependant lesdites procurations font état d'un mandat de nature générale, alors qu'en matière fiscale, l'existence d'un pouvoir exprès et spécial est requise pour représenter et agir pour autrui au contentieux des impôts directs ; qu'en conséquence, l'existence d'un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l'introduction des réclamations n'a pas été établi ;
Considérant qu'à défaut de répondre aux exigences d'un mandat ad litem en bonne et due forme, les déposants ont encore une fois été invités par la présente instance à produire une procuration par lettre du 19 novembre 2021 ;
Considérant que le 24 novembre 2021, la dame (B) a envoyé une « CONFIRMATION DE MANDAT » signée, datée et entrée en date du 25 novembre 2021 ; que cette procuration est donc datée postérieurement à l'introduction de la requête du 26 octobre 2021, d'ailleurs tout comme celles du 12 et 15 novembre 2021, et même postérieurement au dernier jour utile pour l'introduction d'une réclamation ;
Considérant qu'il convient en outre et à titre superfétatoire de relever que l'article 19 des statuts du 17 juin 2016 de la réclamante prévoit expressément que : « La Société sera valablement engagée vis-à-vis des tiers en toutes circonstances (i) par la signature du gérant unique, ou, si la Société a plusieurs gérants, par la signature conjointe de deux (2) gérants, ou (ii) par la signature conjointe ou la seule signature de toute(s) personne(s) à laquelle/auxquelles pareil pouvoir de signature aura été délégué par le conseil de gérance, dans les limites de cette délégation. » ; que force est de constater que la procuration versée le 25 novembre 2021 n'a été signée que par le seul sieur (C) alors qu'à la date de l'introduction des réclamations en question, la réclamante a été gérée par trois gérants, en l'occurrence les sieurs (E), (D) et (C); qu'il en découle que le sieur (C), en sa qualité de gérant, n'avait pas qualité pour introduire sous sa seule signature au nom et pour compte de la réclamante des réclamations devant l'Administration des contributions directes ; que la réclamante n'a dès lors pas été valablement représentée vis-à-vis de l'Administration des contributions directes à défaut de signature conjointe de la procuration susvisée ;
Considérant qu'il découle de tout ce qui précède que l'existence d'un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l'introduction des réclamations n'est pas établie et que, partant, les réclamations contre les bulletins de la bonification d'impôt pour investissement des années 2016 et 2017, réunis en un même écrit avec les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités des années 2016 et 2017 sont irrecevables faute de qualité ;
PAR CES MOTIFS dit les réclamations irrecevables faute de qualité. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2022, la société (AA) a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision directoriale, précitée, du 17 janvier 2022.
1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours 5Il résulte de la lecture combinée des dispositions du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 », que le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation introduite contre un bulletin d’impôt.
Le tribunal est dès lors compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision directoriale susmentionnée du 17 janvier 2022, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
2) Quant au fond Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours et en fait, la société demanderesse reprend en substance les rétroactes exposés ci-avant, en précisant qu’elle serait une filiale du « groupe (AA) ».
En droit et à titre principal, la société demanderesse fait valoir que la « procuration » soumise au directeur confirmerait « indubitablement » que Madame (B) et Monsieur (A) auraient disposé d’un « mandat » pour introduire la réclamation litigieuse en son nom et pour son compte.
Elle conteste tout d’abord la position de l’administration selon laquelle un mandat ad litem serait nécessaire pour introduire une réclamation, en se référant, d’une part, au fait que le directeur n’aurait plus la qualité d’instance judiciaire depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1987, de la loi du 7 novembre 1996, et, d’autre part, au jugement du tribunal administratif du 29 janvier 2007, inscrit sous le numéro 21494 du rôle.
Sur base des §§ 238 et 102, alinéa (2) AO, la société demanderesse soutient, ensuite, que le destinataire d’un bulletin d’impôt serait autorisé à introduire une réclamation contre celui-ci et à se faire représenter selon les règles du droit civil quant à la capacité d’agir des personnes privées. A cet égard, elle cite l’article 1987 du Code civil selon lequel un mandat « est ou spécial et pour une affaire ou certaines affaires seulement, ou général et pour toutes les affaires du mandat » et l’article 1985 du même code selon lequel « […] [le mandat] peut aussi être donné verbalement […] ».
La société demanderesse affirme qu’il y aurait eu des discussions internes, avant le 26 octobre 2021, entre Monsieur (C), qui serait le directeur financier du « groupe (AA) » et son propre gérant, et Monsieur (A) concernant le projet de dépôt de la réclamation contre les bulletins des années d’imposition 2016 et 2017. Elle insiste sur le fait qu’après discussion avec Monsieur (D), un autre de ses gérants, un « mandat oral » aurait été donné par Monsieur (C) et Monsieur (D) à Monsieur (A) et Madame (B) pour le dépôt de ladite réclamation.
La société demanderesse fait encore valoir que la « procuration » datée du 15 novembre 2021 aurait été signée par deux de ses gérants, laquelle ne porterait que sur les affaires en matière fiscale et ne serait applicable que sur la période du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2022, de sorte qu’il s’agirait bien d’un « mandat » spécial et non général.
6 Elle affirme que la date de la « procuration » ainsi que le contexte dans lequel elle aurait été signée par ses gérants révèleraient l’existence d’un « mandat » spécial et exprès octroyé à Madame (B) et à Monsieur (A) antérieurement à l’introduction de la réclamation.
La société demanderesse soutient, enfin, à l’appui d’un jugement du 1er mars 2019 du tribunal administratif, inscrit sous le numéro 40208 du rôle, que la preuve serait libre en matière fiscale, de sorte que l’existence d’un mandat donné à Madame (B) et à Monsieur (A) pour le dépôt de la réclamation pourrait être établie par un faisceau d’indices.
A cet égard, la société demanderesse fait valoir, en premier lieu, qu’une confirmation de l’existence d’un mandat antérieur à l’introduction de la réclamation aurait été émise en date du 24 novembre 2021 sur base d’un formulaire fourni par l’administration. En ce qui concerne la date de la « confirmation de mandat », la société demanderesse s’étonne de la position de l’administration, arguant que la « confirmation de mandat », nécessairement datée postérieurement à la réclamation, ne constituerait pas le mandat lui-même mais attesterait simplement par écrit de l’existence dudit mandat au moment du dépôt de la réclamation. Quant à la signature de la confirmation, la société demanderesse affirme que ses statuts l’autoriseraient à être valablement représentée par la signature unique d’un gérant, à condition qu’il y ait une délégation de pouvoir de signature par le conseil de gérance, et qu’il ne serait pas exigé qu’une telle délégation soit explicitement inscrite dans les minutes du conseil de gérance. De plus, elle soutient qu’il ressortirait clairement de la « procuration » que deux gérants, représentant la majorité du conseil de gérance, auraient confirmé le « mandat » donné à Madame (B) et Monsieur (A), de sorte que la confirmation de « mandat » ne saurait être critiquée au motif qu’elle n’aurait été signée que par Monsieur (C).
Elle affirme, en deuxième lieu, que les positions respectives de Monsieur (A) qui occuperait la fonction de « Vice President, Global Tax » en étant ainsi le « principal responsable du groupe pour tout ce qui concerne les questions fiscales », et de Madame (B) qui exercerait la fonction de « Senior Manager, Tax » au sein du « groupe (AA) » entraineraient une présomption que ses gérants leur auraient donné « mandat » pour introduire une réclamation.
La société demanderesse donne à considérer, en troisième lieu, que la « procuration », indépendamment de sa rédaction éventuellement « trop générale », confirmerait de manière « claire » que Monsieur (D) et Monsieur (C) auraient souhaité donner pouvoir à Monsieur (A) et à Madame (B) de déposer la réclamation.
A titre subsidiaire, la société demanderesse affirme, en citant un extrait du jugement du tribunal administratif du 9 juillet 2013, inscrit sous le numéro 31454 du rôle, qu’il serait admis d’établir l’existence d’un mandat exprès et spécial pour introduire la réclamation encore au stade du recours devant le tribunal administratif, et entend rapporter cette preuve par le fait même de l’introduction du présent recours qui aurait vocation à confirmer l’existence du « mandat » et cautionner l’introduction de la réclamation par Madame (B) et Monsieur (A).
La société demanderesse ajoute que si la question de la nécessité d’un mandat spécial pour le dépôt d’une réclamation pourrait légitimement se poser par rapport à des mandataires tiers, elle soutient qu’il serait en revanche difficile de concevoir qu’une filiale ne cautionne pas une réclamation introduite par de « hauts représentants de la direction fiscale du groupe auquel elle appartient ».
7 La société demanderesse s’appuie, enfin, sur une attestation écrite de la part de ses gérants pour « cautionn[er] pleinement l’introduction de la Réclamation ».
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
En premier lieu, il soutient qu’au jour du dépôt de la réclamation, les signataires de celle-ci n’auraient pas disposer d’un mandat ad litem spécial et écrit.
Pour exclure l’existence d’un tel mandat écrit, le délégué du gouvernement se prévaut, tout d’abord, du § 254, alinéa 2 AO suivant lequel le directeur serait en droit d’exiger la preuve d’un tel mandat. Il renvoie ensuite à un arrêt de la Cour administrative du 21 octobre 2021, inscrit sous le numéro 45977C du rôle, dont il ressortirait qu’une procuration doit être expresse et spéciale et renseigner clairement de l’intention du mandat d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise.
Le délégué du gouvernement en conclut qu’un « mandat oral » serait insuffisant, et que la procuration générale du 15 novembre 2021 ne saurait « purger » rétroactivement le défaut d’un écrit spécial, d’autant qu’elle serait postérieure à la réclamation.
La confirmation du mandat du 24 novembre 2021 ne saurait non plus être valable, dès lors qu’elle aurait été signée par un seul administrateur, alors que les statuts de la société demanderesse prévoiraient la signature conjointe de deux de ses représentants pour l’engager.
Il affirme également que l’« attestation » du 6 avril 2022 ne serait pas de nature à régulariser le « vice ».
Pour exclure le caractère spécial du mandat litigieux, le délégué du gouvernement se réfère à l’arrêt précité et à un jugement du tribunal administratif du 18 juin 2021, inscrit sous le numéro 43678 du rôle, pour soutenir qu’il serait de jurisprudence constante que le mandat produit en cours de procédure devrait avoir été antérieur à l’introduction de la réclamation, et qu’il serait exclu de rédiger une procuration a posteriori.
En dernier lieu, le délégué du gouvernement affirme que la société (AA) aurait été le « réel mandataire pour réclamer », en ce sens que ce serait la société (AA) qui aurait eu l’intention de réclamer. Or, comme il ne serait pas prouvé, ni affirmé que la société (AA) aurait disposé d’un mandat ad litem, toutes les pièces versées seraient à écarter des débats pour défaut de pertinence.
A l’appui de son argumentation, il soutient que la réclamation du 25 octobre 2021 aurait été signée par les consorts (A)-(B) pour le compte de la société (AA), alors que la procuration du 15 novembre 2021 aurait été libellée en faveur des signataires, et non de la société (AA). Il relève, par ailleurs, que la réclamation du 25 octobre 2021 porterait l’en-tête de la société (AA), tandis que le bas de page ferait référence à la société (AA). De même, il donne à considérer que le courrier d’accompagnement de la confirmation du mandat porterait également l’en-tête de la société (AA) et ferait référence, en bas de page, à la société demanderesse. Le délégué du gouvernement fait encore valoir que la confirmation de mandat désignerait les signataires en leurs noms personnels comme mandataires.
8 Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse reproche à la partie étatique d’ériger à tort la formalité de l’écrit en une condition de validité du mandat, alors que le § 102, alinéa (2) AO renverrait aux dispositions du droit civil, et plus particulièrement à l’article 1984 du Code civil, selon lequel le mandat serait un contrat consensuel, ainsi qu’à l’article 1985 du Code civil, suivant lequel le mandat pourrait être donné verbalement. La société demanderesse affirme que cette interprétation aurait toujours été admise par la jurisprudence administrative, dont notamment un jugement du tribunal administratif du 15 juillet 2002, inscrit sous le numéro 14352 du rôle.
Quant à l’existence du mandat verbal, la société demanderesse insiste sur fait qu’elle serait établie par un faisceau d’indices constitué par la « procuration » datée du 15 novembre 2021, par l’extrait de la présentation effectuée par le département fiscal au conseil de gérance en octobre 2021, par les échanges avec le bureau d’imposition dans le cadre du § 205, alinéa (3) AO précédant l’introduction de la réclamation qui auraient tous été menés par Madame (B) et Monsieur (A) dans le cadre de leurs fonctions de responsables en matière d’impôts au sein du « groupe (AA) » et, enfin, par le fait qu’elle aurait ratifié à plusieurs reprises l’introduction de la réclamation.
La société demanderesse fait valoir que la finalité première de l’exigence de la justification d’un mandat pour le dépôt d’une réclamation serait une mesure destinée à protéger le contribuable envers les agissements d’un mandataire qui dépasserait le cas échéant ses pouvoirs en déposant une réclamation à l’insu de son mandant, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
Quant au caractère exprès et spécial de la « procuration », la société demanderesse soutient que celle-ci ne prévoirait une validité que pour la période du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2022 et qu’elle aurait été signée le 15 novembre 2021, soit deux semaines après la demande de justification du mandat par le bureau d’imposition datée du 28 octobre 2021, de sorte qu’il ne subsisterait aucun doute au fait que l’objet de la « procuration » serait de confirmer la validité de l’introduction de la réclamation du 26 octobre 2021. La société demanderesse se réfère, à cet égard, à un arrêt de la Cour administrative daté du 17 juin 2010, inscrit sous le numéro 26643C du rôle.
En ce qui concerne la personne à l’origine de la réclamation, la société demanderesse affirme tout d’abord qu’elle l’aurait déposée elle-même par l’intermédiaire de Madame (B) et de Monsieur (A) et non pas la société (AA) comme l’affirmerait à tort la partie étatique. Elle soutient qu’il serait indiqué dans les premières lignes de la réclamation que celle-ci serait introduite contre les bulletins émis à son encontre et que ce seraient ses coordonnées détaillées qui seraient mentionnées sur chaque page de la réclamation. Elle explique que Madame (B) et Monsieur (A) agiraient dans le cadre du « modèle d’entreprise unifiée du groupe (AA) », en vertu duquel, les employés de la société (AA) rendraient des services à d’autres sociétés du « groupe (AA) ». Aussi, la société demanderesse affirme que le fait que le courrier d’accompagnement de la confirmation de « mandat » mentionnerait les coordonnées de la société (AA) et aurait été signé par Madame (B), ne serait pas de nature à contredire que la confirmation de « mandat » aurait bien été signée par Monsieur (C) en qualité de gérant.
Appréciation du tribunal 9En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant.
i) Quant à la question relative à l’identité de l’auteur de la réclamation Le tribunal est amené à constater que les parties sont d’abord en désaccord quant à l’identité de l’auteur de la réclamation. La partie étatique soutient, en substance, que ladite réclamation émanerait de la société (AA) et non de la société (AA) - destinataire des bulletins litigieux - en arguant que l’en-tête de la réclamation ferait référence à la société (AA) et que les signataires de ladite réclamation, à savoir Madame (B) et Monsieur (A), seraient tous deux employés de la société (AA).
C’est, toutefois, à juste titre que la société demanderesse conteste l’argumentation de la partie étatique, en faisant valoir que la réclamation indique de manière non équivoque, en bas de page, les références à la société (AA) écartant ainsi tout doute quant à l’identité de l’auteur de la réclamation. Il s’y ajoute que la réclamation indique explicitement être introduite contre les bulletins d’impôt émis à « l’encontre de la société (AA) » sans aucunement mentionner la société (AA). Cette conclusion ne saurait être énervée par la présence du logo du « groupe (AA) » sur la réclamation, alors qu’il est constant en cause que la société (AA) et la société (AA) appartiennent toutes deux au « groupe (AA) », et que le logo, indiquant simplement le terme « (AA) », fait référence au « groupe (AA) » et non spécifiquement à la société (AA).
Il s’ensuit que le moyen afférent de la partie étatique encourt le rejet pour ne pas être fondé.
ii) Quant à la question relative à l’existence d’un mandat spécial et exprès antérieur à, sinon au jour de, l’introduction de la réclamation Force est au tribunal de constater que les parties sont ensuite en désaccord sur la question de l’existence d’un mandat ad litem antérieur à, sinon au jour de, l’introduction de la réclamation datée du 26 octobre 2021.
Aux termes du § 238 AO, « Befugt, ein Rechtsmittel einzulegen, ist der, gegen den der Bescheid oder die Verfügung ergangen ist. Für seine Vertretung gelten der §102 Absatz 2 und die §§103 bis 110. […] ».
Il ressort de cette disposition que le destinataire d’un bulletin d’impôt désirant introduire une réclamation contre celui-ci peut se faire représenter conformément au § 102, alinéa (2) AO.
Ledit § 102 AO dispose comme suit : « (1) Für die Geschäftsfähigkeit von Privatpersonen gelten in Steuersachen die Vorschriften des bürgerlichen Rechts.
(2) Das gleiche gilt von der Vertretung und Vollmacht, soweit in den §103 bis 111 nichts anderes vorgeschrieben ist. ».
Cette disposition prévoit que les règles du droit civil sont applicables quant à la capacité d’agir des personnes privées et que ce même renvoi s’applique également en matière de mandat, sauf les dérogations établies aux §§ 103 à 111 AO.
10 A cet égard, l’article 1987 du Code civil distingue entre le mandat spécial pour une affaire ou certaines affaires seulement et le mandat général pour toutes les affaires du mandant, tandis que l’article 1988 du même Code spécifie que le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration et que s’il s’agit d’aliéner ou d’hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès. L’article 1989 précise, en outre, que le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat.
Dans la mesure où l’introduction d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu déclenche un réexamen de l’imposition par les soins du directeur et que ce réexamen peut le cas échéant aboutir, par application du § 243 AO, à une décision qui est au détriment de celui qui a introduit la réclamation (« Sie können die Entscheidung auch zum Nachteil dessen, der das Rechtsmittel eingelegt hat, ändern.»), l’introduction d’une réclamation est à considérer comme excédant un simple acte d’administration, de sorte à requérir l’établissement d’un mandat exprès1.
Dès lors, l’acte d’introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l’imposition revue, le cas échéant, in pejus, présentant un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l’intéressé, une procuration afférente doit être expresse et spéciale et renseigner clairement l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise2.
Par conséquent, le moyen de la société demanderesse fondé sur l’absence prétendue de nécessité d’un mandat ad litem pour introduire une réclamation, laisse d’être fondé et encourt le rejet.
Le tribunal relève, toutefois, qu’une réclamation n’est pas ipso facto irrecevable lorsqu’elle n’est pas accompagnée d’un tel mandat exprès et spécial au moment de son dépôt.
En revanche, un mandataire désigné par le contribuable a l’obligation de justifier de son mandat sur demande afférente de l’administration, sous peine d’irrecevabilité de la réclamation, tel que cela se dégage du § 254 AO qui dispose que « (1) Der Steuerpflichtige, oder wer sonst das Rechtsmittel eingelegt hat, kann sich im Rechtsmittelverfahren durch Bevollmächtigte vertreten lassen. Geschäftsmäßige Vertreter können zurückgewiesen werden;
dies gilt nicht für die im §107 Absatz 3 genannten Personen. Die Vorschriften des §107 Absätze 6 und 7 finden Anwendung.
(2) Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen. ».
Le § 107, alinéa (6) AO ajoute que « Hat eine Steuerverwaltungsbehörde oder ein Verwaltungsgericht (…) jemanden als Bevollmächtigten oder als Beistand zurückgewiesen, so ist das, was der Zurückgewiesene trotz der Zurückweisung schriftlich oder mündlich in Sachen eines anderen vorbringt, ohne steuerrechtliche Wirkung.».
1 Trib. adm., 20 juillet 2009, n° 25156 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°1141 et autres références y citées.
2 Cour adm., 5 novembre 2002, n°15043C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°1142 (1er volet) et autres références y citées.
11Dès lors, l’administration est en droit d’inviter l’auteur d’une réclamation à produire devant elle une procuration documentant qu’à la date de l’introduction de la réclamation, le signataire de celle-ci fut investi d’un mandat valable. L’administration est, par ailleurs, en droit de ne pas reconnaître la justification du mandat lui soumise.
Il échet de relever que l’invitation à verser une procuration doit être entendue en ce sens qu’il s’agit de communiquer à l’administration la procuration existante qui aurait pu manquer au dossier, rendant ainsi incertaine l’existence de la qualité d’agir du mandataire et non pas de faire rédiger a posteriori une procuration, un mandataire n’ayant pu introduire la réclamation pour compte d’autrui qu’au cas où il était muni d’une procuration spéciale et expresse à cette fin3.
Le contribuable est, en outre, admis à rapporter la preuve de l’existence d’un mandat exprès et spécial conféré à son présumé mandataire en cours de phase contentieuse, alors que la finalité du mandat est de permettre aux instances saisies de contrôler que la décision d’introduire une réclamation en matière fiscale a été cautionnée par le contribuable, l’exigence de la justification d’un mandat par le mandataire étant une mesure destinée à protéger le contribuable envers les agissements d’un mandataire qui dépasserait, le cas échéant, ses pouvoirs en déposant une réclamation à son insu4.
Par ailleurs, le tribunal siégeant en tant que juge de la réformation peut prendre en compte des pièces qui n’étaient pas à la disposition du directeur au moment où ce dernier a pris sa décision, sous condition que le mandat versé pendant la phase contentieuse ait été antérieur à l’introduction de la réclamation litigieuse5 et que cette antériorité ressorte clairement du libellé de la procuration émanant du contribuable concerné.
En l’espèce, il ressort des pièces soumises à l’appréciation du tribunal qu’une réclamation datée du 25 octobre 2021 a été introduite auprès du directeur contre les bulletins de la bonification d’impôt pour investissement et de l’impôt sur le revenu des collectivités 2016 et 2017, émis à l’encontre de la société (AA) le 28 juillet 2021, et que ladite réclamation a été signée par Madame (B) en sa qualité de « Tax manager » et Monsieur (A) en sa qualité de « VP Global TAX ».
Il est constant en cause qu’aucune procuration n’a été jointe à ladite lettre de réclamation, de sorte que l’administration a valablement exercé les prérogatives qui lui sont conférées par le § 254 AO en adressant, le 28 octobre 2021, un courrier à la société demanderesse, à l’attention de Madame (B) et Monsieur (A), tous deux signataires de ladite réclamation, les invitant à lui soumettre une procuration établissant que, à la date de l’introduction de la réclamation, en l’occurrence le 26 octobre 2021, ils étaient investis d’un mandat valable.
Dans le cadre du présent recours, la société demanderesse soutient que Monsieur (A) et Madame (B) auraient reçu un « mandat oral » pour introduire ladite réclamation en son nom, et se prévaut d’un faisceau d’indices tendant à corroborer l’existence d’un tel « mandat oral » au soutien de son argumentation.
3 Cour adm., 18 juillet 2007, n° 22680C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôt, n°1138.
4 Trib. adm., 13 novembre 2013, n° 31962 du rôle, confirmé par Cour adm., 3 avril 2014, n° 33764C du rôle. Pas.
adm. 2023, V° Impôts, n° 1139 (1er volet) et l’autre référence y citée.
5 Trib. adm., 12 juillet 2021, n° 43979 du rôle. Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1139 (2e volet) ; voir également Trib. adm., 18 juin 2021, n° 43678 du rôle, disponible sur le site www.jurad.etat.lu.
12 A cet égard, le tribunal retient que, contrairement à ce que soutient le délégué du gouvernement, le contribuable est admis à apporter la preuve de l’existence d’un mandat oral conféré au mandataire au moment de l’introduction par celui-ci de la réclamation en cause, le contribuable devant plus particulièrement prouver la date et les circonstances exactes dans lesquelles un tel mandat aurait été donné, la seule référence à l’article 1985 du Code civil suivant lequel le mandat peut être donné verbalement n’étant pas suffisante6.
Il convient, dès lors, d’examiner si le faisceau d’indices présenté par la société demanderesse démontre à suffisance l’existence d’un mandat oral conféré à Monsieur (A), d’une part, et à Madame (B), d’autre part, antérieurement à, sinon au jour de, l’introduction de la réclamation, soit le 26 octobre 2021.
La société demanderesse renvoie, tout d’abord, à un courrier daté du 15 novembre 2021 contenant une procuration, courrier soumis au directeur et cité in extenso ci-avant.
Force est au tribunal de relever qu’il ressort du libellé de ladite procuration, qu’elle est appelée à produire ses effets pour la période du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2022, couvrant ainsi la période au cours de laquelle la réclamation datée du 26 octobre 2021 a été introduite.
Par ailleurs, le tribunal relève que le courrier a été signé par Monsieur (C) et Monsieur (D), agissant en qualité de gérants de la société demanderesse.
En revanche, le tribunal constate que ledit courrier a été établi postérieurement à l’introduction de la réclamation litigieuse, soit après le 26 octobre 2021, et que la procuration a été rédigée en des termes généraux qui, bien qu’elle puisse être qualifiée de spéciale au sens de l’article 1987 du Code civil, dans la mesure où elle se rapporte exclusivement aux affaires fiscales de la société demanderesse, ne satisfait cependant pas aux exigences d’une procuration expresse au sens de l’article 1988 du Code civil, en raison du défaut de précision quant à sa portée, notamment en ce qui concerne la désignation expresse des bulletins contre lesquels Madame (B) et Monsieur (A) auraient été mandatés pour introduire une réclamation.
S’agissant, ensuite, de la présentation intitulée « [p]roposal to object against assessements » émanant du « Tax departement » de la société demanderesse, le tribunal retient que l’erreur relative à la date mentionnée (« presented on March 2021 ») ne peut qu’être constitutive d’une simple erreur matérielle, dans la mesure où la présentation fait état de faits survenus postérieurement à sa date d’émission, à savoir des faits survenus le 28 juillet 2021 (« On 28 July 2021 SES received tax assessments for (AA) for tax years 2016-2017 […] »), et où le courrier électronique d’accompagnement mentionne la date du 15 octobre 2021, la partie étatique ne contestant par ailleurs pas ce point.
Force est au tribunal de relever que les termes suivants ressortent de ladite présentation :
« The tax departement proposes : to object to the (AA) tax assessments », ce qui démontre qu’une discussion relative au dépôt d’une réclamation au nom de la société (AA) à l’encontre des bulletins d’imposition litigieux a pu avoir lieu postérieurement à l’émission des bulletins d’imposition litigieux et antérieurement à l’introduction de la réclamation litigieuse.
6 Cour adm., 21 octobre 2021, n° 45977C du rôle, disponible sur le site www.jurad.etat.lu.
13En revanche, le tribunal constate que la société demanderesse reste en défaut d’établir les circonstances précises de la réunion, notamment si Madame (B) et Monsieur (A) y ont assisté.
En ce qui concerne la question de la pertinence des fonctions exercées par Madame (B) et par Monsieur (A) au sein du « groupe (AA) », ainsi que des échanges qu’ils auraient eus avec le bureau d’imposition afin de déterminer l’existence d’un mandat verbal au plus tard le 26 octobre 2021, le tribunal relève certes que la réclamation introduite le 26 octobre 2021 a été signée par Madame (B) et par Monsieur (A). Toutefois, les fonctions exercées par ces derniers ne sauraient, à elles seules, suffire à leur conférer le pouvoir d’introduire la réclamation litigieuse.
En ce qui concerne, encore, le formulaire, dénommé « confirmation de mandat », le tribunal relève qu’il a été transmis à la société demanderesse par l’administration, par courrier daté du 19 novembre 2021, et qu’il a été retourné, complété et signé, par la société demanderesse le 24 novembre 2021.
Certes, la partie étatique conteste la validité de la « confirmation de mandat » au motif qu’elle n’aurait été signée que par un seul administrateur, alors que les statuts de la société demanderesse exigeraient la signature conjointe de deux représentants pour l’engager valablement.
Or, bien qu’il soit exact que la confirmation de mandat n’ait été signée que par Monsieur (C) en qualité de « mandant » de la société demanderesse, le tribunal relève que le signataire de la confirmation de mandat est également co-signataire du courrier daté du 15 novembre 2021.
Certes encore, la « confirmation de mandat » porte une date postérieure à l’introduction de la réclamation litigieuse.
Or, tel que le tribunal l’a déjà retenu récemment dans un jugement du 18 septembre 2024, inscrit sous le numéro 47371 du rôle, la formulation employée dans le formulaire amène inévitablement le contribuable (« mandant ») à confirmer avoir donné une procuration (« confirme avoir donné mandat ») pour introduire une réclamation en son nom (« afin d’introduire, en mon nom, réclamation devant le Directeur des contributions directes contre le(s) bulletin(s) d’impôt suivant(s) ») et à inscrire la date à laquelle il remplit ledit formulaire – laquelle est par essence postérieure à l’introduction de la réclamation par son « mandant » désigné -, et non pas la date à laquelle le contribuable a effectivement donné le mandat litigieux – laquelle serait antérieure à la date d’introduction de sa réclamation. Cette conclusion s’impose au regard de l’emploi, en bas du document, de la formulation « …(lieu), le …(date), signature du mandant », en lieu et place d’une formulation qui solliciterait du contribuable une confirmation d’avoir donné une procuration suivie de la date effective à laquelle la procuration a été donnée. Il n’est, dès lors, guère surprenant que le « mandant » de la société demanderesse ait rempli le formulaire litigieux en y apposant la date du 24 novembre 2021, laquelle est effectivement postérieure à l’introduction de la réclamation du 26 octobre 2021.
S’agissant, en dernier lieu, de l’attestation versée en cause par la société demanderesse, force est au tribunal de constater qu’elle a été émise par Monsieur (C) et Monsieur (D) en leur qualité de gérants de la société demanderesse. Il en résulte que les signataires sont 14personnellement concernés par l’instance, ce qui empêche ladite attestation de satisfaire à l’exigence d’impartialité requise en matière de preuve7. Elle doit par conséquent être écartée.
Au vu de ce qui précède, force est au tribunal de constater que les éléments soumis à son examen pris dans leur ensemble constituent un faisceau d’indices suffisant permettant de conclure à l’existence d’un mandat oral conféré à Madame (B), d’une part, et à Monsieur (A), d’autre part, aux fins d’introduire la réclamation datée du 26 octobre 2021 au nom de la société demanderesse.
En effet, il ressort notamment de la présentation intitulée « [p]roposal to object against assessements », émanant du « Tax departement », que l’introduction d’une réclamation faisait déjà l’objet de discussions avant la date d’introduction de ladite réclamation.
Par ailleurs, le courrier daté du 15 novembre 2021, bien qu’établi postérieurement à l’introduction de la réclamation et sans mention explicite des bulletins d’imposition concernés, porte néanmoins les signatures de Monsieur (C) et de Monsieur (D), agissant en qualité de gérants de la société demanderesse.
En ce qui concerne la confirmation de mandat datée du 24 novembre 2021, si elle est, elle aussi, postérieure à l’introduction de la réclamation et signée par un seul gérant, force est néanmoins au tribunal de relever qu’elle émane de l’un des deux gérants ayant déjà signé le courrier daté du 15 novembre 2021. En outre, cette confirmation de mandat est à qualifier de spéciale au sens de l’article 1987 du Code civil, dans la mesure où elle se rapporte exclusivement à l’introduction d’une réclamation devant le directeur, et d’expresse au sens de l’article 1988 du Code civil, dès lors qu’elle identifie spécifiquement le bulletin litigieux, à savoir le bulletin relatif à l’« impôt sur le revenu des collectivités (Bonification d’impôt pour investissement) » pour l’année d’imposition « 2016 », ainsi que le bulletin relatif à l’« impôt sur le revenu des collectivités (Bonification d’impôt pour investissement) » pour l’année d’imposition « 2017 », contre lesquels Madame (B) et Monsieur (A) auraient été mandatés pour introduire une réclamation.
Partant, il y a lieu de conclure à l’existence d’un mandat ad litem, conféré à Madame (B), d’une part, et à Monsieur (A), d’autre part, lequel a été établi préalablement à l’introduction de la réclamation.
De plus, en introduisant le présent recours la société demanderesse affirme avoir nécessairement et suffisamment appuyé son intention de cautionner l’introduction de la réclamation litigieuse, de sorte que le tribunal est amené à retenir que les déclarations et moyens de la société demanderesse confirment l’existence d’un mandat ad litem au jour de l’introduction de la réclamation.
Par voie de conséquence, par réformation de la décision déférée, il y a lieu de retenir que la réclamation en question est recevable en ce sens que les auteurs de celle-ci avaient la qualité pour l’introduire, et de renvoyer le dossier en prosécution devant le directeur afin qu’il épuise la réclamation portée devant lui quant au fond.
3) Quant à la demande d’indemnité de procédure 7 En ce sens : Trib. adm., 27 octobre 2020, n° 41206 du rôle, disponible sur le site www.jurad.etat.lu.
15La demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500 euros telle que formulée par la société demanderesse sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter, alors que la société demanderesse n’établit pas en quoi il serait inéquitable de laisser à sa seule charge les frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 17 janvier 2022, référencée sous le numéro 1 du rôle ;
au fond, le déclare justifié, partant, par réformation de la décision du directeur du 17 janvier 2022, référencée sous le numéro 1 du rôle, dit que la réclamation datée du 26 octobre 2021 introduite auprès du directeur par Madame (B) et de Monsieur (A) au nom de la société (AA) n’est pas irrecevable faute de qualité ;
renvoie le dossier devant le directeur en prosécution de cause ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 2.500 euros telle que formulée par la société demanderesse ;
condamne la partie étatique aux frais et dépens.
Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 20 décembre 2024 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 décembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 16