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17/12/2024 | LUXEMBOURG | N°51855

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2024, 51855


Tribunal administratif N° 51855 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51855 4e chambre Inscrit le 21 novembre 2024 Audience publique du 17 décembre 2024 Recours formé par Madame (A), connue sous un autre alias, sans adresse connue, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51855 du rôle et déposée le 21 novembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau d

e l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), déclarant être n...

Tribunal administratif N° 51855 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51855 4e chambre Inscrit le 21 novembre 2024 Audience publique du 17 décembre 2024 Recours formé par Madame (A), connue sous un autre alias, sans adresse connue, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51855 du rôle et déposée le 21 novembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), déclarant être née le … à … (Guinée) et être de nationalité guinéenne, alias (A), déclarant être née le … à … (Guinée) et être de nationalité guinéenne, déclarant se trouver assignée à résidence au Centre de primo-accueil de …, sis à L-…, actuellement sans adresse connue, élisant domicile en l’étude de Maître Karima HAMMOUCHE, préqualifiée, tendant, d’après son dispositif, à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribuée au « ministre de l’Immigration et de l’Asile », du 21 août 2024 de la transférer vers l’Allemagne ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 décembre 2024.

___________________________________________________________________________

Le 5 juillet 2023, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame (A) fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date par les autorités luxembourgeoises dans la base de données Eurodac révéla que Madame (A) avait auparavant introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 12 juillet 2022 et qu’elle était signalée depuis le 9 mai 2023 dans le système d’information Schengen, dénommé ci-après « SIS », par 1l’Allemagne en vue d’une décision de retour.

Le 11 juillet 2023, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

En date du 21 juillet 2023, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Madame (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par courrier du 27 juillet 2023, les autorités allemandes informèrent les autorités luxembourgeoises de leur acceptation de la demande de reprise en charge de Madame (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par décision du 22 août 2023, notifiée à l’intéressée par envoi recommandé expédié le 24 août 2023, mais non réclamé par cette dernière, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Madame (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

En date du 2 janvier 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, dénommé ci-après « le ministre », pria l'Unité de Garde et d'Appui opérationnel de la Police grand-ducale, dénommée ci-après « l'UGAO », de bien vouloir organiser le transfert de la requérante vers l'Allemagne via le poste frontière de Wasserbillig.

En date du 18 janvier 2024, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités allemandes que Madame (A) allait être transférée vers l'Allemagne en date du 26 janvier 2024.

Par courrier du 22 janvier 2024, les autorités allemandes informèrent les autorités luxembourgeoises que le transfert de Madame (A) n'était plus nécessaire car cette dernière se trouvait déjà sur le territoire allemand, de sorte que la procédure de transfert était à considérer comme close.

Après avoir été convoquée à deux reprises auprès de la Direction générale de l'immigration afin de s'entretenir sur sa situation administrative, Madame (A) introduisit, en date du 29 janvier 2024, une nouvelle demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Elle fut entendue le même jour par un agent du Service de Police Judiciaire, Section Criminalité Organisée, sur son identité et sur l'itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg. Il ressort à ce moment de la base de données SIS que Madame (A) faisait toujours l'objet d'un signalement par les autorités allemandes en date du 9 mai 2023, valable jusqu'au 9 mai 2026.

Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en date du 8 février 2024 en vue de la reprise en charge de Madame (A) en exécution du règlement Dublin 2III sur le fondement de l'article 18, paragraphe (1) point d) dudit règlement, demande que les autorités allemandes acceptèrent en date du 9 février 2024, sur la même base légale.

Par décision du 22 juillet 2024, notifié à l’intéressée par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre décida de transférer Madame (A) vers l'Allemagne, comme étant l'Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale.

En date du 6 août 2024, le ministre chargea l'UGAO afin d’organiser le transfert de Madame (A) vers l'Allemagne via le poste frontière de Wasserbillig, transfert qui fut prévu pour le 9 août 2024.

Le même jour, les autorités allemandes informèrent les autorités luxembourgeoises que le transfert Madame (A) n'était pas nécessaire car cette dernière se trouvait déjà volontairement sur le territoire allemand depuis le 19 février 2024.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 août 2024, inscrite sous le numéro 50888 du rôle, Madame (A) fit introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle de transfert du 22 juillet 2024, recours dont elle se désista à l'audience du 4 septembre 2024, désistement qui fut déclaré régulier et valable par jugement du même jour.

Par un courriel du 7 août 2024, le gestionnaire de logements de l'Office national de l'Accueil, ci-après dénommé « l’ONA », attesta, sur demande du ministre, de l’absence régulière de Madame (A) au cours de l’année 2024 au sein du foyer lui attribué à ….

Suite à une demande afférente des services du ministre du 7 août 2024, les autorités allemandes, informèrent les services du ministre que Madame (A) avait effectivement été dernièrement présente sur le territoire allemand à plusieurs reprises, à savoir en mars 2024, en avril 2024, en mai 2024 ainsi qu'en juillet 2024 afin de se voir notifier des décisions de tolérance prises à son égard, de même que Madame (A) y perçoit des prestations sociales.

Une demande de renseignement via le Centre de coopération policière et douanière, dénommé ci-après « le CCPD » en date du 8 août 2024 aboutit à la confirmation par les autorités allemandes que Madame (A) s'était volontairement rendue en Allemagne en date du 19 février 2024.

Par décision du 13 août 2024, le ministre rapporta sa décision de transfert prise le 22 juillet 2024 à l’encontre de Madame (A).

Par arrêté ministériel du 16 août 2024, lui notifié en mains propres le même jour, le ministre constata le séjour irrégulier de Madame (A) sur le territoire luxembourgeois, tout en lui ordonnant de quitter ce dernier sans délai.

Par arrêté ministériel séparé du même jour, notifié à l’intéressée également en date du 16 août 2024, le ministre décida de placer Madame (A) au Centre de rétention pour une durée d'un mois. En date du 4 septembre 2024, Madame (A) se désista de son recours contentieux dirigé contre cette mesure de placement en rétention, introduit par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 août 2024, désistement qui fut déclaré régulier et valable par jugement du 4 septembre 2024, inscrit sous le numéro 50992 du rôle.

Le même jour, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en 3vue de la reprise en charge de la requérante en exécution du règlement Dublin III sur le fondement de l'article 18, paragraphe (1) point d) dudit règlement, demande qui, après avoir été refusée dans un premier temps, le 20 août 2024, faute d’extrait de la base de données Eurodac annexé, fut finalement acceptée le même jour.

Par arrêté ministériel du 21 août 2024, notifié à l’intéressée le 22 août 2024, le ministre rapporta la décision de retour du 16 août 2024 prise à l’encontre de Madame (A), tout en décidant du transfert de cette dernière vers l'Allemagne.

La décision précitée du 21 août 2014 est libellée comme suit :

« (…) Vu le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII ») ;

Vu qu'en date du 16 août 2024 une demande de reprise en charge a été adressée aux autorités allemandes sur base de l'article 18, paragraphe (1), point d) du règlement DIII ;

Vu qu'en date du 20 août 2024 la demande de reprise en charge fut acceptée par lesdites autorités allemandes sur base de l'article 18, paragraphe (1), point d) du règlement DIII ;

Attendu que le transfert vers l'Allemagne sera organisé dans les meilleurs délais et les modalités du transfert seront communiquées à l'intéressée en temps utile.

Arrête:

Art. 1er.- L'arrêté de décision de retour du 16 août 2024 est rapporté.

Art. 2.- La personne déclarant se nommer (A), prétendant être née le … à … (Guinée), et être de nationalité guinéenne ; alias (A), née le … à … (Guinée), et de nationalité guinéenne, sera transférée vers l'Allemagne. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2024, Madame (A) a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est seul tenu, principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 21 août 2024.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

En ce qui concerne la compétence du tribunal en la présente matière, force est au tribunal de retenir qu’au regard des termes y employés et en l’absence, dans le chef de Madame (A), d’un statut de demandeur de protection internationale au Luxembourg, la décision déférée est à considérer comme une décision de transfert au sens de l’article 3, point h) et de l’article 100, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation et l’immigration, dénommée ci-après « la loi du 29 août 2008 », aux termes desquels « Aux fins de la présente loi, on entend par: (…) h) éloignement : le transfert physique d’un étranger hors du territoire 4du Grand-Duché de Luxembourg en exécution d’une décision d’éloignement, d’une décision de retour ou d’expulsion, d’une décision de départ, d’une décision de renvoi ou d’une décision de transfert ; », respectivement « Conformément au règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des Etats membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, des membres du cadre policier de la Police grand-ducale peut procéder à la prise d’empreintes digitales de l’étranger en séjour irrégulier âgé de quatorze ans au moins, afin de déterminer si cette personne a auparavant présenté une demande de protection internationale dans un autre Etat membre et quel Etat membre est responsable de l’examen de la demande.

Dans l’affirmative, les dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 précité relatives à la procédure de reprise en charge sont applicables. ».

Etant donné que l’article 113 de la loi du 29 août 2008 prévoit que « Contre les décisions du ministre visées aux articles 109 et 112 un recours en annulation est ouvert devant le Tribunal administratif dans les formes et délais ordinaires », et que l’article 109 fait référence expresse notamment aux décisions de l’article 100 de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière.

Il s’ensuit que le tribunal doit se déclarer incompétent pour statuer sur le recours subsidiaire en réformation.

Le recours principal en annulation est par contre recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la partie demanderesse, outre de rappeler certains des rétroactes passés en revue ci-avant, explique avoir été mariée de force dans son pays d'origine, mariage dans le cadre duquel elle aurait subi des maltraitances de la part de son conjoint.

Sans possibilité de protection de la part des autorités étatiques ou de sa famille, elle aurait dû fuir son pays d’origine en ayant dû laisser son enfant en bas âge auprès de sa mère, circonstance qui aurait de surcroît provoqué le divorce de cette dernière, alors qu’elle aurait été accusée d’être responsable de cette fuite.

Son deuxième enfant, né en 2018 et qu’elle aurait emmené avec elle, serait mort en mer suite au naufrage de leur bateau lors de la traversée de la mer méditerranéenne.

Elle rappelle avoir déposé, en date du 12 juillet 2022, une demande de protection internationale en Allemagne, où elle aurait séjourné presqu'une année durant le traitement de sa demande de protection internationale laquelle lui aurait finalement été refusée.

Ayant tenté en vain d'obtenir une aide psychiatrique suite au deuil de son fils, elle aurait décidé de quitter l'Allemagne pour le Luxembourg où un suivi approprié lui aurait été apporté.

5 Elle donne à considérer que sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg le 5 juillet 2023 aurait donné lieu à une première décision de transfert vers l'Allemagne en date du 22 août 2023 sur base du Règlement Dublin III.

Les autorités allemandes ayant accepté sa reprise en charge en date du 27 juillet 2023, son transfert vers l'Allemagne aurait dû être organisé dans un délai de 6 mois, transfert qui n’aurait cependant jamais eu lieu.

Il lui aurait dès lors été demandé dans le cadre d’une entrevue au sujet de sa « situation administrative », de renouveler sa demande de protection internationale, ce qu’elle aurait fait en date 29 janvier 2024.

En droit, la partie demanderesse conclut en premier lieu à la compétence du Luxembourg pour connaître de sa demande de protection internationale, alors que le ministre n’aurait pas respecté, pour son transfert, le délai de 6 mois, prévu à l'article 29 du règlement Dublin III, à compter de l'acceptation de sa reprise en charge, de sorte que la responsabilité pour le traitement de sa demande de protection internationale aurait été transférée à l'Etat luxembourgeois du fait que le délai imparti pour son transfert aurait expiré le 28 janvier 2024.

Il serait, dans ce contexte, par ailleurs erroné de prétendre qu’elle se serait rendue d'elle-

même en Allemagne le 22 janvier 2024 puisqu'à cette date précise, elle aurait été transférée dans un centre pour refugiés à …, comme l'attesterait un courriel de l'ONA qu’elle verse au débat.

Elle fait plaider que la nouvelle demande de protection internationale qu’elle aurait déposée à la demande de la partie étatique en date du 29 janvier 2024 ne saurait induire la non-

application des dispositions précitées du règlement Dublin III.

Etant donné que son mandataire de l’époque n'aurait pas été avisé de la convocation afférente, en méconnaissance de l'article 18 de la loi du 18 décembre 2015 et de l'article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1978 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'État et des Communes, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », ladite demande de protection internationale serait à considérer comme « illégale », pour avoir été entachée d'un vice de procédure tenant à une violation manifeste de ses droits de la défense.

En deuxième lieu, la partie demanderesse conclut à une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéas 1 et 2 du règlement Dublin, en raison de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs en Allemagne, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ci-après « la Charte », la demanderesse invoquant, dans ce contexte, tout une série d’arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-

après « la CJUE », et notamment du 21 décembre 2011 dans les affaires C411/ 10 et C-493/10, dans le cadre duquel la grande chambre de ladite Cour aurait retenu que, bien que le système européen commun d'asile serait fondé sur la confiance mutuelle et la présomption de respect, par les autres Etats membres, du droit de l'Union et plus particulièrement des droits fondamentaux, une telle présomption serait néanmoins réfragable.

La CJUE aurait également réaffirmé, dans un arrêt C-578/16 du 16 février 2017, qu'en cas de risque réel et prévisible de traitement contraire à l'article 4 de la Charte ou à l'article 3 6de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », les autorités de l’Etat membre ne devraient pas procéder au transfert, la situation visée étant celle d’un dénuement matériel extrême contraire à l'interdiction des traitements inhumains et dégradants, selon un arrêt du 19 mars 2019, C-163/17.

En l'espèce, le ministre n’aurait pas pu ignorer que le système d'asile en Allemagne ne répondrait pas au respect des droits fondamentaux des demandeurs d'asile, ce qui constituerait ainsi une défaillance systémique en Allemagne de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile.

En effet, en raison de la crise du logement actuelle résultant de l'augmentation exponentielle des demandes d'asile, l'Allemagne entendrait restreindre les demandes par la conclusion d'accords bilatéraux avec des pays tiers qui ne répondraient, quant à eux, pas aux exigences de protection des droits fondamentaux.

La commissaire aux droits de l'Homme aurait déjà noté, dans un courrier du 16 mai 2019, les défaillances, toujours d'actualité, liées au placement systématique des demandeurs déboutés dans un centre de rétention fermé.

L'organisation CIMADE aurait également souligné, dans sa fiche signalétique pour l'Allemagne, que cette dernière connaîtrait de nombreuses défaillances dans le système d'asile et d'accueil, notamment un manque d'identification des groupes vulnérables dans la procédure d'asile et de garantie de leurs droits, ainsi que le plafonnement du regroupement familial et les retours Dublin.

La politique allemande aurait finalement procédé à un refoulement systématique par un filtrage par des pays tiers non soumis aux législations européennes protectrices en matière d'accueil des demandeurs de protection internationale.

La partie demanderesse en conclut que l’exécution de la décision ministérielle déférée emporterait sans aucun doute pour elle la violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en raison des lacunes pointées en termes d'accueil et de sanction pénale en cas de non-retour volontaire, d’autant plus que sa demande de protection internationale en Allemagne aurait déjà été refusée. Ainsi, elle risquerait d'être placée dans un centre de rétention en attendant son expulsion vers son pays d'origine.

En outre, elle aurait été suivie par un psychiatre après un suivi psychologique du fait du deuil pathologique qu’elle aurait éprouvé, situation qui n'aurait pas été considérée dans la motivation de la décision déférée.

Finalement, la partie demanderesse estime qu’au vu de sa situation particulière, le ministre aurait dû faire usage de la clause de souveraineté prévue à l'article 17 du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

En ce qui concerne d’abord la contestation de la demanderesse de la compétence de principe des autorités allemandes, en ce que la première décision de transfert prise par le ministre en date du 22 août 2023 n’aurait pas été exécutée dans le délai imparti par l’article 29 7du règlement Dublin III, il échet de rappeler que cette disposition prévoit ce qui suit :

« 1. Le transfert du demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3.

(…) L’État membre responsable informe l’État membre requérant, le cas échéant, de l’arrivée à bon port de la personne concernée ou du fait qu’elle ne s’est pas présentée dans les délais impartis.

2. Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. (…) ».

S’il ressort de cette disposition qu’il aurait appartenu au ministre de procéder au transfert de la partie demanderesse dans un délai de 6 mois depuis l’acceptation de la reprise en charge lui adressée par les autorités allemandes du 27 juillet 2023, soit jusqu’au 27 janvier 2024 au plus tard, il ressort néanmoins des éléments du dossier administratif que suite à l’annonce, en date du 18 janvier 2024, aux autorités allemandes de la date effective du transfert prévu pour le 26 janvier 2024, ces dernières ont informé le ministre, par courrier du 22 janvier 2024, que la partie demanderesse se trouvait déjà sur le territoire allemand, pour y être retournée volontairement, de sorte que ladite procédure de transfert est à considérer comme étant clôturée.

Ainsi, en raison de l’exécution volontaire par la partie demanderesse de son transfert vers l’Allemagne avant la date du 27 janvier 2024, les autorités allemandes ayant attesté de « l’arrivée à bon port de la personne concernée », au sens de l’article 29, paragraphe (1) dernier alinéa du règlement Dublin III, le transfert en question est à considérer comme ayant bien été exécuté dans le délai imparti par le même article.

Il s’ensuit que le moyen tenant à une violation de l’article 29 du règlement Dublin III est d’ores et déjà à rejeter pour manquer en fait, sans que cette conclusion ne soit énervée par l’historique des hébergements mis à disposition de la partie demanderesse au Luxembourg entre le 29 septembre 2023 et le 22 janvier 2024, tel qu’il ressort du courriel de l’ONA versé au débat, alors que ce dernier n’atteste pas d’une présence effective de la partie demanderesse sur le territoire luxembourgeois, étant encore relevé qu’il ressort des informations des autorités allemandes du 7 août 2024 que la partie demanderesse a bénéficié d’un statut de tolérance en Allemagne qu’elle a fait renouveler tous les mois, tout en y percevant des prestations sociales.

Il suit encore de cette conclusion que l’argumentation de la partie demanderesse selon laquelle le dépôt de sa deuxième demande de protection internationale en date du 29 janvier 82024 aurait eu comme seul but, pour le ministre, de contourner les dispositions de l’article 29 du règlement Dublin III laisse d’être pertinente.

En tout état de cause, force est d’abord de rappeler que la procédure de transfert relative à sa première demande de protection internationale au Luxembourg, déposée en date du 5 juillet 2023, a bien été clôturée avec la confirmation des autorités allemandes, en date du 22 janvier 2024 de la présence de la partie demanderesse sur le territoire allemand, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a fait convoquer la partie demanderesse à un entretien sur sa situation au Luxembourg au vu du fait qu’elle avait encore fait renouveler son attestation d’introduction d’une demande de protection internationale le 8 janvier 2024, attestation ayant cependant été annulée en date du 26 janvier 2024 en raison de la clôture de la procédure de transfert.

Il ressort ensuite des explications de la partie demanderesse devant la police grand-

ducale lors de son entretien du 29 janvier 2024 qu’elle a décidé de déposer une deuxième demande de protection internationale en vue d’obtenir une nouvelle attestation d’introduction d’une demande de protection internationale.

Au-delà du constat que la partie demanderesse n’a, par après, jamais demandé à retirer cette deuxième demande de protection internationale et nonobstant le constat que ni l’article 18 de la loi du 18 décembre 20151 ni l’article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 19792 n’exigent la convocation du mandataire à un entretien au sujet de la situation administrative d’un étranger en situation irrégulière au Luxembourg du fait notamment, comme en l’occurrence, de ne plus tomber dans le champ d’application de la loi du 18 décembre 2015, la première procédure étant terminée, la deuxième demande de protection internationale déposée par la partie demanderesse en date du 29 janvier 2024 doit être considérée comme étant parfaitement valable, étant relevé qu’il ne ressort d’ailleurs pas des éléments du dossier que la partie demanderesse ait voulu demander à son avocat de lui fournir à cette occasion un soutien juridique.

Force est ensuite de retenir que les mêmes considérations prises ci-avant par rapport à la première demande de protection internationale déposée en date du 5 juillet 2023, valent pour la deuxième demande de protection internationale déposée par la partie demanderesse en date du 29 janvier 2024, laquelle est également à considérer comme clôturée du fait que, par courrier du 6 août 2024, les autorités allemandes ont bien attesté de la présence de la partie demanderesse sur le territoire allemand, de sorte que le transfert de cette dernière, initialement prévu pour le 9 août 2024 est, à nouveau, à considérer comme exécuté.

Il s’ensuit que c’est ensuite a priori à bon droit que le ministre, en raison du retour au Luxembourg de la partie demanderesse le 16 août 2024, a adressé une troisième demande de reprise en charge aux autorités allemandes, en vertu cette fois-ci, de l’article 100, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, précité, et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le 1 Article 18 de la loi du 18 décembre 2015 : « Le ministre veille à ce que l’avocat qui assiste et représente le demandeur ait accès aux informations versées au dossier du demandeur sur la base duquel une décision est prise ou le sera. (…) ».

2 Article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Toute partie à une procédure administrative a le droit de se faire assister par un avocat ou, dans des affaires de nature technique, d´un conseil technique. Elle pourra également se faire représenter sous les mêmes distinctions, sous réserve des cas où sa présence personnelle est requise.

En cas de désignation d´un mandataire, l´autorité adresse ses communications à celui-ci. Toutefois, la décision finale est en outre notifiée à la partie elle-même. ».

9ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. (…) ».

En effet, il est constant en cause que la partie demanderesse se trouvait, sans titre de séjour, sur le territoire luxembourgeois et qu’elle avait déposé une demande de protection internationale en Allemagne en date du 12 juillet 2022, de même que les autorités allemandes ont accepté de la reprendre en charge en date du 20 août 2024.

Or, en l’espèce, la partie demanderesse estime que son transfert vers l’Allemagne se heurterait à une violation des articles 3 et 17 du règlement Dublin III, ainsi que 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Le tribunal précise, dans ce contexte, que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat, tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

S’agissant de l’argumentation de la demanderesse quant à l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, le tribunal rappelle qu’en vertu de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs 10d’asile vers un Etat membre déterminé3.

A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en tant qu’Etat membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile, auquel l’Allemagne adhère, a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6.

Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile7, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives8, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE9, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du 3 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

4 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 78.

5 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

8 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

9 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

11règlement Dublin III requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201710.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201911 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine12. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant13.

En l’espèce, la demanderesse, remettant en question cette présomption du respect par l’Allemagne des droits fondamentaux, puisqu’elle fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation en Allemagne, telle que décrite par elle, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.

Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.

Il ressort, en effet, des développements de la demanderesse que cette dernière fonde l’existence de défaillances graves dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne entraînant pour elle le risque d’y subir des traitements contraires aux articles 3 CEDH et 4 de la Charte sur l’existence, sur le territoire allemand, d’une crise du logement en raison de l’augmentation exponentielle du nombre des demandeurs de protection internationale et la mise en rétention systématique des demandeurs déboutés.

Or, contrairement à ces affirmations de la requête introductive d’instance, force est de relever qu’il ressort des éléments du dossier administratif et notamment des explications de la part des autorités allemandes, que la partie demanderesse, bien que déboutée de sa demande de protection internationale en Allemagne depuis juin 2023, y bénéficie d’un statut de tolérance (Duldung) tout en y percevant des prestations sociales, de sorte que l’argumentation selon laquelle elle risquerait de se retrouver dans une situation de dénuement extrême en Allemagne, 10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

11 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

12 Ibid., pt. 92.

13 Ibid., pt. 93.

12respectivement qu’elle y serait enfermée dans un Centre de rétention, laisse visiblement d’être établie, étant relevé qu’il ressort également du dossier administratif que la partie demanderesse n’a cessé de faire des aller-retours volontaires entre l’Allemagne et le Luxembourg pendant tout le cours de ses demandes de protection internationale introduites au Luxembourg.

Il ne ressort, par ailleurs, pas des éléments soumis au tribunal qu’à l’heure actuelle, l’Allemagne connaîtrait de manière générale des défaillances systémiques en ce sens que la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure, d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH.

En effet, au-delà du constat que la documentation présentée par la partie demanderesse à ce sujet date principalement de l’année 2019, de sorte à ne plus refléter la situation actuelle en Allemagne, et à défaut de tout élément de preuve dénotant un refus d’accueil ou de prise en charge médicale, la demanderesse ne fournit aucun élément objectif tangible permettant de retenir que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Allemagne, ou encore que ceux-ci n’auraient en Allemagne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, étant rappelé que l’Allemagne est signataire de la Charte et de la CEDH et qu’elle est, en tant que membre de l’Union européenne, tenue au respect des dispositions de celles-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants du 10 décembre 1984 et de la Convention de Genève.

Par ailleurs, le tribunal relève que la demanderesse n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Allemagne, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (« UNHCR »). Elle ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Allemagne de ressortissants guinéens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile allemande qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que la demanderesse n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.

Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être 13exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable14.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte15, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant16.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef de Madame (A), un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé17.

Or, en l’espèce, tel que relevé ci-avant, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement les droits de la partie demanderesse n’auraient pas été respectés en Allemagne dans le cadre de la demande de protection internationale y introduite par la demanderesse. La demanderesse n’apporte pas non plus d’éléments de nature à établir qu’elle risquerait personnellement des mauvais traitements en cas de transfert en Allemagne, de même qu’elle n’apporte pas la preuve que, personnellement, ses droits n’y seraient pas garantis, ni qu’elle n’aurait aucune possibilité de les faire valoir.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si la demanderesse devait estimer que le système d’asile allemand est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si la demanderesse devait estimer que le système d’accueil et d’aide allemand n’était pas conforme aux normes européennes.

S’agissant ensuite de l’argumentation de la demanderesse ayant trait à une nécessaire prise en considération de sa vulnérabilité, découlant, notamment, de son état de santé psychique, le tribunal relève que dans son arrêt, précité, du 16 février 2017, la CJUE a mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat 14 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09 15 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

16 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88 17 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

14membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, dénommée ci-après « la directive Accueil », sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats (…) ». Elle a retenu ensuite que « (…) dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. (…) »18. Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « (…) d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert (…) »19.

Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée20.

En l’espèce, si la demanderesse a certes versé un certificat médical confirmant qu’elle suit un traitement psychiatrique depuis octobre 2023, le même certificat souligne cependant que son état est actuellement stable et ne fournit pas d’éléments objectifs qui seraient de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et a fortiori les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner son transfert vers l’Allemagne, qu’elle a 18 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.

19 Ibid., points 76 à 85 et point 96.

20 Ibid., point 83.

15d’ailleurs elle-même exécuté volontairement à plusieurs reprises.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé de la partie demanderesse lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne par le biais de la communication aux autorités allemandes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables la concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressée exprime son consentement explicite à cet égard21.

Eu égard aux développements qui précèdent, c’est à tort que la demanderesse conclut à une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, pris à titre isolé, au motif que le ministre n’aurait pas tenu compte de sa vulnérabilité et, plus particulièrement, de ses problèmes de santé psychique.

Quant à la crainte d’être refoulée par les autorités allemandes vers son pays d’origine, en violation de l’article 33 de la Convention de Genève, il y a tout d’abord lieu de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202322, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat membre requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat membre, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat membre requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat membre requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.

Par ailleurs et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever que la décision ministérielle déférée désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale de la demanderesse et de ses suites, en l’occurrence l’Allemagne qui a reconnu être compétente pour reprendre en charge la partie demanderesse.

Le tribunal relève ensuite que la demanderesse reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque d’être renvoyée arbitrairement dans son pays d’origine par les autorités allemandes, étant relevé qu’il ressort des éléments du dossier administratif que la partie demanderesse, alors même qu’elle y avait été déboutée de sa demande de protection internationale, s’est fait octroyer un statut de tolérance par les autorités allemandes.

De plus, il ne se dégage pas des éléments produits par la demanderesse que si les autorités allemandes devaient néanmoins décider de la renvoyer dans son pays d’origine en violation de l’article 33 de la Convention de Genève, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 21 En ce sens : trib. adm., 30 mars 2022, n° 47115 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

22 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21.

16de la Charte, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates.

Au vu des développements faits ci-avant, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, la partie demanderesse serait exposée à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, respectivement de faire l’objet d’un refoulement en violation de l’article 33 de la Convention de Genève en cas de transfert vers l’Allemagne, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III. Ainsi, l’argumentation afférente de la demanderesse est à rejeter dans son ensemble.

En ce qui concerne finalement le moyen fondé sur une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) », il y a lieu de préciser que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres23, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201724.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge25, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en annulation, à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation.

Le tribunal constate que la demanderesse invoque dans ce contexte, en substance, le même argumentaire développé à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Or, cette argumentation vient d’être rejetée ci-avant, le tribunal ayant plus particulièrement retenu qu’un transfert de la partie demanderesse en Allemagne n’est pas de nature à l’exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors que, d’une part, la preuve de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, n’a pas été rapportée en l’espèce et, d’autre part, la demanderesse n’a pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, en ce compris son état de santé, un transfert en Allemagne l’exposerait à un tel risque, nonobstant le constat de l’absence de défaillances systémiques, au sens de cette dernière disposition du règlement Dublin III.

Dans ces circonstances et en l’absence d’autres éléments, le tribunal conclut qu’il n’est 23 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, pt. 65.

24 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

25 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 (3e volet) et les autres références y citées.

17pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt également le rejet.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours principal en annulation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour statuer sur le recours subsidiaire en réformation;

reçoit le recours principal en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

laisse les frais et dépens de l’instance à charge de la partie demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 décembre 2024 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 décembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 18


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 51855
Date de la décision : 17/12/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-12-17;51855 ?

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