Tribunal administratif Numéro 45760a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:45760a 4e chambre Inscrit le 8 mars 2021 Audience publique du 17 décembre 2024 Recours formé par Madame (A), …, contre une décision du ministre de la Fonction publique, en matière de congés
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JUGEMENT
Revu la requête inscrite sous le numéro 45760 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2021 par Maître Maximilien LEHNEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Fonction publique du 8 décembre 2020 par laquelle il refusa la rémunération de son congé de maternité pendant le congé sans traitement pour raisons professionnelles ;
Vu le jugement du tribunal administratif du 17 octobre 2023, inscrit sous le numéro 45760 du rôle ;
Vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 1er mars 2024, inscrit sous le n° 00192 du registre ;
Vu l’arrêt rectificatif de la Cour constitutionnelle du 5 mars 2024, inscrit sous le n° 00192 du registre ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 13 mars 2024 autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2024 par Maître Maximilien LEHNEN, pour compte de sa mandante ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2024 ;
Revu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Maximilien LEHNEN et Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 septembre 2024.
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Par arrêté du 29 mars 2014 du ministre de l’Education nationale de l’Enfance et de la Jeunesse, Madame (A) fut admise au stage pédagogique pour les fonctions de professeur de lettres au Lycée … à partir du 1er avril 2014.
Par arrêté grand-ducal du 24 avril 2016, Madame (A) fut nommée candidat-professeur au Lycée … et au Lycée ….
Par arrêté grand-ducal du 16 juillet 2016, Madame (A) fut nommée candidat-
professeur au Lycée ….
Par arrêté grand-ducal du 6 janvier 2018, Madame (A) fut nommée professeur au même établissement.
Le 13 juin 2019, Madame (A) adressa une demande d’octroi d’un congé sans traitement pour raisons professionnelles au ministre de l’Education nationale de l’Enfance et de la Jeunesse pour une durée de deux années pour la période du 15 septembre 2019 au 15 septembre 2021, afin de pouvoir travailler au sein de …, ci-après dénommée « l’…».
Suite à l’avis favorable du ministre de la Fonction publique, ci-après dénommé « le ministre », du 17 juillet 2019, par arrêté du 13 août 2019, le ministre de l’Education nationale de l’Enfance et de la Jeunesse accorda un congé sans traitement pour raisons professionnelles à Madame (A) à partir du 16 septembre 2019 jusqu’à la rentrée scolaire 2021/2022.
Par contrat de travail à durée indéterminée du 16 septembre 2019, Madame (A) fut engagée par le syndicat …, à partir du même jour, comme secrétaire centrale adjointe affectée aux syndicats professionnels de l’….
Le 8 octobre 2019, le Dr. … délivra un certificat de grossesse à Madame (A) prévoyant la date d’accouchement de celle-ci le 16 février 2020.
Le service ressources humaines du ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse, ci-après dénommé « le ministère », émit une fiche de calcul du congé de maternité de Madame (A), en fixant le début du congé prénatal au 22 décembre 2019 et la fin du congé postnatal au 9 mai 2020.
Par courrier du 10 novembre 2020, par l’intermédiaire de l’…, Madame (A) s’adressa au ministre afin de se voir rémunérer son congé maternité par l’Etat pendant le congé sans traitement pour raisons professionnelles lui accordé, aux termes de la motivation suivante :
« (…) J'ai l'honneur de venir vers vous dans le cadre du dossier sous rubrique à la demande et pour le compte de notre membre (A), demeurant à L-….
Depuis avril 2016, Madame (A) est nommée à la fonction de professeur au Lycée ….
Un congé sans traitement pour raisons professionnelles lui a été accordé du 15 septembre 2019 au 15 septembre 2021.
Le 16 septembre 2019, notre membre a commencé à travailler au sein de l'…, et ce jusqu'au début de son congé de maternité le 22 décembre 2019.
Malgré de multiples tentatives infructueuses par courriel auprès du Centre de gestion du personnel et de l'organisation de l'État en vue d'obtenir des réponses à ses questions concernant la prise en charge des revenus pendant son congé de maternité, ces courriels restaient sans réponse. Lors d'un entretien téléphonique avec Madame … du Ministère de l'Éducation nationale, celle-ci rassurait notre membre qu'elle serait bien payée par la Fonction publique conformément à la loi du 25 mars 2015 et à la loi du 19 mai 2003. Le début du congé de maternité mettrait en même temps fin à son congé sans traitement. Par courriel, Madame … l'informait qu'elle devait adresser son certificat de grossesse à la direction de son lycée ainsi qu'au Ministère de l'Education nationale par voie postale.
Par ailleurs, la déclaration d'entrée du centre commun de la sécurité sociale lui parvenue, confirmait l'inclusion au régime des fonctionnaires à partir du 22 décembre 2019.
Or, comme Madame (A) restait toujours, fin janvier 2020 sans revenu, elle a repris contact avec le CGPO. Selon Madame …, notre membre a été mal conseillée par la collègue du MENJE. La Fonction publique ne prendrait pas en charge le paiement des indemnités du congé de maternité étant donné que Madame (A) n'aurait pas bénéficié d'un congé parental auparavant. Cette explication nous semble peu logique.
Plusieurs semaines plus tard, effectivement, les revenus pour la période du congé de maternité lui ont été virés par la caisse nationale de santé.
Il résulte de ce qui précède que nous vous prions d'intervenir auprès de vos services dans les meilleurs délais, afin que notre membre puisse être compensée conformément aux textes légaux en vigueur.
Le cas échéant, veuillez nous faire parvenir une décision susceptible de recours.
(…) » Par décision du 8 décembre 2020, le ministre refusa de faire droit à la demande de Madame (A) relatif au paiement de son congé maternité pendant son congé sans traitement pour raisons professionnelles, celle-ci étant libellée comme suit :
« (…) J'ai l'honneur d'accuser bonne réception du courrier émargé de votre syndicat.
Depuis 2016, vous êtes professeur au Lycée ….
Au courant de l'année 2019, vous avez demandé et obtenu un congé sans traitement pour raisons professionnelles du 15 septembre 2019 au 15 septembre 2021.
Le 16 septembre 2019, vous avez commencé à travailler au sein de l'….
Le 22 décembre 2019, vous avez commencé votre congé de maternité.
Actuellement, vous vous plaignez du fait qu'avec le commencement de votre congé de maternité, vous n'avez pas de nouveau pu toucher votre rémunération de professeur.
A la lecture du texte qui régit votre situation, il apparaît cependant qu'il était erroné de votre part d'avoir de telles attentes.
L'article 30, paragraphe 2, alinéas 2 et 3 du statut général des fonctionnaires de l'Etat prévoit de façon non-équivoque que :
« Si, pendant le congé sans traitement visé par le présent paragraphe, survient une grossesse ou une adoption, il prend fin et le fonctionnaire a droit à un congé de maternité ou d'accueil, dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article 29, ainsi que, le cas échéant, à un congé sans traitement prévu au paragraphe 1er et à un service à temps partiel prévu à l'article 31, paragraphe 2. (…) Toutefois le congé de maternité ou d'accueil ainsi accordé n'est rémunéré que s'il survient au cours des deux premières années suivant la fin du congé de maternité ou d'accueil ou, s'il y a lieu, la fin du congé parental ou congé de récréation y consécutifs. » En l'espèce, l'alinéa 3 ci-dessus est clair et sans équivoques en disposant que « le congé de maternité (…) n'est rémunéré que s'il survient au cours des deux premières années suivant la fin du congé de maternité (…) ou, s'il y a lieu, la fin du congé parental ou congé de récréation y consécutifs. ».
Tel n'est pas votre cas.
Il m'est par conséquent impossible de réserver des suites favorables à votre demande.
(…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2021, Madame (A) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 8 décembre 2020 par laquelle ce dernier lui refusa la rémunération de son congé de maternité pendant le congé sans traitement pour raisons professionnelles.
Par jugement du 17 octobre 2023, inscrit sous le numéro 45760 du rôle, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision précitée du ministre du 8 décembre 2020 par laquelle il avait refusé la rémunération de son congé de maternité pendant le congé sans traitement pour raisons professionnelles, tout en recevant, en la forme, le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette même décision.
Quant au fond, le tribunal administratif retint que la décision ministérielle sous examen du 8 décembre 2020 avait été prise sur le fondement de l’article 30, paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après dénommé « le statut général », lequel prévoit, en son alinéa 2, que, si pendant le congé sans traitement accordé au fonctionnaire selon le même paragraphe, survient une grossesse ou une adoption, le congé sans solde prend fin et le fonctionnaire a notamment droit à un congé de maternité ou d’accueil, dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article 29 du statut général. Or, pour que ledit congé de maternité ou d’accueil soit rémunéré, le prédit article 30, paragraphe 2 du statut général, prévoit en son alinéa 3 qu’il doit survenir au cours des deux premières années suivant la fin d’un précédent congé de maternité ou d’accueil ou, s’il y a lieu, la fin du congé parental ou congé de récréation y consécutifs.
Le tribunal releva, par ailleurs, que préalablement à l’entrée en vigueur de la loi du 9 mai 2018 portant notamment modification du statut général en modifiant l’article 30 du statut général, ci-après dénommée « la loi du 9 mai 2018 », ledit article permettait au fonctionnaire bénéficiaire d’un congé sans traitement pour raisons professionnelles de bénéficier d’un congé de maternité rémunéré à condition que le congé de maternité survienne au cours des deux premières années suivant le début du congé sans traitement, ceci sans considération du fait que le fonctionnaire avait ou non bénéficié au préalable d’un premier congé de maternité, de sorte que l’article 30, paragraphe 2, alinéa 3 du statut général, dans sa version en vigueur depuis la modification de la loi du 9 mai 2018, exclut, désormais, du bénéfice d’un congé de maternité rémunéré, le fonctionnaire qui s’est vu accorder un congé sans traitement en vertu de l’article 30, paragraphe 2 du statut général et qui n’a pas préalablement bénéficié d’un congé de maternité, alors que les fonctionnaires qui sont tombées enceintes pendant leur congé sans traitement, mais qui avaient préalablement bénéficié d’un congé de maternité survenu au cours des deux premières années suivant la fin dudit congé, continuent à bénéficier d’un congé de maternité rémunéré.
Sur base de ce constat, le tribunal décida de traiter en priorité le moyen de la partie demanderesse tiré de l’inconstitutionnalité de l’article 30, paragraphe 2, alinéa 3 du statut général par rapport à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, tel qu’applicable dans sa version en vigueur au moment de la prise de la décision du 8 décembre 2020.
En effet, la demanderesse fit, à cet égard, relever que le fait que ministre avait fondé sa décision de refus litigieuse sur la circonstance que son congé de maternité n’était pas survenu au cours des deux premières années suivant la fin du congé de maternité ou la fin du congé parental ou congé de récréation y consécutifs, de sorte qu’il y avait une différence de traitement entre, d’une part, les fonctionnaires ayant déjà bénéficié d’un congé de maternité ou d’accueil, respectivement d’un congé parental ou de récréation y consécutifs, préalablement à un nouveau congé de maternité et, d’autre part, les fonctionnaires n’ayant pas encore bénéficié préalablement à leur congé de maternité d’un premier congé de maternité ou d’accueil, respectivement d’un congé parental ou de récréation y consécutifs, sans que les travaux parlementaires de la loi du 9 mai 2018 n’auraient permis d’identifier une justification objective qui serait à l’origine de cette différence de traitement.
La partie demanderesse a encore critiqué l’Etat pour avoir tenté de justifier la différence de traitement en question par la volonté d’éviter les abus, l’entrave au bon fonctionnement des services de l’Etat en ce que la situation, telle qu’elle aurait existé avant l’avènement de la loi du 9 mai 2018, aurait été de nature à compromettre la prévisibilité budgétaire de l’Etat.
Dans son jugement précité du 17 octobre 2024, le tribunal administratif a ainsi retenu qu’en l’espèce, la question de savoir si le régime du congé de maternité rémunéré pour les fonctionnaires dont la grossesse est survenue pendant le congé sans traitement accordé sur le fondement de l’article 30, paragraphe 2 du statut général, dans sa version telle que modifiée par la loi du 9 mai 2018, est conforme à l’article 10bis de la Constitution tel qu’applicable dans sa version en vigueur au moment de la prise de la décision du 8 décembre 2020, était nécessaire à la solution du présent litige, que la question ainsi soulevée n’était pas dénuée de tout fondement et n’avait pas encore été toisée par la Cour constitutionnelle.
C’est ainsi que par le jugement précité du 17 octobre 2023, le tribunal soumit avant tout progrès en cause une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle libellée comme suit : « L’article 30, paragraphe 2, alinéa 3 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, tel que modifié par la loi du 9 mai 2018, en ce qu’il subordonne la rémunération du congé de maternité à la condition que ce dernier survienne au cours des deux premières années suivant la fin du congé de maternité ou d’accueil ou, s’il y a lieu, la fin du congé parental ou congé de récréation y consécutifs, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution dans sa version applicable au jour de la modification législative ? » Dans son arrêt du 1er mars 2024, inscrit sous le numéro 00192 du registre, la Cour constitutionnelle a retenu, que l’article 30, paragraphe 2, alinéa 3 du statut général, tel que modifié par la loi du 9 mai 2018, n’est pas conforme à l’article 10bis de la Constitution, en ce que la différence de traitement consistant à priver de traitement la femme enceinte d’un premier enfant ou dont le congé de maternité ou d’accueil survient postérieurement à l’expiration du délai y prévu, n’est pas rationnellement justifiée.
Suite à l’arrêt rectificatif de la Cour constitutionnelle du 5 mars 2024, rectifiant une erreur matérielle, et à l’avis du tribunal administratif du 13 mars 2024, permettant aux parties de prendre des mémoires supplémentaires afin de prendre position par rapport à l’arrêt précité du 1er mars 2024 de la Cour constitutionnelle, les parties au litige ont déposé des mémoires supplémentaires au greffe du tribunal administratif en date des 19, respectivement 30 avril 2024.
Dans le cadre de son mémoire supplémentaire, la demanderesse fait valoir qu’en application des arrêts respectifs des 1er et 5 mars 2024 de la Cour constitutionnelle, ayant déclaré l’article 30, paragraphe 2, alinéa 3 du statut général comme étant non conforme à l’article 10bis de la Constitution, cette disposition légale n’aurait pas pu servir de base légale de la décision litigieuse du 8 décembre 2020, de sorte que faute de base légale valable, la décision du ministre du 8 décembre 2020 devrait être annulée pour violation de la loi, la partie demanderesse maintenant sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de 2.500 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », telle que figurant dans sa requête introductive d’instance.
Le délégué du gouvernement fait, quant à lui, valoir, dans son mémoire supplémentaire, que dans sa demande initiale, la demanderesse aurait demandé au ministre de rémunérer son congé de maternité par l’Etat, ce qui lui aurait été refusé par la décision ministérielle déférée du 8 décembre 2020, sur base de l’article 30, paragraphe 2, alinéa 3 du statut général.
Ainsi, comme la Cour constitutionnelle aurait invalidé ladite disposition légale et que ledit alinéa ne saurait dès lors plus servir de base légale au refus, la partie étatique estime que la décision déférée ne pourrait désormais se baser qu’exclusivement sur l’article 30, paragraphe 2, alinéa 2 du statut général, de sorte que la demanderesse aurait donc droit à un congé de maternité à accorder dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article 29 du statut général, lequel prévoirait cependant que « Le fonctionnaire en activité de service a droit à un congé de maternité à accorder selon les conditions et modalités prévues par le Code du travail.
Le congé de maternité est considéré comme temps de travail. ».
Or, comme la demanderesse n’aurait pas été en activité de service auprès de l’Etat entre le 16 septembre et le 9 mai 2020, mais qu’elle aurait été salariée de droit privé auprès de l’…, la partie gouvernementale estime que cette dernière n’aurait pas droit au congé de maternité réclamé sur base de l’article 29 du statut général auquel il serait ainsi renvoyé par l’article 30, paragraphe 2, alinéa 2 du statut général.
A titre subsidiaire, le délégué du gouvernement argue que si le tribunal administratif devait considérer que la demanderesse avait été en activité de service, il y aurait lieu d’analyser les conditions et modalités prévues par le Code du travail dans ce contexte, le régime du congé de maternité étant fixé par les articles L. 332-1 et suivants dudit Code, prévoyant les conditions d’attribution du congé de maternité, mais ne s’exprimant pas sur l’indemnité compensatoire de maternité, cette dernière étant régie par l’article 25 du Code de la Sécurité sociale, tout en tenant compte de l’article 10 du même Code de la Sécurité sociale.
Le délégué du gouvernement insiste sur le fait que l’indemnité pécuniaire de maternité se composerait d’une indemnité de base et, le cas échéant, des compléments et accessoires, correspondant au salaire de base le plus élevé de l’assuré au cours des trois mois précédant le début du paiement de l’indemnité pécuniaire de maternité. A cet égard, il constate que durant les trois mois qui auraient précédé le début du paiement de l’indemnité pécuniaire de maternité, la demanderesse n’aurait pas été affiliée auprès de l’Etat, mais auprès de l’…, de sorte que cette dernière n’aurait pas perçu de rémunération de la part de l’Etat durant cette période, mais bien de l’…, tout en relevant que la demanderesse aurait bénéficié d’un congé de maternité et d’une indemnité pécuniaire de maternité prise en charge par la Caisse nationale de santé, ci-après dénommée « la CNS », indemnité pécuniaire de maternité ne pouvant être cumulée avec un autre revenu professionnel en vertu de l’article 25 du Code de la Sécurité sociale.
Etant donné que la demanderesse aurait bénéficié d’un congé de maternité rémunéré, le délégué du gouvernement estime qu’elle ne pourrait bénéficier ni d’un second congé de maternité rémunéré portant sur la même période, ni d’un complément de congé de maternité rémunéré de la part de la Fonction publique, de sorte que le refus ministériel du 8 décembre 2020 resterait justifié, l’invalidation de l’alinéa 3 du 3e paragraphe de l’article 30 du statut général n’ayant aucun impact sur la décision déférée.
La partie gouvernementale conclut finalement au rejet de la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la demanderesse en s’appuyant sur un arrêt de la Cour administrative du 22 décembre 2016, inscrit sous le numéro 38251C du rôle.
Force est au tribunal de rappeler que dans ses arrêts précités des 1er mars et 5 mars 2024, en réponse à la question préjudicielle posée, la Cour constitutionnelle a décidé que l’article 30, paragraphe 2, alinéa 3 du statut général n’est pas conforme à l’article 10bis de la Constitution, en ce que la différence de traitement consistant à priver de traitement la femme enceinte d’un premier enfant ou dont le congé de maternité ou d’accueil survient postérieurement à l’expiration du délai y prévu, n’est pas rationnellement justifié.
Aux termes de l’article 15, alinéa 2 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, « la juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toutes les autres juridictions appelées à statuer dans la même affaire, sont tenues, pour la solution du litige dont elles sont saisies, de se conformer à l'arrêt rendu par la Cour [constitutionnelle] ».
En cas d’arrêt de la Cour constitutionnelle retenant la non-conformité d’une loi à la Constitution, la juridiction qui a posé la question préjudicielle est tenue de se conformer à l’arrêt rendu par la Cour en ce sens qu’elle est appelée à ne pas appliquer la loi jugée non conforme à la Constitution1. Il y a encore lieu de relever, dans ce contexte, que dans la mesure où la déclaration de non-conformité dégagée par la Cour constitutionnelle s’impose à 1 Cour adm. 30 janvier 2007, n° 20688C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlement, n° 46 et les autres références y citées.
la juridiction de renvoi, il n’appartient pas à cette dernière de donner suite à des analyses d’une partie au litige au principal aboutissant, du moins en apparence, à énerver la conclusion tirée par la Cour constitutionnelle dans la sphère de compétence qui est la sienne, à savoir celle de la décision sur la conformité d’une loi à la Constitution, sans que cette compétence ne relève en aucune manière de la juridiction de renvoi2.
Partant le constat d’inconstitutionnalité d’une disposition légale opéré par la Cour constitutionnelle implique que ladite norme doit être écartée du litige dont la juridiction de renvoi est saisie, conformément à l’ancien article 95ter, paragraphe (6), actuellement l’article 112, paragraphe (6) de la Constitution, aux termes duquel « 6) Les dispositions des lois déclarées non conformes à la Constitution par un arrêt de la Cour Constitutionnelle cessent d’avoir un effet juridique le lendemain de la publication de cet arrêt dans les formes prévues pour la loi, à moins que la Cour Constitutionnelle n’ait ordonné un autre délai. La Cour Constitutionnelle détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. » En application des arrêts précités de la Cour constitutionnelle, il échet partant de retenir que l’article 30, paragraphe 2, alinéa 3 du statut général, tel que modifié par la loi du 9 mai 2018, n’a pas pu servir de base légale à la décision sous examen du 8 décembre 2020, de sorte que le tribunal écarte l’application de ladite disposition légale au présent litige.
Si la partie gouvernementale apporte une motivation complémentaire dans son mémoire supplémentaire, en invoquant une nouvelle base légale, à savoir l’article 30, paragraphe 2, alinéa 2 du statut général, il n’en demeure pas moins que ladite disposition légale n’est pas de nature à justifier le refus ministériel d’accorder à la demanderesse un congé de maternité rémunéré.
En effet, l’article 30, paragraphe 2, alinéa 2 du statut général prévoit que « Si, pendant le congé sans traitement visé par le présent paragraphe, survient une grossesse ou une adoption, il prend fin et le fonctionnaire a droit à un congé de maternité ou d'accueil, dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article 29, ainsi que, le cas échéant, à un congé sans traitement prévu au paragraphe 1er et à un service à temps partiel prévu à l'article 31, paragraphe 2 (…) ».
Ladite disposition légale prévoit qu’un droit à un congé de maternité ou d’accueil, dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article 29 du statut général, s’ouvre, dans le chef d’un agent étatique bénéficiant d’un congé sans traitement accordé selon le paragraphe 2 de l’article 30 du statut général, à savoir, soit, pour élever un ou plusieurs enfants à charge de moins de seize ans, soit, pour des raisons personnelles, familiales ou professionnelles dûment motivées, à condition qu’une grossesse ou une adoption survient pendant ledit congé sans traitement accordé, de sorte que ledit congé sans solde ainsi accordé prend fin pour faire place au congé de maternité ou d’accueil.
Dans la mesure où l’article 30, paragraphe 2, alinéa 2 du statut général institue le droit à un congé de maternité ou d’accueil pour tous les agents bénéficiant d’un congé sans traitement accordé selon ledit paragraphe, ces derniers n’étant, dans tous les cas, nécessairement pas en fonction au moment de l’ouverture de leur droit à un congé de 2 Par analogie : Cour adm. 2 avril 2015, n° 34075aC du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlement, n° 48 et l’autre référence y citée.
maternité ou d’accueil, pour être sous le coup d’un congé sans traitement, force est de constater que le raisonnement étatique, tablant sur la prémisse erronée que par le renvoi à l’article 29 du statut général par l’alinéa 2 de l’article 30, paragraphe 2 du même texte ledit droit à un congé de maternité ou d’accueil ne s’ouvrirait qu’aux seuls agents étatiques en fonction, ne saurait tenir, de sorte que ledit raisonnement est d’ores et déjà à rejeter pour être inopérant.
S’agissant encore du moyen invoqué à titre subsidiaire par la partie gouvernementale selon lequel la demanderesse aurait d’ores et déjà bénéficié d’un congé de maternité rémunéré en tant que salariée de droit privé auprès de l’…, de sorte qu’elle ne pourrait bénéficier ni d’un second congé de maternité rémunéré portant sur la même période, ni d’un complément de congé de maternité rémunéré de la part de la Fonction publique, il échet de relever que ladite argumentation est à rejeter alors qu’elle tend, en effet, à rouvrir les débats quant à l’intérêt à agir de Madame (A) contre la décision sous examen du 8 décembre 2020, question qui a cependant définitivement été tranchée par le jugement du 17 octobre 2023 dans lequel le tribunal a retenu que « sa demande de lui accorder un congé de maternité rémunéré par la Fonction publique, tend à la faire bénéficier d’une rémunération plus élevée que celle qu’elle a effectivement touchée par la CNS au même titre », de sorte qu’elle justifiait manifestement d’un intérêt à agir contre la décision déférée lui portant un préjudice financier.
Ainsi, sur base des considérations qui précèdent, force est au tribunal de constater que dans la mesure où la décision déférée du 8 décembre 2020 a été prise sur le fondement de l’article 30, paragraphe 2, alinéa 3 du statut général, ayant été déclaré non conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle, et que l’article 30, paragraphe 2, alinéa 2, invoqué comme nouvelle base légale du refus ministériel par la partie gouvernementale, ne saurait justifier ledit refus puisqu’au contraire, il prévoit expressément qu’un droit à un congé de maternité ou d’accueil s’ouvre dans le chef de tous les agents bénéficiant d’un congé sans traitement accordé selon le paragraphe 2 dudit article 30 du statut général, sans distinguer entre les différentes catégories de congés sans traitement, en cas de survenance d’une grossesse pendant ledit congé sans traitement accordé, il y a lieu d’annuler la décision déférée du 8 septembre 2020 pour défaut de base légale.
Quant à l’indemnité de procédure de 2.500 euros sollicitée par la demanderesse sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, il y a lieu de relever qu’une telle demande qui omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qui ne précise surtout pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie gagnante est à rejeter, la simple référence à l’article de loi applicable n’étant pas suffisante à cet égard.3 En l’espèce, la demanderesse n’ayant pas spécifié en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge l’intégralité des frais exposés en vue de l’introduction du présent recours, la demande en question est à rejeter comme n’étant pas fondée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
3 Cour adm. 1er juillet 1997, n° 9891C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1287 et les autres références y citées.
vidant le jugement du tribunal administratif du 17 octobre 2023, inscrit sous le numéro 45760 du rôle ;
déclare le recours en annulation justifié et annule la décision du ministre de la Fonction publique 8 décembre 2020 ayant refusé la rémunération du congé de maternité de Madame (A) pendant le congé sans traitement pour raisons professionnelles de cette dernière ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la demanderesse ;
condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 décembre 2024 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 décembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 10