Tribunal administratif N° 52016 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:52016 1re chambre Inscrit le 27 novembre 2024 Audience publique du 16 décembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), connu sous un autre alias, … contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52016 du rôle et déposée le 27 novembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (République démocratique du Congo) et être de nationalité congolaise, connu sous un autre alias, actuellement assigné à résidence à la maison retour, sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 8 novembre 2024 de le transférer vers le Portugal comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Amadou NDIAYE, en remplacement de Maître Edévi AMEGANDJI, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 décembre 2024.
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Le 27 août 2024, Monsieur (A), connu sous un autre alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une consultation dans la base de données VIS, qu’il était titulaire d’un visa délivré par les autorités portugaises, valable du 13 juillet au 6 août 2024.
En date du 29 août 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une 1demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le 3 septembre 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues portugais une demande de prise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 12 (4) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers en date du 31 octobre 2024.
Par décision du 8 novembre 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le 12 novembre 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers le Portugal sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 12 (4) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 27 août 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).
En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 12(4) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers le Portugal qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains, le rapport de Police Judiciaire du 27 août 2024, ainsi que le rapport d’entretien Dublin DIII du 29 août 2024 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 27 août 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac n’a fourni aucun résultat.
Il ressort cependant des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment de la consultation de la base de données VIS, que le Portugal vous a délivré un visa valable du 13 juillet 2024 au 6 août 2024, avec lequel vous avez pu entrer sur le territoire des Etats membres au Portugal. Vous confirmez ces faits par vos déclarations.
Sur cette base, une demande de prise en charge en vertu de l’article 12(4) du règlement DIII a été adressée aux autorités portugaises en date du 3 septembre 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités portugaises en date du 31 octobre 2024.
2.
Quant aux bases légales 2En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
La responsabilité du Portugal est acquise suivant l’article 12(4) du règlement DIII en ce que le demandeur est titulaire d’un visa périmé depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un Etat membre et que l’Etat membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3.
Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment de la consultation de la base de données VIS, que le Portugal vous a délivré un visa valable du 13 juillet 2024 au 6 août 2024, avec lequel vous avez pu entrer sur le territoire des Etats membres au Portugal.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Congo le 16 juillet 2024, lorsque vous auriez pris un vol du Congo jusqu’au Portugal. Vous avez pu voyager et entrer sur le territoire des Etats membres grâce à votre visa portugais, valable du 13 juillet 2024 au 6 août 2024. Après votre arrivée au Portugal, vous auriez pris un bus pour vous rendre en France et puis en Belgique.
Vous seriez arrivé au Luxembourg début août et vous vous êtes présenté à la Direction générale de l’immigration en date du 27 août 2024.
Lors de votre entretien DIII, vous déclarez être en bonne santé, mais vous auriez de petits soucis aux dents. Force est de constater que vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers le Portugal qui est l’Etat membre responsable de l’examen de votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que le Portugal est lié à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements 3cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que le Portugal est lié par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que le Portugal profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, le Portugal est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers le Portugal sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence Portugal revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée au Portugal, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités portugaises ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités portugaises compétentes, notamment judiciaires.
Les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre 4demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers le Portugal, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers le Portugal, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers le Portugal en informant les autorités portugaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités portugaises n’ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 8 novembre 2024.
Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28 (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Prétentions des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.
En droit, il conteste la compétence de principe du Portugal, respectivement l’incompétence du Luxembourg sur base de l’article 12 (4) du règlement Dublin III, au motif que, même s’il a voyagé avec un passeport muni d’un visa portugais, il n’aurait jamais personnellement sollicité le prédit visa. Il estime que le ministre serait resté en défaut de prouver que le passeport aurait été établi en son nom et que le visa porterait ses empreintes.
Par conséquent, la supposition du ministère selon laquelle il aurait été titulaire d’un visa pour entrer au Portugal serait purement hypothétique et ne correspondrait pas à la réalité factuelle, de sorte que le Portugal devrait être considéré comme un pays de transit et non comme le pays responsable pour connaître de sa demande de protection internationale.
En deuxième lieu, le demandeur estime qu’un transfert vers le Portugal risquerait de l’exposer à des persécutions, respectivement à des traitements dégradants de la part de la communauté congolaise s’y trouvant, en expliquant qu’il se trouverait dans le collimateur des partisans du gouvernement actuel en raison du passé militaire de son père.
Par ailleurs et pour les mêmes raisons, le demandeur conclut à la violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III.
Finalement, le demandeur soutient qu’en plus des problèmes dentaires dont il aurait fait état lors de son entretien Dublin III, il souffrirait d’autres problèmes de santé pour lesquels il 5devrait se faire soigner, ce qui ne serait pas possible au Portugal dans la mesure où les autorités portugaises seraient préoccupées à réparer les dégâts résultant d’inondations récentes.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Appréciation du tribunal L’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 12 (4) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été également prise, dispose, quant à lui, que : « Si le demandeur est seulement titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des États membres.
Lorsque le demandeur est titulaire d’un ou plusieurs titres de séjour périmés depuis plus de deux ans ou d’un ou plusieurs visas périmés depuis plus de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre et s’il n’a pas quitté le territoire des États membres, l’État membre dans lequel la demande de protection internationale est introduite est responsable. ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui qui a émis à l’égard du demandeur de protection internationale concerné un visa lui ayant permis d’entrer sur le territoire d’un Etat membre, périmé depuis moins de six mois, respectivement un titre de séjour périmé depuis moins de deux ans.
Le tribunal constate de prime abord que la décision de transférer le demandeur vers le Portugal et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 12 (4) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur (A), mais le Portugal, étant donné que cet Etat membre lui avait délivré un visa valable du 13 juillet au 6 août 2024, lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire des Etats membres, et que les autorités portugaises avaient accepté sa prise en charge le 31 octobre 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.
6Ce constat n’est pas énervé par les développements non autrement circonstanciés du demandeur dans sa requête introductive d’instance quant à son entrée sur le territoire de l’Union européenne sous le couvert de documents d’identité qui n’auraient pas été les siens, ce qui, outre de constituer une infraction pénale, est contredit par l’extrait de la base de données VIS du 27 août 2024, duquel il ressort que le visa ayant permis au demandeur d’entrer sur le territoire du Portugal était enregistré dans ladite base de données avec les données biométriques, soit ses empreintes, de sorte que le prédit visa permet de l’identifier, malgré l’usage d’un alias.
Force est au tribunal de constater que les déclarations du demandeur, selon lesquelles le Portugal devrait être considéré comme « pays de transit », dans la mesure où il y serait entré en utilisant de faux documents d’identité, relèvent, in fine, du forum shopping que le règlement Dublin III a justement pour objectif d’éviter.
Au vu des considérations qui précèdent, il échet de retenir que le demandeur manque manifestement d’énerver à suffisance de droit le constat, corroboré par plusieurs éléments de la cause, que sa situation rentre bien dans les prévisions de l’article 12 (4) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen y relatif encourt le rejet.
En ce qui concerne le deuxième moyen tablant, de l’entendement du tribunal, sur une violation de l’article 3 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », il échet de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », équivalent de l’article 3 de la CEDH, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du règlement Dublin III, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En l’espèce, force est de constater que le demandeur reste en défaut d’alléguer et a fortiori de démontrer l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au Portugal, ce dernier soutenant, en substance, qu’en raison de la présence d’une communauté congolaise significative lui malveillant au Portugal, son transfert serait contraire à l’article 3 de la CEDH, ainsi qu’à l’article 17 (1) du règlement Dublin III.
Il échet encore de rappeler, à l’égard du moyen ayant trait à la violation par la décision ministérielle litigieuse de l’article 3 de la CEDH, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et le Protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1.
1 CJUE, 21 décembre 2011, N. S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, et M. E. et autres c.
Refugee Applications Commissioner et Minister for Justice, Equality and Law Reform, C-493/10, point 78.
7C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2,3.
Il échet de constater qu’aux termes de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 16 février 20174, l’article 4 de la Charte, et partant également par analogie l’article 3 de la CEDH, doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article5, étant précisé qu’il ressort d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20196, qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant7.
En l’espèce, le tribunal constate que Monsieur (A) ne prouve pas que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés au Portugal, ni que ses droits ne seraient pas respectés en cas de retour au Portugal, respectivement qu’il ne puisse pas les faire valoir en usant des voies de droit adéquates. Ce constat n’est pas ébranlé par les développements du demandeur dans sa requête introductive d’instance au sujet de sa crainte de subir, en cas de transfert au Portugal, des persécutions de la part de « membres du nouveau gouvernement, anti Kaliba, au Congo », étant donné qu’il n’a fourni aucun élément probant dont il se dégagerait que les autorités policières et judiciaires portugaises ne pourraient ou ne voudraient pas lui fournir une protection appropriée contre les agissements dont il craindrait de faire l’objet de la part de ces individus.
Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres éléments, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH en cas de transfert vers le Portugal.
S’agissant encore de l’argumentation du demandeur relative à son état de santé, le tribunal relève que dans son arrêt, précité, du 16 février 2017, la CJUE a mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 2 Ibidem, point 79.
3 Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
4 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.
5 Ibidem, points 65 et 96.
6 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.
7 Ibidem, point 88.
819 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats […] ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte].
En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […] »8. Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne.
Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […] »9.
Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée.10 En l’espèce, si le demandeur mentionne de manière générale des problèmes de santé, sans en donner des précisions, force est néanmoins de constater qu’il n’a pas versé de pièce probante, telle qu’un certificat médical, qui permettrait au tribunal d’apprécier la nature exacte et la gravité de ses problèmes de santé allégués. Ainsi, le demandeur n’a pas fourni d’éléments objectifs qui seraient de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et a fortiori les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner le transfert au Portugal sur celui-ci.
8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.
9 Ibid., points 76 à 85 et point 96.
10 Ibid., point 83.
9En tout état de cause, il ne se dégage d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur ne pourrait trouver au Portugal une aide spécifique au vu des besoins éventuels particuliers en matière d’accueil requis le cas échéant par son état de santé, à admettre l’existence de problèmes de santé graves.
Il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32 (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers le Portugal par le biais de la communication aux autorités portugaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.11 Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».
A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres12, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201713.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge14, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration15.
En l’espèce, le demandeur estime que sa situation particulière, et plus spécifiquement le fait qu’il risquerait des traitements inhumains et dégradants de la part de la communauté congolaise au Portugal, aurait dû amener le ministre à faire application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III.
11 En ce sens : trib. adm., 30 mars 2022, n° 47115 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
12 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
13 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.
14 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 (3e volet) et les autres références y citées.
15 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.
10 Or, étant donné que le tribunal vient de rejeter, pour ne pas être fondés, aussi bien l’argumentation du demandeur visant à contester la compétence de principe du Portugal que le moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la CEDH, il n’entrevoit pas non plus d’éléments de nature à justifier dans le cas du demandeur le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 décembre 2024 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 11