Tribunal administratif N° 51768 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51768 1re chambre Inscrit le 31 octobre 2024 Audience publique du 16 décembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), Luxembourg, connu sous différents alias, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (2), L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51768 du rôle et déposée le 31 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B265326, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Erythrée) et être de nationalité érythréenne, connu sous différents alias, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 17 octobre 2024 ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable sur le fondement de l’article 28 (2) b) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Aminatou KONE, en remplacement de Maître Frank WIES, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 novembre 2024.
Le 16 août 2024, Monsieur (A), connu sous d’autres alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de la police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Lors de cette audition, Monsieur (A) révélat avoir vécu au cours des quatorze dernières années en Suisse et y avoir introduit une demande de protection internationale.
En date du 19 septembre 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues suisses une demande de prise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18 (1) a) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Par retour de courrier du 23 septembre 2024, la prise en charge de Monsieur (A) fut refusée par les autorités suisses sur base de l’article 18 (1) a), précité, du règlement Dublin III, au motif de l’inapplicabilité dudit règlement compte tenu du fait que l’intéressé bénéficiait du statut de réfugié en Suisse depuis le 27 janvier 2011. En revanche, la prise en charge de Monsieur (A) fut acceptée par lesdites autorités suisses sur base de l’article 6 (2) de la directive 2008/115/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et de l’accord bilatéral de réadmission entre la Suisse et le Luxembourg.
Le 8 octobre 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère dans le cadre d’un entretien concernant la recevabilité de sa demande de protection internationale.
Par un arrêté du 16 octobre 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », prit une décision de départ à l’encontre de Monsieur (A) constatant l’irrégularité de son séjour sur le territoire luxembourgeois, tout en informant ce dernier qu’il est tenu de se rendre immédiatement en Suisse, Etat qui lui aurait accordé une protection internationale.
Par décision du 17 octobre 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’une protection internationale lui avait été accordée par un premier pays d’asile, en l’occurrence la Suisse, cette décision étant libellée comme suit :
« […] En date du 16 août 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (2) b) et de l’article 29 de la Loi de 2015, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif qu’une protection internationale vous a été accordée par un premier pays d’asile, en l’occurrence la Suisse.
Force est en effet de constater qu’aux termes de l’article 29 de la Loi de 2015, « Un pays peut être considéré comme le premier pays d’asile d’un demandeur déterminé, si le demandeur :
a) s’est vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection ; (…) Il ressort du paragraphe (2) de ce même article qu’en appliquant le concept de premier pays d’asile, le ministre tient compte des dispositions de l’article 31, paragraphe (1) qui dispose que :
« Le ministre peut appliquer la notion de pays tiers sûr uniquement lorsqu’il a acquis la certitude que dans le pays tiers concerné, le demandeur sera traité conformément aux principes suivants:
a) le demandeur n’a à craindre ni pour sa vie ni pour sa liberté en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques;
b) il n’existe aucun risque d’atteintes graves au sens du chapitre 3 de la présente loi;
c) le principe de non-refoulement est respecté conformément à la Convention de Genève;
d) l’interdiction, prévue par le droit international, de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y est respectée;
e) la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la Convention de Genève. ».
Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous avez obtenu une protection internationale en Suisse en date du 27 janvier 2011. Par la suite, selon vos déclarations confirmées par le rapport de police, vous auriez fait l’objet d’une condamnation à une peine privative de liberté de 16 mois par le tribunal d’arrondissement de St. Gallen le 17 août 2021.
Vous affirmez qu’une fois votre peine purgée, les autorités suisses auraient refusé de renouveler votre titre de séjour en vertu d’une loi nationale suisse. Le 19 novembre 2024, les autorités luxembourgeoises ont présenté une requête de reprise en charge sur base de l’article 18 du Règlement Dublin III aux autorités suisses. Ces dernières rejetèrent votre reprise en charge le 23 septembre 2024 au motif que vous êtes déjà bénéficiaire du statut de réfugié en Suisse et qu’un transfert pourrait être organisée sur base de l’accord bilatéral entre la Suisse et le Luxembourg, étant donné que vous êtes autorisé à rester sur le territoire suisse.
En effet, votre qualité de réfugié n’a pas été révoquée suite à votre condamnation. A cet égard, les autorités suisses confirment en date du 25 janvier 2023 „Aufgrund der bestehenden Flüchtlingseigenschaft bleiben Sie bis auf weiteres zum Aufenthalt in der Schweiz geduldet".
Vous avez en outre ni à craindre pour votre vie, ni pour votre liberté en raison de votre race, de votre religion, de votre appartenance à un groupe social particulier ou de vos opinions politiques en cas de retour en Suisse. Il n’existe dans votre chef par ailleurs aucun risque que vous auriez à craindre, en cas de retour en Suisse, d’être la victime d’atteintes graves, ni que cet Etat ne respecterait pas le principe de non-refoulement dans votre chef et vous éloignerait vers un pays dans lequel votre vie serait en danger.
En effet, la Suisse est depuis 1974 signataire de la Convention européenne des droits de l’homme et à ce titre, est présumée en appliquer les dispositions.
Dès lors votre affirmation selon laquelle vous ne pourriez « rien louer » ou trouver un travail « sans documents de séjour » sont certes regrettables, mais ces affirmations ne sont pas concluantes en termes de recevabilité de votre demande de protection internationale introduite au Luxembourg. En tout état de cause, vous n’apportez pas la preuve que, dans votre cas précis, vos droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Suisse.
Il y a lieu de déclarer votre demande de protection internationale introduite au Luxembourg comme étant irrecevable, alors que la Suisse est à considérer aussi bien objectivement qu’individuellement comme étant votre premier pays d’asile, et que non seulement vous vous êtes vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays depuis le 27 janvier 2011, mais que vous pouvez encore vous prévaloir de cette protection à ce jour.
Partant votre demande est déclarée irrecevable. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la susdite décision ministérielle du 17 octobre 2024.
Etant donné que l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit expressément un recours en annulation en la présente matière, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Prétentions des parties A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tout en précisant que suite à une bagarre, il aurait été condamné le 17 août 2021 par le tribunal d’arrondissement de St. Gallen à une peine d’emprisonnement de 16 mois et « une expulsion de territoire Suisse » aurait été prononcée contre lui pour une durée de 5 ans. Après avoir purgé sa peine d’emprisonnement jusqu’au 30 décembre 2022, le demandeur aurait été libéré de manière conditionnelle avec un délai d’épreuve d’un an.
Par courrier du 25 janvier 2023 intitulé « Vollzug der gerichtlichen Landesverweisung », l’office de l’immigration de St. Gallen aurait informé le demandeur de ce qui suit « […] Das Kantonsgericht/Kreisgericht/Bundesgericht hat mit Entscheid vom 17.
August 2021 eine Landesverweisung von 5 Jahre gegen Sie angeordnet. Damit ist ihre Aufenthaltsbewilligung sowie Ihr gewährtes Asyl von Gesetzes wegen erloschen […] und Sie müssten die Schweiz verlassen. Aufgrund der bestehenden Flüchtlingseigenschaft bleiben Sie bis auf weiteres zum Aufenthalt in der Schweiz geduldet. Die Aufnahme einer Erwerbstätigkeit ist erlaubt, jedoch besteht kein Anspruch auf Erteilung einer Aufenthaltsbewilligung. Auch die vorläufige Aufnahme ist nicht möglich. […] ». Monsieur (A) en déduit que, malgré le fait qu’il serait, en raison de sa qualité de réfugié, encore toléré en Suisse, il ne saurait plus bénéficier de tous les droits liés à son statut et il se trouverait dans l’impossibilité de trouver un emploi et un logement.
En droit, après avoir rappelé les dispositions des articles 28 (2) b), 29 et 31 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur soutient que ce serait à tort que le ministre aurait conclu à l’irrecevabilité de sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg, au motif que sa qualité de réfugié en Suisse n’aurait pas été révoquée.
A cet égard, il se prévaut d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 19 mars 2019, dont se dégagerait la faculté pour les Etats membres de rejeter une demande de protection internationale, lorsque le demandeur aurait déjà obtenu une protection internationale dans un autre Etat membre, pour autant que les conditions de vie prévisibles que ce demandeur rencontrerait en tant que bénéficiaire d’une protection internationale dans cet autre Etat membre ne l’exposeraient pas à un risque sérieux de subir un traitement inhumain ou dégradant au sens de article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».
Le demandeur continue, en exposant que la Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, ci-après désignée par « la Convention de Genève », prévoirait un certain nombre de droits et libertés pour chaque réfugié, droits et libertés dont le demandeur ne pourrait plus se prévaloir en Suisse, en raison de la caducité de son « autorisation de séjour et l’asile ». Il en déduit qu’il ne bénéficierait plus d’une « pleine protection internationale » en Suisse et que sa présence sur le territoire ne serait tout au plus tolérée, compte tenu du principe de non-refoulement que la Suisse devrait respecter. A titre d’exemple, le demandeur énonce qu’il ne pourrait plus bénéficier du droit au logement, de l’accès aux soins de santé, de la liberté de circulation ainsi que de la possibilité d’obtenir des pièces d’identité.
En second lieu, le demandeur soutient que la Suisse ne serait pas un Etat membre de l’Union européenne, de sorte que les dispositions du droit de l’Union européenne ne s’appliqueraient pas.
Abstraction faite de ce constat, le demandeur fait néanmoins valoir que la définition de la notion de « réfugié », telle qu’inscrite à l’article 2 de la directive 2011/95/UE, serait identique à celle prévue dans la Convention de Genève et que la CJUE se serait prononcée dans son arrêt du 14 mai 2019 sur la distinction entre la « qualité de réfugié » et le « statut de réfugié ». Pour la CJUE, la qualité de réfugié ne dépendrait pas de la reconnaissance formelle du statut, et une personne ayant seulement la qualité de réfugié ne saurait bénéficier de l’ensemble des droits et avantages conférés par le statut, mais continuerait tout de même à jouir d’un certain nombre de droits prévus par la Convention de Genève. Toujours conformément à la jurisprudence de la CJUE, le demandeur soutient que même en cas de révocation du statut de réfugié, la personne concernée conserverait les droits prévus aux articles 32 et 33 de la Convention de Genève, sous condition de toujours avoir la qualité de réfugié, de sorte qu’il en déduit que des garanties minimales resteraient acquises en cas de révocation du statut, mais qu’il ne pourrait plus prétendre au droit au séjour, droit au travail, ainsi qu’aux droits sociaux et patrimoniaux. En se référant à une décision du Conseil d’Etat français, selon laquelle ce serait à juste titre que les autorités conféreraient un statut de séjour moins favorable aux personnes qui présenteraient une menace grave à l’ordre public en l’absence de possibilité de les expulser pour les inciter à adopter un comportement plus respectueux de la loi, ce statut ne s’étendant ni au droit de séjour, ni au droit du travail, le demandeur considère que sa situation en Suisse serait moins favorable que celle prévue par les autorités françaises, étant donné qu’il ne pourrait même pas prétendre à une autorisation de séjour, respectivement à une admission provisoire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Appréciation du tribunal Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants :
b) un pays qui n’est pas un Etat membre est considéré comme le premier pays d’asile du demandeur en vertu de l’article 29 ; […] ».
Cet article transpose en droit national l’article 33 (2) a) de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, ci-après désignée par la « directive 2013/32 », qui prévoit que : « les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :
b) un pays qui n’est pas un Etat membre est considéré comme le premier pays d’asile du demandeur en vertu de l’article 35 […] ».
L’article 29 de la loi du 18 décembre 2015, transposant l’article 35 de la directive 2013/32, dispose, quant à lui, qu’ « un pays peut être considéré comme le premier pays d’asile d’un demandeur déterminé, si le demandeur :
a) s’est vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection […].
En appliquant le concept de premier pays d’asile à la situation personnelle d’un demandeur, le ministre tient compte des dispositions de l’article 31, paragraphe (1). Le demandeur est autorisé à contester l’application du concept de premier pays d’asile à sa situation personnelle ».
Conformément à l’article 31 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) Le ministre peut appliquer la notion de pays tiers sûr uniquement lorsqu’il a acquis la certitude que dans le pays tiers concerné, le demandeur sera traité conformément aux principes suivants :
a) le demandeur n’a à craindre ni pour sa vie ni pour sa liberté en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques ;
b) il n’existe aucun risque d’atteintes graves au sens du chapitre 3 de la présente loi ;
c) le principe de non-refoulement est respecté conformément à la Convention de Genève ;
d) l’interdiction, prévue par le droit international, de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y est respectée ;
e) la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la Convention de Genève. […] ».
Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande de protection internationale, sans vérifier si les conditions d’octroi en sont réunies, notamment, dans le cas où le demandeur s’est vu reconnaître précédemment la qualité de réfugié dans un Etat tiers et peut encore se prévaloir de cette protection.
Dès lors, et dans la mesure où il est constant en cause que le demandeur s’est vu accorder le statut de réfugié par les autorités suisses en date du 27 janvier 2011, c’est a priori à bon droit que le ministre a déclaré irrecevable sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
S’agissant de l’argumentation du demandeur ayant trait au fait que, depuis le 25 janvier 2023, il ne bénéficierait plus du statut de réfugié en Suisse, mais seulement de la qualité de réfugié qui ne lui permettrait pas de bénéficier de tous les droits et libertés découlant du statut tel que prévu par la Convention de Genève, le tribunal relève tout d’abord que l’article 2 de la loi du 18 décembre 2015 distingue pour sa part, au point f), le « réfugié » qui correspond à la définition donnée à l’article 1 A (2) de la Convention de Genève et, au point i), le « statut de réfugié », défini comme « la reconnaissance d’un ressortissant d’un pays tiers ou d’un apatride en tant que réfugié ».
Cette même distinction est également inscrite, en de termes similaires, à l’article 2 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par la « directive 2011/95/UE ».
S’agissant de cette dernière disposition, la CJUE a précisé les notions de « qualité de réfugié » et de « statut de réfugié » dans son arrêt « M. contre Ministerstvo vnitra et autres » du 14 mai 2019, en retenant que :
« […] 92. Il découle des considérations qui précèdent que la qualité de « réfugié », au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95 et de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, ne dépend pas de la reconnaissance formelle de cette qualité par l’octroi du « statut de réfugié », au sens de l’article 2, sous e), de cette directive, lu en combinaison avec l’article 13 de cette dernière. […] 98. En effet, outre ce qui a été dit au point 92 du présent arrêt, la circonstance que la personne concernée relève de l’une des hypothèses visées à l’article 14, paragraphes 4 et 5, de la directive 2011/95 ne signifie pas pour autant que celle-ci cesse de répondre aux conditions matérielles dont dépend la qualité de réfugié, relatives à l’existence d’une crainte fondée de persécution dans son pays d’origine.
99. Dans le cas où un État membre décide de révoquer le statut de réfugié ou de ne pas l’octroyer au titre de l’article 14, paragraphe 4 ou 5, de la directive 2011/95, les ressortissants de pays tiers ou les apatrides concernés se voient, certes, privés dudit statut et ne disposent donc pas, ou plus, de l’ensemble des droits et des avantages énoncés au chapitre VII de cette directive, ceux-ci étant associés à ce statut. Toutefois, ainsi que le prévoit explicitement l’article 14, paragraphe 6, de ladite directive, ces personnes jouissent, ou continuent de jouir, d’un certain nombre de droits prévus par la convention de Genève (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, H. T., C-373/13, EU:C:2015:413, point 71), ce qui, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 100 de ses conclusions, confirme qu’ils ont, ou continuent d’avoir, la qualité de réfugié, au sens, notamment, de l’article 1er, section A, de ladite convention, en dépit de cette révocation ou de ce refus. […] »1.
L’individu relevant de la qualité de réfugié et bénéficiant, à ce titre, du statut afférant se voit reconnaître, par la Convention de Genève, des droits étendus, surtout sous l’angle de l’égalité de traitement avec les nationaux du pays d’accueil ou les ressortissants d'un pays étranger en situation régulière. C’est le cas en matière de liberté religieuse (article 4), de propriété mobilière et immobilière (article 13), de propriété intellectuelle et industrielle (article 14), de droit d'association (article 15), du droit d'ester en justice (article 16), de l’exercice des professions salariées, non salariées ou libérales (articles 17, 18 et 19), de logement (article 21), d’éducation publique (article 22), d’assistance publique (article 23), de législation du travail et de sécurité sociale (article 24), d’aide administrative (article 25), de liberté de circulation (article 26), de pièces d'identité (article 27), de titres de voyage (article 28), de charges fiscales (article 29), avec des règles spécifiques en matière d’entrée irrégulière, d’expulsion, de refoulement (articles 31, 32 et 33) et de naturalisation (article 34).
L’individu ayant la qualité de réfugié mais ne bénéficiant pas du statut afférant, car celui-ci lui a été refusé ou retiré, dispose, quant à lui d’un nombre plus limité de droits. Dans son arrêt du 24 juin 2015, H.T. c/ Land Baden-Württemberg2, la CJUE a jugé que « dans le cas où un État membre, en application de l’article 14, paragraphe 4, de cette directive, révoque, met fin ou refuse de renouveler le statut de réfugié octroyé à une personne, cette personne a le droit, conformément à l’article 14, paragraphe 6, de ladite directive, de jouir des droits qui sont énumérés notamment aux articles 32 et 33 de la convention de Genève », de sorte qu’il demeure protégé contre l’expulsion et le refoulement.
Même si la Suisse n’est pas tenue par les dispositions de l’article 14 (6) de la directive 2011/95/UE, il ressort du courrier du 25 janvier 2023 émanant des autorités suisses que Monsieur (A) a conservé sa qualité de réfugié et qu’il demeurera, à ce titre, protégé contre l’expulsion et le refoulement, conformément aux articles 32 et 33 de la Convention de Genève.
Les autorités suisses sont en outre disposées à le reprendre en charge, tel qu’indiqué dans leur courrier du 23 septembre 2024.
Dans la mesure où l’article 29 a) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit pour pouvoir conclure à l’existence d’un premier pays d’asile comme seule condition qu’un demandeur « s’est vu reconnaître la qualité de réfugié » et non la reconnaissance du statut de réfugié, le tribunal rejoint la partie étatique dans son constat que Monsieur (A) peut toujours se prévaloir d’une protection en Suisse, la prétendue révocation du statut de réfugié, non autrement étayée par des éléments probants, est à cet égard, au vu des développements qui précèdent, sans incidence.
Ce constat n’est pas ébranlé par le fait que le demandeur ne pourrait, le cas échéant, plus bénéficier de tous les droits et avantages afférents au statut de réfugié, étant donné qu’une telle exigence ne ressort ni de l’article 28 (2) b), ni de l’article 29 a) de la loi du 18 décembre 2015.
1 CJUE, 14 mai 2019, M. c. Ministerstvo vnitra et autres, C-391/16, C-77/17 et C-78/17.
2 CJUE, 24 juin 2015, H.T. c/ Land Baden-Württemberg, C-373/13, au point 71.
Quant à la situation personnelle de Monsieur (A), le tribunal constate qu’il ne ressort pas des éléments soumis à son appréciation, que les droits prévus à l’article 31 (1) de la loi du 18 décembre 2015, risqueraient de ne pas être respectés en cas de retour en Suisse, dans la mesure où la Suisse est signataire tant de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales que de la Convention de Genève, et est à ce titre présumée appliquer les dispositions de celles-ci, dont le principe de non-refoulement, de sorte que les droits dont Monsieur (A) pourra bénéficier en sa qualité de réfugié sont présumés respectés en Suisse. A cela s’ajoute que les autorités suisses ont indiqué dans leur courrier du 25 janvier 2023, que le droit de travailler du demandeur serait également garanti.
Eu égard à ces éléments et à défaut d’autres développements à ce sujet de la part du demandeur, le tribunal conclut que le demandeur ne rapporte pas la preuve qu’en cas de retour en Suisse, il y devrait craindre pour sa vie, pour sa liberté en raison de sa race, de sa religion et de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions. Le demandeur reste également en défaut d’établir qu’il serait en Suisse exposé à un risque d’y subir des atteintes graves.
Le ministre a partant pu appliquer le concept de premier pays d’asile, conformément aux dispositions de l’article 29 et 31 (1) de la loi du 18 décembre 2015.
Il s’ensuit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre la décision d’irrecevabilité de la demande de protection internationale introduite par Monsieur (A) encourt le rejet pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 décembre 2024 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 9