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16/12/2024 | LUXEMBOURG | N°50004

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 décembre 2024, 50004


Tribunal administratif N° 50004 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50004 2e chambre Inscrit le 29 janvier 2024 Audience publique du 16 décembre 2024 Recours formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50004 du rôle et déposée le 29 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître F

atim-Zohra ZIANI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lux...

Tribunal administratif N° 50004 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50004 2e chambre Inscrit le 29 janvier 2024 Audience publique du 16 décembre 2024 Recours formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50004 du rôle et déposée le 29 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Fatim-Zohra ZIANI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Venezuela), et de son épouse, Madame (B), née le … à …, tous les deux de nationalité vénézuélienne, agissant en leur nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs communs, (C), né le … à … (Venezuela), de nationalité vénézuélienne, et (D), née le … à … (Chili), de nationalité chilienne, demeurant tous ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 22 décembre 2023 refusant de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en sa plaidoirie à l’audience publique du 11 novembre 2024, Maître Fatim-Zohra ZIANI s’étant excusée et rapportée à ses écrits.

Le 5 avril 2022, Monsieur (A) et son épouse, Madame (B), accompagnés de leurs enfants mineurs communs (C) et (D), ci-après désignés ensemble par « les consorts (AB)», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, des demandes de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et celle de sa famille ainsi que sur leur itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-

ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date des 15 septembre et 3 novembre, respectivement 13 et 15 décembre 2022, Monsieur (A) et Madame (B) furent chacun entendus séparément par un agent du ministère des 1Affaires étrangères et européennes sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leurs demandes de protection internationale.

Par décision du 22 décembre 2023, notifiée aux intéressés par lettre recommandée expédiée le 27 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », informa les consorts (AB) que leurs demandes de protection internationale avaient été refusées comme étant non fondées sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 5 avril 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 ») pour votre propre compte ainsi que pour celui de vos enfants mineurs (C), né le … à … Venezuela, de nationalité vénézuélienne et (D), née le … à … Chili, de nationalité chilienne.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos motifs de fuite En mains vos fiches de motifs manuscrites des 5 et 9 avril 2022, le rapport du Service de Police Judiciaire du 5 avril 2022 et les rapports de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes de vos entretiens, Monsieur du 15 septembre 2022 et du 3 novembre 2022 et Madame des 13 et 15 décembre 2022 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale ainsi que les documents versés à l’appui de vos demandes de protection internationale.

Madame, Monsieur, il en ressort que vous seriez de nationalité vénézuélienne et que vous seriez mariés depuis le 2 mars 2022.

Monsieur, vous signalez avoir vécu avec vos parents, votre frère et votre sœur à … dans … au Venezuela. Dans votre pays d’origine, vous auriez effectué trois ans au lycée et votre dernier emploi aurait été cuisinier et débosseleur. Vous auriez été propriétaire d’un food truck, situé en face de votre domicile. Vous prétendez avoir quitté le Venezuela le 15 novembre 2017 pour vous diriger vers le Chili. Madame, avec vos enfants, vous auriez rejoint Monsieur en octobre 2018 et vous auriez vécu à Santiago jusqu’au 29 mars 2022.

Concernant la raison vous ayant poussé à quitter votre pays d’origine, selon la fiche de motifs manuscrite du 5 avril 2022 et votre rapport d’entretien, vous, Monsieur, auriez été persécuté et menacé par le gouvernement, à savoir les agents de police, et par les « Colectivos ». En cas de retour, vous craindriez qu’ils se souviennent de vous et qu’ils fassent du mal à vous et votre famille. Vous seriez notamment venu au Luxembourg car la sœur de Madame vous aurait expliqué que le pays serait un pays sûr, ce qui ne serait pas le cas pour le vôtre à la suite d’une attaque de la part des « Colectivos » et de la police.

2Monsieur, selon vos dires, en 2016, vous auriez commencé à participer à des manifestations contre le gouvernement actuel de Nicolás Maduro. Entre 2016 et 2017, vous auriez participé 20 à 30 fois à des marches, organisées par des jeunes politiciens, à … et plus souvent à …, une ville qui compterait près de 25 000 habitants. Votre rôle, au sein du mouvement « Resistencia » (p.8 de votre rapport d’entretien, Monsieur), aurait principalement consisté à ériger des barricades (encore connu sous « Guarimbas ») dans le but d’empêcher les voitures et bus d’avancer.

Votre engagement dans ledit mouvement politique aurait causé des difficultés dans votre vie privée et vous auriez subi non seulement des menaces, mais également une attaque physique le 25 avril 2017. En effet, ce jour-là, deux agents de police et cinq membres des « Colectivos » se seraient rendus à votre food truck. Vous déclarez avoir reconnu les « Colectivos » car ils auraient porté une casquette, avec une étoile « R7 », qui aurait également été portée par Che Guevara. Ils vous auraient menacé en disant : « Si tu continues à faire des barricades, on va te tuer » (p.7 de votre rapport d’entretien, Monsieur). Ensuite, un membre aurait « buté la poubelle » (p.7 de votre rapport d’entretien, Monsieur) se trouvant à côté de votre food truck. Vous seriez sorti de votre food truck pour ramasser les déchets. Ce serait à ce moment-là que vous auriez été frappé. Vous auriez tenté de rentrer afin de récupérer un bâton pour vous défendre, sans succès. Les policiers n’auraient pas participé et auraient observé la situation. Ensuite, vous auriez été passé à tabac par les membres des « Colectivos » jusqu’à ce que votre père soit sorti de votre maison. Il aurait crié et leur aurait ordonné d’arrêter de vous frapper. Après que les agents de police et membres des « Colectivos » seraient partis, une ambulance serait arrivée à votre secours afin de vous transporter à l’hôpital.

Selon vos dires, vous auriez été opéré le lendemain à la suite d’une hémorragie au niveau du pancréas et du foie. Les médecins vous auraient posé des drains que vous auriez portés pendant une quinzaine de jours. Vous auriez pu quitter l’hôpital le 1er mai 2017 et déclarez être en possession d’un CD contenant toutes les informations, y compris des rapports médicaux. Finalement, vous auriez demandé à votre mère de vous faire parvenir ledit CD, mais elle ne l’aurait pas trouvé. Elle l’aurait peut-être jeté en faisant des rangements. Vous auriez décidé de ne pas porter plainte car vous estimeriez que les policiers feraient partie des « Colectivos ».

Après cet incident, deux agents de police seraient venus en moto chez vous 10 à 15 fois (« presque chaque jour » (p.7 de votre rapport d’entretien, Madame)) dans le but de vous faire taire et de vous décourager de déposer plainte. Ils vous auraient également menacé de mort.

Ayant été témoin de l’attaque sans intervenir, la police aurait couru le risque d’être en difficultés et aurait voulu éviter cela à tout prix. Concernant lesdites menaces, vous n’auriez pas porté plainte non plus. A chaque fois, il se serait agi d’agents différents qui auraient pourtant porté un uniforme. Ces menaces se seraient produites la dernière fois au mois d’août 2017, lors de laquelle vous auriez été ordonné de ne pas rouvrir votre food truck. Vous n’auriez donc plus eu des revenus financiers. D’après vous, la police ne se serait plus rendue chez vous étant donné que vous ne divulgueriez pas la vérité et leur but serait accompli. Elle vous « aurait laissé en paix » (p.11 de votre rapport d’entretien, Madame).

Monsieur, vous déclarez avoir quitté, sans votre famille, le Vénézuéla le 15 novembre 2017 pour vous installer le 25 novembre 2017 à … au Chili car physiquement, vous vous seriez senti mieux et vous auriez dû « travailler [sic] aussi » (p.10 de votre rapport d’entretien, Monsieur). Vous auriez franchi la frontière vénézuélo-colombienne à pied, cet 3itinéraire étant le plus pratique. La suite de votre trajet se serait effectuée en bus en traversant l’Équateur et le Pérou avant d’arriver au Chili. Vous n’auriez rencontré aucun problème pour quitter votre pays d’origine (p.12 de votre rapport d’entretien, Madame). Votre famille vous aurait rejoint en octobre 2018.

Après avoir résidé au Chili pendant une certaine période, vous, Madame et Monsieur, auriez été bien rémunérés et vous auriez également vécu dans un endroit qui serait neuf et cher. « Ce bâtiment était un bâtiment pas pour n’importe qui » (p.6 de votre rapport d’entretien, Monsieur). Cela aurait donc été en début d’année 2022 qu’un groupe connu sous le nom « Tren de Aragua » aurait commencé à vous menacer par téléphone. Selon vous, Madame, il s’agirait d’une bande criminelle du Vénézuéla qui serait également active au Chili. Votre famille et vous auriez été menacés par téléphone à deux reprises en janvier et en février. Les membres de ce gang auraient demandé 150 000 pesos chiliens (équivalent de 160 euros). Vous n’auriez pas déposé plainte même si vous ne vous seriez plus senti en sécurité avec votre famille. Selon vos dires, les personnes ayant menacé des individus seraient gardées en détention pendant plusieurs jours pour être finalement libérées après deux ou trois jours car les lois seraient « comme ça » (p.6 de votre rapport d’entretien, Monsieur).

Finalement, vous auriez décidé de vous rendre, tous ensemble, au Luxembourg en empruntant l’avion du Chili à destination de …., le 29 mars 2022.

Madame, vous confirmez avoir vécu avec votre mère et votre fils (C) à … dans … au Vénézuéla. Dans votre pays d’origine, vous auriez fait une formation dans l’administration et les ressources humaines. Vous seriez technicienne supérieure en prothésiste dans le domaine de l’onglerie. Vous prétendez avoir quitté le Vénézuéla le 3 octobre 2018 pour vous diriger vers le Chili, où vous, Madame et Monsieur, auriez vécu avec vos enfants à … jusqu’au 29 mars 2022. A …, vous auriez travaillé dans un Spa en tant que ….

Vous confirmez les dires de Monsieur dans les grandes lignes. En revanche, premièrement, alors que vous, Madame, déclarez que vous, Monsieur, auriez commencé à participer aux manifestations en 2014, vous, Monsieur, prétendez avoir débuté en 2016.

Madame, selon vos dires, vous, Monsieur, auriez participé aux marches pendant trois ans, puis pendant quatre ans. Deuxièmement, concernant l’attaque du 25 avril 2017, vous expliquez que « les gens sont venus pour faire une grosse commande de nourriture et il avait refusé cette commande car il savait qu’ils n’allaient pas payer » (p.9 de votre rapport d’entretien, Madame). A la suite du refus, lesdites personnes vous auraient frappé, Monsieur. Finalement, vous, Madame, déclarez que des agents de police seraient venus chez vous, Monsieur, pendant quelques mois pour vous menacer.

Concernant les raisons de votre fuite, vous prétendez avoir quitté votre pays d’origine, selon la fiche de motifs manuscrite du 9 avril 2022, car votre famille serait persécutée par le gouvernement dans votre pays étant donné que vous, Monsieur, feriez partie de la résistance du pays. Votre famille et vous auriez notamment subi des menaces de mort et vos vies seraient en danger. De même, vous ne vous sentiriez plus en sécurité au Chili. En deuxième lieu, selon votre rapport d’entretien, vous, Madame, craindriez que vous, Monsieur, soyez soit placé en prison dû à son engagement politique. En effet, le gouvernement n’a pas changé de président depuis votre départ en 2017.

Madame, Monsieur, vous ne faites état d’aucune crainte personnelle et concrète pour le compte de vos enfants.

4A l’appui de vos demandes, vous présentez les documents et les pièces suivantes :

- Votre passeport vénézuélien, Monsieur, établi le 10 octobre 2017 et expiré depuis le 9 octobre 2022 ;

- votre passeport vénézuélien, Madame, établi le 23 septembre 2015 et expiré depuis le 22 septembre 2020 (prolongation jusqu’au 5 avril 2023);

- un passeport vénézuélien (N°…) au nom de (C) établi le 6 juin 2018 et valable jusqu’au 5 juin 2023 ;

- un passeport chilien (…) au nom de (D) établi le 19 janvier 2022 et valable jusqu’au 18 janvier 2032 ;

- une copie de votre acte de mariage, établi en 2022.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Madame, Monsieur, il importe de soulever avant tout autre développement qu’au vu des incohérences ressortant de vos dires, des doutes évidents doivent être formulés par rapport à la réelle gravité de votre situation au Vénézuéla, respectivement, à la réalité de vos craintes et aux motifs qui vous auraient poussé à d’abord quitter le Vénézuéla, puis le Chili, pour venir introduire une demande de protection internationale.

Il y a lieu de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’évaluation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.

Ce constat doit être dressé alors que vous basez votre prétendue crainte, dans un premier temps, sur les problèmes avec les agents de police et les « Colectivos » que vous auriez connus au Vénézuéla. Il échet de constater que vos déclarations concernant le motif qui vous aurait poussé à fuir votre pays d’origine, restent à l’état de pure allégation et ne sont corroborées par aucun élément de preuve. En effet, vos craintes sont basées sur des menaces, dont le contenu n’a pas été véritablement développé, et une attaque présumée ayant eu lieu le 25 avril 2017 suivie d’une hospitalisation de sept jours. Monsieur, il échet de noter que vous auriez la possibilité de prouver vos dires par rapport à votre hospitalisation, et par conséquent de l’attaque du 25 avril en versant le rapport médical. Or, comme par hasard, vous prétendez que le rapport médical n’aurait pas été retrouvé, ou jeté par votre mère en rangeant la maison.

Or, en gardant manifestement le contact avec votre mère, il ne vous a pas traversé l’esprit de lui demander de vous procurer à nouveau ledit document qui permettrait pleinement d’étayer 5vos déclarations. En effet, il serait possible d’obtenir le rapport médical du centre médical, dans lequel vous vous seriez fait soigner, ou encore de votre entreprise, car elle aurait payé une partie des frais. Il vous aurait donc été tout à fait loisible de recueillir le document. Votre manque de collaboration, et votre inactivité pour vous procurer des preuves, permet de remettre en cause la véracité de vos dires.

En outre, votre version, selon laquelle vous auriez été attaqué dû au fait que vous auriez été engagé politiquement et auriez participé aux barricades, est fortement mise à mal par la version de Madame. En effet, vous, Madame, déclarez que la raison pour laquelle vous auriez été attaqué par ledit groupe serait que vous, Monsieur, auriez refusé leur demande, admettant qu’il n’allait pas régler la note. Par conséquent, la prétendue attaque n’aurait aucunement été le fruit de votre opposition au gouvernement, de vos opinions politiques ou encore des soi-disant « Colectivos » ayant pour but de vous empêcher de poursuivre votre engagement dans la politique, mais les agresseurs auraient donc agi dans un pur but de lucre. Il y a donc lieu de constater que dans vos déclarations, Madame, Monsieur, vous vous contredisez en intégralité. En conclusion, non seulement l’événement de l’attaque n’est pas crédible et remis en question, mais en plus, sa cause n’est pas non plus définie.

Dans un deuxième temps, outre ces contradictions importantes quant à ladite attaque, il y a lieu de soulever que d’autres incohérences majeures parsèment vos déclarations relatives à votre engagement politique et corroborent le constat de leur caractère factice.

Notamment, Monsieur, lorsque vous prétendez avoir commencé votre activité politique en 2016, vous, Madame expliquez que vous, Monsieur, auriez commencé en 2014, deux ans plus tôt. Vous vous contredisez donc, Madame, Monsieur quant à la date du début de votre prétendu engagement politique. Madame, vous nous induisez en outre en erreur lorsque vous déclarez que vous, Monsieur, auriez été engagé politiquement pendant 3 ans, puis pendant 4 ans alors que selon votre ligne de réflexion, Monsieur, vous auriez été actif uniquement environ un an. Finalement, la chronologie de votre engagement politique, voire le fait même, est in extenso remis en question et n’est dorénavant plus crédible. Vous n’avez versé d’ailleurs aucune preuve de votre prétendu activisme politique, qu’il s’agisse des photos de vous lors d’une manifestation, d’un certificat d’appartenance au mouvement « Resistencia » ou d’un autre document pouvant confirmer votre engagement. Votre activité politique n’est par conséquent, ni confirmée, ni crédible.

Par ailleurs, si l’on s’en tient à votre version des faits Monsieur, si vous aviez été une personne avec un sérieux engagement politique contre les autorités vénézuéliennes, vous n’auriez pas pu quitter votre pays d’origine sans aucun problème. Monsieur, vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine à la frontière colombienne et donc, selon votre ligne de réflexion, à … se trouvant à 50km de …, votre précédent lieu de résidence. Il y a cependant lieu de constater qu’à cette même frontière, les passeports vénézuéliens sont vérifiés par les autorités vénézuéliennes du côté du Vénézuéla, et par les autorités colombiennes du côté de la Colombie. Il est donc obligatoire de montrer son passeport aux autorités afin d’être autorisé de quitter le Vénézuéla. Votre passeport contient un tampon de sortie qui vous a permis de quitter librement votre pays d’origine. Monsieur, si vous aviez vraiment été dans le collimateur des autorités vénézuéliennes, vous n’auriez pas pu quitter le pays de manière légale et sans rencontrer une quelconque difficulté.

En supplément, votre version selon laquelle vous auriez été une personne recherchée par le gouvernement est d’autant plus mise à mal par la date d’émission de votre passeport.

6En effet, votre passeport a été délivré le 10 octobre 2017. Pour rappel, votre prétendue attaque aurait eu lieu le 25 avril 2017, six mois avant l’obtention de votre nouveau passeport, et les menaces auraient eu lieu à cette époque. Monsieur, force est de constater qu’il est impossible d’effectuer une demande d’un nouveau passeport alors que vous seriez prétendument recherché et menacé par la police pendant cette même période. Si une persécution dans votre chef avait vraiment eu lieu, vous n’auriez pas été à même de vous procurer un nouveau passeport pour fuir votre pays d’origine. Dès lors, vous n’étiez pas une personne recherchée susceptible d’être menacée à cause de votre engagement et vos opinions politiques.

Dans un troisième temps, il convient de sérieusement remettre en doute la crédibilité de votre récit, Monsieur, lorsque vous évoquez les prétendues menaces faisant suite à votre prétendue attaque, respectivement lorsque les agents de police seraient venus chez vous pour vous faire taire et vous menacer. D’un côté, Madame, vous dites que les agents seraient venus pendant trois mois et de l’autre côté, Monsieur, vous prétendez, qu’ils se seraient rendus chez vous presque chaque jour, entre dix à quinze fois en total. En termes de chronologie, il y a manifestement lieu de constater que vos déclarations ne coïncident pas.

Non seulement la chronologie prête à confusion, il est également très curieux de relever que soudainement les agents vous auraient laissé en paix. Si ladite attaque avait eu lieu et si les agents de police avaient eu peur pour leur réputation et leur poste, ils auraient certainement continué les menaces afin de s’assurer que vous restiez silencieux à propos de la prétendue attaque. Il est finalement étrange de constater que les agents de police vous auraient menacés alors que, selon vous, ils auraient uniquement observé l’attaque. Logiquement, ils n’auraient pas été impliqués dans cette attaque et donc pas obligés d’effectuer lesdites menaces en premier lieu, ce qui ne contribue qu’à effriter encore plus la crédibilité de votre récit.

Autrement, s’ils avaient voulu que leur inactivité soit irréprochable, ils auraient sans doute quitté les lieux lors de votre attaque.

Finalement si vous aviez vraiment eu peur pour votre vie et si votre crainte avait véritablement été fondée, vous auriez quitté votre pays d’origine sur le champ au lieu d’y rester encore une demi-année. En outre, vous déclarez que votre famille vous aurait rejoint un an après votre départ. Monsieur, si vous aviez véritablement estimé votre situation dans votre pays d’origine dangereuse pour vous ainsi que pour votre famille, vous ne l’auriez donc pas laissée seule et livrée à elle-même. Vous ne vous trouviez donc manifestement pas dans une situation d’une gravité telle que vous tentez de le faire croire en inventant une histoire de toutes pièces afin d’augmenter vos chances vous voir octroyer une protection internationale.

A toutes fins utiles, au vu de ce qui précède, il est important d’ajouter que, Madame, Monsieur, il est fort probable que des motifs économiques, matériels ou de convenance personnelle, qui vous auraient poussés à faire des fausses déclarations, sous-tendent également vos demandes de protection internationale et qu’il ne saurait manifestement pas être conclu que vous risquez d’être victimes d’une atteinte grave en cas d’un retour au Vénézuéla. Monsieur, Madame, vous déclarez que le food truck aurait dû être fermé, ce qui vous aurait mis dans une situation dans laquelle vous n’auriez pu eu les revenus financiers nécessaires. Monsieur, il convient de conclure que vous auriez donc quitté le Vénézuéla, entre autres, à cause de votre situation financière et professionnelle qui aurait été précaire.

Dans ce contexte, il y a lieu de soulever que, bien que la situation humanitaire, économique et sécuritaire au Vénézuéla soit évidemment critiquable, la seule situation 7générale dans laquelle se trouve le pays ne permet pas non plus de retenir pour votre chef un risque d’y être victime de telles atteintes.

Il ressort des dernières informations en nos mains que, à la suite de l’exode massif des années 2015 susmentionné, l’année 2020 s’est caractérises par une certaine amélioration au Vénézuéla et par un retour de plus en plus de Vénézuéliens au pays qui sont désormais autorisés à investir en dollars et à faire proliférer leurs entreprises privées « Three hundred thousand Venezuelares have returned to the South American nation, the government of authoritarian President Nicolás Maduro reported in January, more than 30,000 of them with the help of a repatriation program called Return to the Motherland. The dollarization of Venezuelan’s economy has brought a boom in imported food and new restaurants, making the capital more appealing ». Ces retours démontrent en même temps que comme susmentionné, les Vénézuéliens ont par le passé surtout fui la crise économique et non pas les autorités ou des quelconques persécutions personnelles, en ne craignent manifestement pas d’y retourner.

Madame, Monsieur, selon vos dires, votre famille aurait également subi des menaces au Chili lorsque vous auriez résidé à …. Lesdites menaces Puisque votre fille (D) est de nationalité chilienne, il y aurait donc lieu de d’analyser son cas, en particulier par rapport à son pays d’origine, qui est notamment le Chili.

Quant aux motifs de fuite de votre fille, (D), née à Recoleta/Chili, de nationalité chilienne, Madame, Monsieur, vous déclarez que vous-même, votre conjoint et vos enfants auraient également été menacés par le gang « Tren de Aragua » au Chili. Mis à part le fait que rien de concret ne lui serait arrivé au Chili et que vous restez en défaut de prouver la réalité des prétendues menaces reçues au Chili, force est de constater que vous restez en défaut d’établir un lien entre vos prétendus soucis au Chili et ceux au Vénézuéla, qui sont pourtant contestés. Cette absence de lien est d’autant plus avérée que le gang « Tren de Aragua » n’aurait pas de présence significative au Chili. En effet, d’après les renseignements pris, il est démontré que dans de divers pays, tels que la Colombie, l’Équateur ou encore le Chili, des fausses cellules du « Tren de Aragua » visaient des migrants vénézuéliens et les autorités n’étaient pas d’avis que la cellule avait des liens avec du « Tren de Aragua », mais qu’elle utilisait le nom du gang pour intimider les migrants vénézuéliens. En réalité, « les faux groupes criminels utilisant le nom de Tren de Aragua ont commencé à se répandre à … du Chili l’année dernière, selon Piler Lizana, chercheuse au sein du groupe de réflexion politique chilien AthenaLab, qui a beaucoup étudié Tren de Aragua ».

Manifestement, cette menace n’est donc en aucun cas liée à votre fille (D), mais tout simplement liée à votre situation financière qui serait prétendument plutôt avantageuse pour les extorqueurs.

Les craintes de persécution de votre fille (D) sont donc basées sur des faits non personnels vécus par un autre membre de la famille, et sont dès lors susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 uniquement si vous établissez dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières, ce qui n’est manifestement pas son cas, de sorte que vous n’établissez pas que votre fille serait à risque d’être persécutée au Chili.

Partant, aucune protection internationale ne vous est accordée.

8Vos demandes en obtention d’une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Vénézuéla ou du Chili, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2024, les consorts (AB) ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 22 décembre 2023 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre celles portant ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 22 décembre 2023 prise dans son double volet, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

1) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs exposent, en substance, les faits et rétroactes tels que repris ci-dessus.

En droit, ils reprochent, tout d’abord, au ministre d’avoir commis une erreur d’appréciation pour ne pas avoir pris clairement position sur les raisons l’ayant motivé à leur refuser l’octroi du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Ils estiment, qu’à la lecture de la décision déférée, il semblerait que le ministre se soit prononcé exclusivement sur le statut de réfugié, sans faire référence à l’attribution éventuelle d’une protection subsidiaire dans leur chef, et ce en violation de l’article 10, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015. Ils avancent que le ministre se serait en tout état de cause abstenu d’analyser le risque pour eux d’encourir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour au Venezuela ou au Chili, tout en soulignant que, concernant le Chili, cette analyse se serait limitée à leur fille mineure, (D).

Il s’ensuivrait que le ministre aurait violé les dispositions des articles 34, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », aux termes desquels toute décision négative devrait être motivée en fait et en droit.

Ensuite, après avoir rappelé, en substance, les raisons les ayant poussés à quitter leur pays d’origine, le Venezuela, et après le Chili, telles qu’exposées dans le cadre de leurs entretiens auprès de la direction de l’Immigration et reprises par le ministre dans la décision litigieuse, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir remis en cause la crédibilité de l’entièreté de leurs récits. Ils avancent qu’ils auraient de manière concordante répondu aux 9questions posées par l’agent ministériel, sans que les « minimes » incohérences soulevées par le ministre ne permettaient de retenir que leurs récits ne seraient pas crédibles.

A cet égard, ils font valoir que les déclarations de Madame (B) quant au début de l’engagement politique de son époux en 2014 ou en 2016, respectivement quant à la durée pendant laquelle celui-ci aurait participé à des manifestations au sein du mouvement « Resistencia » seraient cohérentes. Il en serait de même des affirmations suivant lesquelles Monsieur (A) aurait été attaqué par des gens « venus pour faire une grosse commande de nourriture et il avait refusé cette commande car il savait qu’ils n’allaient pas payer » et que des agents de police seraient venus chez lui pendant quelques mois pour le menacer, les demandeurs soulignant, à cet égard, « qu’elles ne concernent que des faits sans lien direct avec les raisons les ayant poussés à quitter leur pays d’origine afin de solliciter une protection internationale au Luxembourg », tout en précisant que Madame (B) n’aurait pas été présente lors de l’agression subie par son époux.

En ce qui concerne le reproche du ministre selon lequel Monsieur (A) se serait contredit dans ses propos initiaux et ceux retenus après la relecture de ses déclarations, ils soulignent que la relecture organisée dans le cadre des auditions en relation avec les demandes de protection internationale servirait à vérifier que ce qui a été acté par l’agent du ministère correspond aux déclarations du demandeur. Par ailleurs, le fait que leurs entretiens se soient passés en présence d’un traducteur doublerait le risque d’une mauvaise compréhension ou transcription de date avec deux personnes, à savoir un traducteur et un agent ministériel. Or, cette étape de relecture aurait justement été instituée afin de vérifier et de prévenir une potentielle erreur humaine qui pourrait se produire aussi bien au niveau des interprètes que des agents ministériels. Ils estiment qu’il serait ainsi inéquitable, voire injustifié de prétendre à des incohérences sur une date ou des circonstances modifiées lors de la relecture, de sorte que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation et d’évaluation en contestant la crédibilité globale de leurs récits sur base de simples incohérences mineures, mais surtout corrigées lors de la relecture. Les demandeurs donnent encore à considérer dans ce contexte que le seul élément mis en avant par le ministre serait celui que Monsieur (A) aurait indiqué avoir participé à des manifestations durant trois ans, puis pendant quatre ans.

Ils se prévalent dans ce même contexte d’une analyse juridique, intitulée « L’évaluation des éléments de preuve et de la crédibilité dans le contexte du régime d’asile européen commun », publiée en 2018 par le bureau européen d’appui en matière d’asile (European Asylum Support Office (EASO)), pour conclure qu’au vu des évènements traumatisants qu’ils auraient vécus dans leur pays d’origine et au Chili, les incohérences soulevées par le ministre ne suffiraient pas pour remettre en cause la crédibilité de leurs récits.

S’agissant du reproche du ministre quant à l’absence de justification des menaces qu’ils auraient reçues au Chili de la part du gang « Tren de Aragua », ainsi que l’affirmation de celui-ci suivant laquelle, selon les renseignements à sa disposition, ce gang n’aurait « pas de présence significative au Chili », mais qu’il s’agirait, au contraire, de « faux groupes criminels utilisant le nom de Tren de Aragua », les demandeurs soutiennent que le journal « Insight Crime » de septembre 2023 auquel le ministre se référerait, aurait publié le 27 juillet 2022, soit uniquement quelques mois après leur arrivée au Grand-Duché de Luxembourg, un article dans lequel serait confirmé la présence du gang « Tren de Aragua » sur le territoire chilien ainsi que les actes gravissimes auxquels ses membres s’adonneraient. Il s’ensuivrait que les risques auxquels ils auraient été exposés et les menaces dont ils auraient été victimes au Chili ne 10pourraient pas être remis en cause, de sorte que ce serait à tort que le ministre a retenu qu’ils auraient quitté ledit pays pour des raisons économiques.

En ce qui concerne le reproche du ministre basé sur la toile de fond qu’ils n’auraient pas fourni d’autres documents pouvant appuyer leurs déclarations, ils mettent en avant le problème auquel seraient confrontés les demandeurs de protection internationale lorsqu’ils quittent leur pays de manière précipitée et sans avoir préparé leur départ, tout en estimant qu’il ne pourrait leur être reproché de ne pas détenir d’éléments de preuve permettant de justifier leurs déclarations « alors même que les conditions d’octroi d’une protection internationale justifient ces départs précipités et non anticipés dans le chef des demandeurs ».

Ils soulignent qu’en matière de protection internationale, la Cour de Justice de l’Union européenne insisterait sur l’exigence d’une coopération entre l’Etat et le demandeur dans le cadre du rassemblement d’éléments pertinents permettant d’étayer sa demande de protection internationale pour ainsi déterminer la nécessité d’une telle protection.

Ils se réfèrent encore à deux jugements des 16 avril 2008, n°23855 du rôle, et 16 juin 2020, n°42664 du rôle, dans lesquels le tribunal administratif aurait retenu le bénéfice du doute en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, tout en insistant sur le fait qu’ils se seraient efforcés d’étayer leurs demandes et d’y apporter les explications demandées par l’agent ministériel et en ajoutant que Monsieur (A) aurait essayé de récupérer ses données médicales, mais que sa mère n’aurait pas pu obtenir « ces informations médicales confidentielles ».

Il s’ensuivrait qu’aucun manque de preuve pouvant justifier le refus d’une protection internationale ne pourrait être retenu en l’espèce.

Les demandeurs reprochent finalement au ministre de leur avoir refusé le statut de réfugié alors que les conditions cumulatives pour y prétendre seraient remplies dans leur chef.

A cet égard, ils relèvent que Monsieur (A) appartiendrait au mouvement politique « Resistencia » conformément à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que l’agression et les menaces dont ils auraient été victimes seraient suffisamment graves au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la même loi, et que ces dernières émaneraient de personnes qualifiées comme acteurs au sens de l’article 39 de la même loi en ce qu’il s’agirait respectivement des « Colectivos » et de la police vénézuélienne.

Au vu de toutes ces considérations, les demandeurs concluent que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation en rejetant leurs demandes de protection internationale, de sorte que la décision déférée serait à réformer et qu’une protection internationale devrait leur être accordée.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé, en reprenant en substance le contenu de la décision ministérielle, tout en insistant sur le fait que le ministre n’aurait pas procédé à une analyse des conditions de fond de l’octroi d’un des deux statuts de protection internationale, alors qu’il se serait avéré que les motifs de fuite invoqués par les consorts (AB) ne seraient pas crédibles. Il avance que le ministre aurait ainsi limité son analyse à la seule question de la crédibilité de leurs récits, sans que cette circonstance ne puisse entacher la légalité de la décision querellée, tout en se référant, à cet égard, à un jugement du tribunal administratif du 3 juillet 2019, n° 42175 du rôle. Dans la mesure où le ministre aurait à suffisance et de manière détaillée pris position sur le défaut de crédibilité des 11déclarations des consorts (AB), les reproches tenant à un défaut de motivation de la décision ministérielle déférée seraient à rejeter pour ne pas être fondés.

En ce qui concerne ensuite le reproche d’une erreur d’appréciation et d’évaluation par le ministre, il fait valoir que les développements dans le recours des consorts (AB) sur ce point seraient purement théoriques et qu’il n’y aurait aucune prise de position circonstanciée relative à leur situation personnelle, de sorte qu’ils seraient tout simplement à rejeter pour manquer de pertinence.

Il avance, en ce qui concerne le manque de crédibilité retenu en l’espèce, que dans la mesure où les demandeurs ne verseraient aucun document étayant leurs récits, le principe du bénéfice du doute ne serait pas applicable en l’espèce.

Il soutient dans ce contexte que les demandeurs resteraient en défaut d’expliquer en quoi il aurait été impossible pour Monsieur (A), respectivement pour la mère de celui-ci, de se procurer le rapport médical ou un quelconque document relatif à son hospitalisation en 2017.

Il estime que le seul caractère confidentiel des documents médicaux n’expliquerait pas l’impossibilité pour la mère de Monsieur (A) de les récupérer, tout en insistant sur le fait que le demandeur aurait pu lui envoyer une procuration à cet égard. Or, à défaut de ce faire, le manque de crédibilité retenu à cet égard par le ministre serait à confirmer.

Concernant les contradictions relevées par le ministre dans la décision litigieuse, le délégué du gouvernement donne à considérer par rapport à l’affirmation des demandeurs dans leur recours suivant laquelle « […] aucune incohérence n’apparaît dans les déclarations des Requérants et […] elles ne concernent que des faits sans lien direct avec les raisons les ayant poussés à quitter leur pays d’origine afin de solliciter une protection internationale au Luxembourg », que l’engagement politique de Monsieur (A), et plus particulièrement sa durée, serait, selon lui, la cause de la prétendue attaque et des prétendues menaces subies, tout en soulignant que lesdites attaque et menaces seraient l’unique motif de fuite de Monsieur (A) de son pays d’origine, de sorte que les développements à cet égard seraient tout simplement non pertinents.

S’agissant de l’incohérence soulevée par le ministre quant à la durée pendant laquelle les agents de police se seraient rendus au domicile du demandeur pour le faire taire et le menacer, le délégué du gouvernement estime que l’affirmation dans le recours suivant laquelle « Dès son retour à son domicile, les forces de l’ordre n’ont cessé de lui rendre visite presque quotidiennement durant des mois, afin de lui suggérer de ne pas ébruiter cette affaire » ne permettrait pas d’expliquer les contradictions dont souffriraient les récits respectifs de Monsieur (A) et de Madame (B), de sorte qu’elle serait également à rejeter pour être non pertinente.

Il ajoute que le silence gardé dans leur recours par rapport à l’affirmation du ministre suivant laquelle les Vénézuéliens auraient par le passé surtout fui la crise économique et non pas les autorités ou des quelconques persécutions personnelles ne ferait que conforter la position de la partie étatique.

En ce qui concerne l’analyse du ministre par rapport au Chili, le délégué du gouvernement reproche aux demandeurs de se prévaloir d’un article concernant la problématique du groupe criminel « Tren de Aragua » sur le territoire chilien sans mettre ledit article en lien avec leur situation personnelle et plus particulièrement avec leur enfant (D). Ils 12n’établiraient, par ailleurs, pas en quoi leur fille serait concrètement et personnellement exposée à des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en cas de retour au Chili, de sorte que l’analyse opérée à cet égard par le ministre dans la décision querellée serait à confirmer.

Le délégué du gouvernement en conclut que le ministre aurait, à bon droit, remis en cause la crédibilité générale du récit des demandeurs pour leur refuser l’octroi d’une protection internationale, de sorte que le recours serait à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne tout d’abord la légalité externe de la décision ministérielle sous analyse et plus particulièrement l’invocation d’une violation des articles 10, paragraphe (2), et 34, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 en ce que le ministre se serait exclusivement prononcé sur le statut de réfugié, sans faire référence à l’attribution éventuelle d’une protection subsidiaire dans le chef des demandeurs, respectivement que le ministre aurait limité son analyse d’atteintes graves en cas de retour au Chili à leur fille (D), il convient tout d’abord de relever que dans la présente matière le législateur a prévu un texte spécifique requérant l’indication des motifs, à savoir l’article 34, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « […] Toute décision négative est motivée en fait et en droit et les possibilité de recours sont communiquées par écrit au demandeur […] », qui doit être considéré comme offrant au moins des garanties équivalentes à celles conférées par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et qui trouve dès lors application en l’espèce.

A cet égard, le tribunal constate que le ministre a analysé la situation de Madame (B) et de Monsieur (A) par rapport à leur pays d’origine, le Venezuela, tout en ayant motivé sa décision de refus d’octroi d’un statut de protection internationale dans leur chef par un défaut de crédibilité générale de leurs récits.

Il ressort, ainsi, de la décision ministérielle précitée que le ministre a pris position en détail sur les faits dont se prévalent les demandeurs à l’appui de leurs demandes de protection internationale par rapport au Venezuela, tels que ressortant de leurs entretiens auprès de la direction de l’Immigration, et a, pour chacun de ces faits, expliqué la raison pour laquelle il estime qu’ils ne sont pas crédibles, pour finalement retenir que les demandes lui soumises sont à considérer comme non fondées au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne le Chili, le ministre a expliqué que comme les demandeurs faisaient état de menaces reçues dans ce pays et que leur fille avait la nationalité chilienne, une analyse de la situation de cette dernière par rapport à son pays d’origine s’imposerait, tout en retenant qu’en l’espèce, les faits invoqués ne seraient pas susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ou de la loi du 18 décembre 2015 dans le chef de celle-ci, de sorte qu’aucune protection internationale ne pourrait lui être accordée. Au vu de ces éléments, aucun manque de motivation ne saurait être retenu en l’espèce, étant encore précisé que l’indication de la motivation n’est pas à confondre avec le bien-fondé de celle-ci, lequel fera l’objet d’une analyse ci-après.

Ensuite, dans la mesure où le ministre a en tout état de cause exclu la crédibilité des récits des demandeurs par rapport à leur vécu au Venezuela et a ainsi retenu que les faits avancés par eux ne sont pas établis, un examen quant à la pertinence de ces mêmes faits par rapport aux conditions d’octroi d’abord du statut de réfugié et ensuite du statut conféré par la 13protection subsidiaire, tel que requis par l’article 10, paragraphe (2)1 de la loi du 18 décembre 2015, n’était, dans cette même logique, plus nécessaire.

Au vu des considérations qui précèdent, les reproches tenant à un défaut de motivation de la décision ministérielle portant refus d’octroi d’une protection internationale, respectivement d’une violation de l’article 10, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 sont à rejeter pour ne pas être fondés.

Quant au fond, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

1 Article 10, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 : « Lors de l’examen d’une demande de protection internationale, le ministre détermine d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire », 14Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut 15ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Il y a dans ce contexte encore lieu de relever que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves ou à tout le moins un risque de persécutions ou d’atteintes graves dans le pays d’origine du demandeur, ledit « pays d’origine » étant, pour sa part, défini à l’article 2, point p) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « le pays ou les pays dont le demandeur a la nationalité ou, s’il est apatride, le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il convient ensuite de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’analyse du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Le tribunal constate tout d’abord que dans la mesure où la question de savoir si un étranger craint avec raison d’être persécuté ou de subir des atteintes graves doit être examinée par rapport au seul pays dont celui-ci a la nationalité et que, d’une part, Monsieur (A), Madame (B) ainsi que leur fils (C) ont la nationalité vénézuélienne, et que, d’autre part, leur fille (D) a la nationalité chilienne et qu’elle n’a jamais habité avec ses parents et son frère au Venezuela, c’est à bon droit que le ministre a analysé la situation de Monsieur (A), de Madame (B) ainsi que de leur fils (C) par rapport au Venezuela et celle de leur fille (D) par rapport au Chili.

Il convient ensuite de relever qu’il se dégage du libellé de la décision déférée, s’agissant des motifs à la base de la fuite de Monsieur (A), de Madame (B) et de leur fils (C) du Venezuela, que le ministre est arrivé à la conclusion que leurs récits ne seraient pas crédibles dans leur ensemble, le délégué du gouvernement confirmant cette approche.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations des demandeurs de protection internationale, ceux-ci doivent bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, leur récit peut être considéré comme crédible, s’ils se 16sont réellement efforcés d’étayer leurs demandes, s’ils ont livré tous les éléments dont il disposaient et si leurs déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves2.

A titre liminaire, il y a lieu de constater que le ministre a remis en cause la crédibilité de l’intégralité des récits de Monsieur (A) et de Madame (B) par rapport au Venezuela en mettant plus particulièrement en doute le fait que Monsieur (A) aurait été persécuté et menacé par le gouvernement vénézuélien, et plus concrètement par des agents relevant de police vénézuélienne, ainsi que par les « Colectivos », à savoir des bandes armées ou gangs proches du pouvoir de Nicolás MADURO, président de la République bolivarienne du Venezuela, en raison de son engagement politique, au motif notamment que ses déclarations et celles de son épouse, Madame (B), quant à ces menaces seraient incohérentes, qu’ils ne seraient pas en mesure de prouver leurs dires par la moindre pièce et que Monsieur (A) aurait adopté un comportement incompatible avec celui d’une personne craignant réellement pour sa vie. Il a ainsi soulevé le fait (i) que la version du demandeur selon laquelle il aurait été attaqué dû à son engagement politique au sein du mouvement « Resistencia » serait fortement mise à mal par la version de la demanderesse, (ii) qu’il existerait des incohérences au niveau de la durée de l’engagement politique du demandeur, (iii) que les demandeurs resteraient en défaut de corroborer leurs dires par la moindre pièce, en ne versant plus particulièrement pas le rapport médical relatif à l’hospitalisation de Monsieur (A) après l’attaque du 25 avril 2017 ou une quelconque pièce par rapport à l’activisme politique de celui-ci, et (iv) qu’il serait incompréhensible pourquoi le demandeur serait encore resté une demi-année dans son pays d’origine après l’attaque du 25 avril 2017 au lieu de le quitter immédiatement.

Or, si le ministre a considéré, sur base des éléments repris ci-dessus, que les déclarations des demandeurs quant aux problèmes que Monsieur (A) aurait rencontrés avec les « Colectivos » et certains agents de la police vénézuélienne en relation avec son engagement politique n’étaient dans leur intégralité pas crédibles et qu’il a en conséquence émis des doutes quant aux raisons réelles de leur fuite de leur pays d’origine, le tribunal ne saurait toutefois partager les doutes ainsi mis en avant par le ministre, dans la mesure où quoique présentant certes quelques incohérences, leurs récits paraissent cohérents dans leur ensemble.

Force est, en effet, au tribunal de constater que les reproches du ministre à l’adresse des demandeurs ne mettent pas en évidence de véritables contradictions contenues dans leurs récits qui seraient fondamentales et susceptibles de mettre valablement en doute la réalité des faits invoqués par eux.

En ce qui concerne tout d’abord l’incohérence tenant au fait que Monsieur (A) a affirmé lors de son entretien qu’il aurait commencé à participer aux manifestations au sein du mouvement « Resistencia », où son rôle aurait principalement consisté à ériger des barricades (« Guarimbas ») dans le but d’empêcher les voitures et bus d’avancer, en 20163, et qu’il aurait donc été actif pendant un an, tandis que Madame (B) a déclaré que son époux aurait commencé à participer auxdites manifestations en 20144, puis en 2016, respectivement qu’elle a indiqué 2 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.

3 Page 9/13 du rapport d’entretien de Monsieur (A).

4 Page 7/16 du rapport d’entretien de Madame (B).

17qu’il aurait participé aux marches contre le gouvernement vénézuélien pendant quatre ans, puis pendant trois ans5, force est de constater que cette incohérence dans les déclarations de la demanderesse au niveau du début, respectivement de la durée de l’engagement politique de Monsieur (A) n’est pas suffisamment importante pour retenir que les récits des demandeurs et plus particulièrement le fait que Monsieur (A) aurait reçu des menaces pour avoir participé auxdites marches ne seraient pas crédibles dans leur ensemble. Ceci est d’autant plus vrai alors que Madame (B) a expliqué lors de son entretien qu’elle ne se serait jamais intéressée à la politique, qu’elle n’aurait à aucun moment été impliquée, ni aurait-elle assistée auxdites marches6, de même que son époux ne l’aurait jamais vraiment informée sur son engagement politique7, circonstances qui permettent, le cas échéant, d’expliquer son ignorance et dès lors la confusion dans ses déclarations à cet égard.

En ce qui concerne l’attaque de Monsieur (A) à son food truck le 25 avril 2017 et le reproche afférent du ministre suivant lequel l’attaque en question n’aurait pas été la conséquence de l’opposition du demandeur au gouvernement, de ses opinions politiques ou encore des soi-disant « Colectivos » ayant pour but de l’empêcher de poursuivre son engagement dans la politique, mais qu’il ressortirait des déclarations de Madame (B) que les agresseurs auraient agi dans un pur but de lucre, force est de constater que le demandeur a déclaré lors de son entretien que des agents de police seraient venus chez lui pour manger, mais qu’ils n’auraient pas voulu payer. Il a encore affirmé que par la suite les « Colectivos » se seraient rendus à son food truck, que ceux-ci l’auraient menacé de mort par rapport à son activisme politique (« Si tu continues à faires des barricades on va te tuer »8), qu’ils auraient commencé à heurter du pied la poubelle à côté de son food truck et que lorsqu’il serait sorti de sa camionnette, ils l’auraient tous frappé9. La demanderesse a, quant à elle, confirmé dans les grandes lignes les déclarations de son époux concernant cette attaque en affirmant que son époux « avait un kiosk alimentaire et les policiers venaient boire et ils ne payaient pas. Il était fatigué après un certain moment et c’est là qu’il a été menacé et frappé »10, tout en précisant plus loin dans son entretien que « les agresseurs » auraient été les « Colectivos », mais que parmi eux il y aurait aussi eu deux policiers11. Or, la seule affirmation de la demanderesse dans ce contexte suivant laquelle « [l]es gens sont venus pour faire une grosse commande de nourriture et il avait refusé cette commande car il savait qu’ils n’allaient pas payer. Et c’est là qu’il s’est fait frapper par la suite. »12 ne permet en tout état de cause pas de remettre en cause la réalité de cette attaque et, en conséquence, la crédibilité de l’entièreté des récits des demandeurs. En effet, la question de savoir ce qui aurait encouragé ce jour-là les « Colectivos » à attaquer le demandeur, que ce soit pour des raisons politiques ou, tel que le soutient le ministre, pour des raisons tenant à un but de lucre, est tout au plus une question qui serait à mettre en relation avec la motivation à la base des faits invoqués par les demandeurs à l’appui de leurs demandes de protection internationale afin de savoir s’ils remplissent les critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, mais elle ne permet en tout état de cause pas de conclure que les récits de Monsieur (A) et de Madame (B) concernant cette attaque seraient ipso facto non crédibles. A cela s’ajoute que si l’agent 5 Idem.

6 Pages 7 et 8/16 du rapport d’entretien de Madame (B).

7 Page 8/16 du rapport d’entretien de Madame (B).

8 Page 7/13 du rapport d’entretien de Monsieur (A).

9 Page 7//13 du rapport d’entretien de Monsieur (A).

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18ministériel avait des doutes quant à la cause réelle de l’attaque du 25 avril 2017, il lui aurait appartenu de poser des questions plus ciblées afin de clarifier la situation en demandant des explications supplémentaires de la part des demandeurs à cet égard, ce qu’il est pourtant resté en défaut de faire.

C’est ensuite encore à tort que le ministre se penche sur l’incohérence dans les déclarations des demandeurs par rapport à la durée pendant laquelle les agents de police se seraient rendus au domicile de Monsieur (A) pour le menacer et le faire taire par rapport à l’attaque ayant eu lieu en avril 2017, pour ensuite conclure à une non-crédibilité des récits de Monsieur (A) et de Madame (B). En effet, si la demanderesse a certes affirmé que les agents de police seraient venus au domicile de son époux pendant trois mois, tandis que le demandeur a déclaré qu’ils se seraient rendus chez lui presque chaque jour, entre dix à quinze fois au total, force est de constater que les demandeurs s’accordent sur le fait que la dernière menace aurait eu lieu en juillet ou août 2017, en l’occurrence, environ trois mois après l’attaque en question.

Or, la simple incohérence par rapport au nombre de visites de la part des agents de police après l’attaque ne saurait être suffisante pour conclure que les récits des demandeurs ne seraient, de manière générale, pas crédibles, étant, à cet égard, relevé que la demanderesse a expliqué de manière plausible lors de son entretien que son époux ne lui aurait pas tout raconté pour ne pas l’inquiéter13 et qu’elle n’aurait pas vécu avec lui à son domicile, de sorte qu’elle ne saurait pas exactement à combien de reprises les agents de police auraient menacé son époux durant ces trois mois après l’attaque14.

En ce qui concerne encore l’affirmation du ministre dans ce contexte qu’il serait très curieux que soudainement les agents de police auraient laissé le demandeur en paix et qu’il serait étrange que ces derniers l’auraient menacé alors qu’ils auraient uniquement observé l’attaque, il convient de relever que le demandeur a expliqué lors de son entretien que les agents de police auraient craint qu’il ne porte plainte contre eux alors qu’ils auraient été témoins de l’attaque, mais qu’ils ne seraient pas intervenus. Il a encore expliqué que les policiers ne seraient plus revenus à sa maison après leur dernière visite au mois d’août 2017 « [é]tant donné que je ne parlais pas, leur but était accompli »15. Dès lors, au vu des éclaircissements plausibles du demandeur quant aux motifs à la base des menaces de la part des agents de police et quant à la raison pour laquelle ils l’auraient finalement laissé en paix, et à défaut de contestations plus concrètes à cet égard de la part de la partie étatique, le tribunal ne saurait pas non plus retenir un défaut de crédibilité des récits des demandeurs sur base de cette seule affirmation.

Or, mises à part les incohérences soulevées ci-avant, aucune autre incohérence dans les déclarations des demandeurs n’a été retenue ni par le ministre ni par le délégué du gouvernement.

Le tribunal se doit, au contraire, de constater que tant Monsieur (A) que Madame (B) ont fourni un récit détaillé sur près de quinze pages quant à leur vécu tout en répondant à toutes les questions leur posées lors de leurs entretiens, et ce de manière cohérente, sans se contredire quant au déroulement des différents faits et sans que ni le ministre ni le délégué du gouvernement apportent des éléments probants qu’ils auraient menti sur leur vécu, tel que relaté, de sorte que le tribunal est amené à retenir qu’au vu des récits globalement cohérents, et malgré le fait qu’il n’est pas très clair pour quelle raison les « Colectivos » ont concrètement attaqué le demandeur le 25 avril 2017 devant son food truck, les doutes soulevés par le 13 Page 10/16 du rapport d’entretien de Madame (B).

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15 Page 10/13 du rapport d’entretien de Monsieur (A).

19ministre ne sont pas de nature à établir de manière non équivoque un manque de crédibilité des récits des demandeurs.

Ce constat n’est pas ébranlé par le seul fait que les demandeurs n’ont pas versé de pièces permettant de corroborer leurs déclarations en relation avec les motifs à la base de leur fuite de leur pays d’origine. En ce qui concerne plus particulièrement l’engagement politique du demandeur, il convient de relever que la demanderesse a valablement expliqué lors de son entretien qu’ils auraient dû effacer les vidéos et photos qui auraient été prises lors des manifestations auxquelles aurait participé son époux pour éviter un emprisonnement de celui-ci au motif qu’« [à] un certain moment, c’était interdit de commenter quoi que ce soit contre le Gouvernement sur les réseaux sociaux à cause d’une nouvelle loi qui venait d’être approuvée »16. Or, force est de constater que cette explication n’a pas été contestée de manière circonstanciée par la partie étatique, ce à quoi il s’ajoute que si l’agent en charge de l’entretien avait voulu des éclaircissements plus minutieux, il lui aurait appartenu de poser des questions plus ciblées à ce sujet. En ce qui concerne ensuite le rapport médical relatif à l’hospitalisation de Monsieur (A) en avril 2017, force est de constater que le demandeur a, dès son entretien devant l’agent ministériel, expliqué que sa mère ne retrouverait pas ledit rapport médical et qu’il se pourrait qu’elle l’aurait jeté lors des rangements à la mort de son père en 202117. Dans le recours, les demandeurs ont ajouté que Monsieur (A) aurait contacté sa mère, mais qu’elle n’aurait pas pu obtenir « ces informations médicales confidentielles ». Or, si les demandeurs n’expliquent effectivement pas plus amplement en quoi il n’aurait pas été possible pour le demandeur, respectivement pour sa mère d’obtenir ledit rapport médical ou tout autre document relatif à son hospitalisation, ce fait à lui seul ne saurait toutefois suffire pour remettre en cause l’intégralité des récits des demandeurs.

Il en est de même en ce qui concerne le fait, tel que soulevé par le ministre, que Monsieur (A) aurait pu quitter le Venezuela en direction de la Colombie avec un passeport vénézuélien et ce sans rencontrer de problèmes particuliers. En effet, force est de constater que le fait que le demandeur s’est vu délivrer un passeport par les autorités de son pays d’origine ne permet en tout état de cause pas de conclure ipso facto et sans observations plus concrètes à cet égard de la part de la partie étatique que les récits des demandeurs ne seraient pas crédibles dans leur ensemble, et plus particulièrement que les menaces proférées à l’encontre de Monsieur (A) de la part des « Colectivos » et des agents de police notamment à cause de son engagement politique seraient inventées de toute pièce. Il convient à cet égard encore de relever que le demandeur a expliqué lors de son entretien que la dernière menace de la part des agents de police à son domicile aurait eu lieu en août 2017, soit deux mois avant la délivrance de son passeport en octobre 2017, et qu’il n’aurait plus participé à une manifestation après l’événement en avril 201718, de sorte que les doutes émis par le ministre notamment par rapport à la période durant laquelle le demandeur s’est fait délivrer le passeport sont à rejeter.

En ce qui concerne finalement le reproche du ministre que le demandeur n’aurait pas immédiatement quitté son pays mais seulement une demi-année après l’attaque, ce qui laisserait conclure que le demandeur ne se serait pas trouvé dans une situation d’une gravité telle qu’il tente de le faire croire, force est de constater que mis à part le fait que cette seule circonstance n’est pas suffisante pour retenir que l’attaque et les menaces dont font état les demandeurs de la part des « Colectivos » et des agents de police n’auraient pas eu lieu, tant 16 Page 8/16 du rapport d’entretien de Madame (B).

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18 Page 11/13 du rapport d’entretien de Monsieur (A).

20Monsieur (A) que Madame (B) ont expliqué lors de leurs entretiens, d’une part, que le demandeur attendait de se remettre de son opération19 et, d’autre part, qu’il se serait agi d’une question d’argent et que le demandeur « aurait été en train de chercher de l’argent pour quitter le pays »20, ceci plus particulièrement au vu du fait qu’il n’aurait plus pu ouvrir son food truck après la menace qu’il aurait reçue « avant le mois d’août 2017 »21. Si cette circonstance permettait, le cas échéant, de remettre en cause la gravité des faits invoqués par les demandeurs, elle n’est toutefois pas suffisante pour conclure à un défaut de crédibilité de leurs récits.

Dès lors, au vu de tout ce qui précède, le tribunal est amené à conclure que les quelques incohérences qui subsistent dans les récits des demandeurs ne sont pas de nature à ébranler la crédibilité de ceux-ci dans leur intégralité.

Il s’ensuit que, dans la mesure où les récits de Monsieur (A) et de Madame (B) par rapport à leur vécu dans leur pays d’origine, le Venezuela, paraissent globalement cohérents et plausibles et qu’ils ne sont pas contredits par un quelconque élément objectif du dossier, ils sont à considérer comme crédibles dans leur ensemble. Sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant, c’est dès lors à tort que le ministre a retenu un défaut de crédibilité des récits de Monsieur (A) et de Madame (B) par rapport au Venezuela et en a conséquence rejetée à cet égard les demandes de protection internationale introduites en leur nom et en celui de leur fils (C).

En ce qui concerne ensuite les faits invoqués par rapport au Chili, le tribunal constate que Monsieur (A) et Madame (B) ont fait état de menaces qu’ils auraient subies de la part du gang « Tren de Aragua », à savoir une bande criminelle du Venezuela qui serait également active au Chili et qui procéderait à de graves extorsions, d’une violence telle que les forces de l’ordre ne seraient pas en mesure d’assurer la sécurité des victimes. A cet égard, ils ont invoqué qu’au début de l’année 2022, les membres de ce gang les auraient menacés à deux reprises par téléphone en réclamant la somme de 150.000 pesos chiliens par mois, ce qui équivaudrait à 160 euros, tout en donnant à considérer que même s’ils n’avaient pas porté plainte auprès des autorités chiliennes, ils ne se seraient plus sentis en sécurité au Chili, de sorte qu’ils auraient été contraints de quitter ledit pays.

Le tribunal constate que, concernant le Chili, le ministre a procédé à une analyse au fond et ne s’est pas contenté de retenir un défaut de crédibilité des faits invoqués par Monsieur (A) et Madame (B).

Or, indépendamment de la qualification des faits invoqués, force est de constater que les incidents ainsi relatés ne permettent pas de retenir que les demandeurs craignent avec raison que leur fille (D) qui a la nationalité chilienne soit persécutée ou subisse des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015 à cause de la présence de ce gang criminel sur le territoire chilien.

En effet, et même à admettre que les menaces téléphoniques ont été proférées de la part du gang « Tren de Aragua », ce qui est contesté par la partie étatique, force est de constater que rien de grave n’est jamais arrivé aux demandeurs et a fortiori à leur fille (D) lorsqu’ils ont séjourné au Chili, les demandeurs faisant, en effet, état de simples menaces téléphoniques, 19 Page 10/13 du rapport d’entretien de Monsieur (A).

20 Page 11/16 du rapport d’entretien de Madame (B).

21 Page 10/13 du rapport d’entretien de Monsieur (A).

21proférées par des personnes non autrement identifiées déclarant appartenir audit groupe criminel, mais non suivies d’actes concrets contre leurs vies ou leurs personnes. Plus particulièrement, les demandeurs sont restés en défaut de démontrer que concrètement leur fille (D) aurait été victime de persécutions ou de menaces graves au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015 ou qu’elle risquerait d’être victime de telles persécutions ou menaces graves en cas de retour au Chili, de sorte que les craintes exprimées dans ce contexte par Monsieur (A) et par Madame (B) se résument à des craintes purement hypothétiques, respectivement à un sentiment général d’insécurité lesquels ne sauraient fonder l’octroi d’un statut de protection internationale dans le chef de leur fille.

A cela s’ajoute également que les demandeurs ne démontrent pas qu’ils ne pourraient pas obtenir une protection de la part des autorités chiliennes contre les actes qu’ils imputent au gang « Tren de Aragua », la simple affirmation non autrement sous-tendue du demandeur suivant laquelle qu’alors même qu’ils ne se seraient pas sentis en sécurité, ils n’auraient pas déposé plainte contre ces personnes alors que celles-ci seraient gardées en détention pendant deux à trois jours et « après ils [les] lâchent car les lois au Chili sont comme ça »22 étant insuffisante à cet égard. Il ressort, au contraire, de l’article du journal « Insight Crime » de septembre 2023 dont se prévalent les demandeurs que les autorités chiliennes ont fait de ces crimes « one of their foremost security priorities », de sorte que les allégations afférentes sont rejetées.

Au vu de ce qui précède, les craintes des demandeurs que leur fille soit persécutée ou qu’elle subirait des atteintes graves en cas de retour au Chili à cause de la présence du gang criminel « Tren de Aragua » sur le territoire chilien sans que les autorités chiliennes ne voudraient ou ne pourraient lui accorder une protection dans ce contexte sont non fondées, voire purement hypothétiques et peuvent tout au plus s’analyser comme un sentiment général d’insécurité.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a conclu que les faits invoqués en l’espèce par les demandeurs par rapport au Chili ne remplissent pas les conditions d’octroi d’un statut de protection internationale dans le chef de leur fille, de sorte que la décision ministérielle est à confirmer sur ce point.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler partiellement la décision ministérielle du 22 décembre 2023, en ce que c’est à tort que le ministre a retenu un défaut de crédibilité des récits de Monsieur (A) et de Madame (B) par rapport au Venezuela et a en conséquence rejeté à cet égard les demandes en obtention d’une protection internationale dans leur chef et dans celui de leur fils (C). Etant donné que, dans le cadre de l’examen des demandes de protection internationale de ces derniers, le ministre s’est arrêté à l’étape préalable de l’évaluation de la crédibilité de leurs récits, sans se prononcer sur le caractère fondé des craintes des demandeurs de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour au Venezuela, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le ministre actuellement compétent en vue d’un examen au fond des demandes de protection internationale de Monsieur (A) et de Madame (B), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur fils (C), sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens de Monsieur (A) et de Madame (B) concernant les conditions de fond de l’octroi d’un des statuts de protection internationale par rapport à leur pays d’origine, le Venezuela.

22 Page 6/13 du rapport d’entretien de Monsieur (A).

22 2) Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire A l’appui de leur recours, les consorts (AB) ne prennent pas position sur l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée, mais demandent, dans le dispositif de leur requête introductive d’instance, de réformer ce volet de la décision.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire qui découlerait du rejet de la demande de protection internationale sous examen.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient d’annuler partiellement la décision ministérielle du 22 décembre 2023 au motif que c’est à tort que le ministre a rejeté les demandes de protection internationale de Monsieur (A), de Madame (B) et de leur fils (C) pour défaut de crédibilité de leurs récits par rapport à leur vécu au Venezuela et de renvoyer le dossier en prosécution de cause devant le ministre actuellement compétent, il y a également lieu d’annuler, dans le cadre de la réformation, l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée et visant ces mêmes personnes.

En ce qui concerne l’enfant mineure (D), il échet de relever que comme l’ordre de quitter prononcé à l’égard de Monsieur (A), de Madame (B) et de leur fils (C) vient d’être annulé et qu’il est dans son intérêt de ne pas être séparée de sa famille, l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre doit, dans ce cas particulier et par dérogation à l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, exceptionnellement suivre le même sort et est, dès lors, également à annuler.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 22 décembre 2023 portant refus d’un statut de protection internationale dans le chef des consorts (AB) ;

au fond, le déclare partiellement justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule partiellement la décision ministérielle du 22 décembre 2023 en ce qu’elle a rejeté les demandes de protection internationale de Monsieur (A), de Madame (B) et de leur fils (C) pour défaut de crédibilité et renvoie le dossier devant le ministre actuellement compétent en vue de se prononcer sur le 23caractère fondé de la crainte de ces mêmes personnes de subir au Venezuela des persécutions ou des atteintes graves ;

rejette le recours en réformation pour le surplus ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision du 22 décembre 2023 portant ordre de quitter le territoire dans le chef des consorts (AB) ;

au fond, le déclare justifié, partant, annule, dans le cadre de la réformation, l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, et lu à l’audience publique du 16 décembre 2024 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 décembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 24


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50004
Date de la décision : 16/12/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-12-16;50004 ?

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