Tribunal administratif N° 49199 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49199 4e chambre Inscrit le 24 juillet 2023 Audience publique du 6 décembre 2024 Recours formé par Madame (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49199 du rôle et déposée le 24 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc MAJERUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Brésil), de nationalité brésilienne, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er mars 2023, rejetant sa demande en obtention d’une autorisation de séjour, ainsi que celle au bénéfice de sa fille, … (A), déclarant leur séjour irrégulier et portant à leur égard ordre de quitter le territoire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PERIDERIY en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 juillet 2024.
Il se dégage du dossier administratif que Madame (A) séjourna pour la première fois au Luxembourg du 20 octobre 2008 au 31 mars 2011 et bénéficia, au cours de cette période, d’une carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne.
Il ressort, ensuite, dudit dossier qu’après être rentrée au Brésil, ensemble avec sa mère, le 31 mars 2011, Madame (A) retourna au Luxembourg, le 22 septembre 2015, accompagnée de son époux, Monsieur (B), ainsi que de leur enfant commun, … (A), né le … au Brésil, et qu’elle y introduisit, en date du 14 janvier 2016, une demande de renouvellement de sa carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union.
Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, circonscription régionale Esch-sur-
Alzette, centre d’intervention principal Esch-sur-Alzette, dit « Fremdennotiz », du 17 janvier 2016, référencé sous le numéro …, qu’en date du même jour, le véhicule conduit par Monsieur (B) fit l’objet d’un contrôle par les forces de l’ordre, lors duquel l’intéressé, accompagné de son fils, ne put présenter d’autorisation de séjour en cours de validité. Il en fut de même s’agissant de Madame (A), ayant rejoint son époux et son fils au centre d’intervention prémentionné.
1 Par décision du 19 février 2016, notifiée aux intéressés par lettre recommandée avec accusé de réception, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », déclara la demande du 14 janvier 2016 en obtention d’une autorisation de séjour temporaire en qualité de membre de famille introduite en faveur de Madame (A), de son époux et de leur enfant commun, dénommés ci-après « les consorts (A) », irrecevable, faute d’avoir été introduite avant leur entrée sur le territoire et portant à leur égard ordre de quitter le territoire.
Par courrier de son mandataire de l’époque du 16 mars 2016, Madame (A) introduisit un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 19 février 2016, recours qui fut rejeté par le ministre, par une décision du 30 mars 2016, au motif de l’absence d’éléments pertinents nouveaux.
Par courrier du 25 avril 2016, les services du ministre saisirent le commissariat de la police grand-ducale à … afin que ses agents vérifient si les consorts (A) résidaient encore à leur adresse déclarée à …, saisine à laquelle ledit commissariat répondit le 27 avril 2016 qu’une visite sur les lieux permit de constater que tel fut effectivement le cas.
Par courrier du 12 mai 2016, les services du ministre invitèrent les consorts (A) à se présenter dans les locaux de la direction de l’Immigration en date du 19 mai 2016 aux fins de l’organisation de leur retour au Brésil.
Par courrier réceptionné par le secrétariat général du cabinet de Son Altesse Royale le Grand-Duc le 9 août 2016, les consorts (A) sollicitèrent l’intervention de ce dernier en vue de l’obtention dans leur chef des papiers leur permettant de résider légalement au Luxembourg, demande qui fut transférée en date du 31 août 2016 au ministre, en tant qu’autorité compétente en la matière.
Par courrier du 9 septembre 2016, les services du ministre invitèrent une nouvelle fois les consorts (A) à se présenter dans les locaux de la direction de l’Immigration, cette fois-ci en date du 21 septembre 2016, aux fins de leur retour au Brésil, invitation à laquelle les concernés donnèrent suite, une mention manuscrite apposée sur le courrier en question indiquant que Madame (A) s’y présenta accompagnée de son fils et déclara faire les démarches pour prendre un rendez-vous auprès d’un bureau de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Par arrêtés séparés du 15 février 2017, notifiés aux intéressés en mains propres le même jour, le ministre déclara le séjour de Madame (A) et de son époux sur le territoire luxembourgeois irrégulier, leur ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça à leur encontre une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
Il se dégage du dossier administratif qu’à la même date, les consorts (A) quittèrent volontairement le territoire luxembourgeois par voie aérienne en direction du Brésil et qu’en date du 17 février 2017, les services du ministre saisirent le bureau signalétique de la police grand-ducale aux fins d’un signalement de Madame (A) au système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) en vue d’un refus d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans, saisine à laquelle fut donné suite le 20 février 2017.
Il ressort du dossier administratif que les consorts (A), ayant raté leur vol, n’ont pas pu rejoindre le Brésil en date du 17 février 2017, mais ils quittèrent finalement le territoire 2luxembourgeois le 24 août 2017, accompagnés de leur deuxième enfant, … (A), née le … au Luxembourg.
Suivant déclaration d’arrivée d’un ressortissant de pays tiers pour un séjour jusqu’à trois mois du 21 septembre 2020, Madame (A) déclara résider au Luxembourg à l’adresse sise à L-… à partir de la même date.
En date du 22 septembre 2020, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après dénommée « le ministère », une demande de renouvellement d’un titre de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne et de l’autorisation de travail accordée pour l’exercice d’une activité salariée à titre accessoire, tout en y joignant un contrat de travail à durée indéterminée auprès d’un débit de boissons en qualité de serveuse.
Par décision du 16 novembre 2020, notifiée à l’intéressée le surlendemain, le ministre qualifia la demande de Madame (A) comme une demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié et la déclara irrecevable au motif que ladite demande n’avait pas été introduite avant son entrée sur le territoire luxembourgeois, tout en portant à son égard ordre de quitter le territoire avant la fin de la durée autorisée de son séjour limitée, en vertu de l’article 34 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », à trois mois sur une période de six mois.
Une vérification de présence sur le territoire effectuée par des agents du commissariat de police de … de la police grand-ducale le 10 janvier 2021, révéla qu’aucun objet personnel appartenant à Madame (A) ne put être trouvé à l’adresse à laquelle elle était déclarée au Luxembourg depuis le 21 septembre 2020 et que son nom ne figurait sur aucune boîte aux lettres ni sur aucune sonnette, la sœur de l’intéressée, contactée le même jour par les agents de police, ayant expliqué à ces derniers que l’intéressée serait rentrée au Brésil en octobre 2020.
En date du 3 février 2023, Madame (A) sollicita auprès du service compétent du ministère la délivrance d’un titre de séjour pour ressortissant de pays tiers sur le fondement de l’article 40, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 pour elle et sa fille … (A).
Par décision du 1er mars 2023, notifiée à l’intéressée le lendemain, le ministre requalifia la demande de Madame (A) comme une demande en obtention d’une autorisation de séjour au sens de l’article 39 de la loi du 29 août 2008, la rejeta, déclara leur séjour sur le territoire luxembourgeois irrégulier et leur ordonna de quitter ledit territoire endéans un délai de trente jours, cette décision étant libellée comme suit :
« (…) J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 9 février 2023.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, toute demande en obtention d'une autorisation de séjour est irrecevable alors que selon l'article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, la demande en obtention d'une autorisation de séjour, introduite par le ressortissant d'un pays tiers auprès du ministre, doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire.
3Conformément à l'article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 précitée, dans des cas exceptionnels, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu'à trois mois, peut être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d'une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s'il rapporte la preuve qu'il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d'autorisation qu'il vise, et si le retour dans son pays d'origine constitue pour lui une charge inique.
Or, votre situation ne constitue pas de cas exceptionnel et il n'est ni prouvé que le retour dans votre pays d'origine constitue une charge inique, ni que les conditions en vue de l'obtention d'une autorisation de séjour, dont les différentes catégories sont fixées par l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée, seraient remplies.
En effet, force est de constater que vous vous trouvez à ce jour sur le territoire luxembourgeois sans être en possession d'une autorisation de séjour supérieure à trois mois.
De ce fait, vous et votre fille ne remplissez pas les conditions fixées à l'article 34 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration et votre séjour est à considérer comme irrégulier conformément à l'article 100, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur le libre circulation des personnes et de l'immigration.
Au vu des développements qui précèdent et en application de l'article 111, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 précitée, vous et votre fille êtes obligées de quitter le territoire luxembourgeois endéans un délai de trente jours après la notification de la présente, soit à destination du pays dont vous avez la nationalité, le Brésil, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d'un autre pays dans lequel vous êtes autorisées à séjourner.
À défaut de quitter le territoire, l'ordre de quitter serait exécuté d'office et vous serez éloignées par la contrainte.
Dès lors, je vous invite de me faire parvenir la preuve de votre départ (p.ex. une copie récente de votre passeport avec cachet de sortie).
À titre informatif et au cas où vous estimez remplir les conditions en vue de bénéficier d'une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié sur base de l'article 42 de la loi du 29 août 2008 précitée, il vous est loisible de me faire parvenir une demande en bonne et due forme.
Afin de prendre connaissance des conditions à remplir pour bénéficier d'une autorisation de séjour, je vous invite à consulter le site (…) La décision à l'octroi éventuel d'une autorisation de séjour sera prise sur base de l'examen des documents produits, sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l'obtention de l'autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la décision.
Je me permets de souligner qu'en application de l'article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée, la demande en obtention d'une autorisation de séjour doit être introduite et favorablement avisée avant l'entrée sur le territoire. (…) ».
4 Il ressort du dossier administratif qu’en date du 9 mars 2023, la demanderesse se présenta, accompagnée de ses enfants, à l’administration communale de la ville de … afin d’y effectuer une déclaration d’arrivée rétroactive, formalité laquelle lui fut toutefois refusée.
Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, région Sud-Ouest, commissariat …, du 20 mars 2023, référencé sous le numéro …, qu’en date du même jour, une vérification de la présence de Madame (A) sur le territoire luxembourgeois a été menée moyennant une visite des agents de police à son domicile, lors de laquelle la concernée déclara à ces derniers entreprendre les démarches nécessaires pour régulariser sa situation administrative.
Par courriers des 29 mars et 18 avril 2023, les services du ministre invitèrent Madame (A) à se présenter dans les locaux du ministère en date des 6, respectivement 27 avril 2023 aux fins de l’organisation de son retour au Brésil.
Par courrier de son litismandataire du 8 mai 2023, Madame (A) introduisit un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 1er mars 2023, recours qui fut rejeté par le ministre, par une décision du 4 juillet 2023, notifiée à l’intéressée le lendemain.
Par requête déposée au tribunal administratif en date du 24 juillet 2023, inscrite sous le numéro 49199 du rôle, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 1er mars 2023, portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour, dans son chef et dans celui de sa fille … (A), déclarant leur séjour irrégulier et portant à leur égard ordre de quitter le territoire.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de décision de refus de séjour et d’ordre de quitter le territoire et étant donné que l’article 113 de ladite loi, par renvoi à l’article 109 de la même loi, prévoit expressément un recours en annulation contre les décisions de refus de séjour et d’ordre de quitter le territoire, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision du ministre du 1er mars 2023, le tribunal devant constater que le recours sous examen n’a pas visé la décision du ministre du 4 juillet 2023.
Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse passe en revue certains des faits et rétroactes exposés ci-avant, tout en expliquant qu’elle résiderait avec son époux et leurs deux enfants au Luxembourg depuis plus de cinq ans et que toutes leurs demandes en vue d’obtenir une autorisation de séjour afin de pouvoir séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois auraient été refusées, la dernière décision de refus du 4 juillet 2023, rendue sur recours gracieux, n’ayant pas fourni de plus amples explications.
Elle donne ensuite à considérer que si elle ne contesterait pas le fait que la demande d’autorisation de séjour du 3 février 2023 n’avait pas été introduite avant son entrée sur le territoire, elle estime cependant que le ministre ne saurait asseoir son refus sur la seule considération du lieu à partir duquel cette demande a été faite, sans tenir compte des liens de longue date qu’elle entretiendrait avec le Luxembourg alors qu’elle y aurait été scolarisée en 2010, pays où séjournerait de manière régulière ses deux sœurs et cinq neveux.
5En faisant, par ailleurs, valoir qu’elle et son époux disposeraient des moyens suffisants pour subvenir à leurs besoins au Luxembourg, tout en y jouissant d’un logement approprié, la demanderesse se prévaut de l’autorisation qu’elle aurait obtenue de la part du directeur des douanes et accises en vue de gérer le débit de boissons d’un certain … pendant les absences de ce dernier.
Elle estime finalement que compte tenu de son contrat de travail, c’est à bon droit qu’elle aurait sollicité une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, autorisation dont elle remplirait indubitablement l’ensemble des conditions.
En droit, la demanderesse qualifie la décision déférée de disproportionnée au regard de sa situation individuelle puisque le ministre se focaliserait sur le seul non-respect, dans son chef, de l’article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sans prendre en compte les circonstances factuelles, ni son intérêt relatif au bénéfice d’une autorisation de séjour en vue d’une activité salariée.
Elle fait encore valoir que l’obligation de quitter le pays avant de pouvoir y déposer une demande d’autorisation de séjour présenterait pour elle une charge inique et qu’elle craindrait de retourner au Brésil en raison d’un taux important de criminalité violente que connaîtrait ce pays, ainsi que de la difficulté d’y trouver un emploi correspondant à ses capacités professionnelles.
La demanderesse donne, par ailleurs, à considérer que ses enfants, qui n’auraient tissé aucun lien avec le Brésil, souffriraient directement du fait de la décision litigieuse laquelle les empêcherait de poursuivre leur scolarité dans un établissement scolaire luxembourgeois et ainsi mépriserait leurs droits, voire frôlerait une discrimination fondée sur la nationalité.
La demanderesse reproche, ensuite, au ministre la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en ce que la décision déférée constituerait une ingérence injustifiée et disproportionnée dans la vie privée et familiale qu’elle mènerait au Luxembourg depuis plus de cinq ans, pays dans lequel elle aurait, de surcroît, étudié dans son enfance.
En estimant être intégrée de manière exemplaire dans la société luxembourgeoise, la demanderesse se prévaut de son contrat de travail, de son inscription antérieure dans un établissement scolaire luxembourgeois, de son souhait de poursuivre ses études, de son séjour de longue date et de celui des membres de sa famille au pays, tout en avançant y faire partie d’un cercle social sain et prospère et y contribuer par le biais de son travail stable et rémunéré.
La demanderesse s’empare, ensuite, de l’autorisation d’exploitation lui délivrée en date du 22 juillet 2020 par le directeur de l’Administration des Douanes et Accises pour en tirer la preuve de son intégration au Luxembourg et fait souligner que la décision déférée mépriserait ses efforts en vue de ladite intégration et porterait préjudice à l’exercice de son activité professionnelle et à ses relations familiales avec ses deux sœurs et cinq neveux vivant au Luxembourg.
Par le fait d’exiger un retour dans son pays d’origine, le ministre aurait employé des moyens disproportionnés et commis un excès de pouvoir lors de l’analyse de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour.
6Dans le dispositif de sa requête introductive d’instance, la demanderesse sollicite, encore, la condamnation de l’Etat à une indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 ».
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée et à titre liminaire, le tribunal relève que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.
Force est à titre liminaire de constater, en amont, que la décision ministérielle déférée comporte trois volets, à savoir le rejet, de la demande de Madame (A) et de sa fille en obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois sur le fondement de l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008, le constat du caractère irrégulier de leur séjour sur le territoire luxembourgeois et l’ordre de quitter ledit territoire.
Dans ce contexte, dans la mesure où la demanderesse base, dans le présent recours, sa demande uniquement sur l’article 39 de la loi du 29 août 2008, tout en contestant la légalité de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son égard, sans formuler de moyens par rapport au constat du caractère irrégulier de son séjour sur le territoire luxembourgeois, ce volet n’a pas à être examiné par le tribunal.
Quant au rejet de la demande d’autorisation de séjour, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 39 de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel le ministre a rejeté la demande en obtention d’une autorisation de séjour dans le chef de Madame (A) et de sa fille, dans sa version applicable au présent litige, « (1) La demande en obtention d’une autorisation de séjour visée à l’article 38, point 1 […] doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire. La demande doit sous peine d’irrecevabilité être introduite avant l’entrée sur le territoire du ressortissant d’un pays tiers. L’autorisation ministérielle doit être utilisée dans les quatre-
vingt-dix jours de sa délivrance. Elle facilite la procédure en obtention d’un visa, s’il est requis.
(2) Dans des cas exceptionnels, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois, peut être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s’il rapporte la preuve qu’il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d’autorisation qu’il vise, et si le retour dans son pays d’origine constitue pour lui une charge inique.
(3) Par dérogation au paragraphe (1) qui précède, le bénéficiaire d’une autorisation de séjour supérieure à trois mois, à l’exception des personnes visées aux articles 49bis, 60 à 1 Cour adm., 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 39 et les autres références y citées.
762bis et 90, peut avant l’expiration de son titre de séjour faire la demande en obtention d’une autorisation à un autre titre auprès du ministre, s’il remplit toutes les conditions pour la catégorie qu’il vise. », l’article 38, point 1, y cité visant diverses autorisations de séjour pour une durée supérieure à trois mois, dont à titre de travailleur salarié, catégorie de séjour briguée in fine par la demanderesse, aux termes de sa requête introductive d’instance.
Il suit de cette disposition qu’une demande d’autorisation de séjour supérieure à trois mois doit, a priori, sous peine d’irrecevabilité, être introduite par le ressortissant d’un pays tiers avant son entrée sur le territoire luxembourgeois, le souci du législateur ayant été d’éviter que le ministre soit placé devant le fait accompli2.
Par ailleurs, en application de l’article 39, paragraphe (2), précité, de la loi du 29 août 2008, un ressortissant de pays tiers se trouvant sur le territoire luxembourgeois peut, dans des cas exceptionnels, être autorisé à y introduire une demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, à condition (i) qu’il séjourne régulièrement sur le territoire luxembourgeois pour une durée allant jusqu’à trois mois, (ii) que sa demande soit introduite endéans ce délai de trois mois, (iii) qu’il rapporte la preuve du respect des conditions exigées pour la catégorie d’autorisation de séjour visée et (iv) qu’il démontre que le retour dans son pays d’origine constitue pour lui une charge inique, ces conditions étant cumulatives et non point alternatives.
En l’espèce, il est constant en cause qu’au moment de l’introduction de sa demande d’autorisation de séjour en date du 3 février 2023, la demanderesse se trouvait déjà sur le territoire luxembourgeois, de sorte que sa demande est a priori irrecevable, en application de l’article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008.
Force est ensuite au tribunal de constater que le ministre ne s’est pas fondé sur l’article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 pour rejeter la demande d’autorisation de séjour mais a, à juste titre, pu relever que la demanderesse ne remplit pas les conditions cumulatives de l’article 39, paragraphe (2) de la même loi, dans la mesure où, contrairement à ces allégations, elle ne rapporte notamment pas la preuve que son retour au Brésil représenterait pour elle une charge inique. Il ressort au contraire du dossier administratif qu’elle est, à plusieurs reprises, retournée dans son pays d’origine, et ce même par ses propres moyens. Sur base de ce constat, le tribunal n’examinera pas les autres conditions de l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 dont l’analyse est devenue surabondante.
Eu égard à cette considération, il échet d’écarter, pour manquer de pertinence, le moyen de la demanderesse tendant à reprocher au ministre d’avoir conclu à l’irrecevabilité de sa demande d’autorisation de séjour sur le fondement du paragraphe (1) de l’article 39 de la loi du 29 août 2008, ledit fondement n’ayant justement pas été mis en œuvre par le ministre à l’appui de la décision de rejet du 1er mars 2023 que la demanderesse entend contester par le biais du présent recours.
Il s’ensuit que c’est à priori à bon droit et sans commettre un excès de pouvoir que le ministre a rejeté la demande de Madame (A) au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions fixées à l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 pour pouvoir être autorisée à déposer une demande en obtention d’une autorisation de séjour après son entrée sur le territoire luxembourgeois.
2 Projet de loi 58021 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration, Avis du Conseil d'Etat, 20 mai 2008, p. 20, de même que Trib. adm., 28 avril 2010, n°26201 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n°368 et les autres références y citées.
8 Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse tirée de l’autorisation d’exploitation lui délivrée par le directeur de l’Administration des Douanes et Accises en date du 22 juillet 2020 pour gérer un débit de boissons pendant les absences de son gérant, alors qu’une telle autorisation d’exploitation ne saurait se substituer à l’ensemble des conditions imposées par l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008, requises afin de pouvoir déposer une demande d’autorisation de séjour en se trouvant sur le territoire luxembourgeois.
En ce qui concerne l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision déférée, il échet de relever qu’aux termes de l’article 100, paragraphe (1) de la loi du 28 août 2009, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, « (1) Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour, la présence d’un ressortissant de pays tiers :
a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34;
b) qui se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire;
c) qui n’est pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail si cette dernière est requise d) qui relève de l’article 117 ».
Il convient, ensuite, de relever qu’aux termes de l’article 111 de la loi du 29 août 2008 lequel disposait, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, que « (1) Les décisions de refus visées aux articles 100, 101 et 102, déclarant illégal le séjour d’un étranger, sont assorties d’une obligation de quitter le territoire pour l’étranger qui s’y trouve, comportant l’indication du délai imparti pour quitter volontairement le territoire, ainsi que le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
(2) Sauf en cas d’urgence dûment motivée, l’étranger dispose d’un délai de trente jours à compter de la notification de la décision de retour pour satisfaire volontairement à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire et il peut solliciter à cet effet un dispositif d’aide au retour. Si nécessaire, le ministre peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée du séjour, l'existence d'enfants scolarisés et d'autres liens familiaux et sociaux. (…) ».
Il se dégage des dispositions qui précèdent, telles qu’elles étaient en vigueur au moment de la prise de la decision déférée, que les personnes relevant d’une des conditions fixées à l’article 100, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, à savoir, celles qui ne remplissent pas les conditions fixées à l’article 34, celles qui se maintiennent sur le territoire au-delà de la durée de validité de leur visa ou, si elles ne sont pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de leur entrée sur le territoire, celles qui ne sont pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail et celles qui relèvent de l’article 117, sont à considérer comme étant en séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour. L’article 111, paragraphe (1) de la même loi précise que les décisions visées entre autres à l’article 100, précité, sont assorties d’une obligation de quitter le territoire et que l’intéressé dispose d’un délai pour satisfaire volontairement à cette obligation. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique de la decision déclarant irrégulier le séjour d’un étranger sur le territoire luxembourgeois.
9 En l’espèce, force est de constater que la demanderesse ne conteste pas le volet de la decision déférée portant constat du caractère irrégulier de son séjour sur le territoire luxembourgeois au-delà d’une durée de trois mois au regard des points a), b) et c) de l’article 100, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre lui a ordonné de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.
En ce qui concerne finalement le moyen relatif à une atteinte disproportionnée au droit à leur vie privée et familiale, force est de relever qu’aux termes de l’article 8 de la CEDH « 1.
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH.
Dans ce contexte, il convient encore de relever que l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.
A cet égard, il échet d’emblée de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis3. Ainsi, il convient d’ores et déjà de rejeter l’argumentation de la demanderesse tendant d’abord à réclamer la protection de sa vie privée et familiale du seul fait de son prétendu séjour au Luxembourg depuis plus cinq ans, argumentation qui est restée à l’état d’une allégation pour n’être corroborée par un quelconque élément probant concret soumis à l’analyse du tribunal, respectivement en raison de sa scolarisation passagère dans ce pays au cours de son enfance.
Il échet, ensuite, de préciser que pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que l’étranger concerné puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que le refus d’autorisation de séjour du ministre perturberait de façon disproportionnée.
Dans cet ordre d’idées, il convient de souligner que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l'existence d'un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d'une vie familiale effective et stable, c'est-à -dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l'entrée sur le territoire national4.
Or, en l’espèce, force est de constater qu’au-delà de l’invocation de son lien de consanguinité avec ses sœurs et neveux, résidents luxembourgeois, la demanderesse reste en 3 Trib. adm., 11 juillet 2012, n° 29199 du rôle, Pas. adm 2023, V° Etrangers, n° 527.
4 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 (4e tiret) et les autres références y citées.
10défaut d’alléguer et, dès lors, d’établir l’existence d’une quelconque vie familiale entre elle et ses proches, respectivement des liens réels et suffisamment étroits dépassant le cadre des liens affectifs normaux, étant d’ailleurs relevé qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier administratif qu’elle avait résidé de manière continue au Luxembourg pendant les cinq dernières années, tel qu’elle le prétend, ni qu’elle vivrait auprès de ses sœurs et neveux ou en serait dépendante, la demanderesse affirmant même subvenir seule à ses besoins financiers.
Par ailleurs, le tribunal entend encore relever que si un étranger en situation irrégulière demeurant pendant plusieurs années sur le territoire luxembourgeois et y ayant créé une vie familiale effective, ce que la demanderesse est restée en défaut d’établir, peut certes alléguer qu’une décision de retour constitue une ingérence dans sa vie privée, il n’en reste pas moins que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité d’une décision administrative refusant un titre de séjour avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8 de la CEDH, étant rappelé que ledit article ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis5.
Il suit de l’ensemble de ces considérations qu’aucune violation de l’article 8 de la CEDH, respectivement du principe de proportionnalité ne saurait être retenue dans le chef du ministre, en l’espèce, alors qu’il n’apparaît pas que le ministre aurait fait un mauvaise usage du pouvoir lui offert, au regard notamment de la situation individuelle de la demanderesse, de sorte que c’est à bon droit qu’il a refusé de faire droit à la demande de Madame (A) tendant à l’octroi dans son chef et sans celui de sa fille d’une autorisation de séjour sur le fondement de l’article 39 de la loi du 29 août 2008, de sorte que les moyens afférents de la demanderesse encourent le rejet.
Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de la demanderesse de se voir octroyer une indemnité de procédure de 2.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 1er mars 2023 rejetant la demande de Madame (A) en obtention d’une autorisation de séjour dans son chef, ainsi que dans celui de sa fille, déclarant leur séjour irrégulier et portant à leur égard ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
5 Cour adm., 28 février 2013, n° 31852C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 (4e tiret) et les autres références y citées.
11rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 décembre 2024 par :
Paul Nourissier, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 décembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 12