Tribunal administratif N° 51766 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51766 2e chambre Inscrit le 31 octobre 2024 Audience publique du 2 décembre 2024 Recours formé par Madame (A), connue sous un autre alias, et consort, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51766 du rôle et déposée le 31 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), déclarant être née le … à … (Erythrée), alias (A), née le … à …, agissant pour son compte personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de sa fille mineure, (B), née le … à … (Soudan), alias (B), née le … à … (Soudan), toutes les deux de nationalité érythréenne, assignées à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribuée au ministre de l’Immigration et de l’Asile, du 23 octobre 2024 de les transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Michel KARP et Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 novembre 2024.
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Le 29 juillet 2024, Madame (A), alias (A), accompagnée de sa fille mineure, (B), alias (B), ci-après désignées ensemble par « les consorts (AB) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Madame (A) fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
1Une recherche effectuée à la même date par les autorités luxembourgeoises dans la base de données Eurodac révéla que Madame (A) avait auparavant franchi irrégulièrement la frontière italienne le 13 juillet 2024 et introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 19 juillet 2024.
Le 31 juillet 2024, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
En date du 2 août 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge des consorts (AB) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.
Par courrier du 7 août 2024, les autorités allemandes informèrent les autorités luxembourgeoises de leur acceptation de la reprise en charge des consorts (AB) sur base de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, tout en précisant que lors du transfert les intéressées devront se rendre dans un centre de primo-accueil (« Erstaufnahmeeinrichtung ») situé à … (Allemagne).
Par arrêté du 22 octobre 2024, notifié à Madame (A) en mains propres le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », assigna les consorts (AB) à résidence à la maison retour sise à L-…, pour une durée de trois mois à partir de sa notification.
Par décision du 23 octobre 2024, notifiée à l’intéressée en mains propres le même jour, le ministre informa Madame (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de la transférer ensemble avec sa fille mineure dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 29 juillet 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 20(5) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférées vers l’Allemagne qui est l’Etat membre tenu de vous reprendre en charge.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains, le rapport de Police Judicaire du 29 juillet 2024 et le rapport d’entretien Dublin III du 31 juillet 2024 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.
2 1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 29 juillet 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 13 juillet 2024 et que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 19 juillet 2024.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 31 juillet 2024.
Sur base de ces éléments, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 2 août 2024, demande qui fut acceptée en vertu de l’article 20(5) du règlement DIII par lesdites autorités allemandes en date du 7 août 2024.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est tenu d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 20(5) du règlement DIII, l’Etat auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu - dans les conditions prévues aux art, 23, 24, 25 et 29, et en vue d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre Etat membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre Etat membre pendant le processus de détermination de l’Etat membre responsable.
Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits 3fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 29 juillet 2029 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 13 juillet 2024 et que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 19 juillet 2024.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté l’Erythrée en août 2018 lorsque vous seriez partie au Soudan. Vous auriez vécu trois ans au Soudan avant de vous rendre avec votre fille en Libye. Vous seriez restées deux ans et demi en Libye avant de monter à bord d’une embarcation clandestine en partance pour le territoire des Etats membres en Italie.
L’embarcation sur laquelle vous vous trouviez aurait été sauvée en mer et vous auriez été déposées sur le territoire des Etats membres en Italie. Vous seriez restées une semaine sur le territoire italien avant de vous rendre en Allemagne après être passées par la Suisse.
En Allemagne vous auriez fait l’objet d’un contrôle d’identité par la police allemande ce qui vous aurait amenée à y introduire une demande de protection internationale en date du 19 juillet 2024. Vous seriez restées quatre à cinq jours en Allemagne avant de quitter le territoire allemand sans connaître l’état de votre demande. Vous seriez alors parties en Belgique où vous seriez restées six jours avant de vous rendre au Luxembourg en date du 28 juillet 2024.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 31 juillet 2024, vous avez mentionné avoir un peu mal à la tête à cause du stress. Cependant, force est de constater que vous n’avez transmis aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne, qui est l’Etat tenu de vous reprendre en charge en vue d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection Internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que l’Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, l’Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
4Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.
Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Madame, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau aptes à être transférées. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
5D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2024, Madame (A) a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 23 octobre 2024.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours principal en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant que sa fille et elle auraient quitté l’Erythrée en août 2018, pour se rendre au Soudan, où elles seraient restées trois ans à …. Elles se seraient ensuite rendues en Libye, pour y séjourner pendant deux ans et demi, avant de partir, à bord d’une embarcation clandestine, pour l’Italie, où elles auraient été secourues dans la mer. Après être restées pendant deux jours dans un camp à Milan et ensuite avoir vécu dans la rue, elles auraient pris un train via la Suisse pour arriver en Allemagne, où elles se seraient faites contrôlées par la police et où, après avoir introduit une demande de protection internationale, elles auraient été mises dans un foyer duquel elles se seraient « échappées », de sorte qu’elles auraient de nouveau vécu environ quatre jours dans la rue. Ensuite, elles se seraient rendues en train en Belgique, où elles seraient restées environ six jours dans la rue avant de partir pour le Luxembourg, où elles seraient arrivées le 28 juillet 2024. La demanderesse donne encore à considérer qu’elle ne sait ni lire, ni écrire.
En droit, après avoir mis en avant que sa fille et elle souffriraient depuis leur dernier séjour en Allemagne de solitude et de problèmes psychiques en raison de leur errance et de leur vécu depuis 2018, la demanderesse conclut tout d’abord à une violation par le ministre des articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », ainsi que de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », dans la mesure où, en cas de transfert vers l’Allemagne, elles risqueraient d’y subir des traitements inhumains et dégradants au sens de ces dispositions, alors que ce pays ne serait pas en mesure de protéger l’ensemble des migrants sur son territoire.
Elle s’empare, dans ce contexte, d’un rapport de l’organisation Amnesty International de 2024 lequel ferait état d’une augmentation des violences et agressions physiques visant les centres d’accueil pour personnes réfugiées, tout en soulignant que l’extrême droite, l’antisémitisme et le racisme, y compris les crimes de haine violents, seraient une grave source de préoccupation en Allemagne que les autorités n’arriveraient pas à endiguer.
La demanderesse avance qu’au vu du fait qu’elle souffrirait, de même que sa fille, de diverses pathologies et qu’elles auraient été discriminées à cause de leur nationalité lors de leur précédent séjour en Allemagne, le ministre devrait leur garantir qu’elles ne seraient pas laissées sans ressources, sans assistance et sans protection dans ce pays, alors qu’il n’existerait aucune 6garantie que les autorités allemandes respecteraient les prescriptions de la directive (UE) n°2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte], ci-après désignée par « la directive Accueil ». Ce constat s’imposerait d’autant plus alors que les autorités allemandes ne leur auraient pas fourni une assistance protectrice, adéquate et effective durant leur séjour en Allemagne, malgré les obligations qui leur seraient imposées en termes d’assistance médicale et d’accueil suivant les articles 17, 19 et 21 de la directive Accueil, la demanderesse donnant, à cet égard, à considérer que leur état de santé physique et psychologique se serait dégradé au fil de leur séjour dans ce pays, tout en soulignant qu’elles auraient été victimes de discrimination raciale par les autorités allemandes et par la population environnante, de sorte que les traitements qui leur auraient été réservés par les autorités allemandes, en tant que personnes vulnérables et discriminées, démontreraient à suffisance une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte dans leur chef.
La demanderesse invoque dans ce contexte encore une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, alors que même s’il existait une présomption renforcée du respect par l’Allemagne des droits fondamentaux, cette présomption ne serait pas irréfragable, mais serait, en l’espèce, renversée alors que ce pays connaîtrait des défaillances graves et systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, entraînant dans leur chef un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH.
La demanderesse reproche ensuite au ministre d’avoir violé l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III en ce qu’il n’aurait pas fait application de la clause de souveraineté prévue à cette disposition, mais qu’il aurait pris la décision de les transférer en Allemagne alors même qu’il serait au courant du fait qu’elles s’y retrouveraient dans une « situation de particulière vulnérabilité ».
Enfin, la demanderesse se prévaut du principe de non-refoulement découlant de l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », en faisant valoir que leur transfert vers l’Allemagne constituerait un refoulement en violation de cette disposition en ce qu’elles seraient soumises en Allemagne, en tant que demandeurs de protection internationale, à des conditions matérielles d’hébergement inhumaines et dégradantes, qu’elles y seraient laissées sans protection et qu’elles y risqueraient d’être expulsées directement vers leur pays d’origine, le tout en violation de l’article 4 de la Charte.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
En vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays 7accepte la prise en charge ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes de reprendre en charge les consorts (AB) prévoit que « l’Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu, dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29, et en vue d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale, de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre Etat membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre Etat membre pendant le processus de détermination de l’Etat membre responsable.
Cette obligation cesse lorsque l’État membre auquel il est demandé d’achever le processus de détermination de l’État membre responsable peut établir que le demandeur a quitté entre-temps le territoire des États membres pendant une période d’au moins trois mois ou a obtenu un titre de séjour d’un autre État membre.
Toute demande introduite après la période d’absence visée au deuxième alinéa est considérée comme une nouvelle demande donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’État membre responsable. ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dans lequel le demandeur a introduit en premier une demande de protection internationale, malgré le fait que ladite demande soit par la suite considérée comme ayant été retirée, à moins qu’il soit établi que le demandeur a entretemps quitté le territoire des Etat membres pendant une période d’au moins trois mois ou a obtenu un titre de séjour d’un autre Etat membre.
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer les consorts (AB) vers l’Allemagne et de ne pas examiner la demande de protection internationale de Madame (A) a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat tenu d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Madame (A) serait l’Allemagne, en ce qu’elle y avait introduit une demande de protection internationale le 19 juillet 2024 et que les autorités allemandes ont accepté de les reprendre en charge en date du 7 août 2024 sur le fondement de la même base réglementaire.
C’est, dès lors, a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer les consorts (AB) vers l’Allemagne et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite par la demanderesse au Luxembourg.
Force est tout d’abord au tribunal de constater que la demanderesse ne conteste pas cette compétence de principe des autorités allemandes, et, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais soutient que son transfert violerait les articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, 1er et 4 de la Charte, 3 de la CEDH et 33 de la Convention de Genève.
8Il convient de relever que le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent1.
Le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat, tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
S’agissant de l’argumentation de la demanderesse quant à l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, le tribunal rappelle qu’en vertu de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH.
La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé2.
A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en tant qu’Etat membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi 1 Trib. adm., 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.
2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
9que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile, auquel l’Allemagne adhère, a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5.
Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.
3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 78.
4 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.
9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
10Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.
En l’espèce, la demanderesse, remettant en question cette présomption du respect par l’Allemagne des droits fondamentaux, puisqu’elle fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation en Allemagne, telle que décrite par elle, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.
Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.
Il ressort, en effet, des développements de la demanderesse que cette dernière fonde l’existence de défaillances graves dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne entraînant pour elle et sa fille un risque réel et avéré d’y subir des traitements contraires aux articles 3 CEDH et 4 de la Charte d’abord sur l’existence, sur le territoire allemand, de discriminations raciales et de violences à l’égard des migrants contre lesquelles aucune protection ne serait accordée de la part des autorités allemandes.
Le tribunal relève que pour sous-tendre cette affirmation, la demanderesse s’appuie sur un rapport de 2024 émanant de l’organisation Amnesty International lequel fait état d’une augmentation du nombre de crimes de haine enregistrés en Allemagne en 2022, dont notamment les crimes liés au racisme lesquels auraient augmenté à l’ordre de 14%. Ledit rapport indique encore que le racisme contre les musulmans serait répandu dans la société allemande, que l’Allemagne serait l’un des deux pays de l’Union européenne où les personnes d’ascendance africaine subiraient le plus de discrimination raciale, notamment lors d’interventions policières, que les catégories marginalisées, telles que les personnes racisées, seraient moins susceptibles de porter plainte que le reste de la population et que les enquêtes menées en Allemagne sur les allégations de profilage racial seraient peu satisfaisantes. Or, si 10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
91.
11 Ibid., pt. 92.
12 Ibid., pt. 93.
11ledit rapport, lequel vise surtout la situation telle qu’elle s’est présentée en Allemagne en 2022, de sorte à ne pas nécessairement refléter la situation telle qu’elle s’y présente à l’heure actuelle, fait certes état d’un certain problème de discrimination raciale en Allemagne et si les pratiques des autorités allemandes dénoncées dans ledit document sont condamnables, force est néanmoins de constater qu’il ne se dégage en tout état de cause pas dudit rapport qu’il existe à l’heure actuelle un risque réel et concret que tout demandeur de protection internationale et plus particulièrement ceux transférés dans le cadre du règlement Dublin III seraient systématiquement confrontés en Allemagne à une discrimination ou à des violences à cause de leur nationalité, engendrant des traitements inhumains ou dégradants contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, et ce sans qu’ils ne puissent se prévaloir de la protection des autorités allemandes à cet égard.
Il ne ressort, par ailleurs, pas dudit rapport qu’à l’heure actuelle, l’Allemagne connaîtrait de manière générale des défaillances systémiques en ce sens que la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure, d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH.
En effet, mis à part le rapport de l’organisation Amnesty International prémentionné, la demanderesse ne fournit aucun élément objectif tangible permettant de retenir que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Allemagne, ou encore que ceux-ci n’auraient en Allemagne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, étant rappelé que l’Allemagne est signataire de la Charte et de la CEDH et qu’elle est en tant que membre de l’Union européenne tenue au respect des dispositions de celles-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants du 10 décembre 1984 et de la Convention de Genève.
Par ailleurs, le tribunal relève que la demanderesse n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Allemagne, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (« UNHCR »). Elle ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Allemagne de ressortissants érythréens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile allemande qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que la demanderesse n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qui entraîneraient un risque de 12traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable13.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte14, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant15.
Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef des consorts (AB), un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé16.
Or, en l’espèce, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement les droits des consorts (AB) n’auraient pas été respectés en Allemagne dans le cadre de la demande de protection internationale y introduite par la demanderesse. La demanderesse n’apporte pas non plus d’éléments de nature à établir qu’elle ou sa fille risqueraient personnellement des mauvais traitements en cas de transfert en Allemagne que ce soit des autorités policières ou de la population allemande, de même qu’elle n’apporte pas la preuve que, personnellement, leurs droits n’y seront pas garantis, ni qu’elles n’auraient aucune possibilité de les faire valoir.
La demanderesse n’a, en effet, pas avancé ni lors de l’entretien Dublin III ni dans le recours sous analyse des éléments suffisamment concrets et plausibles tenant à sa situation personnelle ou à celle de sa fille mineure de nature à démontrer qu’en cas de transfert, elles seraient personnellement exposées au risque que leurs besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à leur transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités 13 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09 14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.
15 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
88 16 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.
13allemandes avant de les transférer. Au contraire, il ressort du dossier administratif, et plus particulièrement du rapport d’entretien Dublin III du 31 juillet 2024, que Madame (A) a indiqué avoir été logée dans un centre pour réfugiés durant son séjour en Allemagne et avoir décidé de « s’échapper » de celui-ci sans donner une quelconque explication quant à son choix de préférer vivre dans la rue plutôt que dans un foyer. Par ailleurs, questionnée sur les conséquences d’un transfert vers l’Allemagne dans son chef, elle a simplement répondu que « les autorités allemandes pourraient me demander pourquoi j’ai quitté le pays et me faire des problèmes »17, sans toutefois expliquer plus concrètement de quels problèmes il pourrait s’agir.
A cela s’ajoute qu’il ne se dégage pas non plus des éléments soumis au tribunal que les autorités allemandes refuseraient de traiter sa demande de protection internationale, lesdites autorités ayant, au contraire, accepté la reprise en charge des consorts (AB) sur le fondement de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III avec la précision qu’elles devront se rendre dans un centre de primo-accueil (« Erstaufnahmeeinrichtung ») situé à …. Il ne se dégage pas davantage des éléments de la cause que les autorités allemandes compétentes risquent de violer le droit de la demanderesse à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles risquent de refuser de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, notamment et en particulier au vu des risques éventuellement encourus par elle dans son pays d’origine, la demanderesse n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile n’y serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive Accueil, étant, à cet égard, relevé qu’il se dégage, au contraire, du rapport d’entretien Dublin III de la demanderesse que les autorités allemandes ne lui ont pas refusé l’accès à la procédure d’asile, mais qu’elle a consciemment choisi de quitter l’Allemagne sans attendre une réponse à sa demande de protection internationale au motif que son but aurait toujours été celui de venir au Luxembourg18.
Si la demanderesse soutient vaguement dans son recours qu’elle et sa fille auraient été discriminées lors de leur séjour en Allemagne en se prévalant dans ce contexte du rapport de l’organisation Amnesty International de 2024, prémentionné, force est de constater que la demanderesse invoque ledit rapport sans mettre en relation les cas particuliers y décrits avec leur situation personnelle, ce à quoi il s’ajoute qu’il ne ressort pas de l’entretien Dublin III de Madame (A) qu’elle ou sa fille auraient été personnellement victimes de racisme, de haine ou de violences lors de leur séjour en Allemagne. Or, à défaut de développements plus précis à cet égard dans son recours, les allégations afférentes sont rejetées, le tribunal se devant de rappeler dans ce contexte qu’il a été retenu ci-avant qu’il ne se dégage en tout état de cause pas des éléments lui soumis que de manière générale les demandeurs de protection internationale et en particulier ceux transférés sur base du règlement Dublin III risqueraient systématiquement de subir des discriminations ou des violences de la part des autorités ou de la population allemandes et qu’aucune protection ne pourrait leur être accordée contre de tels actes.
Il convient, par ailleurs, de souligner que si la demanderesse devait estimer que le système d’asile allemand est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si la demanderesse devait estimer que le système d’accueil et d’aide allemand n’était pas conforme aux normes européennes.
17 Page 5/7 du rapport d’entretien Dublin III.
18 Page5 /7 du rapport d’entretien Dublin III.
14 Au vu des considérations qui précèdent, le reproche de la demanderesse suivant lequel un transfert vers l’Allemagne constituerait un refoulement contraire à l’article 33 de la Convention de Genève parce qu’elle et sa fille y seraient soumises à des conditions d’hébergement inhumaines et dégradantes est à rejeter pour ne pas être fondé.
S’agissant ensuite de l’argumentation de la demanderesse ayant trait à une nécessaire prise en considération de sa vulnérabilité, ainsi que de celle de sa fille découlant, notamment, de leur état de santé psychique, le tribunal relève que dans son arrêt, précité, du 16 février 2017, la CJUE a mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive Accueil sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats […] ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […] »19. Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […] »20.
Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante 19 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.
20 Ibid., points 76 à 85 et point 96.
15l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée21.
En l’espèce, si, quant à son état de santé, ainsi que celui de sa fille, la demanderesse a soutenu dans son recours qu’en raison de leur vécu depuis 2018 et de leur séjour en Allemagne où elles auraient vécu dans la rue, elle et sa fille auraient des problèmes psychologiques qui nécessiteraient une prise en charge médicale adéquate, force est néanmoins de constater qu’elle n’a pas versé à l’appui de son recours la moindre pièce probante quant à son état de santé ou à celui de sa fille mineure, telle qu’un certificat médical, qui permettrait au tribunal d’apprécier la réalité, la nature exacte et la gravité de leurs prétendus problèmes de santé psychique, de sorte que ses développements afférents sont rejetés pour rester à l’état de pures allégations, étant, à cet égard, encore relevé que lors de son entretien Dublin III, la demanderesse a simplement indiqué avoir des maux de tête à cause du stress22, sans faire état d’un suivi médical particulier. Ainsi, l’intéressée n’a pas fourni d’éléments objectifs qui seraient de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé ou de celui de sa fille et a fortiori les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner le transfert vers l’Allemagne sur elles.
A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé des consorts (AB) lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne par le biais de la communication aux autorités allemandes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables les concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressée exprime son consentement explicite à cet égard23.
Eu égard aux développements qui précèdent, c’est à tort que la demanderesse conclut à une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, au motif que le ministre n’aurait pas tenu compte de leur vulnérabilité et, plus particulièrement, de leurs problèmes de santé psychique.
Quant à l’argumentation de la demanderesse ayant trait à sa crainte d’être refoulée par les autorités allemandes vers son pays d’origine, en violation de l’article 33 de la Convention de Genève, il y a tout d’abord lieu de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202324, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat membre requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat membre, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat membre requis, de 21 Ibid., point 83.
22 Page 2/7 du rapport d’entretien Dublin III.
23 En ce sens : trib. adm., 30 mars 2022, n° 47115 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
24 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21.
16défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat membre requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.
Par ailleurs et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever que la décision ministérielle déférée désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale de la demanderesse, en l’occurrence l’Allemagne qui a reconnu être compétente pour reprendre en charge les consorts (AB).
Le tribunal relève ensuite que la demanderesse reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, ainsi que dans celui de sa fille, d’un risque d’être renvoyées arbitrairement en Erythrée par les autorités allemandes, étant encore relevé que les autorités allemandes ont expressément accepté de les reprendre en charge et qu’il ne se dégage, qui plus est, pas des déclarations de la demanderesse que lesdites autorités aient tenté de les renvoyer en Erythrée puisqu’au contraire elle a pu déposer une demande de protection internationale en Allemagne.
De plus, il ne se dégage pas des éléments produits par la demanderesse que si les autorités allemandes devaient néanmoins décider de les renvoyer en Erythrée en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il ne leur serait pas possible de faire valoir leurs droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates.
Il ne ressort dès lors pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que le transfert des consorts (AB) vers l’Allemagne les exposerait à un retour forcé dans leur pays d’origine, qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
L’argumentation ayant trait à une violation du principe de non-refoulement est dès lors à rejeter pour ne pas être fondée.
Au vu des développements faits ci-avant, il n’est pas établi que compte tenu de leur situation personnelle, les consorts (AB) seraient exposées à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, respectivement de faire l’objet d’un refoulement en violation de l’article 33 de la Convention de Genève en cas de transfert vers l’Allemagne, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III. Ainsi, l’argumentation afférente de la demanderesse est à rejeter dans son ensemble.
En ce qui concerne finalement le moyen fondé sur l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », il y a lieu de préciser que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats 17membres25, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201726.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge27, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration28.
Le tribunal constate que la demanderesse invoque dans ce contexte, en substance, son argumentaire développé à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Or, cette argumentation vient d’être rejetée ci-avant, le tribunal ayant plus particulièrement retenu qu’un transfert des consorts (AB) en Allemagne n’est pas de nature à les exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors que, d’une part, la preuve de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, n’a pas été rapportée en l’espèce et, d’autre part, la demanderesse n’a pas non plus établi que compte tenu de leur situation personnelle, en ce compris leur état de santé, un transfert en Allemagne les exposerait à un tel risque, nonobstant le constat de l’absence de défaillances systémiques, au sens de cette dernière disposition du règlement Dublin III.
Dans ces circonstances et en l’absence d’autres éléments, le tribunal conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt également le rejet Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
25 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, pt. 65.
26 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.
27 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 (3e volet) et les autres références y citées.
28 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.
18 dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 2 décembre 2024 par le vice-président Alexandra Castegnaro en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 19