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29/11/2024 | LUXEMBOURG | N°51772

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 novembre 2024, 51772


Tribunal administratif N°51772 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51772 4e chambre Inscrit le 4 novembre 2024 Audience publique du 29 novembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51772 du rôle et déposée le 4 novembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avoc

at à la Cour, assisté de Maître Elena FROLOVA, avocat, tous les deux inscrits au ta...

Tribunal administratif N°51772 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51772 4e chambre Inscrit le 4 novembre 2024 Audience publique du 29 novembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51772 du rôle et déposée le 4 novembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, assisté de Maître Elena FROLOVA, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, actuellement assigné à résidence à la Maison Retour, sise à L-…, tendant, selon son dispositif, principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 30 octobre 2024 de le transférer vers la Belgique comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP, et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 novembre 2024.

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Le 19 septembre 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection temporaire au sens de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil de l'Union européenne du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, du 20 juillet 2001, relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil, demande qui fut rejetée par une décision du ministre des Affaires intérieures du 26 septembre 2024, ci-après désigné par « le ministre ».

Le 1er octobre 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».

1Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait déjà introduit des demandes de protection internationale en Allemagne en date des 19 décembre 2018, respectivement 3 mars 2022, ainsi qu’une demande en Belgique en date du 6 septembre 2022.

Le 8 octobre 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 9 octobre 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues belges une demande de reprise en charge de Monsieur (A) base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités en date du 15 octobre 2024 sur le fondement du même article.

Par arrêté du 25 octobre 2024, Monsieur (A) fut assigné à résidence à la maison retour pour une durée de trois mois à partir de la notification dudit arrêté.

Par décision du 30 octobre 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Belgique sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 1er octobre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Belgique qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judicaire du 1er octobre 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 8 octobre 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale 2 En date du 1er octobre 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en Allemagne en date des 19 décembre 2018 et 3 mars 2022 et une demande en Belgique en date du 6 septembre 2022.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 8 octobre 2024.

Sur cette base, une demande de reprise en charge sur base de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités belges en date du 9 octobre 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités belges en date du 15 octobre 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point b) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 1er octobre 2024 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous 3avez introduit deux demandes de protection internationale en Allemagne en date des 19 décembre 2018 et 3 mars 2022 et une demande en Belgique en date du 6 septembre 2022.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l'Ukraine en train vers Budapest (Hongrie) en avril 2018. Deux jours plus tard, vous vous seriez rendu à Munich (Allemagne) en bus. Vous y avez introduit une demande de protection internationale qui aurait été rejetée en 2019. Vous auriez vécu en Allemagne pendant quatre ans et demi, d'abord dans un foyer pour réfugiés et, ensuite, dans un hôtel à Garmisch-Partenkirchen. Après le début de la guerre en Ukraine, vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale en Allemagne, mais vous n'auriez pas eu de réponse à cette demande jusqu'à présent. En septembre 2022, vous seriez parti en Belgique. Selon vos dires, vous auriez eu un entretien en février 2023, mais vous auriez quitté la Belgique après un séjour de deux ans sans avoir de réponse à votre demande de protection internationale. En date du 19 septembre 2024, vous seriez arrivé au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 8 octobre 2024, vous avez mentionné avoir des problèmes dentaires, mais vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Belgique qui est l'Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez avoir quitté la Belgique parce que vous y auriez vécu dans la rue.

Rappelons à cet égard que la Belgique est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Belgique est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Belgique profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, la Belgique est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Belgique sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires belges.

4Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Belgique ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Belgique revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la Belgique, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la Belgique, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la Belgique en informant les autorités belges conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités belges n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 novembre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, selon le dispositif auquel le tribunal est seul tenu, à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 30 octobre 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, 5le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant plus particulièrement qu’en avril 2018, il aurait quitté son pays d’origine pour se rendre, après une escale de 2 jours en Hongrie, en Allemagne où il serait resté pendant deux ans et demi. Une première demande de protection y introduite le 19 décembre 2018 aurait été définitivement rejetée en décembre 2021. Il aurait introduit une deuxième demande de protection internationale en Allemagne le 3 mars 2022, suite au début du conflit armé entre l’Ukraine et la Russie, demande par rapport à laquelle il affirme ne pas avoir eu de réponse avant son départ pour la Belgique en septembre 2022. Il fait encore valoir avoir déposé une demande de protection internationale en Belgique le 6 septembre 2022, mais, mis à part un entretien en février 2023, ne pas avoir obtenu de décision y relative de la part des autorités belges compétentes. Pendant son séjour de deux ans en Belgique, le demandeur précise avoir dû vivre dans la rue où il aurait fait l’objet d’agressions, avant de se rendre le 19 septembre 2024 au Luxembourg.

En droit, le demandeur estime que le ministre, dans sa décision du 30 octobre 2024, aurait tiré des conclusions hâtives concernant sa situation et conclut, tout d’abord, à une violation des articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », ainsi que de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », au motif qu’il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers la Belgique en ce qu’il ne pourrait pas y bénéficier des conditions matérielles d’accueil et qu’il s’y retrouverait démuni, sans pouvoir subvenir à ses besoins les plus élémentaires.

A cet égard, il reproche au ministre d’avoir omis de prendre en compte la précarité du statut des demandeurs de protection internationale en Belgique, en invoquant, dans ce cadre, un courrier du 30 mars 2023 de la part de quatre rapporteurs spéciaux du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et adressé au gouvernement belge exprimant leur préoccupation par rapport à la situation des migrants et des demandeurs de protection internationale en Belgique, ainsi que la réponse afférente des autorités belges du 22 mai 2023.

Le demandeur relève encore qu’en cas de transfert vers la Belgique, il serait, à nouveau, laissé sans ressources et sans protection par les autorités belges compétentes.

Toujours en se prévalant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, le demandeur fait valoir être une personne vulnérable en raison de diverses pathologies dont il souffrirait, lesquelles auraient été accentuées lors de son séjour en Belgique par son sentiment de discrimination « (…) envers les Roms qu’il aurait rencontré et subi lors de son séjour en Belgique (…) », et estime qu’il n’existerait aucune garantie du respect, par la Belgique, des prescriptions de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), désignée ci-après par « la directive Accueil », la preuve en étant que, de « de toute nature » adéquate et effective. Le demandeur invoque encore, dans ce cadre, un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 18 août 2023, « Affaire Camara c. Belgique » ayant condamné les autorités belges suite à la plainte d’un demandeur de protection internationale guinéen ayant été contraint de dormir dans la rue pendant plusieurs mois du fait de ne pas avoir pu obtenir de place dans une structure d’accueil.

6 Ensuite, le demandeur conclut à une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, en invoquant l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Belgique, l’intéressé épinglant à cet égard qu’il n’aurait pu y bénéficier d’« aides de survie » auparavant.

Le demandeur se prévaut encore du principe de non-refoulement consacré par l’article 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, désignée ci-

après par « la Convention de Genève », en soutenant qu’un transfert vers la Belgique, mis à part la crainte de ne pas obtenir de protection de la part des autorités belges, l’exposerait à des conditions matérielles d’hébergement inhumaines et dégradantes, en violation de l’article 3 du règlement Dublin III, de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH.

Au vu de ce qui précède, il estime finalement que ministre aurait, dans le cadre de la « solidarité européenne », dû appliquer la clause de souveraineté telle que prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités belges pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A), prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale qui est toujours en cours d’examen.

7Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait la Belgique, en ce que le demandeur y avait déposé une demande de protection internationale qui est toujours en cours d’examen et que les autorités belges avaient accepté sa reprise en charge le 15 octobre 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Le tribunal relève, ensuite, que le demandeur ne conteste ni cette compétence de principe des autorités belges ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais soutient, en substance, que son transfert vers ledit pays violerait les articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, 33 de la Convention de Genève, ainsi que 3, paragraphe (2) et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le tribunal relève ensuite que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH - auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre de ce faire.

En ce qui concerne d’abord l’argumentation du demandeur relative à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Belgique, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ».

Cette disposition impose dès lors à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

8La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.

A cet égard, le tribunal relève que la Belgique est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« la Convention « torture »), ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption -

réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore à cet égard que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés.

S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

3 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pt. 95.

9protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.

Le demandeur remettant en question la présomption du respect par la Belgique des droits fondamentaux, puisqu’il affirme y risquer des traitements inhumains et dégradants, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser, étant, à cet égard, relevé que sa situation est celle d’un demandeur de protection internationale dont l’analyse de sa demande est toujours en cours, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations doivent être examinées.

Le tribunal constate toutefois que le demandeur ne produit aucun élément probant, tel que des rapports d’organisations internationales, qui permettrait d’appuyer son argumentation fondée sur l’existence, en Belgique, de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qui atteindraient le seuil de gravité tel que décrit ci-avant, de même qu’il n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers la Belgique, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, dénommé ci-après « l’UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la Belgique dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement 6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.ja.etat.lu.

7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.

9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10 Ibid., pt. 92.

11 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

93.

10de la politique d’asile belge qui exposerait les demandeurs de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Ce constat n'est pas remis en cause par les éléments invoqués par le demandeur et plus particulièrement le courrier du 30 mars 2023 de quatre rapporteurs spéciaux du Haut-

Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et adressé au gouvernement belge pour exprimer leur préoccupation par rapport à la situation des migrants et des demandeurs de protection internationale en Belgique, ainsi que la réponse des autorités belges du 22 mai 2023, tout comme l’arrêt, précité, de la CourEDH du 18 août 2023, pour ne pas correspondre à la situation factuelle vécue par le demandeur lors de son séjour en Belgique.

Il ne se dégage plus particulièrement pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement, les droits du demandeur n’auraient pas été respectés en Belgique dans le cadre du traitement de sa demande de protection internationale y introduite. Il ne se dégage pas non plus du dossier qu’au cours du traitement de sa demande de protection internationale, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant.

Ainsi, si le demandeur affirme certes qu’il aurait dû vivre dans la rue tout au long de son séjour en Belgique, le tribunal doit constater qu’il ressort du rapport n° SPJ-CO/2024/JDA 163901-2/DEMI de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée du 1er octobre 2024 que le demandeur a résidé en Belgique dans un centre de la FEDASIL jusqu’au 10 mars 2023, date à laquelle il fut rayé d’office. Il y a lieu d’en conclure que contrairement aux affirmations du demandeur, celui-ci a eu accès aux structures d’hébergement en Belgique, de sorte qu’il n’a pas été contraint, en raison de défaillances systémiques affectant la procédure d’asile ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Belgique, de vivre dans la rue, mais qu’il s’est vu retirer ledit accès, étant relevé que conformément à l’article 20 de la directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte], désignée ci-après par « la directive Accueil », ledit droit peut faire l’objet d’un retrait, respectivement d’une limitation, lorsque la personne concernée a « (…) a) abandonn[é] le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue; ou b) [n’a pas respecté] l’obligation de se présenter aux autorités, [n’a pas répondu] aux demandes d’information ou [ne s’est pas rendu] aux entretiens personnels concernant la procédure d’asile dans un délai raisonnable fixé par le droit national (…) ».

Le tribunal relève encore, dans ce contexte, que la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, législation régissant les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au Luxembourg, à son l’article 22, permet au directeur de l’Office national de l’accueil de limiter ou de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsque notamment le demandeur s’est comporté de manière violente ou menaçante envers le personnel de la structure d’hébergement ou envers d’autres personnes hébergées dans ladite structure, a abandonné la structure d’hébergement sans en avoir informé l’autorité compétente ou si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue, n’a pas respecté pas l’obligation de se présenter aux entretiens et convocations fixés par les autorités, respectivement a commis un manquement grave au règlement d’ordre intérieur des structures d’hébergement.

11Dès lors, le fait, sous certaines conditions, de limiter ou de restreindre totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des migrants est autorisé tant par la législation européenne que, à titre de mise en perspective, par la législation nationale luxembourgeoise.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que le demandeur n’apporte pas la preuve que, dans son cas précis, ses droits tels que consacrés par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ne seraient pas garantis en cas de retour en Belgique, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs d’une protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Belgique, ou encore que ceux-ci n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités belges en usant des voies de droit adéquates.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt le rejet.

Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, même en l’absence de défaillances systémiques, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable12.

En effet, dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte13, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant14.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé15.

Le tribunal est toutefois amené à retenir qu’en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer qu’en cas de retour en Belgique, il risquerait d’encourir un quelconque traitement inhumain ou dégradant au sens des dispositions internationales précitées, respectivement dans 12 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pts. 65 et 96 14 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.

15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

12le sens retenu par la CJUE, nécessitant, tel que retenu ci-avant, des actes devant revêtir un certain seuil de gravité et entraînant des souffrances physiques ou psychologiques intenses.

En ce qui concerne plus particulièrement l’état de santé du demandeur tel que mis en avant par celui-ci, le demandeur affirmant souffrir de diverses pathologies, ainsi que d’une dégradation de son état de santé mentale, le tribunal relève tout d’abord qu’il ne se dégage pas de la jurisprudence précitée de la CJUE que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour le traitement de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé, pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.

En effet, suivant la jurisprudence de la CJUE, ce n’est que si un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, que les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée16.

La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.

Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.

Il appartient dès lors au tribunal, compte tenu des développements du demandeur à cet égard, de vérifier si l’état de santé de celui-ci présente une gravité telle qu’il ne peut sérieusement être exclu que son transfert entraînerait pour lui un risque réel de traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH17.

Or, en l’espèce, le demandeur est resté en défaut de soumettre au tribunal un quelconque élément probant quant à sa situation médicale, de sorte qu’il y a lieu de retenir que son état de santé n’est pas d’une gravité particulière et qu’un transfert du demandeur vers la Belgique n’est 16 Trib. adm., 8 janvier 2020, n° 43800 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu, ayant repris ces principes.

17 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

13pas de nature à entraîner à son égard des conséquences significatives et irrémédiables, de sorte que son état de santé ne s’oppose à son transfert vers la Belgique.

Le tribunal se doit ensuite de relever que le demandeur reste, en tout état de cause, en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre un quelconque indice concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas, en Belgique, accéder aux soins médicaux nécessaires et plus particulièrement au traitement médical dont il aurait besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.

Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à l’autorité ministérielle de ne pas avoir sollicité de la part des autorités belges des garanties individuelles quant à une prise en charge adaptée du demandeur.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale, au système d’aide belge, il lui appartiendra de faire valoir ses droits directement auprès des autorités belges en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose de toute façon pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers la Belgique par le biais de la communication aux autorités belges des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, nonobstant le constat fait ci-

avant de l’absence, en Belgique, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation desdits articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte pris isolément encourt également le rejet.

En ce qui concerne ensuite le moyen du demandeur tiré d’une prétendue violation par le ministre du principe de non-refoulement prévu à l’article 33 de la Convention de Genève, au motif que son transfert vers la Belgique constituerait un refoulement au sens de ladite disposition, il échet de rappeler que cet article s’applique à la situation d’expulsion ou de refoulement d’un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, situation dans laquelle Monsieur (A) ne se trouve pas, 14alors que la décision de transfert prise à son encontre s’analyse en un transfert vers un autre Etat membre, bénéficiant, qui plus est, de la présomption du respect des droits fondamentaux, présomption qui n’est pas, tel que relevé ci-avant, renversée par le demandeur en l’espèce.

Partant, le tribunal se doit de conclure qu’il ne se dégage pas à suffisance des éléments soumis à son appréciation que le transfert du demandeur vers la Belgique serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201718. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge19, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration20.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH, respectivement 1er et 4 de la Charte, ainsi qu’à l’article 33 de la Convention de Genève, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation qu’il estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que les problèmes mis en avant ne sauraient pas davantage s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

18 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.

19 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

20 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

15reçoit en la forme le recours principal en réformation;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 novembre 2024 par :

Paul Nourissier, premier vice-président.

Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 novembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 51772
Date de la décision : 29/11/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-11-29;51772 ?

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