Tribunal administratif Numéro 51014 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51014 4e chambre Inscrit le 30 août 2024 Audience publique du 29 novembre 2024 Recours formé par la société anonyme (AA) SA, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51014 du rôle et déposée le 30 août 2024 au greffe du tribunal administratif par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS SCS, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-3364 Leudelange, 11, rue du Château d'Eau, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B211933, représentée aux fins des présentes par Maître Pol MELLINA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme (AA) SA, en liquidation volontaire, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son liquidateur actuellement en fonctions, à savoir la société à responsabilité limitée …SARL, établie et ayant son siège social à L-…, dont le représentant permanent pour les besoins de la liquidation est Monsieur …, demeurant professionnellement à L-…, tendant à l'annulation de la décision d'injonction du directeur de l'administration des Contributions directes du 31 juillet 2024 portant la référence … lui demandant de fournir des renseignements dans le cadre d'une demande d'échange de renseignements en matière fiscale suivant l'article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l'échange de renseignements sur demande en matière fiscale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 octobre 2024 ;
Vu l’ordonnance du président de la quatrième chambre du tribunal administratif du 8 octobre 2024 autorisant chacune des parties à déposer un mémoire supplémentaire suite à la communication par la partie étatique des raisons avancées par l’autorité étrangère pour justifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé le 28 octobre 2024 par la société BONN STEICHEN & PARTNERS SCS, préqualifiée, au nom de la société anonyme (AA) SA, préqualfiée ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 novembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier SCHANK, en remplacement de Maître Pol MELLINA, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 novembre 2024.
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Par courrier du 31 juillet 2024, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la société anonyme (AA) SA, ci-après désignée par « la société (AA) », de lui fournir pour le 6 septembre 2024 au plus tard, certains renseignements concernant Monsieur (A), ladite injonction étant libellée comme suit :
« (…) En date du 25 juillet 2024, l'autorité compétente de l'administration fiscale suédoise nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.
L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.
La finalité fiscale de la demande est une vérification de la situation fiscale de Monsieur (A), né le … et ayant une adresse …, Suède.
Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2018 au 29 mai 2019, les renseignements et documents suivants pour le 6 septembre 2024 au plus tard.
Pour des raisons de meilleure lisibilité, nous avons repris le questionnaire anglais de la demande d'information des autorités suédoises pour les points suivants :
For the period 1 January 2018 - 29 May 2019, please provide the information below for all accounts in the name of Mr (A), … SARL, Ca… in (AA) S.A, whether in their name or jointly with others, or to which Mr (A) is signatory or of which Mr (A) is the ultimate beneficial owner, including but not restricted to the following account numbers:
• LU … • LU … • LU … • LU … a) Identification (company number, country of registration, address) of the account holder(s) ;
b) Identification (name) of the beneficial(s) owner(s) and/or the authorized person, signatory(ies) ;
c) Account opening forms and forms showing signatories to accounts, including e-banking application forms to accounts.
d) KYC documentation ;
e) Copy of (account) statements ;
2 f) Please indicate if there are credit/debit cards linked to the accounts mentioned above. If affirmative, please provide us with copies of statements of these cards.
g) Please indicate if there are custody accounts linked to the accounts mentioned above. If affirmative, please provide us with copies of statements, which detail not only withdrawals/deposits/transfers of cash and purchase/sale of assets but also transfers of assets with no payments, of these custody accounts.
h) If there are any custody accounts, please provide portfolio summaries which detail the assets of the portfolio at given times, e.g. monthly.
i) Any instructions received by the bank in any form, including letter, email, fax or telephone, from Mr (A) or any other person acting on his personal behalf or on his instruction or authority, requesting any payments or transfers or transactions to be made from the accounts.
j) For all the above accounts, where the customer accesses and manages the accounts electronically, information to include confirmation of how the access to the accounts was managed, showing :
a. Mobile phone numbers registered for access on any mobile application.
b. Detail of all IP addresses shown as used to access any of the above accounts, to show for the relevant period :
1. Date of access ;
2. IP Address used for access.
k) Telephone logs and/or audio files of recorded calls between Mr (A) and (AA) S.A..
l) Telephone logs and/or audio files of recorded calls between the Swedish banks (AA) AB, … AB, …, and/or … and the Luxembourg bank (AA) S.A., concerning Mr (A), … S.A.R.L., … and/or ….
Please provide copies of all relevant documents mentioned above.
Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 août 2024, la société (AA) a fait introduire un recours tendant à l’annulation de ladite décision du 31 juillet 2024 prise par le directeur.
1) Quant à la recevabilité du recours Le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours.
Aux termes de l’article 6 de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après désignée par « la loi du 25 novembre 2014 », « (1) Contre la décision d’injonction visée à l’article 3 paragraphe 3 un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. (…) ».
Il échet de relever que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.
Dès lors, étant donné que la partie gouvernementale est restée en défaut de préciser dans quelle mesure le recours ne serait pas recevable, le moyen d’irrecevabilité afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.
Il s’ensuit que le recours en annulation est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit selon les formes et délai prévus par la loi.
2) Quant au fond A l’appui de son recours et en fait, la société (AA) relève avoir été saisie le 31 juillet 2024 par les autorités luxembourgeoises d'une demande d'échange de renseignements des autorités suédoises visant Monsieur (A), en vertu de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-après désignée par la « directive 2011/16/UE », transposée en droit interne luxembourgeois par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-après désignée par « la loi du 29 mars 2013 », et sur base de la loi du 25 novembre 2014, tout en précisant les informations lui réclamées.
En droit, la demanderesse fait, tout d’abord, valoir qu’en vertu de la directive 2011/16/UE, seuls des « renseignements vraisemblablement pertinents » pour élucider les affaires fiscales d'un contribuable déterminé devraient être échangés entre les Etats, cette limite quant à la nature des informations pouvant faire l'objet d'un échange devant éviter qu’un Etat utiliserait l'instrument de l'échange d'informations pour effectuer des recherches tous azimuts, respectivement afin d'obtenir des informations dont il serait peu probable qu'elles concernent la situation fiscale d’un contribuable donné.
En se basant sur l’article 3 de la loi du 25 novembre 2014, la société (AA) soutient que la vérification de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés s’articulerait autour, d’une part, l’identité du contribuable concerné par la demande, en l’occurrence une personne physique dont la décision déférée indiquerait le nom, la date de naissance, ainsi qu’une adresse en Suède, et, d’autre part, de la finalité fiscale des informations demandées, en l’occurrence la situation fiscale de la personne physique visée, indication qui ne saurait cependant se limiter à une telle mention vague et générale, tel que l’aurait retenu la Cour administrative dans un arrêt du 25 janvier 2024, inscrit sous le numéro 49787C du rôle.
Au regard du défaut de précision de la finalité fiscale des informations requises, la demanderesse indique partir de la prémisse que le but fiscal des autorités suédoises devrait être de vérifier la situation fiscale par rapport à l’impôt sur le revenu en Suède de la personne physique visée par la décision litigieuse.
Dans ce contexte, la demanderesse argumente que, pour que les informations requises concernant les comptes détenus par Monsieur (A) à titre personnel, puissent être considérées comme vraisemblablement pertinentes, il faudrait établir un lien quelconque avec l'imposition de la personne visée en Suède, tel qu’une résidence fiscale, la détention d’actifs en Suède, respectivement la perception de revenus de source suédoise. Or, en ce qui concerne la période concernée par la décision litigieuse, la demanderesse relève, d’une part, que ses relations avec le contribuable visé auraient pris fin le 14 octobre 2018, et, d’autre part, qu’antérieurement à ladite date, Monsieur (A) aurait été, depuis 2008, un résident fiscal suisse, tel que cela ressortirait d’une autorisation d’établissement suisse valable jusqu'au 30 avril 2023, d’une carte d’assurance-maladie suisse valable jusqu'au 31 mai 2021, d’un bulletin de l’impôt fédéral direct de l'année 2015, des bulletins de « perception par tranches des impôts cantonaux » et d'« impôts communaux présumés » des années 2016 et 2018 émis par les autorités fiscales suisses, ainsi que de factures d'électricité, de télévision et de frais de copropriété concernant l’année 2017, sans que la demanderesse n’aurait disposé d’éléments relatifs à une quelconque résidence de Monsieur (A) en Suède.
La demanderesse soutient encore, dans ce cadre, que les informations sollicitées par les autorités suédoises ne se limiteraient pas seulement aux revenus de Monsieur (A) ayant pu avoir leur origine en Suède et dont ce dernier aurait été le bénéficiaire, mais viseraient l’ensemble des revenus de ce dernier et concerneraient, par ailleurs, différentes sociétés, en l’occurrence les sociétés … SA, … SA, … SARL, … Inc. et …, lesquelles ne seraient a priori pas établies en Suède et ne seraient pas les contribuables visés par la décision déférée. De plus, la demande d’échange de renseignements litigieuse n’établirait aucun lien entre Monsieur (A) et ces dernières, de sorte que la demanderesse met en doute la pertinence des informations relatives aux comptes bancaires de ces sociétés par rapport à l’imposition du contribuable visé en l’espèce.
Sur base de ces considérations, la demanderesse soutient que la décision litigieuse serait manifestement basée sur une demande étrangère devant être qualifiée de pêche aux renseignements, de sorte à devoir encourir l’annulation pour violation du critère de la pertinence vraisemblable.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement reprend, tout d’abord, les informations factuelles fournies par les autorités fiscales suédoises se trouvant à la base de la décision litigieuse du 31 juillet 2024 en précisant que le cas d’imposition visé par lesdites autorités porterait sur un contribuable résident suédois depuis le 29 mai 2019 ayant eu une activité économique conséquente en Suède depuis le 1er janvier 2018 à travers des sociétés suédoises dont il serait le directeur, ainsi qu’un associé majoritaire, ensemble avec son frère.
Ainsi, il détiendrait indirectement, par l’intermédiaire de sociétés luxembourgeoises, les parts sociales de sociétés suédoises, Monsieur (A) étant le bénéficiaire économique de 220 sociétés suédoises. Sur base de ces éléments, les autorités fiscales suédoises considèreraient Monsieur (A), en ce qui concerne la période du 1er janvier 2018 jusqu’au 29 mai 2019, comme étant un résident suédois et non pas suisse, de sorte à enquêter sur les revenus mondiaux de ce dernier pour les années 2018 à 2022, lesquels seraient à imposer en Suède. Dans ce cadre, il aurait été révélé que Monsieur (A) détiendrait des comptes auprès de quatre banques luxembourgeoises,dont la demanderesse, Monsieur (A) refusant cependant de fournir les informations sollicitées pour la période du 1er janvier 2018 jusqu’au 29 mai 2019. Les informations requises viseraient ses opérations avec les sociétés luxembourgeoises, ainsi qu’avec des sociétés domiciliées aux îles vierges britanniques détenant des comptes au Luxembourg, lesdites informations devant permettre aux autorités suédoises de vérifier, d’une part, l’exactitude des informations fournies par Monsieur (A) quant à son lieu de séjour durant la période litigieuse, et, d’autre part, les éventuels revenus perçus par ce dernier en provenance du Luxembourg et imposables en Suède.
Dans la mesure où le contribuable visé n’aurait fourni qu’une partie des documents lui sollicités et qu’il serait imposable en Suède, pour y être un résident, sur ses revenus mondiaux, les autorités fiscales suédoises auraient épuisé toutes les sources habituelles de renseignements pouvant être utilisées dans ces circonstances pour obtenir les renseignements requis et seraient partant fondées à réclamer les informations précisées dans la demande d’injonction litigieuse, informations qui devraient être considérées comme vraisemblablement pertinentes pour concerner des comptes bancaires ouverts au nom du contribuable concerné ou pour lesquels ce dernier serait signataire ou bénéficiaire effectif. Il en irait de même des informations en relation avec les 5 sociétés présentant toutes un lien avec le contribuable concerné.
Cette conclusion ne serait pas remise en cause par l’argumentation de la société (AA) selon laquelle le contribuable visé par la décision litigieuse, sur base des informations à sa disposition, aurait été un résident fiscal suisse jusqu'à la fin de leurs relations commerciales en date du 14 octobre 2018, de sorte à exclure une résidence fiscale en Suède, alors qu’il ressortirait de la description de la demande que les autorités suédoises auraient des indications selon lesquelles Monsieur (A) aurait résidé en Suède depuis le 1er janvier 2018 et que les informations sollicitées leur permettraient de vérifier les informations de séjour fournies par ce dernier ainsi que de déterminer le montant de ses revenus imposables en Suède.
Le délégué du gouvernement en conclut que la décision d'injonction se fonderait sur une demande suffisamment motivée des autorités fiscales requérantes portant sur des informations qui n'apparaîtraient pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d'une part, au contribuable concerné ainsi qu'au tiers éventuellement renseigné et, d'autre part, à la finalité fiscale poursuivie.
Dans son mémoire supplémentaire, la société (AA) relève, tout d’abord, que la demande d’échange de renseignements litigieuse des autorités fiscales suédoises viserait à déterminer, d’une part, la résidence fiscale de Monsieur (A), et d’autre part, ses revenus pour la période du 1er janvier 2018 au 29 mai 2019. Or, d’après la demanderesse, les informations relatives aux revenus et aux actifs du contribuable visé, pour la période litigieuse, ne pourraient être considérées comme véritablement pertinentes qu'à condition que ce dernier aurait effectivement été un résident fiscal en Suède, ce que les autorités suédoises resteraient cependant en défaut d’établir, alors qu’elles se limiteraient à affirmer que Monsieur (A) aurait eu une activité économique importante en Suède, sans cependant fournir d’éléments concret établissant qu’il aurait effectivement été présent physiquement de manière durable sur le territoire suédois au cours de la période concernée. Dans la mesure où les autorités suédoises admettraient explicitement que les informations sollicitées devraient leur permettre d’établir, respectivement de confirmer définitivement la résidence fiscale de Monsieur (A) en Suède pour la période concernée, la demande d'échange d'informations litigieuse relèverait, selon la société (AA), clairement de la pêche aux renseignements concernant les revenus et actifs de Monsieur (A), tant qu'une conclusion sur sa résidence fiscale en Suède pendant la période litigieuse ne serait pas arrêtée.
En conséquence, la demanderesse, en affirmant vouloir collaborer de bonne foi avec les autorités fiscales luxembourgeoises et suédoises, se déclare d’accord à fournir les informations devant permettre de déterminer si Monsieur (A) était effectivement un résident fiscal suédois au cours de la période allant du 1er janvier 2018 au 29 mai 2019, de sorte qu’elle ne s’opposerait pas à fournir à l'administration fiscale luxembourgeoise toutes les informations requises par les points f) et j) de la décision d'injonction litigieuse, à savoir plus particulièrement « (…) f.
L'indication de l'existence de cartes de crédit/débit liées aux comptes. Dans l'affirmative, des copies des relevés de ces cartes ; (…) j) Pour les comptes que le client accède et gère par voie électronique, des informations sur la manière dont l'accès au compte a été géré, montrant :
a. Les numéros de téléphones mobiles enregistrés pour l'accès sur l'application mobile, b. Le détail de toutes les adresses IP utilisées pour accéder à l'un des comptes, en indiquant, pour la période concernée, la date d'accès et l'adresse IP utilisée pour l'accès. (…) ».
En ce qui concerne le reste des informations requises sous les points a) à e), g) à i) ainsi que k) et l) de la décision litigieuse, la société (AA) argumente que celles-ci iraient largement au-delà de ce qui serait vraisemblablement pertinent pour permettre aux autorités suédoises de déterminer si Monsieur (A) avait été un résident fiscal suédois, pendant la période du 1er janvier 2018 au 29 mai 2019, alors qu’elles ne permettraient pas de déterminer si celui-ci avait été physiquement présent en Suède.
Ainsi, la demande d'échange d'informations des autorités suédoises, sur base des informations contenues dans les extraits fournis par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, devrait être considérée, sauf en ce qui concerne les points f) et j), comme une pêche aux renseignements devant avoir pour conséquence que la décision d'injonction litigieuse, basée sur ladite demande suédoise, devrait encourir l’annulation.
La partie étatique, dans son mémoire supplémentaire, conclut au rejet du recours, alors que la demande d’échange de renseignements des autorités, en ce qui concerne le volet des revenus et actifs du contribuable concerné, présenterait un lien avec la finalité fiscale poursuivie et qu’il ne pourrait pas être exclu que les informations se révèleraient pertinentes pour l'enquête spécifique en question. En l’occurrence, Monsieur (A) aurait conservé des liens très proches avec la Suède, compte tenu de son activité économique importante y exercée, de sorte qu’il pourrait y être assujetti à l'impôt sur ses revenus mondiaux en application de la législation suédoise. Ainsi, les autorités suédoises, par le biais de la demande d’échange de renseignements litigieuse, viseraient, d'un côté, à contrôler si le contribuable concerné serait un résident fiscal en application d'un ou de plusieurs des trois critères légaux en vérifiant l'exactitude des informations de séjour fournies par ce dernier, et, d'un autre côté, à déterminer le montant des revenus imposables de ce dernier en Suède. La partie étatique fait encore valoir, dans ce cadre, que les autorités suédoises pourraient demander des informations concernant les revenus mondiaux du contribuable concerné sans devoir préalablement lui communiquer une décision séparée concernant sa résidence fiscale et l'étendue de son obligation fiscale, décision qui ferait partie intégrante de la décision d'imposition prise après la clôture des investigations menées.
A titre liminaire, le tribunal constate que la demande d’échange de renseignements des autorités suédoises ayant donné lieu à la décision d’injonction litigieuse, est basée sur la directive 2011/16/UE, tandis que la décision d’injonction du 31 juillet 2024, quant à elle, est fondée sur la loi du 25 novembre 2014.
Le tribunal relève de manière générale que la directive 2011/16/UE prime, dans les relations entre Etats membres de l’Union européenne, les conventions préventives des doubles impositions conclues par deux d’entre eux - non invoquée en l’espèce - en tant que disposition du droit de l’Union européenne hiérarchiquement supérieure, une convention de double imposition devenant essentiellement pertinente si elle prévoit, sous un certain aspect, un échange de renseignements plus étendu que la directive 2011/16/UE, qui admet elle-même, au vœu de son article 1er, alinéa 3, « l’exécution de toute obligation des États membres quant à une coopération administrative plus étendue qui résulterait d’autres instruments juridiques, y compris d’éventuels accords bilatéraux ou multilatéraux » 1.
Il s’ensuit que la directive 2011/16/UE, ensemble avec la loi du 29 mars 2013 ayant transposé son contenu en droit interne, constitue le cadre légal de référence par rapport à la décision d’injonction litigieuse.
Quant à la notion de pertinence vraisemblable, il échet de relever qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 29 mars 2013 :
« A la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise luxembourgeoise lui communique les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne de l’Etat membre requérant relative aux taxes et impôts visés à l’article 1er, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 6bis de la loi du 29 mars 2013 « (1) Aux fins d’une demande visée aux articles 5 et 6, les informations demandées sont vraisemblablement pertinentes lorsque, au moment où la demande est formulée, l’autorité requérante estime que, conformément à son droit national, il existe une possibilité raisonnable que les informations demandées soient pertinentes pour les affaires fiscales d’un ou plusieurs contribuables, identifiés par leur nom ou autrement, et justifiées aux fins de l’enquête.
(2) Dans le but de démontrer la pertinence vraisemblable des informations demandées, l’autorité requérante fournit au moins les informations suivantes à l’autorité requise :
a) la finalité fiscale des informations demandées ; et b) la spécification des informations nécessaires à l’administration ou à l’application de son droit national. (…) ».
L’article 3 de la loi du 25 novembre 2014 dispose que : « (1) L’administration fiscale compétente vérifie la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements. La demande d’échange de renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de la base juridique et de l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les Conventions et lois.
1 CJUE, 11 octobre 2007, Européenne et Luxembourgeoise d’investissements SA (ELISA) c. Directeur général des impôts, C-451/05 ; Cour adm., 17 décembre 2015, n° 36893C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.L’administration fiscale compétente s’assure que les renseignements demandés ne sont pas dépourvus de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et à celle du détenteur des renseignements ainsi qu’aux besoins de la procédure fiscale en cause. (…) ».
Il résulte des dispositions précitées que l’administration fiscale compétente doit, d’une part, vérifier la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements et, d’autre part, s’assurer que les renseignements demandés ne sont pas dépourvus de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et à celle du détenteur des renseignements, ainsi qu’aux besoins de la procédure fiscale en cause.
Concernant la notion de la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités par l’autorité compétente suédoise, il y a lieu de souligner que dans l’arrêt Berlioz Investment Fund SA du 16 mai 20172, ci-après désignés par « l’arrêt Berlioz », la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après dénommée « la CJUE », a délimité le champ du contrôle à exercer par le juge compétent saisi dans l’Etat requis par rapport à la demande d’injonction en ce sens que « les limites applicables au contrôle de l’autorité requise s’imposent de la même manière au contrôle du juge »3 et que « le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie »4. La CJUE a encore confirmé le champ de ce contrôle juridictionnel par son arrêt du 6 octobre 20205.
Le critère de la pertinence vraisemblable se trouve explicité dans le considérant n° 9 du préambule de la directive 2011/16/UE qui le définit comme suit : « Il importe que les États membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu’un autre État membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. La norme dite de la « pertinence vraisemblable » vise à permettre l’échange d’informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à préciser que les États membres ne sont pas libres d’effectuer des « recherches tous azimuts » ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation fiscale d’un contribuable donné. Les règles de procédure énoncées à l’article 20 de la présente directive devraient être interprétées assez souplement pour ne pas faire obstacle à un échange d’informations effectif ».
La CJUE a encore précisé que « cette notion de pertinence vraisemblable reflète celle utilisée à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE tant en raison de la similitude des concepts utilisés que de la référence aux conventions de l’OCDE dans l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil COM(2009) 29 final, du 2 février 2009, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ayant conduit à l’adoption de la directive 2011/16 »6.
2 CJUE (grande chambre), 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund SA c. directeur de l’administration des Contributions directes, C-682/15.
3 Ibidem, considérant n° 85.
4 Ibidem, considérant n° 86.
5 CJUE (grande chambre), 6 octobre 2020, Etat luxembourgeois c. B et Etat luxembourgeois c. B. e. a., affaires jointes C-245/19 et C-246/19, considérant n° 116.
6 Arrêt Berlioz, considérant n° 67.
La condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés implique donc que la demande porte sur un cas d’imposition précis et spécifique et qu’elle soit relative à un contribuable déterminé, les renseignements demandés devant être vraisemblablement pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En somme, il faut qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révèleront pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En revanche, la décision d’injonction est à qualifier de « pêche aux renseignements » si elle est fondée sur une demande d’échange de renseignements qui porte sur des informations qui sont manifestement dépourvues de toute pertinence vraisemblable pour l’enquête menée par l’autorité requérante et ce eu égard au contribuable concerné, au tiers éventuellement renseigné et à la finalité fiscale poursuivie.
L’exécution du contrôle de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable des renseignements demandés par l’autorité requérante avant la prise d’une décision d’injonction s’analyse en une protection essentielle dont le non-respect affecte la validité de la décision d’injonction7.
En ce qui concerne ensuite le rôle du tribunal saisi d’un recours en annulation contre une injonction de communiquer des renseignements, celui-ci est circonscrit par une triple limitation, à savoir, premièrement, celle découlant de sa compétence limitée de juge de l’annulation, deuxièmement, celle découlant du fait que la décision directoriale repose à la base sur la décision d’une autorité étrangère, dont la légalité, le bien-fondé et l’opportunité échappent au contrôle du juge luxembourgeois, et, troisièmement, celle du critère s’imposant tant au directeur qu’au juge administratif, à savoir celui de la « pertinence vraisemblable ». En ce qui concerne ce dernier critère, il y a lieu de relever que si le juge de l’annulation est communément appelé à examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ce contrôle doit, en la présente matière, être considéré comme plus limité, puisque le juge n’est pas appelé à vérifier si la matérialité des faits donnant lieu au contrôle lequel justifie la demande de renseignements est positivement établie, mais seulement si les renseignements sollicités paraissent être vraisemblablement pertinents dans le cadre du contrôle ou de l’enquête poursuivie dans l’Etat requérant8. La CJUE a, en effet, rappelé à cet égard que l’autorité requise ne possède en général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l’Etat requérant, et il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance9.
Il s’ensuit qu’un demandeur ne saurait être admis à apporter la preuve, au cours de la phase contentieuse, que les explications soumises par l’Etat requérant reposent sur des faits inexacts, cette faculté imposerait en effet au tribunal de se livrer à un contrôle de la matérialité des faits à la base de la demande de renseignements de l’autorité étrangère. Or, ce débat doit être porté devant les autorités compétentes de l’Etat requérant. Il n’appartient pas non plus au directeur, et corrélativement au tribunal, d’examiner, d’après le droit de l’Etat requérant, la situation fiscale du contribuable visé dans l’Etat requérant, cette compétence et les contestations afférentes relevant des seules autorités de l’Etat requérant.
Il n’est fait exception à cette limitation du rôle du juge luxembourgeois que dans les hypothèses où la personne ayant recouru contre une décision directoriale d’injonction de 7 Cour adm. 26 octobre 2017, n° 36893Ca, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1528 et l’autre référence y citée.
8 Trib. adm., 12 juillet 2012, n° 30164 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1529 (1er volet) et les autres références y citées..
9 Arrêt Berlioz, considérant n° 77.fournir des renseignements soumet en cause des éléments circonstanciés qui sont de nature à ébranler le contenu de la demande de renseignements étrangère en des volets essentiels de la situation à la base de la demande d’échange de renseignements et qui reviennent ainsi à affecter sérieusement la vraisemblance de la pertinence des informations sollicitées ou d’autres conditions posées à un échange de renseignements, dont celle relative à l’épuisement des sources d’informations internes10.
En l’espèce, tant dans la décision d’injonction du 31 juillet 2024 que dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, les informations concernant l’identité du contribuable visé, à savoir un résident suédois nommément désigné, en l’occurrence Monsieur (A), et concernant la finalité fiscale des renseignements demandés, à savoir la vérification de la situation fiscale de ce dernier, l’objectif de la demande d’échange de renseignements litigieuse étant, d’une part, de confirmer la qualité de résident suédois, au sens du droit fiscal suédois, du contribuable visé, ainsi que, d’autre part, de déterminer les actifs et les revenus de ce dernier en relation avec des comptes bancaires auprès de la société (AA) détenus soit directement par Monsieur (A), soit par l’intermédiaire de sociétés établies au Luxembourg, respectivement aux îles vierges britanniques, ont été fournies.
Le tribunal doit encore constater que les autorités fiscales suédoises partent de la prémisse que Monsieur (A) est à considérer comme résident fiscal suédois pour la période du 1er janvier 2018 au 29 mai 2019 pour avoir été un résident suédois antérieurement à son départ pour la Belgique en 1989 et pour avoir gardé une activité économique extensive en Suède à travers 220 sociétés y établies dont il est le bénéficiaire économique, éléments factuels non remis en cause par la demanderesse et que les autorités suédoises entendent davantage confirmer par une partie des renseignements sollicités, en l’occurrence à travers les points f) et j) de la décision litigieuse du 31 juillet 2024.
Les contestations de la demanderesse portent en l’occurrence sur la pertinence des renseignements demandées par rapport aux revenus du contribuable visé provenant de comptes auprès de la société (AA), dans la mesure où il ne serait pas établi, selon la demanderesse, que Monsieur (A) serait à considérer, pour la période du 1er janvier 2018 au 29 mai 2019, comme résident suédois, alors qu’il aurait en réalité été, pendant cette période, résident suisse, tel que cela ressortirait des documents produits par la société (AA), question qui devrait, selon la demanderesse, être clarifiée en premier.
Or, le tribunal doit relever que l’argumentation de la demanderesse quant à la qualité de résident fiscal de Monsieur (A) ne tend pas à établir la preuve que les explications soumises par l’Etat requérant reposeraient sur des faits inexacts de nature à ébranler un volet essentiel de la demande d’échange de renseignements, mais à confronter deux situations factuelles distinctes, en l’occurrence, d’un côté, la qualité d’ancien résident fiscal suédois ayant maintenu une activité économique importante en Suède et devant, de ce fait, être qualifié de résident suédois au sens du droit fiscal dudit pays, et, d’un autre côté, la qualité de résident fiscal suisse, ce qui exigerait du tribunal de céans, non pas de contrôler la matérialité des faits à la base de la demande de renseignements, mais de se livrer à une analyse du droit fiscal suédois relatif à la qualité de résident fiscal, compétence relevant cependant des seules autorités de l’Etat requérant. Il y a, par ailleurs, lieu de relever, dans ce contexte, que la demanderesse est restée en défaut de soumettre au tribunal la législation suédoise pertinente applicable, ainsi que la jurisprudence y relative.
10 Cour adm., 27 mai 2014, n° 34291C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1529 (2e volet) et les autres références y citées.
Il s’ensuit que l’argumentation de la demanderesse relative au défaut de pertinence des informations concernant les revenus et actifs de Monsieur (A) est à rejeter pour manquer de fondement.
Le tribunal est partant amené à retenir qu’un lien entre l’ensemble des questions posées et le but fiscal affirmé et une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révèleront pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante ne peuvent pas être exclus au regard des éléments figurant au dossier administratif, de sorte que le recours sous examen, en l’absence d’autres moyens, encourt le rejet pour manquer de fondement.
Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la société (AA) tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros, sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 31 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Par ces motifs le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, déclare le recours non justifié et en déboute;
rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure telle que sollicitée par la société (AA) SA ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 novembre 2024 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 novembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 12