Tribunal administratif N° 49775 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49775 4e chambre Inscrit le 4 décembre 2023 Audience publique du 26 novembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49775 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2023 par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Yemen), de nationalité yéménite, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 octobre 2023 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nour E. HELLAL et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er octobre 2024.
Le 2 juin 2022, Monsieur (A) se présenta auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », afin d’introduire une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, service criminalité organisée / police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En dates des 27 juillet et 19 août 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 27 octobre 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé le 3 1 novembre 2023, le ministre informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :
« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 2 juin 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-
après.
1. Quant à vos motifs de fuite En mains votre fiche des motifs remplie lors de l'introduction de votre demande de protection internationale, le rapport du Service de Police Judiciaire du 2 juin 2022 (ci-après dénommé « le rapport de police »), le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 22 juillet 2022 et 19 août 2022 (ci-après dénommé « le rapport d'entretien ») sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.
Monsieur, vous déclarez être de nationalité yéménite, d'ethnie Arabe, de confession musulmane et avoir vécu à … dans la région d' … au Yémen.
Concernant les raisons pour lesquelles vous auriez décidé d'introduire une demande de protection internationale auprès des autorités luxembourgeoises, vous expliquez sur votre fiche des motifs que vous auriez quitté votre pays d'origine en raison de la « guerre », explication que vous avancez également auprès de l'agent du Service de la Police Judiciaire.
Lors de votre entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous changez de version en indiquant que vous seriez « menacé de mort » (p.5/10 du rapport d'entretien) par les « Houthis ».
Vous expliquez plus particulièrement que votre famille aurait été en possession d'un terrain agricole convoité par les « Houthis ». A cet égard, vous avancez que les « Houthis sont venus 2 ou 3 mois avant ma blessure. Ils ont commencé à prendre nos moutons. Ils venaient nous déranger, intimider et prenaient nos moutons sans payer la valeur du mouton » (p.5/10 de votre rapport d'entretien). Par la suite, ils auraient voulu s'approprier le terrain de votre famille et vous auraient donné un délai d'une semaine pour le quitter « sinon ils allaient « finir » avec nous (sic) » (p.5/10 de votre rapport d'entretien). Cinq jours après cette mise en garde, à savoir le 4 mars 2015, ils vous auraient tiré dessus, suite à quoi vous vous seriez évanoui et vous vous seriez réveillé à l'hôpital à Sanaa.
Trois ans après ce premier incident, ils auraient « recommencé à nous intimider et à nous menacer » (p.6/10 de votre rapport d'entretien). Dans ce contexte vous invoquez un deuxième incident, à savoir le meurtre de votre frère par les « Houthis » qui selon vous aurait « peut-être » (p.6/10 de votre rapport d'entretien) eu lieu en 2020, sinon en 2021 et suite auquel vous auriez quitté votre village étant donné que vous auriez également été dans la ligne de mire des « Houthis ».
2 A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez un passeport yéménite en cours de validité qui a été soumis pour authentification à l'Unité de Police à l'Aéroport le 7 juillet 2022. En date du 10 novembre 2022, votre passeport a été déclaré comme étant authentique.
Vous avez également remis les documents suivants :
Une copie d'un document intitulé « MEDICAL REPORT » en langue arabe, une copie de la première page d'un rapport médical établi en date du 15 juillet 2022 au Centre Hospitalier du Nord (Luxembourg) en langue française.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Il y a lieu de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l'administration en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d'évaluation fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu'il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.
Dès lors, la sincérité de vos propos et par conséquent la gravité de votre situation dans votre pays d'origine doit être réfutée pour les raisons suivantes :
Premièrement, il y a lieu de constater que vous mentionnez des motifs de fuite, notamment sur votre fiche des motifs et lors de votre entretien avec l'agent du Service de la Police Judiciaire, différents de ceux invoqués lors de votre entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale.
Vous expliquez en effet lors de l'introduction de votre demande de protection internationale que vous auriez quitté votre pays d'origine à cause de la « guerre », tandis que lors de votre entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes, vous décidez soudainement de changer de version en déclarant que vous auriez quitté votre pays d'origine parce que vous seriez menacé de mort par les « Houthis » pour une affaire de terrain, sans faire état de la « guerre ».
Monsieur, si bien que les motifs indiqués par un demandeur de protection internationale sur la fiche des motifs, ainsi que les déclarations fournies lors de l'entretien avec l'agent du Service de la Police Judiciaire sont de caractère sommaire, les déclarations 3 du demandeur de protection internationale doivent tout de même répondre à une certaine logique et par conséquent être cohérentes avec celles fournies par la suite lors de l'entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.
Si lors de l'entretien avec l'agent du Service de Police Judicaire vous expliquez certes que vous auriez été blessé à la tête, force est de constater que vous liez cette prétendue blessure à nouveau à la « guerre » sans faire état d'une quelconque affaire de terrain et d'une agression afférente par les « Houthis » comme vous le prétendez par la suite lors de votre entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes. Vous ne faites pas non plus état, ni au moment de l'introduction de votre demande, ni au moment de l'entretien avec la Police Judiciaire que votre frère aurait été tué, évènement qui vous aurait néanmoins poussé à quitter votre pays d'origine.
Si vous aviez effectivement connu des soucis avec les « Houthis » en raison d'un terrain et si ces derniers vous auraient tiré dessus et auraient tué votre frère, vous y auriez évidemment fait référence, si ce n'est que de manière sommaire, le premier jour de l'introduction de votre demande.
Partant, il est légitime de conclure que vous avez inventé une histoire taillée à votre mesure ultérieurement durant votre entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes afin d'augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale.
Deuxièmement, il échet de relever que vous n'êtes pas en mesure d'établir à quel moment de votre vie vous auriez vécu à quel endroit.
Force est en effet de constater que vous êtes en possession d'un passeport yéménite qui a été délivré en date du 16 décembre 2019 dans la province de …, ce qui est en parfaite contradiction avec vos déclarations selon lesquelles vous auriez fui votre village en direction de … dans la région du … après le présumé assassinat de votre frère « … » en 2020, respectivement en 2021. Vous ne faites en effet aucune référence, tout au long de votre entretien, à un quelconque séjour dans la province de …. D'autre part, le fait que votre passeport aurait été délivré en 2019 est en contradiction avec vos déclarations selon lesquelles vous auriez fui votre village après le prétendu meurtre de votre frère en 2020, sinon en 2021, selon la version retenue.
A cela s'ajoute que vous échouez d'expliquer comment vous avez pu voyager en avion à deux reprises au sein de l'espace Schengen, à savoir de Lanzarote vers Madrid et de Madrid vers Amsterdam muni uniquement de votre passeport yéménite lequel est démuni d'un visa Schengen.
Il semble donc évident que vous n'êtes pas honnête, ni par rapport à votre prétendu séjour dans votre pays d'origine, ni par rapport à vos déplacements en Europe, ce qui laisse conclure que vous cachez vos réelles intentions en Europe et ce qui par conséquent permet évidemment de remettre en cause les déclarations quant à votre vécu dans votre pays d'origine.
Troisièmement, le constat que vos déclarations sont inventées de toutes pièces est conforté par le fait que vous n'êtes pas en mesure de fournir des dates précises, ou du moins 4 approximatives, des éléments clés de votre récit. En effet, dès que l'agent en charge de votre entretien vous pose des questions détaillées, vous déviez et répondez par des généralités.
Ainsi, vous avez indiqué sur votre fiche de « données personnelles déclarées » du 2 juin 2022 que vous auriez quitté votre pays d'origine en 2020, ce qui est clairement en contradiction avec la date du tampon de sortie de votre passeport, à savoir le 25 mars 2021.
Questionné au sujet du décalage d'une année entre les deux dates, vous répondez tout simplement qu'il « il y a un tampon dans mon passeport » (p.5/10 du rapport d'entretien) sans néanmoins expliquer pourquoi vous avez indiqué l'année 2020 au lieu de l'année 2021.
Le même constat s'applique quant à votre récit concernant l'incident de 2015, lors duquel vous auriez été touché par une balle à la tête. Convié à dater l'événement, vous répondez « C'est marqué dans le rapport médical de (sic) Yémen » (p.5/10 du rapport d'entretien). Au vu de l'envergure d'un tel incident et du fait que vous auriez été hospitalisé durant deux à trois mois, il est raisonnable d'attendre de votre part que vous soyez en mesure de dater un événement qui aurait marqué votre vie de manière significative.
Ceci vaut également pour le supposé meurtre de votre frère « … » alors que vous expliquez qu'« il a été assassiné en 2020 ou 2021. C'était 5 ans après ma blessure. Je ne connais pas les dates » (p.3/10 du rapport d'entretien) ou encore « en 2020, peut-être » (p.6/10 du rapport d'entretien). Encore une fois, il est raisonnable d'attendre de votre part que vous soyez en mesure de dater l'année du décès de votre frère.
Monsieur, si vous aviez vécu ces faits, vous seriez en mesure de les dater.
Quatrièmement, et mis à part le fait que vous restez en défaut de fournir des données temporelles non contradictoires, vous échouez également d'expliquer de manière cohérente pourquoi vous auriez été la réelle cible des « Houthis ».
Ainsi, vous déclarez que les « Houthis » « voulaient terminer avec toutes personnes qui pouvaient réclamer le terrain » (p.7/10 de votre rapport d'entretien). Suivant votre ligne de réflexion, vous, ainsi que votre père et vos frères « … » et « … » auraient donc tous dû être dans le collimateur des « Houthis » lors de l'incident survenu en 2015 étant donné que vous n'auriez pas été l'unique propriétaire du terrain puisque vous déclarez à ce sujet : « ma famille avait un terrain agricole et des moutons » (p.5/10 de votre rapport d'entretien).
Or, vous échouez d'expliquer la raison pour laquelle les « Houthis » auraient uniquement tiré sur vous lors de l'incident de 2015 et non pas sur les autres membres de votre famille, en particulier sur le propriétaire du terrain, à savoir votre père. En effet, vous ne mentionnez pas que votre famille aurait dû se cacher ou aurait dû fuir les « Houthis » après que vous auriez été touché par une balle. Vous déclarez même que les « Houthis » et votre famille auraient été présents à l'hôpital : « Les Houthis sont venus à l'hôpital. Ils voulaient rentrer, mais les gens dehors les ont arrêtés. Les Houthis criaient à ma famille qu'ils allaient nous tuer » (p.5/10 de votre rapport d'entretien).
En admettant que les « Houthis », « voulaient terminer avec toutes personnes qui pouvaient réclamer le terrain » (p.7/10 de votre rapport d'entretien), il aurait été dans la logique des choses que les « Houthis » en auraient également profité pour s'en prendre à toute votre famille et non uniquement à vous.
5 Ce constat vaut d'autant plus que vous situez le lieu où vous auriez été touché par une balle, à savoir votre village …, « près de … » (p.2/10 de votre rapport d'entretien). Or, la distance entre la ville de … et la ville de Sanaa où vous auriez été transporté à l'hôpital, s'élève à presque 200km.
Il est dès lors pas du tout crédible que les « Houthis » auraient entrepris un si long voyage pour ne finalement pas passer à l'acte afin de s'approprier du tant convoité terrain de votre famille.
Vous expliquez encore dans ce contexte que votre famille n'aurait : « pas vraiment empêché les Houthis [physiquement]. A l'hôpital, les personnes sages ont demandé aux Houthis de partir et ils leur ont dit que j'étais maintenant handicapé et que certainement j'allais mourir. Ils leur ont dit que je ne pouvais plus rien faire [contre eux] » (p.7/10 de votre rapport d'entretien). Convié à expliquer si les « Houthis » étaient simplement partis après cet épisode, vous déclarez : « A l'hôpital, les Houthis sont arrivés jusqu'à ma porte. Ma mère a crié et s'est jetée sur moi pour me protéger. Les médecins ont aussi expliqué aux Houthis que je me trouvais dans un état grave, que j'étais handicapé et que ça ne servait à rien de me tuer » (p.7/10 de votre rapport d'entretien). En admettant que les « Houthis » se seraient effectivement contentés de votre état de santé critique et auraient par la suite décidé de ne pas vous tuer, force est toutefois de constater que vous échouez d'expliquer premièrement pourquoi ils n'auraient pas par la suite simplement confisqué le terrain appartenant à votre famille étant donné que ce même terrain aurait été à l'origine de leur attaque envers votre personne et deuxièmement pourquoi ils n'auraient pas attaqué les autres membres de votre famille étant donné qu'eux aussi auraient été légitimes de réclamer le terrain en cause.
Par ailleurs, vous déclarez que suite à votre hospitalisation les « Houthis » vous auraient « laissé tranquille pendant 2-3 ans, car ils étaient occupés dans des combats » (p.7/10 du rapport d'entretien) avant qu'ils recommencent « à nous intimider et à nous menacer » (p.6/10 du rapport d'entretien). Vous datez cette partie de votre récit « 3 ans après » (p.6/10 du rapport d'entretien) ou encore « 2-3 ans » (p.7/10 du rapport d'entretien) après l'incident de 2015, à savoir en 2017 ou en 2018. Vous continuez en déclarant : « Ils voulaient toujours me tuer et ils voulaient prendre notre terrain. Mon frère a parlé aux personnes sages du village comme témoin de ce que les Houthis voulaient faire. En 2020 peut-être, ils ont tué mon frère.
Ils nous ont menacé qu'ils allaient me tuer aussi. Finalement, ils ont pris notre terre » (p.6/10 du rapport d'entretien).
Force est de constater qu'entre le deuxième épisode des intimidations de la part des « Houthis », à savoir en 2017, respectivement en 2018 et le présumé meurtre de votre frère « … » en 2020, respectivement en 2021, il existe un intervalle de deux ans pour lequel vous ne mentionnez aucun incident. Il n'est dès lors pas compréhensible, pour quelles raisons les « Houthis » vous auraient laissé tranquille pendant deux ans, pour soudainement, sans la moindre raison apparente se remettre à vous intimider en raison du terrain de votre famille.
Eu égard à ce qui précède, il échet de retenir que vos déclarations quant à votre vécu dans votre pays d'origine ne sont pas crédibles.
Ce constat ne saurait d'ailleurs pas être infirmé par les pièces que vous remettez à l'appui de votre demande. En effet, la copie d'un document intitulé « MEDICAL REPORT » en langue arabe et la copie d'une première page d'un rapport médical établi en date du 15 juillet 2022 au Centre Hospitalier du Nord en langue française n'ont aucune force probante.
6 En ce qui concerne la copie d'un document intitulé « MEDICAL REPORT » en langue arabe, il y a lieu de retenir que ladite copie est démunie d'une quelconque traduction de sorte qu'elle ne peut évidemment pas être prise en compte dans le cadre de l'analyse de votre demande de protection internationale. En effet, en application de l'article 10 (5) de la Loi de 2015, à l'exception des documents d'identité, tout document remis au ministre rédigé dans une autre langue que l'allemand, le français ou l'anglais doit être accompagné d'une traduction dans une de ces langues, afin d'être pris en considération dans l'examen de la demande de protection internationale. Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu'il ne s'agit que d'une copie dont l'authenticité ne saurait être vérifiée.
Quant au rapport médical du Centre hospitalier du Nord, il échet de relever que vous ne versez que la première page dudit rapport. Par ailleurs, ce rapport ne prouve nullement que vous auriez été dans le collimateur des « Houthis » en raison d'un conflit foncier, respectivement que ces derniers auraient tenté de vous tuer.
Enfin, il y a lieu de soulever que votre comportement ne correspond manifestement pas à celui d'une personne persécutée à la recherche d'une protection internationale alors qu'une personne persécutée aurait introduit une demande de protection internationale dans le premier pays sûr, et ne choisit pas l'Etat par lequel elles souhaite sa demande analysée suivant des considérations de convenance personnelle. Or, vous n'avez pas introduit une demande de protection internationale en Espagne par option propre : « Arrivés, la police nous a arrêté et m'a demandé si je veux demander asile. J'ai refusé parce que je voulais arriver au Luxembourg » (rapport de police).
Vous n'avez non plus introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas, mais vous avez opté pour le Luxembourg de manière consciente. En effet, vous déclarez :
« J'ai entendu du Luxembourg et j'ai fait des recherches sur YouTube. J'ai bien aimé ce pays » (p.4/10 de votre rapport d'entretien).
Monsieur, il est en effet de principe que « les demandeurs de protection internationale ne sont ni censés, ni autorisés à opérer un choix par rapport au pays d'introduction de leurs demandes pour s'installer là où les meilleures prestations sociales et les meilleures conditions matérielles sont garanties », ce qui vous avez en l'occurrence manifestement fait.
A toutes fins utiles, force est encore de noter que le Yémen ne se trouve actuellement pas dans le cadre d'un conflit armé interne ou internationale caractérisé par un degré de violence aveugle d'une telle gravité que chaque civil y risquerait sa vie de par sa seule présence sur ledit territoire. Vous ne rapportez pas non plus d'éléments personnels permettant d'établir que vous seriez à risque de subir une atteinte grave en raison de la situation sécuritaire dans votre pays d'origine.
Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que vous restez en défaut de faire état d'un récit cohérent et crédible. A cela s'ajoute que vous vous perdez dans vos mensonges et vos contradictions, ce qui prouve que vous avez inventé un récit de toutes pièces afin d'augmenter vos chances de vous voir octroyer une protection internationale.
Partant, votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.
7 Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Yémen ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 décembre 2023 Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 27 octobre 2023 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 27 octobre 2023, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait souligner qu’il serait hémiplégique du fait d’avoir été, en raison des violences de guerre au Yémen, victime de blessures par balles au niveau de la tête, ce qui lui aurait causé des lésions cérébrales irréversibles se traduisant par la perte de l’usage de sa main gauche, par de violentes crises d'épilepsie et par des troubles cognitifs importants.
Il aurait exposé les motivations de sa demande de protection internationale dès son arrivée au Luxembourg, en expliquant devant la police judiciaire qu'il aurait pris la fuite à cause de la guerre civile au Yémen, pour ensuite préciser, auprès du ministère, les contours de cette guerre, ainsi que les persécutions dont il aurait fait l'objet, ensemble avec les autres membres de sa famille, tel que cela ressortirait de son récit consigné dans son rapport d’audition, dont il cite des extraits.
Le demandeur estime s'être montré collaboratif et loyal, tout en ayant remis des certificats médicaux attestant sa situation de personne handicapée, ainsi qu’un titre de voyage en cours de validité, à savoir son passeport yéménite, considéré par ailleurs comme étant un document authentique suivant rapport de l'Unité de la Police de l'Aéroport, Section Expertise Documents, du 10 novembre 2022.
Ce serait à tort que le ministre n'aurait accordé aucun crédit à son récit, alors qu’il serait pourtant une victime directe de la guerre sévissant dans son pays d’origine, le Yémen, depuis l'été 2014.
Le demandeur fait observer qu’il serait une personne de condition modeste, n'ayant que peu étudié, tout en ayant surtout vécu dans un milieu rural, à savoir dans une localité isolée dénommée …, dans le gouvernorat d'….
8 En date du 15 mars 2015, lui et sa famille auraient été victimes des exactions de la part des rebelles « Houthis », ci-après dénommés les « Rebelles », qui s’en seraient non seulement pris à leurs biens, en procédant notamment à une confiscation pure et simple du terrain familial, mais qui l’auraient également blessé par balle à la tête. Le demandeur rappelle, dans ce contexte, la situation de guerre civile ravageant son pays depuis la période 2014-2015 dans le contexte de laquelle il serait notoirement avéré que les Rebelles s'en seraient pris aux populations civiles, en s'attaquant à leurs biens et à leur intégrité physique.
Il estime que la décision déférée ferait preuve d'un manque d'humanité inacceptable en ne prenant pas en considération sa qualité de personne vulnérable et handicapée, souffrant notamment de troubles de mémoire.
Le demandeur critique la décision déférée pour ne pas citer de base légale et pour ne pas tenir compte de la situation de guerre civile régnant dans son pays d'origine. En effet, l’affirmation ministérielle selon laquelle le Yémen ne se trouverait actuellement pas dans le cadre d'un conflit armé interne ou international, caractérisé par un degré de violence aveugle d'une telle gravité que chaque civil y risquerait sa vie en raison de sa seule présence sur ledit territoire, ne serait basée sur le moindre développement sourcé, de même que le reproche lui adressé de ne pas avoir fait état d'éléments personnels permettant d'établir un risque de subir une atteinte grave en raison de la situation sécuritaire dans son pays d'origine serait contredit par le fait qu’il en aurait clairement payé le prix de son intégrité physique.
Il donne à considérer, à ce sujet, que la guerre civile entre les Rebelles et le gouvernement soutenu par l'Arabie saoudite se serait caractérisée par un nombre de morts très élevé, dont près de 60 % seraient causés de manière indirecte par le conflit.
Malgré l’accord de trêve signé en décembre 2018, très peu de choses auraient changé, le demandeur relevant que selon les estimations de l’organisation UNICEF, entre mars 2015 et novembre 2022, plus de 11.000 enfants auraient été tués ou gravement blessés et plus de 4.000 d'entre eux auraient été enrôlés et instrumentalisés par les belligérants, de même que près de 70 % de la population aurait besoin d'une aide humanitaire et d'une protection en raison de la situation d'insécurité alimentaire aiguë, ainsi que du fait que les systèmes socio-économiques seraient au bord de la rupture.
Le demandeur fait plaider qu’il serait foncièrement inexact de prétendre qu’il aurait inventé son histoire, alors qu’en dépit de son handicap, induit par les blessures infligées par les Rebelles, il aurait fait des efforts, pour faire preuve de cohérence, de constance et de véracité dans son récit, lequel serait en concordance avec la situation générale du Yémen, telle que décrite dans les médias et dans les rapports émanant des organisations internationales, et notamment avec les exactions commises par les Rebelles depuis justement l'année 2015.
Il estime que le rapport médical qu’il aurait versé aurait quasiment une valeur de présomption irréfragable que sa famille aurait été attaquée par les Rebelles.
Le demandeur dresse ensuite l’historique du groupement des Rebelles qui combattrait, depuis 2015, les forces gouvernementales au Yémen soutenues par l'Arabie saoudite, en vue de prendre le contrôle territorial total, tout en combattant l'impérialisme américain ainsi que le sionisme. En septembre 2014, les Rebelles auraient d’ailleurs pris le contrôle total de la capitale Sanaa, en faisant démissionner le premier ministre et le président.
9 Tout en se référant à diverses sources internationales ayant dénoncé les exactions des Rebelles, le demandeur insiste sur le fait que son récit serait tout à fait cohérant et crédible du fait qu’il aurait été lui-même la victime directe des crimes de guerre commis par les Rebelles.
En ce qui concerne les prétendues incohérences de ses déclarations, le demandeur donne à considérer qu'il souffrirait de troubles neurologiques affectant sa mémoire. Il y aurait cependant une concordance logique entre ses déclarations devant la police judiciaire et celles consignées dans le rapport d’audition, alors que ces dernières ne viendraient que préciser les faits spécifiques vécus dans le cadre de la guerre civile au Yémen, à savoir qu’il aurait été personnellement victime des crimes de guerre commis par les Rebelles.
Quant au reproche selon lequel il ne serait pas en mesure de préciser ses périples à l'intérieur de son pays, le demandeur explique que compte tenu de son état de santé, ainsi que de l'état catastrophique du Yémen en raison de la guerre y sévissant, ce serait une posture tout à fait normale, tout en soulignant que l'agent en charge de l'audition serait maître de la tournure des questions.
Le demandeur conteste encore l’affirmation de la décision déférée selon laquelle il serait resté en défaut de fournir des indications temporelles à propos de la persécution des Rebelles, alors même qu’il aurait donné lecture d'un rapport médical rédigé en langue arabe, daté du 4 juillet 2015, lors de son audition, de sorte que le ministre ne saurait pas ignorer les motifs à la base de sa demande de protection internationale.
En droit, le demandeur critique la décision déférée pour ne pas avoir pris l'exacte mesure de sa situation individuelle par rapport à l'état de son pays d'origine, le Yémen, aux fins de lui accorder un statut de protection internationale.
Quant au statut de réfugié, le demandeur invoque d’abord une violation de la loi du 18 décembre 2015, alors que la décision déférée resterait en défaut d’avoir visé la moindre base légale.
Or, la loi du 18 décembre 2015 s’articulerait autour d'un faisceau de conditions cumulatives prévu par les articles 2a), 26, 34, 41, 42 (1), et 39.
Il estime ensuite être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social, compte tenu du mandat d'arrestation dont il aurait fait l'objet, étant ainsi honni par les autorités de son pays, lesquelles seraient dominées par les Rebelles. Il aurait ainsi commis le crime de s'opposer aux exactions de ces derniers.
De plus, son frère aurait été assassiné, ce qu’il se réserve de prouver en cours d'instance.
Il critique la décision déférée d’avoir minimisé à outrance le traitement inique et violent qu'il aurait subi de la part des Rebelles et fait souligner que ses blessures justifieraient à elles seules que le statut de réfugié lui soit octroyé.
Il estime également qu'il existerait un lien de causalité évident entre ces deux situations.
10 S’il ne serait pas un opposant politique, il aurait cependant été confronté à la cohorte des Rebelles, sans que les autorités administratives et judiciaires yéménites, sous domination des Rebelles, n’auraient été en mesure de l'aider, alors qu’au contraire il se serait même vu convoqué dans le cadre d'un mandat d'arrestation.
Le demandeur fait souligner qu’en raison de son état de santé, il serait parfaitement compréhensible qu’il ne souhaiterait pas retourner dans un Etat dirigé en partie par les Rebelles qui auraient ruiné sa vie, sur un plan tant moral que physique.
Il rappelle encore, dans ce contexte, que depuis sa réunification en 1991, le Yémen aurait connu une instabilité politique chronique et une situation économique catastrophique, le pays étant déchiré depuis 2011 par une spirale de violence ayant culminé dans une véritable guerre civile, devenue particulièrement violente depuis mars 2015 et l'intervention militaire d'une coalition de pays arabes.
Cette guerre aurait engendré l'une des pires crises au monde avec la destruction et la détérioration des infrastructures essentielles, dont notamment plus de la moitié des établissements médicaux du pays.
A titre subsidiaire, le demandeur estime qu’il devrait au moins se voir accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, en raison du conflit armé opposant depuis l'été 2014-2015 les Rebelles aux forces gouvernementales soutenues par l'Arabie saoudite, créant une situation de violence généralisée dans le pays, ainsi qu’une crise humanitaire.
Même si les négociations pour prolonger la trêve se poursuivraient, l'avenir du Yémen demeurait incertain, alors que la situation humanitaire continuerait à s’aggraver.
Le demandeur fait relever que depuis son arrivée au Luxembourg, il aurait enfin pu bénéficier de soins adaptés à ses blessures de guerre, de sorte que son renvoi au Yémen, en proie à une violence généralisée, le conduirait indubitablement à une mort certaine.
Par ailleurs, plusieurs chancelleries occidentales déconseilleraient fortement à leurs ressortissants de se rendre au Yémen, tel que cela serait le cas notamment de la Belgique et du Canada, qui avertiraient le public sur la situation sécuritaire dans le pays en raison de la guerre, et surtout sur le risque de se faire enlever par les terroristes yéménites et étrangers au Yémen.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses volets tout en se référant à la motivation de la décision déférée.
Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce 11 pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
« a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 12 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Dans ce contexte, il y a lieu de préciser que le juge doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Il échet de rappeler que l'examen de crédibilité du récit d'un demandeur d'asile constitue une étape nécessaire pour pouvoir répondre à la question si le demandeur d'asile a présenté ou non des raisons pertinentes de craindre d'être persécuté du fait de l'un des motifs prévus par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, dénommée ci-après « la Convention de Genève ». Il s’ensuit qu’il appartient au tribunal de se prononcer en premier lieu sur la question de la crédibilité du récit, d’autant plus qu’en l’espèce, la crédibilité générale du demandeur est mise en doute, influant nécessairement sur l’appréciation du caractère manifestement infondé ou non des différents volets du recours dont le tribunal est saisi.
A cet égard, il y encore lieu de relever que si des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.1 1 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.
13 En l’espèce, force est d’abord de relever que contrairement à ce qui est soutenu par le ministre, le tribunal n’entrevoit pas de véritable contradiction entre le motif annoncé auprès de la police grand-ducale, à savoir « la guerre », avec les explications plus circonstanciées du demandeur lors de son entretien avec un agent du ministère, dans le cadre duquel il a précisé les évènements qui lui seraient arrivés personnellement dans le contexte de la guerre civile entre les Rebelles et le gouvernement du Yémen. Si le demandeur avait certes pu être plus explicite à son arrivée au Luxembourg, il ne saurait pas lui être reproché d’avoir attendu son entretien auprès du ministère pour détailler les motifs à la base de sa demande de protection internationale.
C’est cependant à bon droit que la décision déférée a relevé que le récit du demandeur manque manifestement de cohérence, respectivement que certaines zones d’ombre restent inexpliquées, étant relevé que la requête introductive d’instance ne prend pas position de manière spécifique sur les différents éléments mis en doute par la décision déférée, alors que la simple affirmation générale, certes repris par certains certificats médicaux qu’il verse à l’appui de son recours, selon laquelle le demandeur souffrirait de troubles de mémoire, ne saurait expliquer l’absence de tout effort de la part de ce dernier afin de combattre les doutes émis par la partie gouvernementale.
Ainsi, au-delà du constat que le demandeur ne donne aucune explication relative à ses voyages aériens à l’aide de son passeport yéménite non muni d’un visa, ce dernier reste en défaut de prendre valablement position quant à son périple à l’intérieur du Yémen avant sa fuite du pays. En effet, il n’y a toujours aucune explication pour quelle raison et dans quelle circonstance il aurait sollicité son passeport dans une province différente de celle où il affirme avoir vécu de manière exclusive, de plus un an avant le prétendu décès de son frère qui l’aurait pourtant animé à quitter le pays. De plus le passeport en question, certifié authentique, renseigne que le demandeur aurait exercé la profession de chauffeur (« driver »), profession dont il n’a pourtant jamais fait état, le demandeur affirmant au contraire avoir été agriculteur sur les terres de sa famille.
Si certaines imprécisions quant aux dates respectives des différents événements peuvent a priori être tolérées dès lors que la chronologie générale des évènements n’en souffre pas, c’est cependant à bon droit que la partie gouvernementale, non énervé sur ce point par les développements de la requête introductive d’instance, a relevé que le récit du demandeur quant aux persécutions, respectivement atteintes graves de la part des Rebelles laisse d’être convaincant en raison d’un certain manque de cohérence.
En effet, alors même qu’il n’est pas contestable que le demandeur a subi des lésions à la tête ayant causé de sérieux problèmes de motricité de ses membres supérieurs et inférieures du côté gauche, tel que cela ressort de la documentation versée par le demandeur à l’appui de son recours, aucun élément objectif ne permet cependant de rattacher ces lésions à une attaque personnelle de la part des Rebelles qui auraient voulu s’accaparer un terrain appartenant à la famille du demandeur.
Le demandeur laisse encore d’expliquer pour quelle raison les rebelles auraient tenté, dans l’espace de 5 ans, à trois reprises de confisquer le terrain familial, alors même que lors de chaque tentative, ils seraient allés jusqu’à ouvrir le feu sur le demandeur et sa famille, blessant le demandeur la première fois et tuant son frère la troisième fois. Il n’y a pas non plus d’explication pour quelle raison les parents du demandeur n’auraient pas été personnellement 14 attaqués au même moment que le demandeur et avec la même violence, alors qu’ils seraient a priori les propriétaires en premier rang dudit terrain. Par ailleurs, il est difficilement concevable que les Rebelles qui se seraient spécialement déplacés à l’hôpital dans lequel le demandeur aurait été soigné dans le but d’en finir avec lui, se seraient laissés décourager aussi facilement par les médecins ainsi que par les sages présents à l’hôpital, sans, non plus, s’en prendre aux autres membres de la famille y présents.
Ces incohérences ne sont pas remises en cause par l’« ordre d’Arrestation obligatoire », versé à l’appui du recours, alors qu’outre le constat relevé par le délégué du gouvernement que ce document renseigne 2 dates différentes en ce qui concerne sa date d’émission, cet ordre comporte plusieurs cases non remplies, de même qu’au vu de la violence extrême avec laquelle les Rebelles auraient agi auparavant, il est peu probable qu’un tel ordre d’arrestation aurait été émis en 2021 contre le demandeur, à un moment où le terrain aurait déjà été en possession des Rebelles et que la famille aurait déjà quitté le village.
Au vu du fait que la requête introductive d’instance ne prend pas position de manière circonstanciée par rapport à tous ces éléments mis en doute par le ministre et rendant le récit non plausible, c’est à bon droit que la partie gouvernementale a conclu à l’absence de crédibilité générale du demandeur, de sorte qu’il ne saurait pas y être décelé de faits personnels de nature à pouvoir être qualifié de persécutions au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il échet de relever que c’est à bon droit que le ministre a décidé que ces faits ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié au demandeur, de sorte que ce volet du recours est d’ores et déjà à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
15 Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.
Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque non seulement les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, mais également des éléments tirés de la situation générale existant actuellement dans son pays d’origine. Il soutient ainsi en substance qu’il tomberait sous le champ d’application du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
En ce qui concerne tout d’abord les points a) et b) de l’article 48 précité, force est de relever, au regard de ce qui a été retenu ci-avant, dans le cadre du premier volet de la demande de protection internationale, que le demandeur, en raison du manque de crédibilité de son récit, reste en défaut d’établir qu’il serait personnellement visé par les Rebelles, de sorte qu’à défaut de tout autre élément y relatif invoqué dans le cadre du présent volet du recours, le tribunal ne saurait que conclure que le demandeur est resté en défaut d’établir à suffisance de droit qu’il risquerait la peine de mort ou l’exécution, voire des atteintes graves personnelles au sens de l’article 48, points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015.
Quant à la demande fondée sur le point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, force est de relever que le demandeur estime que du seul fait de se retrouver au Yémen, il risquerait d’être la cible d’une violence aveugle, au regard de la situation politique et militaire y régnant.
Or, il ressort des informations non contredites du délégué du gouvernement, basées sur des sources internationales récentes que le Yémen ne se trouve actuellement pas dans le cadre d'un conflit armé interne ou international caractérisé par un degré de violence aveugle d'une telle gravité que chaque civil y risquerait sa vie de par sa seule présence sur ledit territoire.
En effet, il s’avère que la situation s’est nettement améliorée depuis la trêve initiée le 2 avril 2022 et dont le demandeur a lui-même fait état dans sa requête introductive d’instance, alors que les combats généralisés n’ont plus repris même après la fin de la période négociée de trêve.
C’est encore à juste titre que la partie gouvernementale fait remarquer qu’au vu des problèmes de crédibilité pesant sur le récit du demandeur, et notamment le fait que son passeport ait été émis dans une région loin de sa prétendue région d’origine, il est impossible de définir avec exactitude la région dont il est effectivement originaire, de sorte qu’il n’est pas 16 possible de retenir des éléments personnels permettant d'établir qu'il serait particulièrement à risque au vu de la situation sécuritaire dans sa région d'origine au Yémen.
Cette conclusion n’est pas énervée par la référence à la situation humanitaire difficile régnant au Yémen, alors qu’un tel constat manque de pertinence dans ce contexte.
Il suit de l’ensemble de ces considérations que le ministre a, dès lors, valablement pu rejeter également la demande en obtention d’une protection subsidiaire sous tous ses aspects.
Le recours en réformation de Monsieur (A) à l’encontre du refus de sa demande d’une protection internationale, prise en ses deux volets, encourt dès lors le rejet.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre a valablement pu être introduit en l’espèce, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Le demandeur estime qu’au vu du fait qu’il aurait valablement fait état de motifs sérieux et suffisants de crainte de persécution en cas de retour au pays d'origine, il y aurait lieu d'annuler l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision entreprise.
En tout état de cause et eu égard au principe de précaution, il resterait préférable de ne pas reconduire des personnes vers un pays où il y aurait lieu de craindre qu'elles courent un risque réel de subir des atteintes graves à leur vie au sens de la Convention de Genève et la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire pour être non fondé.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) Une décision du ministre vaut décision de retour (…) », cette dernière notion étant définie par l’article 2, point q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la « décision » du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision « négative », il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour au Yémen de Monsieur (A) ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution, tel qu’invoqué par le demandeur.
17 Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 27 octobre 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 27 octobre 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 novembre 2024 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 novembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 18