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25/11/2024 | LUXEMBOURG | N°49756

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 novembre 2024, 49756


Tribunal administratif N° 49756 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49756 2e chambre Inscrit le 27 novembre 2023 Audience publique du 25 novembre 2024 Recours formé par Madame (A) et consorts, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49756 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 novembre 2023 par Maître Cora Maglo, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocat

s à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Venezuela), agissant tant en...

Tribunal administratif N° 49756 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49756 2e chambre Inscrit le 27 novembre 2023 Audience publique du 25 novembre 2024 Recours formé par Madame (A) et consorts, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49756 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 novembre 2023 par Maître Cora Maglo, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Venezuela), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de son enfant mineur (B), né le … à …, et de son époux, Monsieur (C), né le … à …, tous les trois de nationalité vénézuélienne, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 octobre 2023 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 janvier 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav Perederiy en sa plaidoirie à l’audience publique du 23 septembre 2024.

Le 20 janvier 2022, Madame (A), accompagnée de son enfant mineur (B), introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », tandis que son époux, Monsieur (C) introduisit sa demande de protection internationale en date du 17 février 2022.

Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du 20 janvier 2022, et celles de son époux furent actées dans un rapport du 17 février 2022.

En date des 25 juillet et 2 août 2022, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Monsieur (C) fut entendu le 28 juillet 2022 pour les mêmes raisons.

Par décision du 24 octobre 2023, notifiée aux intéressés par courrier recommandé expédié le 26 octobre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame (A) et Monsieur (C), ci-après désignés par « les consorts (ABC) », que leurs demandes de protection internationale avaient été refusées comme non fondées, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites Madame, le 20 janvier 2022 et Monsieur, le 17 février 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 ») pour vous, ainsi que, Madame, pour le compte de votre enfant mineur (B), né le … à … dans l’Etat de … au Vénézuela, de nationalité vénézuélienne.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos motifs de fuite En mains les rapports du Service de Police Judiciaire, le vôtre Madame, du 20 janvier 2021 et le vôtre Monsieur, du 17 février 2022, et les rapports de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes de vos entretiens respectifs, Madame, du 25 juillet et 2 août 2022, et Monsieur, du 28 juillet 2022 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de vos demandes de protection internationale.

Vous déclarez être tous deux de nationalité vénézuélienne, de confession catholique, être en couple depuis le 16 novembre 2018, mariés depuis le …, ainsi que d’être nés et avoir vécu à San Francisco, municipalité de la région métropolitaine de … dans l’Etat du … au Vénézuela. Madame, vous y auriez habité ensemble avec votre fils unique (B), votre mère, votre sœur, votre beau-frère, votre beau-père et votre nièce puis vous seriez allés vivre chez Monsieur, à partir du 11 mai 2021 jusqu’à votre départ du Vénézuela. Monsieur, vous y auriez vécu avec toute votre famille sur trois maisons adjacentes jusqu’au 4 août 2021, avant de partir rejoindre Madame en Colombie puis vous seriez retourné y vivre à compter du 8 novembre 2021 jusqu’à votre départ du Vénézuela.

Madame, en cas de retour au Vénézuela, vous craindriez d’être sanctionnée, d’être emprisonnée voire « pour ma propre vie » (p.6/15 de votre rapport d’entretien, Madame) en raison d’une enquête administrative laquelle aurait été ouverte à la demande de votre ancien responsable en raison de votre abandon de poste de fonctionnaire. Vous craindriez également que votre affiliation politique puisse aggraver votre situation alors que ledit ancien responsable vous aurait insultée « pour être une opposante » (p.7/15 de votre rapport d’entretien, Madame).

Vous explicitiez plus particulièrement que vous auriez travaillé dès 2007 en tant que fonctionnaire dans l’administration de … « … à … » (p.2/15 de votre rapport d’entretien, Madame) pistonnée par votre oncle, lequel aurait connu la commissaire de la santé de l’époque, Madame (D). Parallèlement, vous auriez soutenu Monsieur « Manuel Rosales et son parti Un Nuevo Tiempo » (p.3/15 de votre rapport d’entretien, Madame). En 2019, votre nouveau chef, un …, d’origine cubaine, Monsieur (E), aurait été nommé par le gouvernement de Caracas et soutenu par (F), gouverneur de l’Etat de … de l’époque, également membre du parti du gouvernement PSUV. A partir de 2020, votre responsable vous aurait poussée à commettre des fraudes et vous aurait menacée « d’ouvrir un dossier administratif » (p.7/15 de votre rapport d’entretien, Madame) à votre encontre, si vous aviez refusé de coopérer. Alors que vous vous seriez opposée plusieurs fois à signer des documents pour valider des transactions frauduleuses, vous auriez reçu trois appels début 2021 que vous auriez considérés comme menaçants car « on » vous aurait dit « qu’on savait où se trouvait » votre « frère au Chili » (p.7/15 de votre rapport d’entretien, Madame). Le soir du 11 mai 2021, vous auriez été sur le point de rentrer chez vous avec votre oncle, lorsque deux fourgons se seraient arrêtés, puis trois hommes cagoulés en seraient descendus et auraient tiré en l’air. Ces derniers auraient frappé votre oncle, beau-père et beau-frère, et vous auraient poussé contre l’un des véhicules, avant d’exiger que vous signiez les « documents nécessaires » (p.7/15 de votre rapport d’entretien, Madame) ainsi que vous suiviez les instructions données à votre travail.

Suite à cet incident, vous auriez décidé de quitter le Vénézuela.

Madame, vous déclarez ne pas avoir cherché à porter plainte contre votre chef, car vous auriez eu « peur en raison de ce qui était arrivé » (p.8/15 de votre rapport d’entretien, Madame) et êtes d’avis que « rien n’allait se passer » (p.8/15 de votre rapport d’entretien, Madame) surtout en raison des connexions de votre ancien responsable avec le gouverneur (F).

Madame, vous affirmez ne pas avoir cherché à vous installer dans une autre région du Vénézuela puisque vous seriez « une employée publique (…) et vous auriez « dû continuer à exercer (votre) fonction » (p.12/15 de votre rapport d’entretien, Madame), d’autant plus que vous ne seriez pas autorisée à démissionner en tant que fonctionnaire au Vénézuéla.

Madame, vous expliquez que le 24 juillet 2021, vous auriez quitté le Vénézuéla avec votre fils (B) en voiture puis auriez rejoint en bus Bogota, en Colombie. En raison de la pandémie de la COVID-19, vous n’auriez pas pu prendre votre vol initialement prévu en août 2021 et auriez dû attendre en Colombie pour prendre un vol le 29 octobre 2021 pour Barcelone, en Espagne. Sur conseil d’une amie, vous auriez tenté d’y introduire des demandes de protection internationale, mais vous n’auriez jamais obtenu de rendez-vous. Le 18 janvier 2022, vous seriez arrivés au Luxembourg en covoiturage.

Monsieur, vous affirmez avoir introduit cette demande de protection internationale uniquement sur base des motifs invoqués par votre conjointe. Vous n’exprimez aucune autre crainte liée à votre situation personnelle. Vous précisez que votre « femme est en danger. C’est un risque pour toute la famille » (p.5/9, de votre rapport d’entretien, Monsieur).

Monsieur, vous expliquez que vous auriez quitté le Vénézuela, une première fois le 4 août 2021, puis une deuxième fois le 10 février 2022, afin de vous rendre au Luxembourg en transitant par la Colombie et l’Espagne. Vous n’auriez rencontré aucun problème aux frontières traversées.

A l’appui de vos demandes, vous remettez les documents suivants :

- Une copie d’une attestation de travail pour le compte de l’unité … de l’Etat de …, à votre nom Madame, du 16 mars 2007 ;

- votre carte d’identité, Madame, émise le 19 février 2009 et expirée en février 2019 ;

- le passeport vénézuélien, Madame, de votre fils (B), délivré le 11 décembre 2012, prolongé le 14 février 2020 et expirant le 14 février 2022 ;

- votre passeport vénézuélien, Madame, délivré le 10 avril 2014, prolongé le 19 novembre 2019 et ayant expiré le 19 novembre 2021 ;

- une farde de quatre pièces remise par votre avocat le 22 août 2022 contenant une copie d’un extrait d’un registre fiscal vénézuélien d’une entreprise commerciale expirant le 13 décembre 2021, une copie d’un certificat à votre nom Madame, de militance au parti politique Un nuevo tiempo, de 2018 à juin 2021, une copie d’une preuve d’embauche à votre nom Madame, en tant qu’assistante administrative au niveau de …, sous la tutelle du Ministère de la Santé vénézuélien, du 15 mars 2007 au 31 décembre 2007, et une copie d’une réservation de deux billets d’avion pour vous Madame et votre fils (B) du 4 août 2021 pour un vol de Bogota à Barcelone puis du 11 août 2021 pour un vol de Barcelone à Madrid ;

- une copie de votre extrait de mariage du … ;

- une copie d’un extrait de vos cotisations sociales de l’institut vénézuélien de la sécurité sociale, à votre nom Madame, actualisées au 4 juillet 2022 ;

- votre passeport vénézuélien, Monsieur, délivré le 1er juillet 2016, ayant été prolongé le 3 décembre 2021 et expirant le 3 décembre 2026 ;

- votre carte d’identité, Monsieur, délivré le 12 septembre 2017 et expirant en septembre 2027.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale • Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils n’émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Madame, il ressort de l’évaluation de votre unique motif de fuite que vos craintes de persécution ne sont pas liées à l’un des motifs de fond définis par la Convention de Genève respectivement par la Loi de 2015.

Force est en effet de constater que vos problèmes et votre sentiment d’insécurité découlent de votre refus d’être impliquée dans des activités illégales et notamment du fait que vous auriez été obligée de signer des documents pour valider des transactions frauduleuses sur injonction de votre ancien responsable. Or, il se dégage de vos déclarations que votre ancien chef Monsieur (E) a uniquement agi dans son seul intérêt privé. En effet, vous expliquez que le « gouvernement nous attribué des fonds pour ces travaux et mon chef voulait que je paye directement l’entreprise sans que les travaux ne soient exécutés » (p.11/15, de votre rapport d’entretien, Madame). Vous précisez qu’il aurait été non seulement corrompu puisqu’ « qu’il prenait des commissions sur ces commandes » (p.11/15, de votre rapport d’entretien, Madame) mais aussi corrupteur alors que votre « chef a même essayé de (vous) offrir une commission pour que (vous signez) » (p.11/15, de votre rapport d’entretien, Madame).

Vous tentez certes de donner une connotation politiques à vos déclarations en expliquant que vous auriez été affilié au parti Un Nuevo Tiempo et que vous auriez soutenue Monsieur Rosales politiquement. Pourtant, cette tentative ne saurait convaincre. En effet, hormis des remarques insultantes de votre ancien chef, aucun autre fait invoqué ne permettrait de conclure que vous seriez considérée comme une opposante politique risquant d’avoir des problèmes en cas de retour au Vénézuéla. Or, en l’espèce, toutes les insultes que votre ancien chef aurait proférées, s’inscrivent dans un contexte de fraudes et irrégularités dont vous auriez été témoin, et non pas dans un contexte politique et d’élections. Quand bien même votre ancien responsable aurait été en relation avec le gouverneur de l’époque Monsieur (F) et le parti majoritaire du gouvernement vénézuélien PSUV, rien n’indique que vos craintes soient liées à une persécution politique, mais en l’espèce, il s’agit clairement de manœuvres frauduleuses et de pression psychologique commises par votre Monsieur (E) dans le but unique de son enrichissement personnel.

Madame, quand bien même vos craintes mises en avant seraient susceptibles d’être rattachées à l’un des critères de persécution prévus à l’article 2 sub f) de la Loi de 2015, ce qui n’est manifestement pas avéré, les faits invoqués à la base de ces craintes n’atteignent pas un niveau de gravité tel qu’ils seraient assimilables, de par leur nature ou de leur caractère répété, à des actes de persécution au sens de la Convention de Genève, et de la Loi du 2015.

En effet, force est de constater que le harcèlement au travail et les menaces de votre ancien employeur d’ouvrir une enquête administrative à votre encontre ne revêtent pas un degré de gravité tel à pouvoir être qualifié d’actes de persécution au sens des textes précités puisque vous risquez seulement, tant bien que cela soit fâcheux, de recevoir un blâme ou dans le pire des cas, d’être licenciée ainsi que le prévoit la loi vénézuélienne sur le statut de la fonction publique.

Quant à votre crainte d’être sanctionnée du fait de votre abandon de poste, force est tout d’abord de constater que vous ne présentez aucun document pouvant attester votre fonction d’… dans … depuis 2013 tel que vous l’affirmez. En outre, vous affirmez avoir vu « qu’il y avait marqué abandon de poste » (p.7/15, de votre rapport d’entretien, Madame) au moment où vous auriez voulu « demander un certificat de travail » (p.7/15, de votre rapport d’entretien, Madame). Pourtant, vous déclarez aussi ne pas avoir entrepris vous-même les démarches mais votre mère, laquelle aurait fait la demande en « janvier ou février 2022. Fin février 2022 ». Cette dernière aurait appris à ce moment que votre « dossier était à Caracas pour abandon de poste » (p.7/15, de votre rapport d’entretien, Madame). A cela s’ajoute que, vous admettez ne pas avoir de preuve formelle de votre abandon de poste, mais que vous auriez encore touché votre salaire jusqu’en octobre 2021 et que vous seriez encore active à la sécurité sociale à ce jour. Enfin, hormis un certificat datant de 2007, vous ne présentez aucune preuve quant à votre travail auprès de l’Etat après 2007. Vos déclarations quant au risque d’être sanctionnée du fait de votre abandon de poste restent, dès lors, à l’état de pure allégation et ne sont corroborées par aucun élément de preuve.

Quand bien même vos déclarations concernant le fait d’avoir occupé un poste de fonctionnaire après 2007 jusqu’à votre départ et de risquer d’être sanctionnée pour abandon de poste, seraient avérées, seul ce risque encouru ne saurait être perçu comme étant un risque de persécution suffisamment grave au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, il échet de noter qu’il s’agit uniquement d’un risque, de vous voir infliger une admonestation voire tout au plus d’être licenciée. En outre, ce risque est hypothétique, alors que vous déclarez vous-même ne pas être sûre de la situation, n’ayant pas récupéré votre dossier. Dès lors, une admonestation voire un licenciement ne revêtent clairement pas d’un degré de gravité suffisante au point de valoir comme actes de persécution.

Quant à vos craintes d’être à nouveau agressée et intimidée comme vous l’auriez été par des hommes cagoulés le soir du 11 mai 2021, force est de constater que vous auriez seulement été poussée contre votre voiture puis intimidée pour vous contraindre à signer les « documents nécessaires » (p.7/15 de votre rapport d’entretien, Madame) et suivre les instructions de travail données par votre ancien responsable. En effet, vous êtes catégorique quant aux motivations de vos agresseurs présumés qui seraient ainsi uniquement en lien avec votre ancien chef et dans le contexte de manœuvres frauduleuses. Dès lors, il y a lieu d’en conclure qu’il s’agit d’un incident isolé ne revêtant pas un degré de gravité tel à pouvoir être définis comme des actes de persécutions au sens des textes précités.

Partant aucun des faits invoqués à la base de vos craintes n’atteignent un niveau de gravité tel qu’ils seraient assimilables, de par leur nature ou de leur caractère répété, à des actes de persécution au sens de la Convention de Genève, et de la Loi du 2015.

Madame, en cas de licenciement suite à une enquête administrative, qui aurait été ouverte par votre chef, force est de constater que la loi vénézuélienne prévoit que la désobéissance à un supérieur hiérarchique n’est pas sanctionnée, lorsque l’ordre donné est une violation manifeste, claire et stricte d’un précepte constitutionnel ou légal. Or, un détournement de fonds publics est illégal et condamnable au Vénézuéla. Le Bureau du Contrôleur général de la République est l’organe chargé de superviser et de contrôler l’utilisation des ressources publiques. Rien n’indique que vous n’auriez pas pu saisir votre administration pour dénoncer votre ancien chef ou aller porter plainte à la police. Vous justifiez votre inaction uniquement du fait que votre ancien chef aurait été soutenu par le gouverneur de l’époque sans pour autant faire état d’une réelle crainte envers les autorités. Votre seule supposition que les autorités ne feraient rien, ne permet pas de conclure que les autorités de votre pays d’origine ne sont pas capables ou non disposées à vous fournir une protection suffisante. Ainsi, votre inaction a nécessairement mis les autorités compétentes dans l’impossibilité d’accomplir leurs missions. Aucune défaillance ou inefficacité ne saurait, dès lors, leur être reprochée.

Quant à votre risque d’être sanctionnée pour abandon de poste, il y a lieu de constater que si cette sanction était prononcée, ce qui n’est pas une certitude en l’espèce, celle-ci serait toutefois contestable devant votre administration voire un recours contentieux contre votre administration pour demander une réintégration serait envisageable. A cet égard, il échet de citer par exemple un arrêt de la Première Haute Cour en matière civile et administrative vénézuélienne, laquelle rappelle que le pouvoir de sanction que possède une administration a ses limites dans les règles qui la régissent, afin d’éviter un usage déviant ou abusif desdits pouvoirs par celle-ci, au profit de l’impartialité et en faveur des garanties dont jouit l’agent public, l’un d’entre eux étant, la nécessité d’une procédure disciplinaire conforme à la loi.

Dans cette affaire citée, la requérante a eu gain de cause et a pu réintégrer son administration.

Partant, non seulement vous ne risquez pas d’être licencié arbitrairement, mais vous avez en plus la possibilité de vous défendre devant la justice voire d’obtenir gain de cause et de réintégrer votre administration.

Quant à vos craintes d’être à nouveau agressée et intimidée comme vous l’auriez été par des hommes cagoulés le soir du 11 mai 2021, il échet de relever qu’il s’agirait d’une infraction de droit commun punissables selon la législation vénézuélienne en vigueur. De même, ces individus non identifiés auraient clairement agi dans le cadre de manœuvres frauduleuses condamnables en vertu de la loi vénézuélienne. Or, il appert que vous n’auriez pas cherché à porter plainte mais n’auriez pas non plus fait état de votre crainte de contacter les autorités. Partant, votre inaction a nécessairement mis les autorités compétentes dans l’impossibilité d’accomplir leurs missions. Aucune défaillance ou inefficacité ne saurait dès lors leur être reprochée.

Quant à vos allégations d’être poursuivi par les autorités vénézuéliennes du fait que votre ancien chef aurait été nommé par Caracas, force est de constater que les autorités vénézuéliennes n’auraient aucun intérêt à vous avoir dans leur collimateur, alors qu’au contraire vous vous seriez opposée au détournement de fonds publics vénézuéliens. Vous êtes dès lors, libre de vous installer où bon vous semble au Vénézuéla, y compris retourner vivre dans votre maison à San Francisco dans l’Etat de …. En effet, quand bien même votre ancien employeur aurait été soutenu par Monsieur (F), ce dernier n’est plus le gouverneur de …. Ayant perdu les élections régionales de novembre 2021, Monsieur (F) a été remplacé Monsieur Manuel Rosales au poste de gouverneur de …. Ce dernier est toujours en poste et il est par ailleurs le fondateur d’un parti politique d’opposition Un Nuevo Tiempo que vous affirmez avoir soutenu par le passé.

A toutes fins utiles, quant à votre déclaration de ne pas pouvoir démissionner de votre poste en tant que fonctionnaire, ceci s’avère inexacte, alors que la loi prévoit que tout agent public peut présenter sa démission par écrit. Or, en tant que jeune femme diplômée, capable de travailler, vous êtes en mesure d’assurer un niveau de subsistance équivalent dans d’autres régions de votre pays d’origine. En guise d’exemple, vous pourriez vous installer, sans craindre avec raison, dans une grande ville comme Valencia, qui comptent plus de deux millions d’habitants et demi ou Maracay, qui a un meilleur rapport du coût de la vie avec une population de plus de 400 000 habitants.

Eu égard à ce qui précède, vous auriez donc la possibilité, soit de réintégrer votre emploi et ce même si un licenciement avait été prononcé en votre absence, soit de démissionner de votre poste et vous installer au lieu de votre choix au Vénézuéla.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vos craintes seraient uniquement basées sur celles invoquées par votre conjointe. Or, des faits non-personnels vécus par un autre membre de la famille, en l’occurrence votre conjointe, sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 uniquement si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières, ce qui n’est clairement pas le cas en l’espèce. En effet, les craintes de votre conjointe, comme susmentionnées, n’étant pas fondées, vous ne pouvez affirmer craindre avec raison d’être une victime collatérale.

Madame, Monsieur, la même constatation est à formuler quant à la demande de votre fils (B), lequel n’exprime aucune autre crainte que celle basée sur vos soucis au Vénézuéla.

Or, tel qu’expliqué ci-dessus, vos problèmes passés dans votre pays d’origine ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié dans votre chef, de sorte que ces mêmes problèmes ne sauraient pas non plus justifier l’octroi du statut de réfugié dans le chef de votre fils.

Eu égard à tout ce qui précède, Madame, Monsieur, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Madame, Monsieur, il y a lieu de souligner qu’à l’appui de vos demandes de protection subsidiaire respectives, vous invoquez en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de vos demandes de reconnaissance du statut de réfugié.

Au vu des conclusions ci-dessus, il y a de même, lieu de retenir qu’il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour au Vénézuéla, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015, respectivement que les autorités vénézuéliennes ne seraient pas en mesure de vous protéger.

En effet, vous omettez d’établir qu’en cas de retour au Vénézuéla, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre vos vies ou vos personnes en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Vos demandes en obtention d’une protection internationale sont dès lors rejetées comme non fondées.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Vénézuéla, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2023, les consorts (ABC) ont fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision ministérielle du 24 octobre 2023 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 24 octobre 2023, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs indiquent que Madame (A) aurait occupé depuis 2013 un poste d’… dans une unité cardio-métabolique et qu’elle aurait été fonctionnaire depuis 2007 du ministère de la Santé. Au sein de ses fonctions, elle aurait été responsable de la gestion des fonds publics attribués par ledit ministère via le budget public et aurait supervisé les achats et la distribution du matériel médical au bénéfice de ….

Concrètement, elle aurait validé les achats et géré les dépenses dans le strict respect des principes de transparence et selon une certaine éthique. Sur fond de crise sanitaire au Venezuela, à laquelle la pandémie se serait ajoutée, elle aurait été sollicitée par son supérieur hiérarchique, qui aurait été connu pour être proche du pouvoir, pour accomplir des tâches en dehors des normes de l’administration publique, comme l’exécution de paiements aux fournisseurs sans se conformer aux règles établies. Son supérieur hiérarchique aurait ainsi insisté pour qu’elle signe les paiements aux fournisseurs avec lesquels il aurait été en contact, en lui assurant que les produits seraient livrés avec la facture, ce qui aurait été mensonger. A titre d’exemple, en 2020, il lui aurait demandé d’approuver des paiements pour des travaux sans l’évaluation technique nécessaire, allant jusqu’à lui proposer une commission pour obtenir sa signature. Malgré cette pression, elle n’aurait pas cédé, mais son supérieur hiérarchique aurait constamment cherché à commander davantage de médicaments et des rumeurs auraient circulé sur son implication dans des commissions liées à ces commandes. La situation serait devenue encore plus compliquée pour elle, en 2021, son supérieur hiérarchique lui demandant de payer une entreprise sans que les travails censés être effectués par celle-ci, concernant une extension et des réparations d’étanchéification d’une unité, ne soient réellement effectués. Face à son refus d’exécuter ses ordres, son supérieur hiérarchique l’aurait menacée d’ouvrir une enquête administrative à son encontre pouvant conduire à une peine de prison, et elle aurait, en outre, reçu des menaces téléphoniques la sommant d’exécuter les ordres donnés par son supérieur.

Le 11 mai 2021, deux fourgons seraient arrivés au domicile de Madame (A) et trois individus masqués en seraient sortis en tirant en l’air. Ils auraient attaqué l’oncle, le père et le beau-frère de Madame (A) et l’auraient poussée en la menaçant, ce qui l’aurait blessée à la colonne vertébrale et aurait provoqué un traumatisme psychologique dans son chef. Ses agresseurs auraient exigé qu’elle signe des documents spécifiques et qu’elle assure le bon déroulement de son travail, au risque de subir des conséquences plus graves pour sa famille en cas de refus.

En plus de ses responsabilités professionnelles, Madame (A) aurait également mené une activité politique militante au sein du parti « Un Nuevo Tiempo », qui serait un parti d’orientation centriste et démocrate promouvant des valeurs de démocratie, d’Etat de droit et de respect des droits de l’Homme. En dépit des restrictions dues à la neutralité obligatoire des agents publics, elle aurait prêté son véhicule pour des manifestations et des élections. Cette activité politique clandestine n’aurait pas été inconnue de son supérieur hiérarchique et aurait aggravé ses persécutions. Les demandeurs estiment que les menaces téléphoniques ultérieures et l’agression du 11 mai 2021 seraient ainsi indissociables de cette activité politique clandestine. Monsieur (C) aurait également été effrayé et inquiet pour sa sécurité et celle de leur famille, ce qui les aurait tous poussés à fuir du Venezuela.

En droit, après avoir exposé les conditions d’octroi du statut de réfugié au sens des articles 2 (f), 39, 40 et 42 (2) de la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir considéré que les persécutions subies par Madame (A) ne relèveraient pas de l’un des cinq critères prévus par la loi de 2015 et par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève ». Après avoir relevé que la crédibilité générale de leurs récits n’aurait pas été remise en cause, de sorte que le principe du bénéfice du doute s’appliquerait, ils font valoir que, selon la Convention de Genève, la notion d’« opinions politiques » devrait s’interpréter de manière large. Ils renvoient, à cet égard, à l’article 10 (1) e) et (2) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95/UE ». Ils ajoutent que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) poserait elle-aussi un principe d’interprétation large de la notion d’ « opinions politiques » et donnerait une grille de lecture permettant de déterminer l’existence de telles opinions ainsi que le lien de causalité entre celles-ci et les actes de persécutions. Elle aurait, par ailleurs, affirmé que « les autorités compétentes des États membres doivent prendre en considération le contexte général du pays d’origine du demandeur du statut de réfugié, notamment dans ses volets politique, juridique, judiciaire, historique et socioculturel », et aurait qualifié de motif de persécution « des idées ou croyances qui ne revêtent pas un caractère directement et immédiatement politique ». Ainsi, pour assurer un plein effet de la Convention de Genève, des actes pourraient être réputés politiques même si ces actes n’étaient pas ouvertement politiquement connotés. Les demandeurs font valoir, dans ce contexte, que l’adhésion de Madame (A) à un parti politique avec un fort ancrage éthique aurait renforcé sa détermination à maintenir des normes éthiques dans son travail et à résister aux pressions de corruption et de détournement de fonds publics. La formation politique et les valeurs défendues par le parti auquel elle aurait adhéré auraient contribué à forger son engagement envers la transparence et son refus de compromettre son intégrité professionnelle. Par ailleurs, même si son activisme politique avait été clandestin, il n’aurait pas été ignoré de sa hiérarchie et serait même devenu une source de persécution en lui-même, alors qu’elle aurait subi des menaces et une agression et qu’elle aurait été insultée et constamment écartée de tous avantages en nature dont un fonctionnaire aurait pu bénéficier, parmi lesquels le carnet de la patrie dont elle n’aurait jamais bénéficié. En raison du fait que son supérieur hiérarchique l’aurait considérée comme étant une « opposante », qu’elle aurait refusé de participer à des activités illégales et qu’elle serait une activiste politique, « ses actions » devraient être considérées comme manifestant une opinion politique. Les demandeurs estiment, en conséquence que les actes subis par Madame (A) entreraient dans les critères de la convention de Genève et de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que la décision querellée encourrait la réformation.

En ce qui concerne la gravité des faits subis, les consorts (ABC) donnent à considérer que lesdits faits auraient été interprétés, par le ministre, comme étant du harcèlement au travail et les menaces d’enquête administrative de son ancien employeur comme étant des conséquences professionnelles désagréables plutôt que des persécutions graves, de sorte à avoir retenu, à tort, que les risques associés, tels que le blâme ou le licenciement en vertu de la loi vénézuélienne sur le statut de la fonction publique, ne justifieraient pas l’octroi du statut de réfugié. Ils renvoient, à cet égard, à l’article 9 (1) a) de la directive 2011/95, ainsi qu’au guide pratique du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), à présent dénommé l’Agence de l’Union européenne pour l’Asile (AUEA), concernant les conditions à remplir pour bénéficier de la protection internationale, pour faire valoir que des individus armés auraient ouvertement menacé Madame (A), utilisant des balles réelles lors d’une agression commanditée. Cette attaque aurait engendré une terreur psychologique persistante pour elle, qui l’aurait plongée dans une profonde dépression associée à des idées suicidaires, ainsi que des séquelles physiques. Les demandeurs contestent l’affirmation du ministre selon laquelle l’affaire de Madame (A) relèverait du droit commun et que les fonctionnaires vénézuéliens bénéficieraient de garanties procédurales adéquates pour défendre leurs droits, tout en lui reprochant de ne pas apporter de preuve de l’effectivité de la loi invoquée sur le statut des fonctionnaires, malgré les sources qu’il aurait citées. Ils ajoutent que bien au-delà des simples risques de blâme ou de poursuite pour abandon de poste, Madame (A) craindrait pour sa vie et que dans l’hypothèse contraire, elle n’aurait pas raisonnablement quitté un poste à responsabilité qu’elle aurait occupé depuis plus de 14 ans pour fuir vers le Luxembourg. Ils en concluent que les faits relatés auraient dû être considérés comme ayant un degré de gravité suffisant pour entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015 et que la décision litigieuse violerait l’article 9 (1) a) de la directive 2011/95.

Quant au refus de la protection subsidiaire, les demandeurs soutiennent que l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015 serait applicable, dans la mesure où Madame (A) aurait déjà subi « des persécutions », ce qui légitimerait sa crainte de persécutions futures en cas de renvoi au Venezuela. Ils expliquent, à cet égard, que le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) aurait indiqué que la crainte d’un demandeur de protection internationale serait justifiée s’il peut raisonnablement démontrer que sa vie serait devenue intolérable dans son pays d’origine. D’ailleurs, le ministre n’aurait pas démontré qu’il y aurait de bonnes raisons de penser que de nouvelles « persécutions » ne surviendraient pas en cas de retour, en considération du contexte politique actuel au Venezuela. A ce propos, ils renvoient à un rapport publié par Human Right Council le 18 septembre 2023, intitulé « Report of the independent international fact-finding mission on the Bolivarian Republic of Venezuela », pour soutenir que la recrudescence de la violence étatique dans un contexte de prochaines élections ne leur laisserait aucune perspective d’établissement sûr sur le territoire vénézuélien. Ils contestent également l’affirmation du ministre selon laquelle la situation tendue au Venezuela ne serait pas équivalente à un conflit armé interne et s’appuient sur un article d’Amnesty International du 29 août 2023, intitulé « Faits et chiffres. Détentions arbitraires à caractère politique au Venezuela » pour soutenir que 25 % de la population aurait fui le Venezuela, ce qui démontrerait l’aggravation de la crise des droits humains dans ledit pays. Ils estiment que Madame (A), en tant qu’opposante politique ayant refusé de céder à la corruption, et que Monsieur (C), en tant que conjoint d’un opposant politique originaire d’un pays où la situation sécuritaire serait inquiétante, risqueraient de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils devraient, en conséquence, bénéficier d’une protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens. Il ajoute que, dans le dispositif de leur requête introductive d’instance, les demandeurs auraient entendu exclure Monsieur (C) du statut de réfugié.

A ce propos, il ressort du dispositif de la requête introductive d’instance, auquel le tribunal est seul tenu, que les demandeurs limitent leur recours (i) à la réformation, à titre principal, de la décision ministérielle refusant l’octroi du statut de réfugié à Madame (A) et de celle refusant l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire à Monsieur (C), et (ii) à la réformation, à titre subsidiaire, de la décision ministérielle refusant la protection subsidiaire à Madame (A).

Partant, il échet de donner acte aux consorts (ABC) qu’ils limitent la demande de protection internationale de Monsieur (C) à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire et qu’en conséquence, ce dernier renonce au statut de réfugié.

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Force est au tribunal de constater que la notion de « réfugié » implique nécessairement des persécutions ou à tout le moins un risque de persécution dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de penser que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal relève de prime abord que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Le tribunal est amené à constater que Madame (A) invoque un seul motif à la base de sa demande du statut de réfugié, à savoir les opinions politiques qui lui seraient imputées par son supérieur hiérarchique, en raison de son appartenance à un parti politique d’opposition et de son refus d’agir dans l’intérêt personnel de son supérieur hiérarchique.

En ce qui concerne la pression exercée par le supérieur hiérarchique de Madame (A) pour qu’elle participe à des manœuvres frauduleuses, le tribunal est amené à relever, contrairement à ce qu’elle soutient, que ces faits ne sont pas liés à ses opinions politiques. En effet, il ressort de ses déclarations que, si certes son supérieur hiérarchique agissait dans le cadre de ses fonctions, ce dernier était uniquement animé par un but de lucre, à savoir percevoir des commissions en accordant des marchés à des entreprises, et non pas par une volonté politique. Les motivations du supérieur hiérarchique de Madame (A) ayant été financières et non politiques, ces faits n’entrent dès lors pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Concernant la procédure d’abandon de poste qui aurait été ouverte à l’égard de Madame (A), le tribunal est également amené à conclure, pour autant qu’elle ait entendu rattacher ces éléments aux opinions politiques qui pourraient lui être attribuées par les autorités vénézuéliennes, que la demanderesse reste en défaut de démontrer que les sanctions qu’elle risquerait pour cet abandon constitueraient des persécutions au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 et que tant ces sanctions que l’absence de réintégration à son ancien poste ou à un autre poste dans la fonction publique pourraient être d’une gravité suffisante pour être considérées comme une persécution. En outre, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que tout fonctionnaire ayant abandonné son poste risquerait de subir des persécutions au Venezuela sur le fondement de l’un des critères prévus dans la Convention de Genève.

Enfin, quant aux agissements en relation avec l’appartenance de Madame (A) à un parti politique de l’opposition, force est de constater que, si ces faits ont comme toile de fond ses convictions politiques, ils n’atteignent cependant pas le degré de gravité exigé par l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où la demanderesse a seulement fait état d’insultes proférées à son égard. Concernant le fait qu’elle aurait été constamment écartée de tous avantages en nature dont un fonctionnaire aurait pu bénéficier, parmi lesquels figure le carnet de la patrie dont elle n’aurait jamais bénéficié, force est également de constater qu’il ressort des déclarations de la demanderesse qu’elle a refusé d’en avoir un1, de sorte qu’elle ne peut faire valoir aucune discrimination à son égard. A défaut de remplir l’une des conditions de l’octroi du statut de réfugié, ces faits ne peuvent pas non plus conduire à l’octroi du statut de réfugié.

Le tribunal est, dès lors, amené à conclure que c’est à bon droit que le ministre a rejeté les demandes en obtention du statut de réfugié présentées par Madame (A), dans son chef et celui de son fils, comme étant non fondées, de sorte que le recours dirigé contre le refus dudit statut est à rejeter pour être non fondé.

En ce qui concerne la demande en obtention d’une protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant rappelé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits qu’il avance, du risque réel de subir des atteintes graves que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

1 « On me disait que [le carnet de la patrie] était obligatoire, mais je n’ai pas voulu l’avoir. », page 3 du rapport d’audition de Madame.

Le tribunal constate d’abord qu’à l’appui de leurs demandes de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent, en substance, les mêmes motifs que ceux qui sont à la base des demandes en reconnaissance du statut de réfugié présentées par Madame (A), dans son chef et celui de son fils. Ils se prévalent également de la situation sécuritaire et humanitaire dans leur pays d’origine.

En ce qui concerne, tout d’abord, la crainte des demandeurs de subir des atteintes graves au sens des points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en raison des agissements de la part du supérieur hiérarchique de Madame (A), le tribunal est amené à constater que cette dernière n’a, à aucun moment, cherché à le dénoncer ou à requérir une protection des autorités vénézuéliennes contre celui-ci.

A ce propos, le tribunal rappelle que face à des auteurs de persécution, il convient d’examiner si la victime peut être protégée par les autorités publiques compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit, la crainte de persécution ne pouvant être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent pas ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution.

Il est encore de jurisprudence établie qu’une protection n’est suffisante que si les autorités étatiques ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions, sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux, la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquant en effet pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais supposant des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Or, le tribunal constate qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à son appréciation que l’Etat vénézuélien n’aurait pas été disposé ou aurait été dans l’incapacité de fournir une protection aux demandeurs contre les agissements illégaux du supérieur hiérarchique de Madame (A), dont elle déclare avoir été victime, ni qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils ne pourraient pas bénéficier d’une telle protection.

Si les demandeurs font valoir dans ce contexte que porter plainte n’aurait pas eu d’effet, en soutenant que le supérieur hiérarchique de Madame (A) aurait eu des liens avec le gouverneur officiant au moment du départ de leur pays d’origine, qui était lié au parti au pouvoir, il ressort néanmoins des recherches étatiques, non autrement contredites par les demandeurs, que ledit gouverneur a perdu les élections régionales de novembre 2021 au profit du fondateur du parti politique auquel Madame (A) a adhéré en 2018, qui est à présent gouverneur de l’Etat de …. Ainsi, les demandeurs - ne pouvant se prévaloir de l’existence d’une connivence entre le supérieur hiérarchique de la demanderesse et le gouverneur de leur Etat -

manquent, dès lors, de démontrer que les autorités étatiques de leur pays d’origine ne pourraient ou ne voudraient pas leur accorder une protection contre les agissements du prédit supérieur, s’il se trouve toujours en fonctions depuis les élections régionales.

Quant aux agissements liés à l’appartenance de Madame (A) à un parti politique de l’opposition, le tribunal est amené à réitérer ses conclusions faites dans le cadre des développements concernant le statut de réfugié, à savoir que les seuls faits invoqués à cet égard, consistant en des insultes à l’égard de Madame (A), ne remplissent pas la condition ayant trait à la gravité au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

La même conclusion s’impose en ce qui concerne la procédure qui aurait été ouverte à l’encontre de Madame (A) pour abandon de poste, dans la mesure où les demandeurs restent en défaut de démontrer que les sanctions qu’elle risquerait d’encourir dans ce cadre seraient équivalentes à des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, les consorts (ABC) ne soutenant, en effet, pas que la demanderesse risquerait la peine de mort, l’exécution, la torture ou des traitements inhumains et dégradants pour avoir quitté son poste de fonctionnaire.

Par ailleurs, quant à la référence faite par les demandeurs à la situation générale régnant dans leur pays d’origine, force est de constater que si, certes, il ne peut être nié que le Venezuela connaît une situation sécuritaire problématique, notamment en raison de la violence criminelle de droit commun qui y est très répandue, il n’en reste pas moins qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que cette situation serait telle que tout ressortissant vénézuélien courrait un risque réel de subir des actes de persécution ou des atteintes graves, au sens de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, du seul fait de sa présence sur le territoire.

Pour autant que les demandeurs aient encore entendu soutenir, à travers leur affirmation selon laquelle une personne sur quatre aurait quitté le Venezuela ce qui démontrerait « l’aggravation de la crise des droits humains dans le pays », que le Venezuela doit être considéré comme faisant face à une situation de conflit armé interne au sens de l’article 48, c) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’il existerait, dans leur chef, un risque réel de subir des atteintes graves par leur seule présence sur le territoire vénézuélien, il échet de relever qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à l’analyse du tribunal que tout ressortissant vénézuélien risquerait actuellement d’être tué ou torturé par le régime en place.

Dès lors, et en l’absence de documents probants, tels que des rapports internationaux, dépeignant une situation sécuritaire au Venezuela qui serait telle qu’elle répondrait aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48, c) de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de conclure, sur base des éléments soumis à l’appréciation du tribunal par les demandeurs, qu’il n’y a actuellement pas de risque réel pour les citoyens du Venezuela de subir des atteintes graves contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé qui se déroulerait dans le prédit pays.

Il résulte des développements qui précèdent qu’en l’état actuel d’instruction du dossier et des moyens exposés de part et d’autre, les consorts (ABC) n’ont pas démontré qu’il existe de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient en cas de retour dans leur pays d’origine un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 a), b) et c) de la loi du 18 décembre 2015.

C’est, dès lors, également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondées les demandes des consorts (ABC) tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que le recours en ce qu’il est dirigé à l’encontre dudit statut est également à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Les demandeurs concluent à la réformation de l’ordre de quitter le territoire prononcé à leur encontre en conséquence de la réformation de la décision de refus d’une protection internationale. Ils invoquent également qu’un retour dans leur pays d’origine entraînerait dans leur chef une violation des articles 2 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », ainsi que du principe de non-refoulement prévu dans la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.

Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre pouvait a priori valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, ainsi que son corollaire l’article 4 de la Charte, proscrivent la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits y inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à son article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte qu’il existe a fortiori un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants. Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Venezuela, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef des demandeurs, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH2, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs dans leur pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, voire avec l’article 2 de la CEDH relatif au droit à la vie, ainsi qu’avec le principe de non-refoulement, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Il s’ensuit que le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 24 octobre 2023 portant refus d’une protection internationale ;

donne acte à Monsieur (C) qu’il renonce au volet de sa demande de protection internationale tendant à l’octroi du statut de réfugié ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 24 octobre 2023 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, 2 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, point 59.

Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 25 novembre 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 20


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49756
Date de la décision : 25/11/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-11-25;49756 ?

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