Tribunal administratif N° 47943 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47943 2e chambre Inscrit le 15 septembre 2022 Audience publique du 18 novembre 2024 Recours formé par Monsieur (A) et consort, Differdange, contre des décisions du conseil communal de la Ville de Differdange et une décision du ministre de l’Intérieur, en matière de plan d’aménagement général et en matière de plan d’aménagement particulier
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47943 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2022 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A) et de son épouse, Madame (B), demeurant tous les deux à L-…, tendant à l’annulation :
- de la « décision du conseil communal de la Ville de Differdange du 29 juin 2021 portant adoption du projet de refonte du plan d’aménagement général (PAG) de la commune » ;
- de la « décision du conseil communal de la Ville de Differdange du 29 juin 2021 portant adoption des projets de PAP « quartier existant » ; et - de la « décision de la ministre de l’Intérieur du 9 juin 2022, transmise à la partie requérante par courrier daté du 15 juin 2022, portant approbation partielle de la délibération précitée du conseil communal et rejetant la réclamation des requérants » ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 23 septembre 2022, portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Differdange, ayant sa maison communale à L-4530 Differdange, 40, avenue Charlotte, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2022 par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1340 Luxembourg, 2, Place Winston Churchill, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B209469, représentée aux fins des présentes par Maître Nathalie PRÜM-CARRÉ, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2022 par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Differdange, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2022 par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN SA, au nom de l’Etat du Grand-
Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2022 par Maître Steve HELMINGER, au nom de l’administration communale de la Ville de Differdange, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2023 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, au nom de Monsieur (A) et de Madame (B), préqualifiés ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2023 par Maître Steve HELMINGER, au nom de l’administration communale de la Ville de Differdange, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 février 2023 par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN SA, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause ainsi que les actes attaqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, Maître Steve HELMINGER et Maître Inès GOEMINNE, en remplacement de Maître Nathalie PRÜM-CARRE, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 septembre 2024.
___________________________________________________________________________
A la suite de l’annulation de sa saisine initiale du 19 juin 2019, conformément à l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, désignée ci-après par « la loi du 19 juillet 2004 », le conseil communal de la Ville de Differdange, ci-après désigné par le « conseil communal », émit, en vertu du même article, lors de sa séance publique du 20 novembre 2019, un vote favorable sur le projet d’aménagement général et chargea le collège des bourgmestre et échevins, ci-après désigné par le « collège échevinal », de procéder aux consultations et publications prévues aux articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 2004.
Parallèlement, le collège échevinal décida de soumettre le projet d’aménagement particulier « quartier existant » à la procédure d’adoption prévue aux articles 30 et suivants de la loi du 19 juillet 2004.
Par courrier du 3 décembre 2019 adressé au collège échevinal, mentionnant comme expéditeurs Monsieur (A) et Madame (B), ci-après désignés par les « consorts (AB) », ceux-
ci firent valoir leurs objections à l’encontre du projet d’aménagement général de la Ville deDifferdange, tel que mis en procédure le 20 novembre 2019, en sollicitant plus particulièrement l’intégration de leur maison d’habitation, située sur la parcelle inscrite au cadastre de la Ville de Differdange, section … de Differdange, sous le numéro (P1), au lieu-dit « … », ci-après désignée par « la parcelle (P1) », dont il était prévu de la maintenir intégralement en zone non constructible, en zone d’habitation 1 [HAB-1], ci-après désignée par la « zone [HAB-1] ».
En date du 9 avril 2020, le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par le « ministre de l’Environnement », émit son avis sur le projet d’aménagement général en application de l’article 5 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par la « loi du 18 juillet 2018 », ainsi que son avis sur le rapport sur les incidences environnementales et sur le projet d’aménagement général en application des dispositions de la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement.
Par courrier du 29 mars 2021, erronément daté au 29 mars 2020, la commission d’aménagement auprès du ministère de l’Intérieur communiqua son avis sur le projet d’aménagement général, tel qu’émis lors de sa séance du 20 mai 2020.
Lors de sa séance publique du 29 juin 2021, le conseil communal décida d’adopter le projet d’aménagement général en y apportant des modifications tenant compte des avis ministériels, ainsi que notamment des objections contenues dans le courrier, précité, du 3 décembre 2019, signé par Monsieur (A) auxquelles il fit partiellement droit en classant la parcelle (P1) en zone de sports et loisirs 6 : « … » - [REC-6], ci-après désignée par la « zone [REC-6] ».
Le même jour, le conseil communal procéda à l’adoption du projet d’aménagement particulier « quartier existant ».
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 18 juillet 2021, les consorts (AB) introduisirent auprès du ministre de l’Intérieur une réclamation à l’encontre de la susdite délibération du conseil communal du 29 juin 2021 portant adoption du projet d’aménagement général en exprimant leur souhait de voir classer la partie de la parcelle (P1) accueillant la maison d’habitation en zone [HAB-1] et de lui « attribuer par conséquent le quartier existant (HAB-1 QE_U_II) ». A cette même occasion, ils relevèrent que les modifications ainsi sollicitées permettraient de garantir une cohérence intrinsèque du plan d’aménagement général (« PAG ») en veillant « aux mêmes droits de tous les citoyens devant la loi » et ce, plus particulièrement sur la toile de fond que « 3 maisons d’habitation actuellement localisés en zone verte et prévues pour être intégrées en tant que zones HAB 1 QE_U_II dans le nouveau PAG [seraient] localisées sur les parcelles cadastrales […] • (P2), section … d’Oberkorn, • (P3), section … d’Oberkorn • (P4), section … de Niederkorn ».
Par décision du 9 juin 2022, le ministre de l’Intérieur approuva partiellement la délibération, précitée, du conseil communal du 29 juin 2021 portant adoption du projet d’aménagement général, en refusant plus particulièrement un certain nombre d’extensions de la zone destinée à être urbanisée, dont la modification de la zone verte telle que décidée par l’autorité communale à l’endroit de la parcelle (P1) sise au lieu-dit « … », les passages afférents de la décision ministérielle étant rédigés comme suit :
« […] Les sites concernés, qui constituent des extensions de la zone destinée à être urbanisée, qui ne sauraient dès lors rencontrer mon approbation sont illustrés sur les plans qui suivent et leurs délimitations exactes sont indiquées en rouge. A titre indicatif y sont repris les zones du plan d’aménagement général initial, transposées conformément à la législation actuellement en vigueur. […] • … et … (Differdange) […] En ce qui concerne les fonds susmentionnés, le refus d’approbation est motivé par le fait qu’il s’agit d’îlots déconnectés qui doivent demeurer en zone verte. Par conséquent je renvoie vers la jurisprudence émanant de la Cour administrative statuant « […] il se dégage que la mise en place d’ensembles territoriaux non directement reliés au périmètre d’agglomération de la localité à laquelle ils se rapportent, ou alors non connectés du tout à une localité sans qu’en eux-mêmes ils ne possèdent consistance suffisante pour valoir en tant que localité, ne devraient en principe pas exister sous l’empire des dispositions de l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004. […] ».
A travers cette même décision, le ministre statua encore sur les réclamations lui soumises, dont notamment la réclamation introduite par les consorts (AB), qu’il déclara irrecevable en ce qu’elle viserait le projet d’aménagement particulier « quartier existant » et partiellement fondée pour le surplus. Les passages de la décision ministérielle, précitée, se rapportant à cette réclamation sont libellés comme suit :
« […] Ad réclamation … (rec 8 à 11) Les réclamants s’opposent premièrement au classement des parcelles cadastrales n°(P1), (P5), (P6) et (P7) sises à Differdange, en « zone de sport et de loisirs 6 [REC-6] ». Ils sollicitent à ce que lesdites parcelles cadastrales intègrent la zone d’habitation. Les réclamations sont non fondées à cet égard alors que les terrains sont isolés et constituent un îlot déconnecté du reste du tissu urbain existant. Le classement en zone d’habitation permettrait d’ériger de nouvelles constructions, renforçant encore d’avantage cette situation.
Il est d’ailleurs légitime pour les autorités communales de donner la priorité à des terrains faisant partie du tissu urbain existant, plutôt qu’aux parcelles situées en dehors de celui-ci […].
En ce qui concerne les maisons sises sur les parcelles cadastrales n°(P2), (P3) et (P4) auxquelles font référence les réclamants, il convient de noter que ceux-ci ont été classées en tant qu’îlot isolé en zones d’habitation. C’est à raison que les réclamants constatent une telle incohérence dans le plan. Partant, il y a lieu de modifier le plan de sorte à classer les parcelles n°(P3) et (P4), d’ores et déjà sises en zone dite « Kleingarten und Gärtnereigebiet » selon le PAG en vigueur, en « zone de jardins familiaux », ceci en vue de garantir la cohérence avec le classement des terrains adjacents. En ce qui concerne la parcelle cadastrale n°(P2), sise en zone verte selon le PAG en vigueur, elle est maintenir en zone verte et, par analogie, aux fonds adjacents, en « zone agricole ».
4 La réclamation est partiellement fondée sur ce point et la partie graphique est à modifier comme suit et les délimitations des PAP « quartiers existants » sont à adaptées en conséquence : […] Les réclamations portent encore sur les dispositions de l’article 23.2.3. de la partie écrite du plan d’aménagement particulier. Cette réclamation est irrecevable alors qu’aucune réclamation devant le ministre n’est prévue par la loi contre les dispositions du plan d’aménagement particulier « quartier existant ». […] ».
Par décision du 6 juillet 2022, le ministre de l’Environnement approuva les modifications de la délimitation de la zone verte telles que découlant du projet d’aménagement général adopté par le conseil communal lors de sa séance du 29 juin 2021, à l’exception notamment de la « zone de sports et de loisirs 6 (REC-6) aux lieux-dits « … » et « … » ».
Par décision du même jour, le ministre de l’Intérieur approuva la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 portant adoption du projet de d’aménagement particulier « quartier existant ».
Par décision du 28 juillet 2022, le ministre de l’Intérieur compléta sa décision initiale du 8 juin 2022 en revenant sur sa décision au sujet de deux des réclamations lui soumises.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2022, les consorts (AB) ont fait introduire un recours tendant à l’annulation 1) de la « décision du conseil communal de la Ville de Differdange du 29 juin 2021 portant adoption du projet de refonte du plan d’aménagement général (PAG) de la commune », 2) de la « décision du conseil communal de la Ville de Differdange du 29 juin 2021 portant adoption des projets de PAP « quartier existant » et 3) de la « décision de la ministre de l’Intérieur du 9 juin 2022, transmise à la partie requérante par courrier daté du 15 juin 2022 portant approbation partielle de la délibération précitée du conseil communal et rejetant la réclamation des requérants ».
I. Quant à la compétence du tribunal Le tribunal relève que les décisions sur les projets d’aménagement, lesquels ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’ils concernent et le régime des constructions à ériger, ont un caractère réglementaire. La décision d’approbation du ministre de l’Intérieur participe au caractère réglementaire de l’acte approuvé1, étant précisé qu’en ce qui concerne la procédure d’adoption du PAG, le caractère réglementaire ainsi retenu s’étend également au volet de la décision ministérielle du 9 juin 2022, intervenue dans le processus général de l’élaboration de l’acte approuvé.
Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère réglementaire.
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en annulation sous examen.
1 Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes réglementaires, n° 59 et les autres références y citées.
II. Quant à la loi applicable La procédure d’adoption d’un PAG et d’un plan d’aménagement particulier (« PAP ») est prévue par la loi du 19 juillet 2004. Or, celle-ci a été modifiée à plusieurs reprises et dernièrement (i) par une loi du 28 juillet 2011 entrée en vigueur, en application de son article 45, en date du 1er août 2011, (ii) par la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire, publiée au Mémorial A, n° 160 du 6 septembre 2013, (iii) par la loi du 14 juin 2015 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, publiée au Mémorial A, n° 113 du 17 juin 2015, (iv) par la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus », entrée en vigueur, en application de son article 76, le 1er avril 2017, (v) par la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire, (vi) par la loi du 18 juillet 2018 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, (vii) par la loi du 30 juillet 2021 relative au Pacte logement 2.0, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, en application de son article 16 et (viii) par la loi du 7 août 2023 relative au logement abordable.
Etant donné, d’une part, que le tribunal vient de retenir que seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des actes déférés et, d’autre part, que dans le cadre d’un tel recours, le juge administratif est amené à en apprécier la légalité en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où ils ont été pris2, les modifications apportées à la loi du 19 juillet 2004 par la loi précitée du 7 août 2023, entrée en vigueur postérieurement aux décisions du conseil communal du 29 juin 2021 ne sont pas à prendre en considération en l’espèce, étant plus particulièrement précisé à cet égard que les actes de tutelle administrative, tels que la décision ministérielle litigieuse, rétroagissent à la date de la décision approuvée et tombent dès lors sous le champ d’application des lois en vigueur à la date de la prise de décision de l’acte initial.
Il s’ensuit que la version de la loi du 19 juillet 2004 applicable au présent litige est celle résultant des modifications opérées par les lois des 28 juillet 2011, 30 juillet 2013, 14 juin 2015, 3 mars 2017, 17 avril 2018, 18 juillet 2018 et 30 juillet 2021.
III. Quant à la recevabilité du recours Les parties communale et étatique invoquent plusieurs moyens d’irrecevabilité en relation avec le volet du recours dirigé contre la délibération du conseil communal portant adoption du projet d’aménagement général et contre la décision du ministre de l’Intérieur approuvant partiellement ladite délibération, ainsi qu’en relation avec le volet du recours dirigé contre la délibération du conseil communal portant adoption du projet de plan d’aménagement particulier « quartier existant », ci-après désigné par le « PAP QE ».
1. Quant à la recevabilité du recours en ce qu’il vise la délibération du conseil communal portant adoption du projet d’aménagement général et la décision du ministre de l’Intérieur approuvant partiellement ladite délibération 1.1. Quant à la recevabilité du recours dans le chef de Madame (B) 2 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 22 et les autres références y citées.Arguments La partie étatique conclut à l’irrecevabilité omisso medio du recours sous analyse en ce qu’il a été introduit par Madame (B) contre la délibération du conseil communal portant adoption du projet de PAG et contre la décision ministérielle approuvant partiellement cette délibération. En effet, comme le courrier du 3 décembre 2019 contenant les objections et observations présentées au collège échevinal ne porterait que la seule signature de Monsieur (A), il devrait être admis que Madame (B) n’aurait pas soumis d’objections et observations auprès du collège échevinal conformément à l’article 13 de la loi du 19 juillet 2004.
Dans leur mémoire en réplique, les consorts (AB) contestent le moyen d’irrecevabilité invoqué par la partie étatique en relevant que le courrier du 3 décembre 2019 contiendrait les noms de Madame (B) et de Monsieur (A), tout en relevant qu’aucune disposition de la loi du 19 juillet 2004 n’obligerait les réclamants à signer en personne leurs réclamations. A titre subsidiaire, ils font remarquer que Monsieur (A) aurait valablement pu engager son épouse en ayant mandat de signer pour elle, ce d’autant plus que le courrier du 3 décembre 2019 mentionnerait clairement Madame (B).
Analyse du tribunal Il y a lieu de relever que la procédure d’élaboration d’un PAG est régie par les articles 10 à 18 de la loi du 19 juillet 2004 figurant au chapitre 3 de ladite loi qui est intitulé :
« Procédure d’adoption du plan d’aménagement général ». Quant à la question plus précise de la participation du public à l’élaboration d’un PAG et des réclamations susceptibles d’être introduites au cours de la phase de l’élaboration d’un PAG, les articles 13 et 16 de ladite loi prévoient respectivement que :
« Dans le délai de trente jours de la publication du dépôt du projet dans les quatre quotidiens imprimés et publiés au Grand-Duché de Luxembourg, les observations et objections contre le projet doivent être présentées par écrit au collège des bourgmestre et échevins sous peine de forclusion.
Au cas où une ou plusieurs observations écrites ont été présentées dans le délai, le collège des bourgmestre et échevins convoque les réclamants qui peuvent, en vue de l’aplanissement des différends, présenter leurs observations. » et que :
« Les réclamations contre le vote du conseil communal introduites par les personnes ayant réclamé contre le projet d’aménagement général conformément à l’article 13 doivent être adressées au ministre dans les quinze jours suivant la notification prévue à l’article qui précède, sous peine de forclusion.
Les réclamations dirigées contre les modifications apportées au projet par le conseil communal doivent être adressées au ministre dans les quinze jours de l’affichage prévu à l’article qui précède, sous peine de forclusion.
Sont recevables les réclamations des personnes ayant introduit leurs observations et objections conformément à l’article 13 et les réclamations dirigées contre les modifications 7 apportées au projet par le conseil communal lors du vote. ».
Ainsi, les articles 13 et 16 précités prévoient à deux stades différents de l’élaboration d’un PAG la possibilité d’introduire une réclamation, à savoir, premièrement, dans les trente jours qui suivent le vote du conseil communal mettant sur orbite le projet d’aménagement général, étant relevé que dans cette hypothèse, les observations et objections contre le projet doivent être présentées par écrit au collège échevinal sous peine de forclusion, et, deuxièmement, dans les quinze jours suivant la notification du vote portant adoption du projet aux intéressés par lettre recommandée avec avis de réception. Dans cette deuxième hypothèse, les réclamations contre le vote du conseil communal doivent être adressées au ministre de l’Intérieur sous peine de forclusion. La notion de forclusion est à comprendre dans le sens que passés les délais prescrits tant à l’article 13 qu’à l’article 16, plus aucune réclamation n’est recevable3.
La raison de la forclusion de toute réclamation postérieure aux délais prescrits aux articles 13 et 16 précités ressort de l’économie même de la procédure d’adoption d’un PAG, tel que souligné par l’exposé des motifs du projet de loi du 19 juillet 2004 dans les termes suivants : « La procédure d’adoption des projets d’aménagement, tant général que particulier, de même que les procédures de remembrement urbain et de rectification de limites de terrains ont été révisées dans le triple but :
• de les simplifier dans la mesure du possible ;
• de les harmoniser en ce qui concerne les étapes à suivre et les délais ;
• de les préciser afin d’effacer les incertitudes existantes.
[…] Cette démarche s’inscrit parfaitement dans le cadre de la réforme administrative et a pour objectif de garantir un déroulement plus efficient et plus transparent de procédures en faveur des administrés.
[…] Plusieurs délais ont été introduits dans la procédure d’adoption des projets d’aménagement afin de garantir le traitement des dossiers dans des délais raisonnables. Il a dans ce contexte été veillé à introduire à tous les stades de la procédure des délais réalistes permettant aux administrations qui interviennent dans la procédure d’instruire sérieusement les dossiers. »4.
En d’autres termes, la procédure d’adoption d’un PAG a été mise en place en vue d’aplanir les différends au fur et à mesure des différentes étapes de la phase non contentieuse, cette procédure permettant, en effet, aux personnes intéressées de faire valoir leurs points de vue, leurs argumentaires et ce, en dehors de tout procès. S’agissant d’une phase précontentieuse, les différents acteurs s’efforcent de trouver une solution aux réclamations introduites en ayant pour objectif d’éviter un allongement des procédures, allongement qui 3 V. en ce sens, p.ex. : trib. adm. 30 janvier 2018, n° 38822 du rôle et trib. adm., 1er juillet 2021, n° 43870 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu ; voir aussi les travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 19 juillet 2004 :
Doc. parl. N° 44863, Chambre des Députés, Session ordinaire 2002-2003 et Doc. parl. N° 4486, Chambre des Députés, Session ordinaire 1998-1999, p. 28 et 29.
4 Ibid., p. 7.serait inévitable si chaque réclamation devait faire l’objet d’une procédure contentieuse. La Cour administrative a d’ailleurs insisté sur le fait que « la procédure d’adoption et d’approbation d’un PAG, également et surtout dans le contexte de la refonte des PAG, telle que voulue par la loi du 19 juillet 2004, s’effectue en quelque sorte de manière pyramidale en ce sens qu’un aplanissement des difficultés est à rechercher d’après le vœu de la loi, notamment en application des articles 10 et suivants de la loi du 19 juillet 2004, de sorte à ce que tour à tour les difficultés restantes soient éliminées, d’abord au niveau précontentieux, puis au niveau contentieux.
Cet objectif de la loi reste d’autant plus vrai chaque fois qu’en raison d’un premier tour effectué au niveau contentieux et en raison d’une annulation, totale ou partielle, des délibérations communales portant adoption du PAG ou, voire aussi de la décision ministérielle d’approbation subséquente, le dossier revient devant le conseil communal en prosécution de cause. »5. Eu égard à la procédure non contentieuse d’adoption et d’approbation des plans d’aménagement, instaurée par la loi, tendant à voir disparaître, au fur et à mesure de la procédure d’aplanissement des différends, les objections et réclamations solutionnées, le recours introduit devant le juge administratif contre un projet d’aménagement général communal n’est recevable qu’à condition de l’épuisement de ladite procédure non contentieuse de réclamation6.
En l’espèce, il y a tout d’abord lieu de constater qu’il est constant en cause, pour se dégager notamment de l’extrait cadastral versé par la partie étatique, que Monsieur (A) et son épouse, Madame (B) sont copropriétaires indivis de la parcelle (P1). Le tribunal relève ensuite que si certes le courrier du 3 décembre 2019 adressé au collège échevinal ne porte que la seule signature de Monsieur (A) apposée directement en dessous de son nom, il n’en reste pas moins qu’outre le fait que le courrier en question a été rédigé exclusivement au pluriel au nom des deux époux, il mentionne clairement comme expéditeurs tant Monsieur (A) que son épouse, Madame (B), dont les deux noms sont également repris à la dernière page dudit courrier.
Au vu de ces éléments, le tribunal arrive à la conclusion que les objections et observations contenues dans le courrier du 3 décembre 2019 ont été valablement présentées aussi bien par Monsieur (A) que par Madame (B), de sorte que les développements relatifs à l’irrecevabilité omisso medio du volet du recours sous examen, visant les décisions du conseil communal et du ministre de l’Intérieur des 29 juin 2021 et 9 juin 2022, en ce qu’il a été introduit par Madame (B) sont à rejeter pour ne pas être fondés.
1.2. Quant à la recevabilité du recours visant la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 portant adoption du projet d’aménagement général Arguments des parties La partie étatique soulève l’irrecevabilité du volet du recours dirigé contre la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 portant adoption du projet d’aménagement 5 Cour adm. 8 mars 2018, n° 40408C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Urbanisme, n° 429 et les autres références y citées.
6 V. en ce sens : Cour adm. 12 décembre 1998, n° 10510C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Urbanisme, n° 396 et les autres références y citées.général au motif que, par le biais de sa décision du 9 juin 2022, le ministre de l’Intérieur avait refusé partiellement d’approuver ladite délibération ce qui aurait eu pour conséquence que la délibération du conseil communal aurait disparu de l’ordonnancement juridique. Elle s’appuie, dans ce contexte, sur un jugement du tribunal administratif du 25 juin 2002 inscrit sous le numéro 14171 du rôle.
Dans leur mémoire en réplique, les consorts (AB) réfutent ce moyen d’irrecevabilité pour manquer de fondement en insistant sur le fait qu’ils seraient recevables à voir contrôler la légalité de la délibération en question puisqu’elle leur causerait grief en ce qu’elle porterait reclassement de leur parcelle en zone [REC-6].
Dans son mémoire en duplique, la partie étatique maintient son moyen d’irrecevabilité en insistant sur le fait qu’à travers le refus d’approbation du classement du terrain des consorts (AB) en zone destinée à être urbanisée, le ministre de l’Intérieur aurait « improuv[é] » la décision de l’autorité communale qui, de ce fait, ne deviendrait « pas nulle ou annulable », mais disparaîtrait. Il s’ensuivrait que le classement de la parcelle des consorts (AB) en zone [REC-6] aurait également cessé d’exister légalement pour avoir « disparu suite au refus d’approbation partiel du ministre de l’Intérieur ». Elle s’appuie encore sur un jugement du tribunal administratif du 5 mai 2003, inscrit sous le numéro 15512 du rôle et un arrêt de la Cour administrative du 16 novembre 2000, inscrit sous le numéro 11878C du rôle pour souligner qu’un refus d’approbation, qu’il soit total ou partiel, constituerait une exception au principe de l’effet rétroactif de l’approbation tutélaire. Elle en conclut qu’au vu de ces considérations, le recours des consorts (AB) à l’encontre de la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 n’aurait plus aucun objet.
Analyse du tribunal Le tribunal est amené à relever que, suivant les jurisprudences invoquées par la partie étatique elle-même, ce n’est qu’au cas où l’autorité de tutelle refuse purement et simplement l’approbation d’une délibération communale ayant adopté définitivement un projet d’aménagement que l’acte à approuver doit être considéré comme non avenu. Or, en l’espèce, le ministre de l’Intérieur n’a pas opposé un refus complet à la délibération du conseil communal portant adoption du projet d’aménagement général, mais il a uniquement refusé d’approuver ponctuellement certaines extensions projetées de la zone destinée à être urbanisée, tout en ayant, pour le surplus, d’une part, statué sur les réclamations dirigées contre la délibération du conseil communal du 29 juin 2021, dont certaines ont été accueillies favorablement et d’autres non, et, d’autre part, partiellement approuvé la délibération en cause.
C’est dès lors à tort que la partie étatique soutient, en se basant sur les jugements et arrêt, précités, que la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 aurait « disparu » de l’ordonnancement juridique à la suite de la décision du ministre de l’Intérieur du 9 juin 2022 n’ayant approuvé celle-ci que partiellement et que, de ce fait, le volet du recours dirigé contre celle-ci serait à déclarer irrecevable.
Le moyen d’irrecevabilité tel qu’invoqué est dès lors à rejeter pour manquer de fondement.
1.3. Quant à la recevabilité du recours dirigé contre la délibération du conseil communal portant adoption du projet de PAG et contre la décision du ministre de l’Intérieur approuvant partiellement cette délibération pour le surplus 10 A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours en annulation en ce qu’il a été dirigé par les consorts (AB) contre la décision du conseil communal portant adoption du projet d’aménagement général et contre la décision ministérielle portant approbation partielle de ladite délibération est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
2. Quant à la recevabilité du recours en ce qu’il vise la décision du conseil communal du 29 juin 2021 portant adoption du PAP QE Arguments des parties La partie étatique conclut à l’irrecevabilité de ce volet du recours au motif que les parties requérantes ne demanderaient pas l’annulation de la décision ministérielle d’approbation du PAP QE « mais uniquement celle en lien avec le PAG ». Elle se réfère, à cet égard, à une jurisprudence des juridictions administratives ayant retenu que si le recours contre la seule décision d’approbation d’un acte soumis à tutelle était en principe valable, tel ne serait pas le cas d’un recours « contre la seule décision de l’autorité soumise à tutelle qui, à défaut et avant l’approbation, n’est pas susceptible de faire grief ».
Dans leur mémoire en réplique, les consorts (AB) n’ont pas pris position par rapport à ce moyen d’irrecevabilité leur opposé.
A l’audience des plaidoiries, le tribunal a encore soulevé la question de l’irrecevabilité omisso medio de ce volet du recours en ce qu’il ne se dégagerait pas des pièces lui soumises que des objections contre le projet de PAP QE avaient été préalablement adressées au collège échevinal par les parties requérantes.
Le litismandataire des parties requérantes a confirmé qu’aucune objection n’avait été dirigée par elles à l’encontre du projet de PAP QE.
Analyse du tribunal Le tribunal se doit à cet égard de relever qu’il est de jurisprudence constante qu’un acte soumis à tutelle d’approbation est juridiquement valable, mais son exécution est soumise à la condition suspensive de l’approbation, étant encore précisé qu’en matière de tutelle administrative, la décision d’approbation de l’autorité tutélaire et l’acte approuvé constituent à la base deux actes juridiques distincts. Il s’ensuit qu’avant l’approbation, l’acte soumis à tutelle n’est pas susceptible de recours, en ce qu’il ne fait pas encore grief, tandis que l’acte approuvé constitue une décision administrative susceptible de recours7.
Un administré peut dès lors valablement introduire son recours à l’encontre de la seule délibération du conseil communal portant adoption d’un projet de PAP QE sous réserve qu’au moment de l’introduction du recours contentieux, celle-ci ait été approuvée par l’autorité de tutelle, à défaut de quoi ladite délibération n’est, en effet, pas susceptible de faire grief. Dans la mesure où il se dégage des développements de la partie étatique elle-même que l’acte d’approbation tutélaire de la délibération du conseil communal portant adoption du projet de 7 Trib. adm., 27 mars 2017, nos 37536 et 37538 du rôle, c. par Cour adm., 24 octobre 2017, nos 39457C, 39518C, 39474C et 39517C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Tutelle administrative, n° 29 et les autres références y citées.PAP QE est intervenu le 9 juin 2022, donc antérieurement au dépôt du recours sous analyse, le moyen d’irrecevabilité invoqué par la partie étatique est à rejeter pour manquer de fondement.
Pour ce qui est de la question d’une éventuelle irrecevabilité omisso medio de ce volet du recours, le tribunal relève qu’à travers l’article 30 de la loi du 19 juillet 2004, le législateur a organisé une procédure précontentieuse de réclamation comprenant, à la différence de celle applicable en matière de PAG, une seule étape. Ainsi, l’article 30, alinéas 5 et 6 de ladite loi du 19 juillet 2004 prévoit que le projet d’aménagement particulier fait l’objet d’une publication, comprenant, notamment, le dépôt du projet pendant trente jours à la maison communale où le public peut en prendre connaissance, ainsi que des mesures de publicité de ce dépôt. L’alinéa 8 de l’article 30, précité, de la loi du 19 juillet 2004 prévoit que « Dans le délai de trente jours de la publication du dépôt du projet dans les quatre quotidiens publiés et imprimés au Grand-Duché de Luxembourg, les observations et objections contre le projet doivent, sous peine de forclusion, être présentées par écrit au collège des bourgmestre et échevins par les personnes intéressées. », tandis que l’alinéa suivant de la même disposition légale précise que le projet est ensuite soumis par le collège échevinal, avec, notamment, les observations et les objections, au vote du conseil communal, régi par les alinéas 10 et 11 dudit article 308. La décision du conseil communal portant adoption du projet d’aménagement particulier est, par la suite, soumise au ministre pour approbation, en vertu de l’alinéa 12 de l’article 30, précité, de la loi du 19 juillet 2004.
Aux termes d’une jurisprudence des juridictions administratives devenue constante, le recours introduit devant le juge administratif contre un PAP n’est recevable qu’à condition de l’épuisement de la procédure non contentieuse de réclamation ainsi mise en place par l’article 30 de cette même loi, impliquant en particulier que l’omission d’emprunter la voie de la réclamation à adresser au collège échevinal à l’encontre du projet d’aménagement particulier entraîne l’irrecevabilité omisso medio du recours devant le juge administratif9.
En l’espèce, le tribunal relève qu’aucun courrier contenant des observations ou objections soumises au collège échevinal dans le cadre de la procédure précontentieuse, autre que celui, prémentionné, des consorts (AB) daté du 3 décembre 2019, n’a été versé en cause.
Or, ce dernier courrier vise uniquement, tant suivant l’objet y indiqué que suivant son contenu, à soumettre des objections et observations en relation avec « le projet de refonte du plan d’aménagement général », sans contenir la moindre objection ou observation en relation avec le projet de PAP QE. Il s’ensuit que le volet du recours visant la délibération du conseil communal portant adoption du projet de PAP QE est à déclarer irrecevable omisso medio.
V. Quant au fond Le tribunal est tout d’abord amené à relever qu’il n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les demandeurs, mais il détient la faculté de les toiser suivant une bonne 8 Art. 30, al. 10 et 11 de la loi du 19 juillet 2004 : « Le conseil communal décide de la recevabilité en la forme et quant au fond des observations et objections présentées au collège des bourgmestre et échevins et peut, soit adopter le projet d’aménagement particulier dans sa présentation originale, soit y apporter des modifications répondant à l’avis de la cellule d’évaluation et aux observations et objections, soit rejeter le projet. Dans ce dernier cas, le dossier est clôturé. Si le conseil communal souhaite apporter au projet des modifications nouvelles autres que celles visées à l’alinéa précédent, il doit recommencer la procédure prévue aux alinéas 1 et suivants. ».
9 P. ex. : trib. adm. 10 juillet 2014, n° 32627 du rôle, confirmé par Cour adm. 4 juin 2015, n° 35035C du rôle, Pas.
adm. 2023, V° Urbanisme, n° 838 et les autres références y citées.administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
Dans la mesure où le ministre de l’Intérieur a partiellement approuvé la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 portant adoption du projet d’aménagement général, en refusant plus particulièrement d’approuver un certain nombre d’extensions de la zone destinée à être urbanisée, dont la modification de la zone verte telle que décidée par l’autorité communale à l’endroit de la parcelle des consorts (AB), il y a lieu de se prononcer tout d’abord sur la légalité de la décision ministérielle du 9 juin 2022 portant approbation partielle de la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 et dont découle le classement de la parcelle des parties demanderesses, tel que figurant dans le PAG actuellement en vigueur.
1. Quant au volet du recours dirigé contre la décision ministérielle portant approbation partielle de la délibération du conseil communal portant adoption du projet d’aménagement général A l’appui de ce volet du recours, les consorts (AB) invoquent (i) la violation du principe de l’autonomie communale, (ii) la violation du principe d’égalité de traitement et du principe de cohérence et (iii) la violation du principe de proportionnalité, de l’article 11bis de la Constitution, dans sa version applicable en l’espèce, et de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004.
1.1. Quant au moyen tenant à la violation par la décision ministérielle du principe de l’autonomie communale Arguments des parties Pour sous-tendre ce moyen, les parties demanderesses, après avoir cité les dispositions de l’article 107 de la Constitution, dans sa version applicable en l’espèce, ainsi qu’un arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 décembre 2017, inscrit sous le numéro 131/17, font valoir que comme le principe de l’autonomie communale s’imposerait en matière d’aménagement communal et de développement urbain, l’autonomie d’une commune serait la règle, tandis que la soumission au contrôle de l’autorité supérieure serait l’exception.
Or, en l’espèce, il devrait être admis qu’en décidant de reclasser leur parcelle en zone [REC-6] et donc de la sortir de la zone verte, l’administration communale aurait indéniablement marqué sa volonté de classer celle-ci en zone constructible puisque la zone [REC-6] serait, suivant le règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement général d’une commune, ci-après désigné par le « règlement grand-ducal du 8 mars 2017 », une zone urbanisée ou destinée à être urbanisée. Le reclassement ainsi décidé s’inscrirait, par ailleurs, dans une démarche instituée de longue date puisque, depuis 2007, la commune aurait manifesté sa volonté de renforcer et de pérenniser une situation existante, notamment par le raccordement « de ce hameau » à des infrastructures. A cela s’ajouterait que les maisons ainsi que les exploitations composant le hameau en question, telles que la marbrerie et la ferme, auraient déjà été construites depuis très longtemps.
La décision de l’administration communale viserait dès lors à garantir la durabilité des constructions d’ores et déjà érigées sur leur parcelle. Or, l’importance de garantir une telle durabilité aurait d’ailleurs été récemment reconnue par la Cour administrative comme étant essentielle « s’agissant même d’une application de l’article 11bis de la Constitution ».
Les parties demanderesses ajoutent qu’en application du principe de l’autonomiecommunale, une telle décision de politique urbanistique relèverait de la marge d’appréciation de l’autorité communale, tandis que, parallèlement, les pouvoirs de l’autorité de tutelle seraient plus restreints pour se limiter à un contrôle de conformité à la loi et à l’intérêt général, ce qui impliquerait que seules les délibérations du conseil communal qui seraient contraires à la loi et à l’intérêt général seraient susceptibles d’être rejetées par le ministre de l’Intérieur. Or, si en l’espèce, la décision ministérielle de reclasser leur parcelle en zone verte serait motivée par le fait (i) que la parcelle en question constituerait un îlot déconnecté du reste du tissu urbain existant, ce qui impliquerait que son classement en zone d’habitation permettrait d’ériger de nouvelles constructions, situation qui renforcerait encore davantage « cette situation » et (ii) qu’il serait légitime pour les autorités communales de donner la priorité à des terrains faisant partie du tissu urbain existant, plutôt qu’aux parcelles situées en dehors de celui -ci, les parties demanderesses sont d’avis que cette argumentation tomberait à faux.
En effet, elles contestent que leur parcelle ferait partie d’un îlot déconnecté du reste du tissu urbain existant en faisant valoir que des travaux y auraient été réalisés et que le lieu-dit « … » disposerait d’un trottoir, d’un arrêt de transport et d’un éclairage publics. Elles estiment que le fait même qu’elles ne demanderaient pas que l’intégralité de la zone soit classée en zone [HAB-1] mais uniquement les parties bâties de leur parcelle, c’est-à-dire les bâtiments de leur maison d’habitation, démontrerait à suffisance que leur but ne serait pas de permettre à des promoteurs de se saisir des terrains aux alentours afin d’urbaniser une partie de la Ville de Differdange, mais uniquement de leur permettre d’effectuer des travaux de rénovation, de transformation ou d’adaptation sur leur bâtisse, sans contraintes excessives telles que se retrouvant dans la zone verte en raison de la rigidité des dispositifs prévus par la loi du 18 juillet 2018.
Au vu de toutes les considérations qui précèdent, il devrait être conclu que le ministre de l’Intérieur aurait méconnu le principe constitutionnel de l’autonomie communale en outrepassant son pouvoir de tutelle en la matière et la décision litigieuse serait à annuler de ce fait.
Dans leur mémoire en réplique, les parties demanderesses, tout en admettant que le ministre de l’Intérieur était tenu de veiller à ce que les décisions de l’autorité communale ne violent aucune règle de droit, insistent toutefois sur le fait qu’il ne devrait pas contrecarrer ces dernières sans motif valable. Or, le reclassement en zone verte tel qu’opéré en l’espèce par le ministre de l’Intérieur, alors que la commune elle-même avait décidé de classer leur parcelle en zone [REC-6] ne respecterait pas les prescriptions de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004.
Elles reprochent, dans ce contexte, à l’autorité de tutelle de n’avoir fait que substituer sa vision et son appréciation de l’intérêt général communal à l’appréciation communale sur ce point. Or, face à deux visions qui s’opposent et compte tenu du fait que l’autorité communale devrait en principe disposer d’une marge d’appréciation plus large, il devrait être admis qu’en prenant la décision actuellement litigieuse, le ministre de l’Intérieur aurait dépassé sa marge d’appréciation. Comme l’autorité communale n’aurait enfreint aucune règle de droit en classant leur parcelle dans une zone [REC-6], le ministre de l’Intérieur ne pourrait se retrancher derrière aucun motif légal pour annuler le classement en question et la réintégrer dans la zone verte.
Les parties demanderesses ajoutent que le classement de leur parcelle en zone [REC -6], voire de préférence en zone d’habitation, ne porterait de toute façon pas atteinte à l’intérêt général puisque les dispositions urbanistiques applicables dans cette zone ne leur auraient permis que d’effectuer des travaux de réfection, d’entretien et d’amélioration de l’habitat sur les constructions existantes, des extensions de faible envergure et des aménagements de faibleenvergure en relation directe avec les destinations de la zone. Par ailleurs, aucune construction hormis celles existantes n’aurait été admise et les affectations admissibles dans cette zone auraient été limitativement énumérées, respectivement tout changement d’affectation sans relation directe avec la zone aurait été interdit.
Les parties demanderesses mettent encore en avant le nombre croissant de litiges relatifs aux constructions existantes en zone verte depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 et ce en raison du caractère restrictif de celle-ci du point de vue du droit de construire, tout en s’interrogeant pour quelle raison il serait dans l’intérêt général de reclasser en zone verte un hameau historique alors même qu’un tel reclassement ne ferait que générer des conflits à l’avenir pour tous travaux à réaliser sur les bâtiments existants.
Enfin, elles insistent sur le caractère incertain et temporaire de l’activité agricole en raison duquel elles souhaiteraient voir classer leur maison d’habitation en zone [HAB-1], « afin de bénéficier de ce statut si jamais leur activité venait à disparaitre ».
La partie étatique conclut, quant à elle, au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé, tandis que la partie communale s’en rapporte à la sagesse du tribunal en ce qui concerne la légalité de la décision ministérielle du 9 juin 2022 en soulignant qu’il n’appartiendrait pas à l’administration communale de défendre la décision ministérielle litigieuse, ce d’autant plus que cette dernière n’aurait pas approuvé le choix politique communal.
Analyse du tribunal Il y a, tout d’abord, lieu de relever que les autorités communales lorsqu’elles initient des modifications de leurs plans d’aménagement doivent être mues par des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations et d’ordre politique tirées de l’organisation de la vie en commun sur le territoire donné, tendant les unes et les autres à une finalité d’intérêt général et, dans ce contexte, lesdites autorités doivent veiller tant à la conservation de l’esthétique urbaine qu’au développement rationnel des agglomérations. Quant aux objectifs devant guider les autorités communales, lorsqu’elles initient une refonte de leur PAG, il y a lieu de se référer à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, aux termes duquel :
« Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par :
(a) une utilisation rationnelle du sol et de l’espace tant urbain que rural en garantissant la complémentarité entre les objectifs économiques, écologiques et sociaux ;
(b) un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, y compris les réseaux de communication et d’approvisionnement compte tenu des spécificités respectives de ces structures, et en exécution des objectifs de l’aménagement général du territoire ;
(c) une utilisation rationnelle de l’énergie, des économies d’énergie et une utilisation des énergies renouvelables;
(d) le développement, dans le cadre des structures urbaines et rurales, d’une mixité et d’une densification permettant d’améliorer à la fois la qualité de vie de la population et la qualité urbanistique des localités;
15 (e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-
dessus;
(f) la garantie de la sécurité, la salubrité et l’hygiène publiques. ».
L’article 6 de la loi du 19 juillet 2004 prévoit quant à lui que « Le plan d’aménagement général a pour objectif la répartition et l’implantation judicieuse des activités humaines dans les diverses zones qu’il arrête aux fins de garantir le développement durable de la commune sur base des objectifs définis par l’article 2 de la loi. ».
Au vu du principe de l’autonomie communale, tel qu’inscrit notamment à l’article 107 de la Constitution, dans sa version applicable au présent litige, et à la Charte européenne de l’autonomie locale faite à Strasbourg, le 15 octobre 1985, approuvée par la loi du 18 mars 1987, les communes sont non seulement compétentes, mais également responsables de l’aménagement et du développement de leurs territoires respectifs et bénéficient d’un droit d’appréciation très étendu en la matière10. Tel n’est pas le cas du ministre de l’Intérieur sous l’approbation duquel l’autorité communale exerce ses compétences. En effet, en matière de PAG, ledit ministre doit se limiter, en tant qu’autorité de tutelle, à veiller à ce que les décisions de l’autorité communale ne violent aucune règle de droit et ne heurtent pas l’intérêt général11, son droit d’approuver la décision du conseil communal ayant comme corollaire celui de ne pas l’approuver12.
Le tribunal se doit ensuite de constater que si par le biais de sa délibération du 29 juin 2021, le conseil communal a certes adopté le projet d’aménagement général sur base de l’article 14, alinéa 2 de la loi du 19 juillet 2004, il n’en reste pas moins que ce vote constitue un acte réglementaire préparatoire et intérimaire ayant nécessité, conformément à l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004, l’approbation définitive de l’autorité de tutelle pour prendre la désignation de PAG.
Or, en vertu dudit article 18, « [a]vant de statuer [à lire : sur l’approbation définitive du projet d’aménagement général], le ministre vérifie la conformité et la compatibilité du projet de plan d’aménagement général avec les dispositions de la loi, et notamment avec les objectifs énoncés à l’article 2, avec ses règlements d’exécution ainsi qu’avec les plans rendus obligatoires en vertu de la loi précitée du 17 avril 2018 et avec les objectifs énoncés à l’article 1er de la prédite loi ».
Conformément à l’article 18, précité, de la loi du 19 juillet 2004, avant d’approuver ou non la décision du conseil communal portant adoption du projet d’aménagement général, il appartient dès lors au ministre de l’Intérieur, en tant qu’autorité de tutelle, de vérifier la conformité et la compatibilité du projet d’aménagement général avec les dispositions de la loi du 19 juillet 2004 et notamment avec les objectifs énoncés à l’article 2 de celle-ci, énumérés ci-avant.
10 Trib. adm., 28 octobre 2020, n° 42189 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Tutelle administrative, n° 37, c. par Cour adm., 1er avril 2021, n° 45328C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
11 Trib. adm., 25 juin 2008, n° 22066 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Tutelle administrative, n° 69 et les autres références y citées.
12 En ce sens : Cour adm., 31 janvier 2008, n° 23478C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Tutelle administrative, n° 68 et les autres références y citées.Il est certes vrai que la tutelle n’autorise pas, en principe, l’autorité supérieure à s’immiscer dans la gestion du service décentralisé et à substituer sa propre décision à celles des agents du service, ce principe découlant de la nature même de la tutelle qui est une action exercée par un pouvoir sur un autre pouvoir, non pas en vue de se substituer à lui, mais dans le seul but de se maintenir dans les limites de la légalité et d’assurer la conformité de son action avec les exigences de l’intérêt général13.
Il est également vrai que le rôle de l’autorité de tutelle consiste dès lors à vérifier, non pas que chaque décision soit prise exclusivement dans le seul intérêt général, mais que la décision ne soit pas contraire à l’intérêt général14.
En l’espèce, il se dégage de la décision ministérielle du 9 juin 2022 que le ministre de l’Intérieur n’a approuvé que partiellement la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 portant adoption du projet d’aménagement général, et a fortiori également déclaré non fondée la réclamation des parties demanderesses visant à voir intégrer leur parcelle en zone d’habitation, en estimant que l’extension de la zone destinée à être urbanisée sur certains sites, dont la parcelle des parties demanderesses, était contraire à la législation applicable, tout en justifiant sa position, pour ce qui est plus particulièrement de la parcelle des parties demanderesses, sur base de la considération qu’elle constituerait, tout comme les parcelles environnantes sises aux lieux-dits « … » et « … » accueillant elles-aussi des constructions, un îlot déconnecté du reste du tissu urbain existant et dont le classement en zone constructible permettrait d’y ériger de nouvelles constructions, ce qui renforcerait encore davantage cette situation d’îlot déconnecté.
Le tribunal se doit de constater que la décision ministérielle querellée est fondée, tel que cela se dégage de son libellé, ensemble les compléments de motivation apportés par la partie étatique au cours de la procédure contentieuse, sur des considérations d’ordre urbanistique et plus particulièrement sur le souci d’éviter un développement désordonné du tissu urbain existant de la Ville de Differdange qui serait contraire aux objectifs d’intérêt général énoncés à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004.
En l’espèce, il est constant en cause que sous l’ancien PAG, la parcelle litigieuse, qui accueille, suivant les explications des parties demanderesses, une maison d’habitation était classée en zone verte. Il se dégage ensuite de la partie graphique du PAG fournie par la partie étatique que la maison d’habitation située sur la parcelle des parties demanderesses constitue, ensemble avec la maison d’habitation sise plus à l’ouest de celle-ci sur la parcelle cadastrale no (P8) et la maison d’habitation sise plus au sud-ouest sur la parcelle cadastrale (P9), un petit groupe de maisons, communément appelé hameau, situé à l’écart du périmètre d’agglomération de la Ville de Differdange aux lieux-dits « … » et « … ». Or, à l’évidence, la parcelle accueillant la maison d’habitation litigieuse des parties demanderesses constitue, tout comme les parcelles accueillant les autres maisons d’habitation sises aux lieux-dits « … » et « … », un îlot largement déconnecté par rapport au restant de la Ville de Differdange et cette situation particulière, bien qu’il ne soit pas contesté qu’elle existe de longue date ni que ledit hameau est raccordé à des infrastructures publiques, n’est a priori pas de nature à justifier son intégration dans le tissu urbanisé via son classement dans une zone de sports et de loisirs, tel que préconisé par l’autorité communale, et encore moins via son classement en zone d’habitation, tel que sollicité par les parties demanderesses. En effet, si l’intérêt des consorts (AB) de voir intégrer la partie de la 13 Idem.
14 Ibidem.parcelle accueillant la maison d’habitation en zone constructible est manifeste en ce que la maison échapperait aux dispositions restrictives de la loi du 18 juillet 2018 visant les constructions existantes en zone verte notamment pour effectuer sur celles-ci des travaux de rénovation, de transformation ou d’adaptation et si l’autorité communale visait à travers le classement de la parcelle en cause en zone destinée à être urbanisée à régulariser une situation existante problématique en zone verte, il n’en reste pas moins qu’au vu de sa localisation déconnectée par rapport au restant du périmètre d’agglomération de la Ville de Differdange, l’inclusion de la parcelle litigieuse en zone destinée à être urbanisée, que ce soit par son classement dans une zone de sports et de loisirs ou en zone d’habitation serait contraire notamment aux objectifs d’intérêt général d’une utilisation rationnelle du sol et d’un développement harmonieux des structures urbaines, tels que prévus à l’article 2, points a) et b) de la loi du 19 juillet 2004, l’intégration de la parcelle litigieuse en zone constructible et son éventuelle urbanisation future risquant, en effet, de conduire à un développement désordonné de la Ville de Differdange.
Au vu de ces considérations et dans la mesure où, tel que relevé ci-avant, en matière de PAG, le rôle de l’autorité de tutelle consiste à veiller à ce que les décisions de l’autorité communale ne violent aucune règle de droit et ne heurtent pas l’intérêt général, il n’apparaît pas dans quelle mesure, le ministre de l’Intérieur aurait, en l’espèce, outrepassé son pouvoir de tutelle en décidant de n’approuver que partiellement la délibération du conseil communal du 29 juin 2021, en refusant notamment l’inclusion de la parcelle en cause dans la zone destinée à être urbanisée, tout en rejetant a fortiori également la réclamation des parties demanderesses, au motif qu’une telle inclusion serait contraire aux objectifs d’intérêt général inscrits à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004.
Le moyen tenant à une violation du principe de l’autonomie communale, respectivement à un outrepassement par le ministre de l’Intérieur de son pouvoir de tutelle est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
1.2. Quant au moyen tenant à la violation par la décision ministérielle du principe d’égalité de traitement et du principe de cohérence Arguments des parties A l’appui de ce moyen, les parties demanderesses font, en substance, valoir qu’alors même que leur parcelle se trouverait dans une situation comparable à celle du site « … », situé sur le territoire de la Ville de Differdange, en ce que « [l]es deux [auraient été] en zone verte sous l’ancien PAG, les deux [auraient été] reclassés par le conseil communal en zone constructible (zone de sports et loisirs), les deux [seraient] bâties et les deux accueille[raie]nt actuellement des activités », le ministre de l’Intérieur aurait décidé de reclasser ce site en zone spéciale, tandis qu’il se serait borné à reclasser leur parcelle en zone verte. Ce faisant, le ministre de l’Intérieur aurait traité différemment deux situations comparables et ce, sans aucune justification.
Dans leur mémoire en réplique, les parties demanderesses dirigent leurs critiques avant tout contre le choix de l’autorité communale de classer la « parcelle (P3) » en zone d’habitation sans avoir tenu compte d’un éventuel risque d’extension du périmètre d’agglomération à cet endroit, alors même que la maison se trouvant sur cette parcelle constituerait une « exclave » de l’agglomération et non un hameau à part entière.
Pour ce qui est de la décision ministérielle litigieuse, elles estiment que l’argumentation étatique suivant laquelle le site « … » serait, contrairement à leur parcelle, rattaché au tissu urbain existant ne serait pas assez solide pour tenir en échec leur argument tenant à une violation du principe d’égalité de traitement, « analysé au niveau de la décision de l’autorité communale ».
La partie étatique conclut au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.
Analyse du tribunal Tel que relevé ci-avant, le tribunal est appelé à se prononcer dans le cadre du présent volet du recours sur la légalité de la seule décision ministérielle du 9 juin 2022 portant approbation partielle de la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 ayant adopté le projet d’aménagement général et non pas sur la légalité de ladite délibération du conseil communal. C’est dès lors sous cet angle de vue que le bien-fondé du moyen sous analyse sera tranché.
S’agissant du moyen afférent au principe d’égalité de traitement, ensemble le principe de cohérence, il y a d’abord lieu de rappeler que le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi, tel qu’inscrit à l’article 10bis de la Constitution, dans sa version applicable au présent litige, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité, et par extension les droits extrapatrimoniaux sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon. Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but15. Pour que le principe d’égalité devant la loi puisse être valablement mis en œuvre, il convient partant de pouvoir dégager deux situations comparables par rapport auxquelles une inégalité de traitement puisse être utilement invoquée.
Le tribunal se doit de relever que les consorts (AB) restent en défaut de soumettre le moindre élément de nature à faire admettre que leur parcelle se trouverait dans une situation comparable à celle du site « … ».
En effet, le seul fait que les deux sites aient été classés sous l’ancien PAG en zone verte et que le site « … » ait, à un premier stade, également été reclassé par l’autorité communale en zone de récréation et de sports avant que le ministre de l’Intérieur ne décide de reclasser ledit site en zone spéciale, et non pas de le maintenir en zone verte, à l’instar de la parcelle des parties demanderesses, n’est, en tout état de cause, pas suffisant pour conclure à un traitement inégalitaire prohibé par l’article 10bis de la Constitution, ce d’autant plus qu’il se dégage de la 15 Trib. adm., 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 9 et les autres références y citées.partie graphique du PAG que le site « … » est, contrairement à la parcelle des parties demanderesses, directement rattaché au tissu urbain existant.
Au vu de ce qui précède, le moyen tenant à une violation du principe d’égalité de traitement, respectivement du principe de cohérence est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
1.3. Quant au moyen tenant à la violation par la décision ministérielle du principe de proportionnalité, de l’article 11bis de la Constitution et de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 Arguments des parties A l’appui de ce moyen, les parties demanderesses se prévalent des dispositions de l’article 11bis de la Constitution, dans sa version applicable au présent litige, et de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 pour insister sur le fait qu’y compris en matière réglementaire, les juridictions administratives seraient appelées non pas seulement à censurer les erreurs manifestes d’appréciation, mais plus généralement tout dépassement de la marge d’appréciation dans le chef des autorités compétentes.
Elles font remarquer qu’en l’espèce, elles auraient exprimé dans leur réclamation clairement leur souhait de ne pas vouloir faire classer l’intégralité des parcelles avoisinantes dans la zone [HAB-1] mais uniquement la partie bâtie de celles-ci afin d’effectuer des modifications plus facilement sur lesdits bâtiments, de telles modifications étant rendues plus complexes et restreintes par un classement en zone verte ou en zone [REC-6].
De son côté, le ministre de l’Intérieur, en employant des mots tels que « îlots déconnectés » et « terrains isolés », aurait affiché sa volonté de ne pas prendre en compte toutes les parties du territoire communal et ce, contrairement à l’objectif inscrit à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004. A cela s’ajouterait que parmi les objectifs de l’aménagement communal se retrouverait également en filigrane le principe de proportionnalité puisque toute commune devrait assurer « des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal ». Or, un tel développement durable nécessiterait la prise en considération des situations historiquement acquises afin d’éviter une détérioration des …, détérioration qui irait non seulement à l’encontre des intérêts des populations concernées, mais également à l’encontre de l’intérêt général puisque le dépérissement des immeubles s’y trouvant ne serait ni dans l’intérêt urbanistique ni dans l’intérêt environnemental ou paysager. Il ne faudrait, dans ce contexte, pas perdre de vue que pour justifier son refus de classer leur parcelle en zone [HAB-1], le ministre de l’Intérieur n’aurait avancé aucun chiffre démontrant qu’un tel classement produirait des effets négatifs tant sur la nature que sur le taux d’urbanisation de la commune.
Au vu de ces considérations, les parties demanderesses sont d’avis que le fait de refuser de classer des bâtiments existants en zone [HAB-1] sous prétexte qu’un tel classement étendrait le tissu urbain ou bien au motif qu’il s’agirait d’un hameau isolé devant rester isolé, ne serait pas constitutif d’une décision proportionnée par rapport aux buts poursuivis.
La partie étatique conclut, quant à elle, au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.
Analyse du tribunal Pour ce qui est de la question de savoir si, en l’espèce, en prenant la décision litigieuse, le ministre de l’Intérieur a commis une erreur d’appréciation, il y a tout d’abord lieu de rappeler que, saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge est dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité16.
Le tribunal relève encore que la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, le juge de l’annulation ne pouvant plus particulièrement prendre en considération ni des éléments de fait, ni des changements législatifs ou réglementaires s’étant produits postérieurement à la prise de la décision ni a fortiori des changements législatifs ou réglementaires simplement annoncés ou projetés, telle que la mise en place d’un nouveau type de zone au niveau du PAG qui ne serait plus soumis aux dispositions de la zone verte, annoncée par le gouvernement lors d’une conférence de presse en juin 2024 visant à présenter les mesures de simplification administrative décidées en vue de faciliter et d’accélérer la réalisation de logements.
C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’analyser les considérations invoquées par le ministre de l’Intérieur pour refuser l’extension du périmètre d’agglomération à l’endroit de la parcelle litigieuse au motif qu’elle serait contraire à un développement concentrique du tissu urbain existant.
Or, tel que relevé ci-avant dans le cadre de l’analyse du bien-fondé du moyen tenant à une prétendue violation, par la décision ministérielle, du principe de l’autonomie communale, au vu de sa localisation déconnectée par rapport au restant du périmètre d’agglomération de la Ville de Differdange, l’inclusion de la parcelle litigieuse en zone destinée à être urbanisée, que ce soit par son classement dans une zone de sports et de loisirs, tel que préconisé par l’autorité communale, ou en zone d’habitation, tel que sollicité par les parties demanderesses, serait contraire notamment aux objectifs d’intérêt général d’une utilisation rationnelle du sol et d’un développement harmonieux des structures urbaines, tels que prévus à l’article 2, points a) et b) de la loi du 19 juillet 2004, l’intégration de la parcelle litigieuse en zone constructible et son éventuelle urbanisation future risquant, en effet, de conduire à un développement désordonné de la Ville de Differdange.
A défaut de s’être vu soumettre dans le cadre du moyen sous analyse des éléments invalidant ce constat, c’est sur base des mêmes considérations qu’il y a lieu de conclure qu’en prenant la décision litigieuse, le ministre de l’Intérieur n’a pas dépassé sa marge d’appréciation, 16 Cour adm., 9 novembre 2010, n° 26886C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 40 et les autres références y citées.mais a agi sur base de considérations légales d’ordre urbanistique tendant à une finalité d’intérêt général.
Cette conclusion ne se trouve pas ébranlée par l’invocation d’une violation du principe de proportionnalité, plus particulièrement sur la toile de fond des exigences de l’article 11bis de la Constitution, aux termes duquel « L’Etat garantit la protection de l’environnement humain et naturel, en œuvrant à l’établissement d’un équilibre durable entre la conservation de la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et la satisfaction des besoins des générations présentes et future. ». En effet, si certes ledit article impose de trouver un équilibre dans l’objectif y visé du développement durable entre les besoins de la protection de la nature, d’un côté, et ceux des générations présentes et futures, notamment en termes de logement, au niveau des constructions existantes, de l’autre côté17, il n’en reste pas moins que la solution préconisée par les parties demanderesses de classer en zone [HAB-1] un îlot entièrement déconnecté du périmètre d’agglomération ne saurait s’analyser comme répondant, en l’espèce, aux exigences découlant de l’article 11bis de la Constitution en termes d’équilibre à trouver.
Il s’ensuit que le moyen sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
2. Quant au volet du recours dirigé contre la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 portant adoption du projet d’aménagement général Arguments des parties A l’appui de ce volet du recours, les parties demanderesses concluent à l’illégalité de la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 pour violation :
- de l’article 21 du règlement grand-ducal du 8 mars 2017, en reprochant à l’administration communale de s’être trompée, d’une part, en créant une zone [REC-6] sans toutefois respecter les prescriptions du règlement grand-ducal du 8 mars 2017 et, d’autre part, en ayant apparemment créé, sans la moindre motivation, une zone spéciale, plutôt qu’une zone [REC-6]. Elles sont, en tout état de cause, d’avis que leur demande de voir classer « la maison d’habitation en zone HAB-1 » aurait été bien plus cohérente, compte tenu du bâtiment existant et de son affectation, les parties demanderesses s’interrogeant, à cet égard, sur la décision qui aurait pu être prise par le ministre de l’Intérieur s’il avait été confronté à un classement cohérent en zone d’habitation d’une simple maison et non à un classement illogique et dénué de sens tel qu’il a été présenté par la commune ;
- du principe de cohérence, respectivement du principe de confiance légitime ;
- du principe d’égalité de traitement devant la loi.
Les parties communale et étatique concluent chacune au rejet des moyens invoqués à l’appui de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Analyse du tribunal Dans la mesure où le tribunal vient de conclure ci-avant qu’aucun dépassement ni de son pouvoir de tutelle ni de sa marge d’appréciation ne saurait être retenu dans le chef du ministre de l’Intérieur pour avoir décidé de n’approuver que partiellement la délibération du 17 Cour adm., 8 juin 2023, n° 48266C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.conseil communal du 29 juin 2021, en refusant notamment l’inclusion de la parcelle en cause dans la zone destinée à être urbanisée, que ce soit par son classement en zone [REC-6], tel que décidé par le conseil communal lors de ladite délibération, ou en zone d’habitation, tel que préconisé par les parties demanderesses, les moyens des parties demanderesses visant à critiquer la légalité de la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 à travers laquelle il avait été décidé de classer leur parcelle en zone [REC-6] sont à rejeter in globo pour manquer de pertinence.
3. Quant à la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure Les parties demanderesses sollicitent la condamnation de l’Etat et de l’administration communale à leur payer solidairement, sinon in solidum une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros, en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine ». Au vu de l’issue du litige, cette demande encourt toutefois le rejet.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en annulation irrecevable omisso medio en ce qu’il vise la délibération du conseil communal du 29 juin 2021 portant adoption du projet de PAP QE ;
reçoit, pour le surplus, le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par les parties demanderesses ;
condamne les parties demanderesses aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 18 novembre 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 23