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04/11/2024 | LUXEMBOURG | N°51464

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 novembre 2024, 51464


Tribunal administratif N° 51464 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51464 2e chambre Inscrit le 8 octobre 2024 Audience publique du 4 novembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51464 du rôle et déposée le 8 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Zohra BELESGAA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo

nsieur (A), déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocain...

Tribunal administratif N° 51464 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51464 2e chambre Inscrit le 8 octobre 2024 Audience publique du 4 novembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51464 du rôle et déposée le 8 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Zohra BELESGAA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocaine, actuellement assigné à résidence à …, sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 25 septembre 2024 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Zohra BELESGAA et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 octobre 2024.

___________________________________________________________________________

Le 30 août 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. A cette occasion, il s’avéra que l’intéressé avait fait l’objet d’un signalement dans le Système d’Information Schengen (SIS) par les autorités allemandes.

Une recherche effectuée à la même date par les autorités luxembourgeoises dans la base de données Eurodac révéla que Monsieur (A) avait auparavant introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 23 janvier 2024.

Le 5 septembre 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de 1 déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

En date du 6 septembre 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Monsieur (A), basée sur l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités allemandes en date du 10 septembre 2024 sur base du même article.

Par arrêté du 18 septembre 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à … pour une durée de trois mois.

Par décision du 25 septembre 2024, le ministre informa Monsieur (A) que le Grand-

Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 30 août 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 30 août 2024 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 5 septembre 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 30 août 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 23 janvier 2024.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 5 septembre 2024.

2 Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 6 septembre 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 10 septembre 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 23 janvier 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d’origine en décembre 2017 à bord d’une embarcation clandestine pour vous rendre en Espagne. Vous seriez resté en Espagne jusqu’en 2023. De là, vous auriez poursuivi votre voyage en bus vers la France. Selon vos dires, vous seriez resté environ un mois en France avant de vous rendre une première fois au Luxembourg. Vous seriez arrivé en octobre 2023 et vous seriez resté jusqu’en janvier 2024 avant de vous rendre pendant cinq ou six mois en Allemagne. Vous déclarez que vous n’auriez pas eu l’intention d’introduire une demande de protection internationale et que vous auriez 3 simplement eu un contrôle de papiers. En date du 20 juin 2024, vous seriez revenu en bus au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 5 septembre 2024, vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l’Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection 4 internationale qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi l’Allemagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 25 septembre 2024.

Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut, tout d’abord, à un défaut de motivation de la décision déférée en violation de l’article 34 (1) de la loi du 18 décembre 2015, selon lequel toute décision négative rendue en matière de protection internationale devrait être motivée en fait et en droit, en arguant que le ministre n’aurait pas pris position par rapport aux faits qu’il aurait exposés à l’appui de sa demande de protection internationale, de sorte qu’il se trouverait dans l’impossibilité de vérifier si le ministre avait correctement apprécié les motifs à la base de celle-ci.

Le demandeur fait ensuite valoir qu’il n’aurait jamais entendu déposer une demande de protection internationale en Allemagne et qu’il n’y aurait pas bénéficié des conditions 5 matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, tout en précisant qu’il aurait vécu dans la rue.

Il fait ensuite plaider qu’un transfert en Allemagne aurait encore comme conséquence pour lui d’être éloigné, « par ricochet », vers son pays d’origine, le Maroc, où il encourrait des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », et de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte ».

Le demandeur s’empare encore d’une violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III et du principe de non-refoulement tel que prévu à l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Il expose, dans ce contexte, avoir découvert son homosexualité à l’âge de 15/16 ans environ, mais qu’il n’aurait pas pu la vivre ouvertement dans son pays d’origine, dans la mesure où celle-ci y serait réprimée par l’article 489 du Code pénal marocain, prévoyant une peine d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans. Il précise encore être actuellement en couple avec Monsieur (B) avec lequel il souhaiterait se marier.

Le demandeur soutient finalement qu’il ne pourrait pas bénéficier des conditions matérielles d’accueil en termes « d’hébergement décent, d’accès aux soins et financiers » en Allemagne, telles que prévues par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), désignée ci-après par « la directive 2013/33/UE », ce d’autant plus (i) que l’Allemagne viendrait de fermer ses frontières, (ii) qu’il serait notoirement connu que ledit pays aurait accueilli en 2023 un tiers des demandeurs de protection internationale par rapport à l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne, et (iii) que l’Allemagne serait actuellement dans une phase critique quant à sa politique migratoire. Ainsi et afin d’éviter une violation de ses droits fondamentaux, tels que protégés par les articles 3 CEDH et 4 Charte, le ministre aurait dû faire preuve de prudence et de diligence et se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale sur base de l’article 17 (1) du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

A titre liminaire, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les parties, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.

En ce qui concerne la légalité externe de la décision litigieuse, et plus particulièrement la prétendue violation de l’article 34 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal relève que ledit article dispose que « […] Toute décision négative est motivée en fait et en droit […] ».

Force est de constater qu’en l’espèce, la décision déférée est, contrairement aux affirmations du demandeur, suffisamment motivée tant en fait qu’en droit, en ce qu’elle indique, en se basant sur les articles 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18 (1) b) du règlement Dublin III, les raisons ayant amené le ministre à prendre la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Allemagne, à savoir 6 le fait que le demandeur a introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 23 janvier 2024 et que l’Allemagne a accepté sa reprise en charge le 10 septembre 2024 sur le fondement de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III. Le ministre a, en outre, relevé que l’Allemagne est partie à la Charte, à la Convention de Genève, à la CEDH et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels ou dégradant, ci-après désignée par « la Convention torture », de même qu’elle est liée par la directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale et par la directive 2013/33/UE, et que de ce fait, elle est présumée respecter notamment l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que les articles 3 de la CEDH et 3 de la Convention torture. Il a encore relevé qu’il n’existe ni de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », ou de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », ni une recommandation du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ci-après désigné par l’« UNHCR », visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne. Le ministre a également exclu l’application de l’article 16 (1) du règlement Dublin III pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de la demande de protection internationale du demandeur. Enfin, il a relevé que le demandeur ne lui a soumis aucun élément humanitaire ou exceptionnel ayant dû l’amener à appliquer l’article 17 (1) du règlement Dublin III, voire d’autres raisons individuelles qui pourraient empêcher sa remise aux autorités allemandes.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que la motivation de la décision déférée suffit à l’exigence de motivation inscrite à l’article 34 (1) de la loi du 18 décembre 2015, étant encore relevé que le demandeur reste en défaut d’expliquer quels « motifs » à la base de sa demande de protection internationale le ministre aurait omis de prendre en compte dans sa motivation.

Il s’ensuit que le moyen afférent du demandeur est rejeté.

En ce qui concerne ensuite la légalité interne de la décision litigieuse, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A), prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: […] b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et 7 qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale qui est toujours en cours d’examen.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait l’Allemagne, en ce que le demandeur y avait déposé une demande de protection internationale qui est toujours en cours d’examen et que les autorités allemandes avaient accepté sa reprise en charge le 10 septembre 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. D’ailleurs, le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Allemagne par application du règlement Dublin III, mais il considère que son transfert vers ledit pays violerait les articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, 33 de la Convention de Genève et 17 (1) du règlement Dublin III.

Le tribunal relève ensuite que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Pour autant qu’à travers ses développements selon lesquels les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale ne seraient pas garanties en Allemagne, le demandeur ait entendu se prévaloir des dispositions de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non expressément invoqué en l’espèce, le tribunal relève qu’aux termes de cet article : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile 8 et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées3.

Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte4.

Dans ce contexte, dans un arrêt du 19 mars 2019, rendue dans l’affaire C-163/17, la CJUE a retenu que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine5, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur le site www.jurad.etat.lu.

3 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

4 CJUE, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.

5 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland., C-163/17, point 92.

9 matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant6.

Etant donné que le demandeur remet en question cette présomption du respect des droits fondamentaux par l’Allemagne, en affirmant risquer des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers ledit pays, il lui appartient de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

En ce qui concerne d’abord la crainte du demandeur de ne pas pouvoir bénéficier des conditions matérielles d’accueil en Allemagne et de s’y retrouver à la rue, il échet de relever qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que celui-ci ne puisse, en cas de retour dans ledit pays, pas bénéficier des conditions matérielles d’accueil, le demandeur restant en défaut de verser la moindre preuve à cet égard, étant encore précisé que le seul fait pour le demandeur d’affirmer qu’il aurait vécu dans la rue lors de son séjour en Allemagne7 n’est pas de nature à prouver qu’il n’aurait pas pu, respectivement qu’il ne pourrait pas bénéficier des conditions matérielles d’accueil dans ledit pays, prévues notamment en termes d’hébergement.

Le demandeur n’a, par ailleurs, fait état d’aucun autre problème particulier qu’il aurait rencontré en Allemagne, ni dans le cadre de son audition devant la police judiciaire le 30 août 2024, ni dans le cadre de son entretien Dublin III le 5 septembre 2024, celui-ci ayant, au contraire, répondu comme suit à la question de savoir quelles seraient pour lui les conséquences d’un transfert vers l’Allemagne : « Je ne voulais pas faire une demande d’asile. Pourquoi y retourner ? Ils sont complexés les Allemands. Je veux rester ici et je ne bougerais pas. »8.

En ce qui concerne plus particulièrement les affirmations du demandeur selon lesquelles il n’aurait pas accès aux conditions matérielles d’accueil en ce que (i) l’Allemagne viendrait de fermer ses frontières, (ii) qu’il serait notoirement connu que ledit pays aurait accueilli en 2023 un tiers des demandeurs de protection internationale par rapport à l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne, et (iii) que l’Allemagne serait actuellement dans une phase critique quant à sa politique migratoire, force est de constater que le tribunal ne s’est pas vu soumettre un quelconque élément de preuve à leur appui, tels que notamment des rapports internationaux, relatif aux difficultés prétendument rencontrées de manière générale par les autorités allemandes dans le traitement des demandes de protection internationale et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile.

Dans ce contexte, il convient encore de préciser que si l’Allemagne procède actuellement à des contrôles à ses frontières pour lutter contre l’immigration illégale, cette circonstance n’est pas de nature à affecter la situation du demandeur, étant donné qu’il fera l’objet d’un transfert dans le cadre du règlement Dublin III suite à l’acceptation explicite de sa reprise en charge par les autorités allemandes sur base de ce règlement.

Dans ces circonstances, le tribunal est amené à retenir que le demandeur est resté en défaut d’établir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil en Allemagne au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III entraînant une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, de sorte que le moyen y afférent est à rejeter.

6 Ibidem, point 93.

7 Page 5 de l’entretien Dublin III.

8 Page 6 de l’entretien Dublin III.

10 Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable9.

Il échet dès lors d’analyser le moyen du demandeur tiré de la violation par le ministre de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte pris isolément.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte10, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant11.

En l’espèce, le demandeur estime qu’en cas de transfert vers l’Allemagne, il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants, dans la mesure où il ne pourrait pas bénéficier des conditions matérielles d’accueil « en termes d’hébergement décent, d’accès aux soins et financiers ».

Or, au regard des conclusions retenues ci-avant au sujet des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne, le demandeur laisse d’établir qu’il n’aurait pas accès auxdites conditions matérielles d’accueil, et notamment qu’il n’aurait pas accès à un logement ou qu’il ne pourrait pas bénéficier des soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin.

Au vu des considérations qui précèdent et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé en Allemagne à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, le moyen y afférent encourt le rejet.

En ce qui concerne ensuite la crainte du demandeur relative à un refoulement vers le Maroc où il risquerait de subir une peine d’emprisonnement en raison de son homosexualité, force est d’abord de souligner que la décision entreprise n’implique pas un retour au pays d’origine, mais désigne a priori uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale, respectivement de ses suites, soit en l’espèce l’Allemagne, ce pays ayant, comme relevé ci-dessus, reconnu sa compétence pour reprendre 9 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

11 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17.

11 en charge l’intéressé.

Le tribunal relève ensuite que le demandeur ne fournit pas non plus d’éléments susceptibles de démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement, tel qu’ancré à l’article 33 de la Convention de Genève, et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments produits par le demandeur que si les autorités allemandes devaient néanmoins décider de le rapatrier en violation de l’article 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il serait exposé dans son pays d’origine à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates.

Le moyen du demandeur tenant à une violation de l’article 33 de la Convention de Genève est, dès lors, à rejeter.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17 (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201712.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge13, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration14.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant, dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport à l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, ainsi qu’à l’article 33 de la Convention de Genève, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation qu’il estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que les problèmes mis en avant ne sauraient pas davantage s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la 12 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pts 88 et 97.

13 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

14 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

12 clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est, à son tour, à rejeter pour ne pas être fondé.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 4 novembre 2024 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 13


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 51464
Date de la décision : 04/11/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-11-04;51464 ?

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