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30/10/2024 | LUXEMBOURG | N°51626

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 octobre 2024, 51626


Tribunal administratif N° 51626 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51626 5ème chambre Inscrit le 23 octobre 2024 Audience publique du 30 octobre 2024 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51626 du rôle et déposée le 23 octobre 2024 au greffe du tribunal administr

atif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des av...

Tribunal administratif N° 51626 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51626 5ème chambre Inscrit le 23 octobre 2024 Audience publique du 30 octobre 2024 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51626 du rôle et déposée le 23 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 13 octobre 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nur CELIK, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Le 26 septembre 2023, Monsieur (A), connu sous différents alias, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur (A) avait préalablement introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 22 mai 2022 et en Suisse en date du 23 mai 2023. Il ressort encore du même rapport de police que Monsieur (A) fit l’objet d’un signalement par les autorités néerlandaises et françaises dans la base de données du Système d’Information Schengen (SIS).

1En date du 2 octobre 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 2 octobre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), jusqu’au 22 décembre 2023.

Suivant un rapport de la police grand-ducale, Commissariat … …, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », du 13 octobre 2023, Monsieur (A) fut interpellé par les agents de la police à cette même date dans le cadre d’un vol à l’étalage dans un centre commercial.

Le 24 octobre 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues néerlandais en vue de la reprise en charge de l’intéressé sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui fut refusée par lesdites autorités néerlandaises en date du 2 novembre 2023 au motif qu’il avait été définitivement débouté de sa demande de protection internationale aux Pays-Bas et qu’après la disparition de Monsieur (A) dudit pays, les autorités néerlandaises avaient accepté une demande de reprise en charge de la part des autorités suisses en date du 13 juin 2023, l’intéressé ayant toutefois disparu pour être ensuite appréhendé par les autorités espagnoles en Espagne, lesquelles auraient dû le rapatrier dans son pays d’origine.

Par décision du 20 décembre 2023, notifiée par affichage public le même jour, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », clôtura provisoirement la demande de protection internationale de Monsieur (A), à défaut pour ce dernier d’avoir sollicité la prolongation de son attestation de demandeur de protection internationale depuis le 23 octobre 2023.

Le 22 janvier 2024, les autorités luxembourgeoises reçurent une demande de reprise en charge de Monsieur (A) de la part de leurs homologues belges sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, qu’elles acceptèrent le lendemain sur base de l’article 18 (1) c) du règlement Dublin III.

En date du 29 avril 2024, Monsieur (A) fut transféré de la Belgique vers le Luxembourg, devant être libéré, à cette fin, de l’établissement pénitentiaire de Lantin où il était incarcéré depuis le 7 novembre 2023.

Toujours le 29 avril 2024, Monsieur (A) sollicita la réouverture de son dossier de demande de protection internationale.

Par arrêté du 30 avril 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question sur le fondement de l’article 22 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015.

En date du 10 mai 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’immigration, sur sa situation et sur les motifs se 2trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 3 juin 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par jugement du tribunal administratif du 17 juin 2024, inscrit sous le numéro 50560 du rôle, le recours contentieux introduit par Monsieur (A) le 7 juin 2024 à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 30 avril 2024, fut accueilli et la libération immédiate de Monsieur (A) fut ordonnée.

Par jugement du tribunal administratif du 3 septembre 2024, inscrit sous le numéro 50612 du rôle, le recours contentieux introduit par Monsieur (A) à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 3 juin 2024, fut rejeté.

Il ressort de quatre rapports de la police grand-ducale datés des 21, 28 et 31 août 2024 et 13 octobre 2024, référencés sous les numéros respectifs …, …, …, …-…, que Monsieur (A) fut interpellé par les forces de l’ordre sans être en mesure de présenter de document d’identité ou de voyage valables lors des contrôles.

Par arrêté ministériel du 13 octobre 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, dans les termes suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport numéro …-…. du 13 octobre 2024 établi par la Police grand-ducale, Région …, … ;

Vu la décision de retour du 3 juin 2024.

Considérant que l’intéressé ne s’est pas présenté en vue de l’organisation de son retour volontaire dans son pays d’origine ;

Considérant que l’intéressé n’a jusqu’à présent pas fait des démarches pour un retour volontaire dans son pays d’origine ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 13 octobre 2024.

3 Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes à la base du litige sous examen, en relevant plus particulièrement être un ressortissant algérien et être entré en Europe afin d’y introduire une demande de protection internationale en 2020.

Il explique avoir fait l’objet d’un contrôle d’identité au Luxembourg, conformément aux dispositions de l’article 136 de la loi du 29 août 2008, au cours duquel il n’aurait pas pu présenter de document l’autorisant à circuler ou à séjourner sur le territoire luxembourgeois, raison pour laquelle il aurait été conduit par la police grand-ducale au Centre de rétention.

En droit, le demandeur fait plaider que la légalité d’une mesure de rétention administrative devrait s’inscrire dans un contexte permettant d’établir l’existence d’un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, ainsi que du caractère proportionné d’un placement en rétention basé sur ce premier critère et de l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives.

Tout en citant l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait relever que le recours au placement de l’étranger au Centre de rétention devrait être écarté, lorsqu’il n’existerait aucun risque de fuite dans le chef de celui-ci, du fait notamment de l’existence de garanties de représentation, soumises à l’appréciation souveraine du juge.

Il donne à considérer que lors de son séjour, il aurait exprimé sa volonté de respecter les obligations qui lui seraient imposées par le ministre en vue d’organiser son éloignement.

Il affirme que le placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle en raison de l’entrave à sa liberté d’aller et de venir, garantie tant par la Constitution que par l’article 5, paragraphe (1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par la « CEDH ». Il estime qu’il y aurait lieu de réexaminer sa situation et de recourir à une alternative à son placement au Centre de rétention, en ordonnant une mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, le demandeur citant, dans ce contexte, un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH », du 6 novembre 1980, dans une affaire Guzzardi c. Italie.

Le demandeur sollicite plus particulièrement une assignation à résidence à la SHUK, alors que la possibilité d’une telle assignation résulterait d’un jugement du tribunal administratif du 6 mai 2024, inscrit sous le numéro 50351 du rôle, lequel y ferait expressément référence.

Il donne encore à considérer que le placement en structure fermée d’un étranger qui présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon exclure tout risque de fuite dans son chef serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15, 4paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après la « directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition dans le droit national, être d’application directe.

Sur base de ces éléments, tout en se prévalant d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée la « CJUE », du 4 décembre 1974, dans une affaire Van Duyn c.

Home office, ainsi que du fait qu’il afficherait un comportement irréprochable au Centre de rétention et serait une personne « responsable, particulièrement bien intégrée et respectueuse », le demandeur conclut qu’il n’existerait pas de risque de fuite dans son chef.

Il soutient que le principe selon lequel le placement d’un étranger doit être nécessaire au but légitime poursuivi figurerait non seulement dans la loi du 29 août 2008 mais également dans la directive 2008/115.

Le demandeur cite encore, dans ce contexte, trois jugements du tribunal administratif des 19 février 2009, 11 juillet 2023 et 12 juillet 2023, inscrits sous les numéros respectifs 25374, 49109 et 49141 du rôle, qui auraient souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d’un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre.

Le demandeur affirme que la mesure de placement dans son chef ne serait ni nécessaire, ni proportionnée à son objet, alors que son placement à la SHUK serait adaptée à sa situation personnelle.

A cet égard, le demandeur fait valoir qu’un placement à la SHUK serait plus adapté à sa situation personnelle et constituerait une garantie de représentation suffisante, alors qu’une seule garantie de représentation serait exigée.

Il donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d’indiquer qu’il sera présent à une audience sans qu’il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n’a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».

Le demandeur s’appuie encore sur la jurisprudence de la Cour de Cassation française en vertu de laquelle « la loi n’exige[rait] pas que l’étranger qui sollicite le bénéfice d’une assignation à résidence invoque des circonstances à caractère exceptionnel de nature à justifier cette mesure » et « l’absence de domicile ne constitue[rait] pas une raison suffisante pour refuser une assignation à résidence ».

Sur le fondement de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et de la « jurisprudence constante » de la CourEDH relative à l’article 5 de la CEDH, le demandeur affirme que le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement devrait être en cours ou exécuté avec toute la diligence requise, ce qui impliquerait que le juge administratif serait appelé à vérifier, d’une part, l’existence d’une 5possibilité d’éloignement, et, d’autre part, la diligence avec laquelle l’éloignement de l’intéressé serait poursuivi aux fins d’écourter au maximum son placement en rétention. Or, en l’espèce, les perspectives d’éloignement de Monsieur (A) seraient vouées à l’échec, dans la mesure où les autorités algériennes compétentes n’auraient pas procédé à son identification officielle et qu’aucun laissez-passer n’aurait été délivré dans son chef par ces dernières en vue de son rapatriement.

Le demandeur en conclut qu’il y aurait lieu de retenir que son éloignement vers l’Algérie ne pourrait pas être mené à bien, de sorte que sa libération immédiate du Centre de rétention devrait être ordonnée.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

En vertu de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être 6organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être « mené à bien ».

S’agissant d’abord des contestations de Monsieur (A) quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, il convient de constater qu’en l’espèce, il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’il a fait l’objet d’une décision de retour en date du 3 juin 2024, décision non visée par le présent recours, qu’il a fait l’objet d’un signalement SIS tant par les Pays-Bas que par la France et qu’il ne dispose ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi ou encore s’il ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Monsieur (A) de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il est, toutefois, resté en défaut de faire, étant précisé que le risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Ce constat n’est pas remis en cause par l’affirmation du demandeur relative à son comportement irréprochable au sein du Centre de rétention, alors qu’un tel élément, même à le supposer établi, n’est pas de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite dans son chef.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, et notamment une assignation à résidence, le tribunal relève qu’à cet égard, l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

7On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, le tribunal est amené, pour les mêmes considérations que celles retenues ci-avant, à retenir que le demandeur ne lui a pas soumis suffisamment d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.

8sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

En effet, il est constant en cause que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg ni d’une quelconque autre attache, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.

Ce constat n’est pas énervé par les développements du demandeur tendant à une assignation dans la SHUK, alors qu’une telle structure ne saurait être considérée comme domicile stable, ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une assignation à résidence n’y est pas concevable.

Quant à l’invocation par le demandeur de jurisprudences de la Cour de cassation française, ladite argumentation est à rejeter pour défaut de pertinence, alors que, d’une part, des décisions de justice étrangères ne s’imposent pas au tribunal administratif, et, d’autre part, le demandeur reste en défaut d’expliquer dans quelle mesure elles seraient pertinentes par rapport à sa situation personnelle.

Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement en rétention litigieuse, respectivement d’une application erronée et arbitraire des dispositions légales applicables, encourt le rejet pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne les contestations du demandeur quant aux perspectives raisonnables de son éloignement par lesquelles il conteste, de l’entendement du tribunal, également les démarches entreprises par le ministre à cet effet, le tribunal constate qu’il ressort du dossier administratif que 2 jours après son placement au Centre de rétention, à savoir le 15 octobre 2024, les services du ministre ont fait parvenir une demande d’identification du demandeur au Consulat de la République algérienne démocratique et populaire à Bruxelles en y joignant ses photos d’identité ainsi qu’un jeu de ses empreintes digitales.

Force est ainsi de relever, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères, que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement du territoire luxembourgeois à ce stade, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le dispositif d’éloignement est toujours en cours, étant relevé que les autorités luxembourgeoises ne sauraient nuire aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels à adresser aux autorités étrangères.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, étant relevé qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier que l’éloignement du demandeur ne puisse pas être mené à bien endéans les délais légalement requis, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la 9directive 2008/1152, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008 et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015.

Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte3.

Dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois serait effectivement resté en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, la simple affirmation non autrement circonstanciée du demandeur à cet égard étant insuffisante, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008. Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire du demandeur, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacrée notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : […] f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de 2 Article 15 de la directive 2008/115: « 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

a) il existe un risque de fuite, ou b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

2. La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires.

La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit.

Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres :

a) soit prévoient qu’un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention, b) soit accordent au ressortissant concerné d’un pays tiers le droit d’engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d’un pays tiers de la possibilité d’engager cette procédure.

Le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale. (…) 4. Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté. (…) ».

3 Trib. adm., 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 97, deuxième point, et les autres références y citées.

10pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f), précité, de la CEDH, que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays4.

Dans un arrêt du 15 décembre 20165, la CEDH a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».

En l’espèce, étant donné, d’une part, que le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour en date du 3 juin 2024, de sorte à se trouver en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, et d’autre part, qu’il vient d’être retenu ci-avant que la procédure d’éloignement dont il fait l’objet en exécution de ladite décision de retour est menée avec la diligence requise, la décision déférée n’est pas contraire à l’article 5 de la CEDH, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Au vu des développements faits ci-avant, le tribunal conclut que les contestations du demandeur quant à la légalité, à la nécessité, au caractère justifié et à la proportionnalité de la mesure de placement en rétention litigieuse sont à rejeter dans leur ensemble.

Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur (A) de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, telle que formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

4 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812 (1er volet), et les autres références y citées.

5 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.

11 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 octobre 2024 par :

Emilie DA CRUZ DE SOUSA, premier juge, Sibylle SCHMITZ, premier juge, Michel THAI, juge, en présence du greffier Paulo ANICETO LOPES.

s. Paulo ANICETO LOPES s. Emilie DA CRUZ DE SOUSA 12


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 51626
Date de la décision : 30/10/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-10-30;51626 ?

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