Tribunal administratif N° 48496 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48496 1re chambre Inscrit le 6 février 2023 Audience publique du 23 octobre 2024 Recours formé par Monsieur (A1) et consort, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48496 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 février 2023 par Maître Cora MAGLO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A1), né le … à … (Venezuela) et de Madame (A2), née le … à … (Venezuela), tous les deux de nationalité vénézuélienne, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 janvier 2023 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en sa plaidoirie à l’audience publique du 3 juillet 2024.
Le 11 mars 2020, Monsieur (A1) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A1) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 26 mai et 2 juin 2021, Monsieur (A1) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Le 12 mai 2022, l’épouse de Monsieur (A1), Madame (A2), accompagnée de leur enfant mineur commun (A3) et de (A4), l’enfant mineur de Madame (A2), introduisit également une demande de protection internationale auprès du service compétent du ministère.
1Les déclarations de Madame (A2) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-
police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 10 et 13 octobre 2022, Madame (A2) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 3 janvier 2023, notifiée à Monsieur (A1) et à Madame (A2), ci-après désignés par les consorts (A), par lettre recommandée expédiée le 4 janvier 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa les intéressés que leurs demandes de protection internationale avaient été refusées comme étant non fondées tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée dans les termes suivants :
« [… ] J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale que vous avez introduites pour vous et au nom de votre enfant mineur (A3), né le … à … au Venezuela et votre fils mineur, Madame, (A4), né le … à … au Venezuela, tous deux de nationalité vénézuélienne, auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 11 mars 2020 et du 12 mai 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche manuscrite Monsieur du 11 mars 2020 et la vôtre Madame du 12 mai 2022, votre rapport du Service de Police Judiciaire Monsieur du 11 mars 2020 et le vôtre Madame du 12 mai 2022, votre rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale Monsieur des 26 mai et 2 juin 2020 et le vôtre Madame des 10 et 13 octobre 2022, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes de protection internationale.
Il convient avant tout de signaler que vos déclarations respectives sont contradictoires et incohérentes temporellement de sorte que leur synthétisation a été complexifiée de sorte que la reconstitution ci-dessous ne représente qu'une tentative de refléter au mieux votre vécu au Venezuela et les motifs vous ayant poussés à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.
Madame, Monsieur, il en ressort que vous seriez originaires de … dans l'État de Monagas au Venezuela où vous auriez tous les deux travaillé pour la compagnie pétrolière (AA) S.A., respectivement de 2007 à août 2022 en tant qu'administratrice des ordres dans la gérance de maintenance, et de 2013 à mai 2019 en tant qu'ouvrier puis en tant qu'instrumentaliste industriel.
À l'appui de votre demande Monsieur, vous avancez que vous auriez quitté le Venezuela en raison de menaces, de la tentative d'assassinat et d'un harcèlement dont vous auriez été 2victime après que vous auriez dénoncé auprès de votre superviseur des disparations suspectes d'équipements et de matériaux.
Dans ce contexte, vous expliquez que durant l'année 2018, vous auriez constaté des irrégularités dans des entrepôts de (AA) S.A., notamment la disparition d'équipements et de matériaux onéreux. Vous en auriez parlé à votre père (A5), également un employé de (AA) S.A., qui vous aurait confirmé qu'il aurait remarqué des irrégularités similaires et qu'il les aurait dénoncées. Vous auriez également décidé de rapporter ces irrégularités à votre superviseur à plusieurs reprises, un dénommé (B), mais celui-ci n'aurait pas prêté attention à vos dires. À chacun de vos signalements, celui-ci vous aurait accusé de créer des intrigues et d'être « une personne qui dénonce les manquements » (p.5 de votre rapport d'entretien, Monsieur) en vous comparant à votre père. Il vous aurait donné des réponses logiques et plausibles mais vous les auriez jugées infondées et auriez soupçonné qu'il se serait agi de corruption car : « ils (les superviseurs) vendaient le matériel aux sociétés sous-traitantes pour un prix inférieur » (p.6 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Suite à vos signalements, vous auriez constaté que votre superviseur vous aurait mis à l'écart car il ne vous aurait plus laissé travailler pendant la plage d'horaire de nuit réservée au personnel de confiance, vous n'auriez plus eu accès aux entrepôts et vous n'auriez plus pu participer à l'établissement de l'inventaire et à la supervision des équipements et des matériaux.
Vous indiquez ensuite que le 8 février 2019, alors que vous auriez été en train d'emménager dans votre nouvelle maison, vous auriez entendu des tirs à l'extérieur. En vous rendant dehors, vous auriez retrouvé votre voisin blessé par balle et vu deux hommes s'enfuir sur une moto. Vous auriez conduit votre voisin à l'hôpital … et pendant le trajet, il vous aurait averti que les deux hommes vous auraient recherché puisqu'ils l'auraient interpellé en lui disant « (A1), arrête » (p.6 de votre rapport d'entretien, Monsieur) et lui auraient tiré dessus en le confondant avec vous. Ses dires auraient par la suite été confirmés par votre fils (A4) qui se serait trouvé dehors au moment des faits.
Les deux semaines suivantes, vous rapportez que deux motards, similaires à ceux du 8 février 2019, auraient rodé quotidiennement autour de votre nouvelle maison. Vous auriez donc décidé de ne pas finaliser son achat étant donné « qu'ils savaient où on habitait » (p.6 de votre rapport d'entretien, Monsieur) et vous seriez retourné dans votre ancien domicile appartenant à votre épouse en espérant que ces deux inconnus ne vous retrouvent pas car « ils ne font pas le lien entre moi et ma femme parce qu'on s'est marié seulement en décembre 2019 » (p.9 de votre rapport d'entretien, Monsieur).
Le 12 avril 2019, votre père aurait été victime d'une tentative d'enlèvement. Vous auriez par conséquent établi ensemble un « plan familial » (p.6 de votre rapport d'entretien, Monsieur) qui aurait consisté à protéger l'entièreté de votre famille en minimisant vos prises de contact et en vous exposant le moins possible. Dès lors, vous ne seriez plus allé régulièrement au travail et vous auriez par prudence suivi différents itinéraires pour vous y rendre. Vous affirmez que vos absences n'auraient pas posé problèmes à votre superviseur chargé de relever les présences. Finalement, après que des collègues vous auraient prévenu que des inconnus auraient demandé des renseignements sur vous et à vous parler, vous auriez décidé d'annoncer votre démission en mai 2019 à votre superviseur administratif, (C).
Votre sœur (A6), résidant au Luxembourg, aurait incité votre famille à quitter le Venezuela pour venir la rejoindre. Votre père et votre mère, disposant d'un passeport valide, auraient fui le Venezuela en mai 2019 pour le Luxembourg, tandis que vous auriez été contraint 3de rester car vous n'auriez pas été en possession d'un passeport alors que votre demande datait de 2018. Vous auriez finalement obtenu votre passeport en octobre 2019 et vous auriez quitté seul le Venezuela le 4 mars 2020. Madame, vous seriez encore restée au Venezuela avec vos enfants car (A4) n'aurait pas été en possession d'un passeport.
Vous rapportez que le 27 mai 2020, des hommes se seraient rendus chez votre épouse et auraient « osé (…) pointer ma femme et mon fils ((A3)) de cinq ans » (p.12 de votre rapport d'entretien, Monsieur) et lui auraient demandé des renseignements à votre égard tout en s'emparant de l'un de vos anciens portables en espérant y trouver des informations relatives à votre localisation.
En ce qui vous concerne Madame, à l'appui de votre demande vous avancez que vous auriez quitté le Venezuela en raison des problèmes qu'auraient eu votre beau-père, respectivement (A5), après avoir dénoncé des irrégularités au sein de (AA) S.A. et des menaces émises contre votre famille, notamment votre époux, qui en auraient découlé.
Dans ce contexte, vous indiquez qu'en décembre 2019, alors que vous auriez été en train d'emménager dans une nouvelle maison dans le Sector …, deux individus sur une moto se seraient arrêtés devant le domicile et auraient tiré erronément sur votre voisin en l'interpellant « (A1), (A1) » (p.8 de votre rapport d'entretien, Madame). Vous précisez que lors de ces faits vous vous seriez trouvée à l'intérieur de la maison avec votre époux et que vous en auriez été alertée que lorsque votre fils (A4) vous aurait rejoint en panique après avoir été le seul témoin de la scène. Vous vous seriez rendue dehors avec votre époux et celui-ci aurait directement emmené votre voisin blessé par balle à l'hôpital en confirmant les dires de (A4).
Après cet incident, vous déclarez que vous seriez encore restés pendant deux mois « officiellement là, mais je ne suis pas restée là-bas » (p.10 de votre rapport d'entretien) dans cette nouvelle maison, précisant que vous y auriez en réalité vécu encore une semaine avant de vivre alternativement chez des membres de famille pour vous protéger. Vous auriez ensuite pris la décision d'en annuler l'achat et de vous réinstaller à votre ancien domicile à … en février 2020. Cependant, vous y auriez eu le sentiment d'être constamment suivie et harcelée par des motos, voitures, ou des gens « qui tournaient autour de nous » (p.8 de votre rapport d'entretien, Madame).
Alors que votre époux aurait quitté le Venezuela le 4 mars 2020 et que vous auriez envisagé d'en faire de même deux-trois mois plus tard, vous auriez été contrainte de repousser votre départ car votre fils (A4) n'aurait pas été en possession d'un passeport.
En avril 2020, alors que vous auriez été accompagnée de votre fils cadet (A3) et de votre mère devant votre domicile à …, vous expliquez que deux individus à moto vous auraient menacés et auraient pointé une arme sur votre fils en vous demandant « Où est (A1) ?» (p.8 de votre rapport d'entretien, Madame) avant de s'emparer du téléphone portable de votre fils et de prendre la fuite.
Dès lors, vous auriez vécu de façon discontinue et alternative chez votre tante puis votre soeur jusqu'en novembre 2021 avant d'aller vous installer durablement chez votre mère à … jusqu'à votre départ du Venezuela. À partir de janvier 2022, et après avoir obtenu un passeport pour votre fils (A4) en juillet 2021, vous auriez entrepris les démarches pour rejoindre le Luxembourg, respectivement les démarches pour obtenir la garde entière de votre fils (A4) et l'autorisation de son père pour qu'il puisse voyager ainsi que la vente d'objets personnels pour 4financer vos tickets. Le 26 avril 2022, vous auriez quitté avec vos deux enfants votre pays d'origine afin de rejoindre votre époux au Luxembourg.
En ce qui concerne votre fonction au sein de (AA) S.A., vous soupçonnez le fait que vous et votre époux n'auriez pas été promus en raison des dénonciations émises par votre beau-
père au sein de la compagnie pétrolière. Vous précisez aussi que votre superviseur vous aurait contraint à démissionner le 15 août 2022 alors que vous auriez été depuis environ quatre mois au Luxembourg.
Vous présentez les documents suivants :
- Votre passeport Monsieur émis par les autorités vénézuéliennes le 11 avril 2019 et expirant le 10 avril 2024 et le vôtre Madame, émis le 7 octobre 2019 et expirant le 6 octobre 2024 ainsi que celui de (A4) émis le 25 juin 2021 et expirant le 24 juin 2026 et celui d'(A3)émis le 7 octobre 2019 et expirant le 6 octobre 2024;
- votre carte d'identité Monsieur émise par les autorités vénézuéliennes le 22 août 2016 et expirant en août 2026, la vôtre Madame émise le 29 octobre 2013 et expirant en octobre 2023 ainsi que celle de (A4) émise le 16 août 2019 et expirant en août 2029.
2. Quant à la motivation du refus de vos demandes de protection internationale Avant tout autre développement en cause, il convient de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l'administration en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans vos cas alors qu'il y a lieu de constater que vos déclarations respectives sont contradictoires et incohérentes. Par conséquent Madame, Monsieur, la crédibilité de votre témoignage est remise en cause pour les raisons suivantes.
Premièrement, il ressort de l'analyse de vos rapports d'entretien que vous utilisez des temporalités différentes, alors que vous faites pourtant clairement référence aux mêmes évènements, de sorte que le déroulement chronologique de vos récits respectifs est antinomique et qu'il engendre un enchevêtrement des faits n'apportant qu'incohérence et confusion quant à vos vécus.
En effet, il appert Monsieur que lorsque vous mentionnez la tentative d'assassinat vous ayant supposément visé alors que vous auriez été en train d'emménager dans votre nouvelle maison dans le Sector …, vous datez cet évènement au « 8 février 2019 » (p.5 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Paradoxalement Madame, vous déclarez dans le cadre de votre 5entretien que cet évènement se serait déroulé « début décembre 2019 » (p.8 de votre rapport d'entretien, Madame), c'est-à-dire environ dix mois plus tard. Alors que cet évènement représente le point essentiel de vos deux témoignages, il va de soi que cette différence temporelle entre vos deux récits met à mal votre crédibilité et qu'elle bouleverse drastiquement la suite du déroulement chronologique des faits relayés dans vos entretiens respectifs, tout en accentuant inévitablement l'incompatibilité entre vos deux récits.
En guise d'exemple, si l'on s'en tient à votre version des faits Monsieur, vous auriez encore habité après la tentative d'assassinat du 8 février 2019 pendant « deux semaines » (p.8 de votre rapport d'entretien, Monsieur) dans votre nouvelle maison dans le Sector … avant de retourner vivre dans votre ancien domicile au motif que « les personnes qui me cherchent » (p.9 de votre rapport d'entretien, Monsieur) ne vous y retrouveront pas car « ils ne font pas le lien entre moi et ma femme parce qu'on s'est marié seulement en décembre 2019 » (p.9 de votre rapport d'entretien, Monsieur), puis vous seriez encore resté environ une année dans votre pays d'origine avant de partir pour le Luxembourg en date du 4 mars 2020. Néanmoins, cet enchaînement chronologique et ces déclarations ne sont en rien comparables à vos dires Madame puisque d'après votre entretien, vous seriez tous les deux retournés dans votre ancien domicile « deux mois » (p.8 de votre rapport d'entretien, Madame) après la tentative d'assassinat du début de mois de décembre 2019, c'est-à-dire en février 2020 - et non plus en février 2019 conformément à la version de Monsieur - et qu'il appert que vous auriez dès lors déjà été mariés depuis plus de deux mois puisque votre mariage fut célébré le 13 décembre 2019 - de sorte que votre motif susmentionné Monsieur n'est pas crédible - et que Monsieur vous seriez encore resté vivre trois mois au Venezuela, et non pas une année entière après la tentative d'assassinat. Ainsi, ces incohérences flagrantes démontrent à suffisance que vous avez inventé votre récit de toute pièce puisque l'on peut s'attendre de personnes qui auraient réellement vécu les mêmes évènements de présenter une même chronologie des faits qui auraient bouleversé leurs vies.
Ce constat est renforcé par le fait que si cette tentative d'assassinat se serait réellement déroulée au début du mois de décembre 2019, conformément à vos dires Madame, il est raisonnable d'admettre qu'aucune confusion quant à sa date réelle, en dépit de son caractère vraisemblablement fictif, ne saurait être permise puisque vous auriez tous les deux disposé d'un point de référence marquant, à savoir votre mariage que vous avez célébré le 13 décembre 2019. Or, le fait que vous n'avez nullement mentionné Madame de quelle manière votre mariage, une célébration généralement joyeuse et festive regroupant des membres de famille, se serait enchevêtré dans la succession des supposés évènements dramatiques s'étant déroulée durant le mois de décembre 2019, à savoir la prétendue tentative d'assassinat qui vous aurait visé Monsieur puis le fait que vous auriez vécu de manière alternée chez des membres de votre famille pour vous protéger, contribue à augmenter les doutes formulés quant à la véracité de vos dires.
Deuxièmement, outre ces contradictions temporelles importantes, il y a lieu de soulever que d'autres incohérences majeures parsèment vos déclarations relatives à cet évènement et corroborent le constat de leur caractère factice.
Vous sous-entendez par exemple clairement Monsieur que votre père aurait été présent lors de cet évènement puisque : « J'ai demandé de l'aide à mon père, étant donné qu'il n'habitait pas loin de chez moi » (p.5 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Or, Madame, vous citez la présence de « mes deux cousins, mon mari, mon fils de sept ans et mon fils aîné qui était dehors » (p.9 de votre rapport d'entretien, Madame) mais aucunement celle de votre beau-père 6puisque selon votre version des faits, compte tenu que cet évènement se serait déroulé en décembre 2019, il aurait logiquement été impossible de mentionner sa présence puisqu'il se trouvait depuis sept mois au Luxembourg.
Vos récits respectifs sont également incohérents lorsque vous expliquez d'une part Monsieur que « Quand j'étais à l'intérieur, j'entends un coup de feu et je sors parce que mon fils était dehors (…) Je vois deux mecs sur une moto rouge et noire s'enfuir » (p.5 de votre rapport d'entretien, Monsieur) alors que d'autre part Madame, vous rapportez que vous et votre époux n'auriez rien entendu et que : « On s'en est aperçu qu'au moment où l'on a entendu la porte se fermer et mon fils criait » (p.9 de votre rapport d'entretien, Madame). Or, il existe indéniablement une différence fondamentale entre le fait d'être alerté par des coups de feu à l'extérieur du bâtiment et de se précipiter dehors pour rejoindre son propre fils tout en voyant les coupables s'échapper et le fait d'être prévenu par une situation se déroulant en externe uniquement après la fuite hâtive de son fils qui cherchait à venir s'abriter à l'intérieur de la maison et à avertir ses parents des évènements dont il aurait été le témoin.
Ainsi, ces incohérences viennent renforcer le constat que ces témoignages sont inventés de toute pièce puisqu'il est raisonnable de s'attendre de personnes qui auraient réellement vécu le même évènement de fournir des détails identiques quant au déroulement des faits.
Troisièmement, quant à l'évènement qui se serait produit le 27 mai 2020, selon vos dires Monsieur, voire fin « fin avril » 2020 (p.15 de votre rapport d'entretien, Madame) selon vos dires Madame, au-delà du fait que vous faites allusion à un même évènement mais que vous l'inscrivez à une date différente, une divergence majeure subsiste entre vos déclarations étant donné que vous prétendez Monsieur que Madame aurait assisté à la scène et en aurait également été une victime puisque les deux hommes auraient « osé (…) pointer ma femme et mon fils ((A3)) de cinq ans » (p.12 de votre rapport d'entretien, Monsieur), alors que, au contraire Madame, vous reconnaissez que vous n'auriez pas été présente lors des faits : « Ils ont pointé mon fils et finalement ils ont piqué son téléphone et ils sont partis. C'est ma sœur qui m'a raconté, parce que moi, je n'étais pas là » (p.13 de votre rapport d'entretien, Madame).
À cela s'ajoute que vous sous-entendez clairement Monsieur que ce téléphone vous aurait appartenu précédemment et que les voleurs s'en seraient emparés pour vous localiser alors que d'après votre déclaration Madame, ce téléphone aurait uniquement appartenu à votre fils.
Ainsi, il y a lieu d'en conclure que cet évènement est fictif puisque vous le situez à des dates différentes et que des divergences majeures parsèment vos descriptions respectives.
Quatrièmement, nonobstant les divergences soulevées, il convient de constater, Monsieur, que vous avez présentez deux versions antagonistes lorsque l'on compare vos déclarations issues de votre fiche manuscrite du 11 mars 2020 à celles de votre rapport d'entretien.
Tout d'abord, si initialement vous étiez formel pour déclarer en date du 11 mars 2020 que lors de la tentative d'assassinat du 8 février 2019 dont vous auriez été victime « un groupe de personnes du gouvernement (…) sont arrivés chez moi pour me chercher (…) Ils sont arrivés chez moi et ils ont menacé ma famille en demandant après moi » et qu'ils auraient tiré sur un « monsieur » parce qu'il serait passé « proche du véhicule que je conduisais », il appert que vous avez changé de version lors de vos entretiens du 26 mai 2021 et du 2 juin 2021 puisque vous n'y mentionnez à aucun moment que ces individus se seraient adressés à votre famille, en la menaçant, pour récolter des informations à votre égard, ou encore qu'ils auraient été « un groupe de personne du gouvernement » puisque vous indiquez uniquement que « ce que j'ai vu 7ce sont deux personnes qui sont parties sur une moto (…) je n'ai pas vu leur visage » (p.8 de votre rapport d'entretien, Monsieur).
De plus, Monsieur, vous rapportez clairement dans votre fiche manuscrite que vous auriez été sujet à cette tentative d'assassinat et à des menaces en raison des irrégularités dénoncées par votre père (A5) au sein de (AA) S.A.: « Tout cela s'est passé après que mon père a dénoncé des actes de corruption dans l'entreprise dans laquelle nous travaillons ». Or, il ressort de la lecture de votre rapport d'entretien du 26 mai 2020 et du 2 juin 2021, que vous vous êtes visiblement également attribué personnellement ce statut de dénonciateur, initialement seulement alloué à votre père, et que vous vous êtes accaparé le vécu de celui-ci en prétendant que les problèmes et les menaces que vous auriez eus au Venezuela découleraient de vos propres dénonciations d'irrégularités en sein de la compagnie pétrolière (AA) S.A., dénonciations personnelles que vous n'avez cependant nullement mentionnées dans votre fiche manuscrite. Il est dès lors évident que vous avez modifié votre récit et effectué cet accaparement du vécu de votre père dont vous saviez très certainement que, grâce à un tel témoignage, il s'était vu octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire au Luxembourg le 4 novembre 2020 (…), respectivement neuf mois après votre arrivée au Luxembourg et sept mois avant votre premier entretien auprès du Ministère, et ce dans le seul et unique but d'augmenter vos chances de vous voir octroyer une protection internationale.
Ce constat est d'ailleurs corroboré par vos dires Madame puisque vous ne faites aucunement référence aux prétendues dénonciations de Monsieur, de sorte que celles-ci sont à percevoir comme étant mensongères. En effet, vous relatez uniquement à plusieurs reprises et de manière consistante que vous auriez eu de tels problèmes au Venezuela uniquement en raison des dénonciations de votre beau-père (A5), tout en soulignant clairement que Monsieur n'avait aucun problème au Venezuela : « Nous demandons une protection à cause du problème surtout de mon beau-père » (p.8 de votre rapport d'entretien, Madame), « C'était mon beau-
père qui portait plainte sur des irrégularités à la gérance de santé » (p.9 de votre rapport d'entretien, Madame), « toute cette persécution, toutes ces menaces arrivent après que mon beau-père porte plainte » (p.10 de votre rapport d'entretien, Madame), « J'imagine que c'était à cause des soucis de mon beau-père, parce que mon mari n'avait pas de soucis » (p.13 de votre rapport d'entretien, Madame) ou encore « Je n'étais pas promue dans la chaine hiérarchique à cause du problème avec mon beau-père. Mon mari également, il était instrumentaliste, il n'était pas promu à cause de l'incident du problème de son père » (p.13 de votre rapport d'entretien, Madame).
Dès lors Monsieur, il convient d'en conclure que le fait que vous vous appropriez les problèmes d'autrui, respectivement ceux de votre père, prouve que vous jugez vous-même que votre vécu n'est pas suffisamment problématique et ne saurait suffire pour vous voir octroyer une protection internationale.
Cinquièmement, Monsieur, il y a lieu de ne pas considérer votre récit comme étant crédible lorsque vous faites référence à l'établissement dès le mois d'avril 2019, respectivement après la tentative d'enlèvement de votre père, d'un « plan familial » qui aurait eu pour vocation de vous protéger ainsi que toute votre famille en restant « enfermés à la maison et essayer de s'exposer le moins possible, jusqu'à ce que la situation se calme » (p.9 de votre rapport d'entretien, Monsieur).
En dehors du fait que cette tentative d'enlèvement ainsi que l'établissement de ce « plan familial » qui en aurait découlé ne sont aucunement mentionnés par Madame, mettant déjà à 8mal la crédibilité de vos dires Monsieur, il se trouve que ce constat est renforcé par les publications disponibles sur votre compte Facebook.
En effet, il ressort de vos publications que vous n'auriez en réalité nullement essayé de limiter vos déplacements et de vous exposer le moins possible puisque vous y publiez une série de photos prouvant le contraire. En guise d'exemple, l'on peut reprendre celles des 16, 21, 22 et 26 avril 2019, soit le même mois que l'instauration de ce fameux « plan familial », sur lesquelles vous annoncez mettre en vente une série d'objets personnels tels qu'une enceinte, un téléphone portable, une clef USB, des chaussures ou encore des pneus de voiture. Or, il est évident que ce comportement, respectivement cette exposition sur un réseau social afin de vendre des objets personnels à une clientèle inconnue, ne reflète en rien l'attitude que vous prétendez avoir adopté dans le but de vous cacher et de limiter vos déplacements pour vous protéger. Le même constat s'impose si l'on consulte votre publication du 1er mai 2019 alors que vous seriez allé soutenir (A4) à un match de foot et celle du 20 juillet 2019 issue de la page officiel de son équipe de foot « …» qui atteste de votre présence ainsi que de la sienne puisque vos deux comptes Facebook sont référencés sur la publication sous le nom de « (A1) » et « (D) ». Il en est également de même pour votre publication du 19 juillet 2019 qui dévoile que vous vous seriez rendu publiquement avec votre famille à la remise des diplômes de (A4), remise à laquelle participait la compagnie pétrolière (AA) S.A., alors qu'il venait de finaliser sa sixième année scolaire. Il est également paradoxal Monsieur qu'après la tentative d'assassinat, vous ayant prétendument ciblé en date du 8 févier 2019, vous puissiez déclarer que « A partir de ce moment-là, j'avais peur pour ma vie. Je ne comprenais pas pourquoi ils me cherchaient (…) on était très angoissé » (p.8 de votre rapport d'entretien, Monsieur) alors que dès le mois suivant, vous vous permettez de partir en vacances avec Madame pour célébrer votre « lune de miel », telles que le témoignent des photos sur votre compte Facebook datant du 2 mars 2019, en vous rendant avec des amis à différentes heures de la journée dans différents endroits publics du Venezuela.
Partant, il y a lieu d'en conclure que ces diverses publications ne reflètent en rien l'attitude d'une personne qui aurait élaboré un « plan familial » pour se protéger en limitant ses déplacements et en s'exposant le moins possible dans l'espace public. Au contraire, vos publications Monsieur démontrent clairement que vous auriez continué à vivre normalement au Venezuela et que vous n'auriez visiblement pas craint pour votre vie ainsi que celle de votre famille.
Sixièmement, il convient de sérieusement remettre en doute la crédibilité de votre récit Madame lorsque vous évoquez les différentes raisons pour lesquelles vous n'auriez quitté votre pays d'origine que le 26 avril 2022, soit plus de deux années après votre époux, alors qu'initialement vous témoignez que vous auriez envisagé de fuir le Venezuela en mai-juin 2020:
« Mon mari est venu en mars 2020 et idéalement nous devions venir deux, trois mois plus tard » (p.7 de votre rapport d'entretien, Madame).
Vous tentez principalement d'expliquer ce long délai d'attente par le fait que votre fils (A4) n'aurait pas été en possession d'un passeport (p.7 et 14 de votre rapport d'entretien, Madame). Par conséquent, vous auriez effectué une demande de passeport en son nom seulement à la « fin mars 2020 » (p.8 de votre rapport d'entretien, Madame), date relativement tardive alors que votre décision de quitter le Venezuela remonterait selon vos dires Monsieur à « novembre 2019 » (p.10 de votre rapport d'entretien, Monsieur) et selon vous Madame, soit à mai 2019, respectivement la date de départ de vos beaux-parents, soit après la prétendue tentative d'assassinat de décembre 2019 (p.17 de votre rapport d'entretien, Madame). Ainsi, 9pour justifier cette demande tardive, et par extension votre départ ajourné, vous déclarez que vous auriez été dans l'obligation d'obtenir d'abord une carte d'identité pour votre fils avant d'être en mesure de faire sa demande de passeport, conformément à la législation vénézuélienne: « Pour avoir la carte d'identité, il faut avoir 9 ans. Comme Felix avait déjà plus de 9 ans, il fallait d'abord faire la carte d'identité, puis le passeport » (p.7 de votre rapport d'entretien, Madame). Or Madame, cette explication ne saurait emporter la conviction puisque la carte d'identité de votre fils a été émise le 16 août 2019, de sorte que vous auriez été en mesure de faire une demande de passeport dès le mois d'août 2019 et non pas supposément sept mois plus tard, en mars 2020.
En dehors de cette excuse inconsistante, vous signalez ensuite qu'en dépit d'avoir effectué cette demande en mars 2020, vous auriez été contrainte d'attendre jusqu'au mois de juillet 2021 pour vous voir remettre le passeport de votre fils. Dès lors, étant donné que cette remise aurait constitué selon vos dires une étape indispensable à accomplir afin de pouvoir quitter sereinement votre pays d'origine avec vos enfants, c'est à juste titre que l'agent en charge de votre entretien s'interroge sur les raisons qui vous auraient poussée à encore devoir rester pendant neuf mois au Venezuela, à savoir jusqu'en avril 2022. Votre excuse initiale ayant été invalidée, vous décidez alors de vous lancer Madame dans une multitude d'explications incohérentes et plus farfelues les unes que les autres qui n'emportent pas conviction.
Dans un premier temps, vous prétendez que vous auriez été encore contrainte d'entreprendre des démarches administratives pour obtenir la garde de votre fils (A4). À cet égard, vos versions divergent puisque vous prétendez d'une part que vous auriez entrepris ces démarches dès le mois de novembre 2021, respectivement lorsque vous vous seriez installée chez votre mère : « La raison pour laquelle j'ai déménagé chez ma mère c'est que je devais faire toutes les démarches pour venir ici », c'est-à-dire « L'autorisation de quitter. Les juges permettaient de faire le voyage. On va chez le défenseur du peuple avec le père. Il me donne la garde pour voyager avec mon fils. Ensuite ça part chez les juges, ils me donnent le pouvoir, une fois qu'on a le ticket, le passeport, on va auprès du juge en expliquant l'itinéraire du voyage et ils doivent rédiger un document qui permet de voyager avec le mineur » (p.12 de votre rapport d'entretien, Madame). À noter brièvement à cet égard que vous n'apportez aucun document permettant de prouver vos dires et qu'il parait aberrant que vous auriez eu à consulter un « défenseur du peuple » pour une telle procédure alors que son rôle officiel, ne consiste en rien à octroyer le droit de garde d'un enfant à un parent mais plutôt à promouvoir et défendre les droits fondamentaux garantis par la Constitution et les traités internationaux sur les Droits de l'Homme au Venezuela. Puis, d'autre part, vous insinuez paradoxalement que vous auriez seulement entrepris ces démarches dès le mois de janvier 2022, respectivement deux mois après la date mentionnée dans votre version précédente : « j'ai commencé à tout préparer pour venir ici. En janvier (2022), j'ai fait mes démarches pour venir ici. D'abord l'autorisation de Felix pour venir ici » (p.13 de votre rapport d'entretien, Madame). Il n'en reste pas moins que, peu importe la version retenue, vous auriez pris un délai relativement long pour débuter ces démarches administratives, soit en novembre 2021, soit en janvier 2022, alors que votre fils s'est vu remettre son passeport dès le mois de juillet 2021, c'est-à-dire quatre à cinq mois avant.
Dans un deuxième temps, vous tentez d'expliquer un tel délai d'attente par le fait que les frontières du Venezuela auraient été fermées en raison de la pandémie du COVID19 : « Il n'y avait pas de vols pour ici, ils étaient suspendus » (p.17 de votre rapport d'entretien, Madame). Or, quand bien même le Venezuela a imposé d'importantes restrictions aux vols internationaux pour contenir l'expansion de la pandémie, il ressort des recherches 10ministérielles que des vols réguliers entre le Venezuela et la Turquie, itinéraire que vous avez emprunté le 26 avril 2022 pour rejoindre le Luxembourg, étaient autorisés durant l'année 2021 et qu'il s'agissait d'une des options pour se connecter à d'autres pays européens. Partant, et compte tenu de ses informations, il n'est pas crédible que vous auriez été contrainte de rester au Venezuela pendant un tel délai supplémentaire en raison de la crise sanitaire.
Dans un troisième temps, vous tentez d'invoquer des motifs économiques pour justifier votre départ tardif puisque vous auriez été contrainte d'attendre l'aide financière de Monsieur et de vendre des affaires personnelles pour pouvoir financer les tickets d'avion : « j'ai commencé à vendre mes affaires pour avoir l'argent, pour payer les tickets, et en janvier, mon mari a réussi à acheter les vols » (p.17 de votre rapport d'entretien, Madame). Or, cette explication n'emporte également pas la conviction puisqu'il est raisonnable de s'attendre que, au vue des supposés risques que vous auriez encourus et du fait que votre ambition de quitter le Venezuela date au plus tard de décembre 2019, vous auriez eu assez de temps pour préparer rationnellement votre départ et épargner suffisamment d'argent, en plus avec le soutien d'une personne tierce résidant en Europe, pour obtenir le montant nécessaire vous garantissant la possibilité d'acheter des tickets dès la fin des prétendues démarches administratives que vous auriez eu à accomplir. À cela s'ajoute que vous déclarez que vous n'auriez finalement pas acheté la maison dans le Sector … et qu'il est donc légitime de penser que vous auriez été en possession d'une somme d'argent suffisante, que vous auriez pu mettre de côté de manière préventive, et que celle-ci aurait pu vous permettre de financer vos tickets d'avion.
Il n'en demeure pas moins Madame, que peu importe la version retenue, votre comportement relatif au fait que vous avez pris deux années pour rejoindre Monsieur au Luxembourg est incompatible avec celui d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée ou de devenir victime d'atteintes graves. En effet, il est légitime de s'attendre d'une personne qui prétend craindre pour sa vie qu'elle tente de fuir immédiatement son pays d'origine par n'importe quel moyen et vers n'importe quelle destination.
Septièmement, il convient de souligner qu'un ensemble d'incohérences et d'improbabilités mineures contribuent à effriter encore plus la crédibilité de votre récit.
Concernant la remise de votre passeport Monsieur, il parait tout de même peu crédible que les autorités vénézuéliennes ne vous aient remis la convocation pour que vous puissiez le récupérer qu'en octobre 2019 alors que sur votre passeport il est indiqué qu'il a été émis le 11 avril 2019 ; six mois se seraient donc écoulés entre la finalisation de votre passeport et votre réception de la convocation pour aller le récupérer. Votre explication simpliste concernant ce délai « il se peut qu'ils aient émis le passeport mais qu'ils l'aient gardé » (p.11 de votre rapport d'entretien, Monsieur) n'emporte pas la conviction. Quand bien même vous auriez récupéré votre passeport en octobre 2019, il est incohérent, au vue des menaces dont vous vous prétendez victimes, que vous n'ayez quitté votre pays d'origine qu'en mars 2020, soit quatre mois plus tard.
De plus, le fait que vous ne vous soyez pas rendu régulièrement sur votre lieu de travail Monsieur pendant une période de deux mois et que vos absences n'aient pas inquiété votre hiérarchie semble improbable. À cet égard, les raisons que vous avancez ne sont pas convaincantes : « comme je n'étais plus dans le poste de garde, il se rendait moins compte si j'étais là ou pas » ou « mon superviseur s'en rendait compte, mais pour lui c'était positif parce que comme ça je n'allais pas constater les choses qu'il faisait » (p.9 de votre rapport d'entretien, Monsieur). À cela s'ajoute que, le fait que vous n'ayez aucune preuve de votre lettre 11de démission que vous auriez envoyée par courrier électronique à votre superviseur (C) parce qu'« il s'agissait d'un mail, je ne pouvais pas le garder » (p.10 de votre rapport d'entretien, Monsieur) n'est pas crédible.
À cet égard, il convient d'ajouter aussi qu'il est aberrant de constater que, en dépit du fait que vos supposés problèmes sécuritaires découleraient des dénonciations d'irrégularités faites par (A5) au sein de la compagnie étatique (AA) S.A., voire vos prétendues propres dénonciations Monsieur, vous auriez décidé malgré tout de travailler encore pour cette compagnie pétrolière pendant plusieurs mois Monsieur, voire plusieurs années en ce qui vous concerne Madame. En effet, prenant compte des prétendus risques que vous auriez encourus et des menaces reçues, il aurait été raisonnable de s'attendre de votre part de restreindre, voire stopper, vos interactions et relations professionnelles avec la compagnie dans une tentative de calmer la situation. Or, le fait que vous n'auriez aucunement cherché à vous défaire et affranchir de (AA) S.A., mais qu'au contraire vous y auriez poursuivi votre parcours professionnel quasi normalement, pousse à la conclusion que vous n'auriez en réalité rien craint de cette compagnie, alors qu'une partie de ses employés seraient supposément responsables indirectement de vos prétendus problèmes, et que par extension votre récit n'est pas à percevoir comme étant authentique.
Vos récits n'étant pas crédibles, aucune protection internationale ne vous est accordée.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens des articles 26 et 34 de la Loi de 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Venezuela, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 février 2023, les consorts (A) ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 3 janvier 2023 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 3 janvier 2023, prise dans son double volet, telle que déférée.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 3 janvier 2023 portant refus d’une protection internationale Après avoir rappelé les faits tels que relatés, en substance, dans le cadre de leurs auditions respectives auprès du ministère et exposé, en droit, les conditions d’octroi du statut de réfugié au sens des articles 2, point f), 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, les 12demandeurs font valoir, en premier lieu, que ce serait à tort que le ministre aurait retenu un défaut de crédibilité dans leur chef et qu’il aurait, dès lors, commis une erreur d’appréciation.
Ils critiquent à cet égard le fait que le ministre aurait remis en cause la crédibilité de leur récit sur base de la circonstance que leurs déclarations respectives comporteraient des variations de détail et soulignent « qu’il n’existe pas de vérité en matière de mémoire ».
Ils donnent à considérer qu’il serait parfaitement possible que deux personnes remémoreraient un même incident de manière différente, de sorte qu’il serait déraisonnable d’exiger une concordance parfaite entre les deux récits, d’autant plus que les demandeurs se seraient retrouvés « tout simplement en mode de survie et ne pouvaient pas risquer leur vie afin d’obtenir lesdites preuves ».
Les demandeurs font encore valoir qu’un retour dans leur pays d’origine ne serait pas envisageable. Ils se réfèrent à ce titre à un article de presse émanant du « Immigration and Refugee Board of Canada » du 5 janvier 2018 pour illustrer le sort qui serait réservé par les autorités aux demandeurs d’asile déboutés qui retourneraient au Venezuela. Les demandeurs affirment qu’ils risqueraient à leur retour de ne pas trouver un emploi, d’avoir leur passeport annulé, d’être emprisonnés sans procès régulier et d’être privés des services offerts par l’Etat.
L’insécurité serait cultivée par l’Etat même, dans la mesure où les autorités recourraient à un usage systématique de la torture et des assassinats, de sorte que les demandeurs risqueraient des actes de persécution en rentrant dans leur pays d’origine. Pour illustrer leurs propos, ils renvoient à différents articles de presse à cet égard.
Les demandeurs soulignent que le ministre ne saurait se contenter de refuser l’octroi de la protection internationale en indiquant que leurs demandes seraient non fondées, mais qu’il devrait en revanche apporter de bonnes raisons justifiant qu’ils ne subiront pas d’atteintes graves à leur retour, et ce au vu de la jurisprudence constante instaurant une présomption réfragable en faveur des personnes ayant déjà subi des persécutions dans leur pays d’origine avant leur départ.
En deuxième lieu, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation et d’interprétation par rapport aux « Conventions Internationales ».
Ainsi, ils font valoir que la décision litigieuse serait contraire à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ci-après dénommée « la DUDH », garantissant à toute personne faisant l’objet d’une persécution le droit de chercher l’asile et de bénéficier de l’asile dans d’autres pays.
Ils insistent, dans ce contexte, sur le fait que le Venezuela serait actuellement et « d’après tous les rapports de tous les organismes internationaux reconnus », un pays dans lequel seraient commis de graves crimes contre la population par l’Etat lui-même, ce qui entraînerait une situation humanitaire dramatique sans précédent, ce d’autant plus qu’il existerait une impunité généralisée suite aux violations des droits humains et à l’absence de perspectives sérieuses d’une sortie de crise à court terme. Ainsi, en leur refusant l’octroi du statut de réfugié et en les forçant à retourner dans un pays dont plus de 7 millions d’habitants auraient déjà quitté le sol, le ministre contreviendrait directement à l’article 14, précité.
Ils ajoutent que le refus de leur octroyer le statut de réfugié serait encore contraire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 13ci-après dénommée « la CEDH », en soutenant que les demandeurs d’asile déboutés qui rentreraient au Venezuela y seraient soumis à un risque de violations des droits humains et de traitements inhumains et dégradants.
En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, les demandeurs font valoir que les raisons plus amplement développées dans le cadre du volet de leur recours ayant trait au refus ministériel de leur octroyer le statut de réfugié justifieraient également dans leur chef l’octroi d’une protection subsidiaire puisqu’il devrait être admis qu’ils encourraient des risques sérieux de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Ils insistent sur la situation sécuritaire régnant au Venezuela, qui revêtirait un degré de gravité tel qu'elle pourrait être assimilée à une atteinte grave au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Ils renvoient encore à un rapport international mentionnant des pratiques brutales de la part des autorités policières, des conditions en milieu carcéral déplorables, des violations des droits de l’Homme, un manque d’indépendance de la justice et un harcèlement des défenseurs des droits de l’Homme.
Dans ce contexte, ils insistent sur le fait qu’ils risqueraient d’être torturés par les autorités de leur pays d’origine en raison de leur qualité de demandeurs d’asile déboutés.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, […], et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
14Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la 15persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’octroi du statut de réfugié qu’à celle visant d’obtenir la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Par ailleurs, le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
16 Au regard des contestations afférentes de la partie étatique, il convient dès lors de prime abord d’examiner la crédibilité du récit des demandeurs.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.
Il échet de constater que le ministre a remis en cause la crédibilité du récit des demandeurs sans que ces derniers prennent position de façon circonstanciée par rapport aux différents éléments soulevés par le ministre, les consorts (A) se bornant, en effet, à soutenir qu’il serait déraisonnable de s’attendre à une concordance parfaite entre leurs déclarations respectives.
Le tribunal constate tout d’abord que sur la fiche de motifs remplie au moment de l’introduction de la demande de protection internationale en date du 11 mars 2020, Monsieur (A1) a expliqué avoir été « poursuivi par un groupe de personnes du gouvernement » qui serait venu chez lui pour infliger des blessures à lui-même et à sa famille, en précisant que « tout cela s’est passé après que mon père a dénoncé des actes de corruption dans l’entreprise pour laquelle nous travaillons ». Lors de son entretien auprès du ministère, Monsieur (A1) s’est qualifié soi-même comme dénonciateur en précisant qu’il aurait « remarqué des irrégularités dans les entrepôts », irrégularités dont il aurait fait part à son superviseur2, suite à quoi ce dernier l’aurait mis à l’écart et aurait commencé à le « signaler comme une personne qui dénonce des manquements »3, tandis que Madame (A2) a indiqué dans son entretien nécessiter une protection « à cause du problème surtout de mon beau-père »4, tout en précisant que « j’imagine que c’était à cause des soucis de mon beau-père, parce que mon mari n’avait pas de soucis »5. Il en résulte que Monsieur (A1) a non seulement modifié sa version en cours de procédure, mais que son épouse n’en était également pas au courant, bien qu’ils aient travaillé dans la même entreprise.
Le tribunal partage encore les doutes émis par le ministre au regard des incohérences au niveau de la chronologie des faits relatés par les demandeurs, étant donné que le principal incident dont les consorts (A) se prévalent à l’appui de leurs demandes, à savoir une tentative d’assassinat lors de l’emménagement dans leur nouvelle maison dans le Sector …, se serait déroulée, selon le récit de Monsieur (A1) en date du 8 février 20196 et selon le récit de Madame (A2) en début de décembre 20197. Ensuite, et au-delà des contradictions temporelles, les 1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.
2 Page 5 du rapport d’entretien de Monsieur (A1).
3 Page 5 du rapport d’entretien de Monsieur (A1).
4 Page 8 du rapport d’entretien de Madame (A2).
5 Page 13 du rapport d’entretien de Madame (A2).
6 Page 5 du rapport d’entretien de Monsieur (A1).
7 Page 8 du rapport d’entretien de Madame (A2).
17déclarations des demandeurs divergent également par rapport aux personnes qui auraient été présentes au moment de cet événement. Il ressort, en effet, de l’entretien de Monsieur (A1) que son père aurait été sur les lieux « étant donné qu’il n’habitait pas loin de chez moi » 8, tandis que Madame (A2) s’est rappelée la présence de « mes deux cousins, mon mari, mon fils de sept ans et mon fils aîné qui était dehors »9. Cette divergence entre les deux récits est d’autant plus frappante puisque que le père de Monsieur (A1) se trouvait en Europe depuis mai 2019, de sorte qu’il ne pouvait pas être présent au moment des faits, tels qu’énoncés par Madame (A2).
Ils s’y ajoutent des incohérences au niveau du déroulement de la prétendue tentative d’assassinat, dans le sens où Madame (A2) a indiqué qu’à part son fils aîné, toutes les personnes présentes, y compris son mari, se seraient trouvées à l’intérieur de la maison au moment de l’agression et ne s’en seraient rendues compte que lorsque Felix serait rentré dans la maison en claquant la porte10, tandis que Monsieur (A1) a expliqué qu’il aurait entendu un coup de feu et serait sorti en conséquence en voyant « deux mecs sur une moto rouge et noire s’enfuir »11, ce qui est en contradiction avec la version de la demanderesse d’après laquelle seul son fils se serait aperçu du fait que la moto en cause aurait été rouge et noire12.
Force est, ainsi, au tribunal de constater que les deux versions des faits fournies par les demandeurs sont clairement contradictoires en ce qui concerne la date et les circonstances de la prétendue tentative d’assassinat.
Etant donné que la tentative d’assassinat constitue néanmoins l’un des éléments clefs du récit des demandeurs, cette contradiction est à elle seule de nature à jeter un doute considérable sur la crédibilité générale de leurs récits.
Ce doute est renforcé par le fait que les récits des demandeurs ne concordent pas non plus pour ce qui est de leur situation de logement dans les suites de la prétendue tentative d’assassinat prédécrite. Selon Monsieur (A1), ils seraient restés encore pendant deux semaines dans la nouvelle maison après l’incident, avant de retourner dans leur ancien domicile appartenant à Madame (A2)13, en espérant que les motards ne les y retrouveraient pas, au motif qu’ « ils ne font pas de lien entre moi et ma femme parce qu’on s’est marié seulement en décembre 2019 »14. En revanche, conformément aux déclarations de Madame (A2), les demandeurs ne seraient pas seulement restés deux semaines, mais deux mois dans cette maison15 après la tentative d’assassinat.16. Si la demanderesse a confirmé que son mari l’aurait accompagnée pendant ces mouvements17 fréquents, il échet au tribunal de constater que les déplacements fréquents ne ressortent pas du récit du demandeur. Madame (A2) a expliqué encore qu’ils seraient retournés ensemble dans leur ancien domicile à … en février 202018. Il est pour le moins étonnant que la description de leur situation d’hébergement diverge aussi significativement, alors que les consorts (A) ont vécu ensemble jusqu’au départ du demandeur du Venezuela en mars 2020.
8 Page 5 du rapport d’entretien de Monsieur (A1).
9 Page 9 du rapport d’entretien de Madame (A2).
10 Page 9 du rapport d’entretien de Madame (A2).
11 Page 5 du rapport d’entretien de Monsieur (A1).
12 Page 10 du rapport d’entretien de Madame (A2).
13 Page 6 du rapport d’entretien de Monsieur (A1).
14 Page 9 du rapport d’entretien de Monsieur (A1).
15 Page 8 du rapport d’entretien de Madame (A2).
16 Page 10 du rapport d’entretien de Madame (A2).
17 Page 15 du rapport d’entretien de Madame (A2).
18 Page 3 du rapport d’entretien de Madame (A2).
18Par ailleurs, le tribunal constate, à l’instar de la partie étatique, que le récit des demandeurs présente d’autres contradictions et incohérences.
En effet, les mêmes doutes persistent pour ce qui concerne la deuxième agression décrite par les demandeurs qui se serait déroulée, selon Madame (A2), en avril 2020 et selon Monsieur (A1), en date du 27 mai 2020. Au-delà du fait que les demandeurs font allusion dans leurs entretiens respectifs à un même événement en l’inscrivant à une date différente, une divergence ressort de leurs déclarations respectives dans la mesure où le demandeur a prétendu que Madame (A2) aurait assisté à la scène et en aurait également été victime puisque les deux hommes auraient « osé […] pointer ma femme et mon fils de cinq ans »19, alors que la demanderesse a reconnu ne pas avoir été présente lors des faits : « ils ont pointé mon fils et finalement ils ont piqué son téléphone et ils sont partis. C’est ma sœur qui m’a raconté, parce que moi, je n’étais pas là »20.
Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, et plus particulièrement des multiples incohérences et contradictions relevées ci-avant et en l’absence de prise de position circonstanciée par les demandeurs à ce sujet dans leur requête introductive d’instance, le tribunal retient que les récits des demandeurs, considérés dans leur globalité, ne sont pas de nature à convaincre, de sorte qu’ils ne sauraient valablement prétendre à l’octroi d’un statut de protection internationale sur base de ces mêmes récits.
En ce qui concerne ensuite les craintes des demandeurs liées au fait de devoir retourner au Venezuela en tant que demandeurs de protection internationale déboutés, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que toute personne se trouvant dans cette situation et retournant au Venezuela risquerait d’y subir des persécutions, respectivement des atteintes graves.
Outre le fait que le rapport de « l’Immigration and Refugee Board of Canada » a été rédigé le 5 janvier 2018, et que, de ce fait, se pose légitimement la question de l’actualité des informations y renseignées, il se dégage néanmoins de ce rapport que le traitement réservé à un demandeur de protection internationale débouté, à savoir le fait de ne pas pouvoir trouver un emploi, d’avoir son passeport annulé ou d’être emprisonné, dépend des raisons pour lesquelles il a quitté le pays, de son rôle ou de la profession exercée au Venezuela et de la nature de son conflit avec le gouvernement. Or, dans la mesure où les demandeurs sont restés en défaut de démontrer qu’ils auraient des caractéristiques personnelles qui exacerberaient le risque de faire l’objet de l’une de ces mesures, notamment en raison d’un conflit qu’ils auraient eu avec le gouvernement, il échet de constater que les craintes des demandeurs restent hypothétiques.
En ce qui concerne le rapport de Human Rights Watch, intitulé « Venezuela - Events of 2021 » et l’article de presse du 10 septembre 2020, intitulé « Returning Venezuelans subjected to ‘inhuman’ treatment, report says », le tribunal relève que les demandeurs ne tombent pas non plus dans le cas de figure des nationaux vénézuéliens ayant souhaité retourner au pays pendant la pandémie liée à la Covid-19, qui sont visés dans les prédits documents, et dont les retours en masse en 2020 ont été rendus difficiles suite à des fermetures de la frontière entre la Colombie et le Venezuela, respectivement qui ont dû se soumettre à des mesures de quarantaine 19 Page 8 du rapport d’entretien de Monsieur (A1).
20 Page 13 du rapport d’entretien de Madame (A2).
19dans des conditions qualifiées d’inhumaines et dégradantes par les organisations non gouvernementales parce que le président vénézuélien les a accusés d’être des « bioterrorists ».
Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les craintes des demandeurs de faire l’objet de persécutions, respectivement d’atteintes graves s’ils devaient retourner au Venezuela en tant que demandeurs de protection internationale déboutés, ne sauraient pas non plus justifier dans leur chef l’octroi d’un des statuts conférés par la protection internationale.
La conclusion qui précède n’est pas ébranlée par l’invocation par les demandeurs des recommandations émises par l’Agence pour les réfugiés des Nations Unies en mai 2019, puisqu’à travers ces recommandations, ladite agence n’a pas exhorté les Etats accueillant des ressortissants vénézuéliens à leur octroyer systématiquement une protection internationale en raison de la situation régnant dans leur pays d’origine, et notamment du sort qui leur serait réservé en tant que demandeurs de protection internationale déboutés, mais leur a demandé d’autoriser lesdits ressortissants à accéder à leur territoire et de leur garantir un accès aux procédures d’asile, ce qui a, en l’espèce, bien été le cas.
Pour autant que les demandeurs aient encore entendu soutenir que le Venezuela devrait être considéré comme faisant face à une situation de conflit armé interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015 en invoquant un rapport de Human Rights Watch intitulé « Venezuela : Events of 2021 », il échet de relever, outre le fait que le contenu dudit article est non autrement discuté par les demandeurs, qu’il ne s’en dégage pas que tout ressortissant vénézuélien risquerait actuellement de subir des atteintes graves du seul fait de sa présence sur le territoire du Venezuela et indépendamment de sa situation personnelle.
En l’absence de documents probants, tels que des rapports internationaux, dépeignant une situation sécuritaire au Venezuela qui serait telle qu’elle répondrait aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de conclure, sur base des éléments soumis à l’appréciation du tribunal par les demandeurs, qu’il n’y a actuellement pas de risque réel pour les citoyens du Venezuela de subir des atteintes graves contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé qui se déroulerait dans le prédit pays.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et des éléments à sa disposition, le tribunal est amené à conclure que les demandeurs n’ont pas fait état d’un élément de nature à justifier dans leur chef l’octroi du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée leurs demandes tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.
Il s’ensuit que c’est à bon droit, et sans violer l’article 14 de la DUDH ni l’article 3 de la CEDH, que le ministre a rejeté la demande des consorts (A) en obtention d’une protection internationale comme étant non fondée, de sorte que le recours est à rejeter.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Les demandeurs n’ont pas invoqué de moyens spécifiques à l’appui de ce volet de leur recours.
20 Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre pouvait valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours en réformation pour autant qu’il est dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 3 janvier 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 3 janvier 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 octobre 2024 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 21