Tribunal administratif N° 48290 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48290 3e chambre Inscrit le 20 décembre 2022 Audience publique du 22 octobre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Sécurité Intérieure en matière de stage
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48290 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 décembre 2022 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation, et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Sécurité Intérieure du 10 octobre 2022 portant retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier pour motifs graves avec effet au même jour ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 2 janvier 2023, inscrite sous le numéro 48291 du rôle ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 février 2023 ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Daniel BAULISCH et Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er octobre 2024.
Par courrier du 9 septembre 2022, le directeur général de la Police grand-ducale, ci-après désigné par « le directeur général », s’adressa au ministre de la Sécurité Intérieure, désigné ci-après par « le ministre », pour lui proposer de retirer le statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier à Monsieur … au motif qu’il ressortirait d’un rapport de la Police grand-ducale référencé sous le numéro …, que Monsieur … aurait, dans la nuit du 1er au 2 septembre 2022, affiché un comportement inacceptable pour un futur membre de la Police grand-ducale à la fête foraine « Schueberfouer », compte tenu de « son agressivité et son ivresse publique, ses provocations en groupe et son opposition aux forces de police lors du contrôle ».
Par courrier recommandé avec avis de réception du 13 septembre 2022, le ministre informa Monsieur … que le directeur général avait demandé que le statut de fonctionnaire stagiaire lui soit retiré sur base de l’article 65, point 3, de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, désignée ci-après par « la loi du 18 juillet 2018 », tout en 1l’invitant à lui faire parvenir ses observations éventuelles endéans un délai de huit jours et en l’informant de son droit d’être entendu en personne dans ce même délai.
Ledit courrier fut libellé comme suit :
« […] Le Directeur général de la Police m’a rapporté que dans la nuit du 1er au 2 septembre 2022, vous auriez été impliqué dans une bagarre à la « Schueberfouer » avec trois autres jeunes hommes. Vous auriez provoqué plusieurs personnes pendant la soirée, dont notamment des clients à l’intérieur d’un café-restaurant. Vous avez consommé des boissons alcoolisées de façon excessive et pendant votre contrôle de Police, vous étiez visiblement énervé et aucunement coopératif, vous comportant de façon déplacée et irrespectueuse. Vous vous êtes particulièrement fait remarquer par votre comportement non coopératif et provocateur, perturbant votre contrôle policier en criant des slogans inappropriés et en refusant d’obtempérer aux injonctions des policiers. Vous avez dû être évacué et placé en cellule de dégrisement du fait de votre comportement agressif perturbant l’ordre public et représentant un danger potentiel pour vous-même et les autres.
Le Directeur général de la Police demande que le statut de fonctionnaire stagiaire vous soit retiré sur base de l’article 65, point 3, de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale.
Conformément au règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de Etat et des communes, je vous prie de me faire parvenir vos observations éventuelles dans un délai de 8 jours à partir de la notification de la présente. Vous pouvez dans ce même délai demander à être entendu en personne. […] ».
Par courrier du 14 septembre 2022, Monsieur … communiqua ses observations au ministre tout en sollicitant une entrevue personnelle afin de pouvoir s’expliquer sur les faits lui reprochés. Conformément à sa demande, Monsieur … fut entendu en ses observations en date du 23 septembre 2022.
Par décision du 10 octobre 2022, le ministre retira le statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier à Monsieur … pour motifs graves, ladite décision étant motivée comme suit :
« […] Vu la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat ;
Vu l’article 65, point 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-
ducale ;
Vu l’arrêté ministériel du 18 février 2022 portant admission au stage de Monsieur … dans le groupe de traitement C2 du cadre policier de la Police grand-ducale avec effet au 21 février 2022 ;
Vu l’avis du 9 septembre 2022 du Directeur général de la Police de retirer le statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier à Monsieur … pour motifs graves en raison des faits survenus dans la nuit du 1er au 2 septembre 2022 desquels il résulte que l’intéressé aurait été impliqué dans une bagarre à la « Schueberfouer », aurait provoqué plusieurs personnes dans la soirée, dont des policiers qui y étaient à titre privé, tout en ayant consommé des boissons 2alcoolisées de façon excessive, se serait comporté de façon déplacée et irrespectueuse lors de son contrôle de police et aurait dû être évacué et placé en cellule de dégrisement du fait de son comportement agressif ;
Vu le courrier du 13 septembre 2022 informant Monsieur … de mon intention de lui retirer le statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier et l’invitant à me faire parvenir ses observations ;
Vu le courrier du 14 septembre 2022 de Monsieur …, entré au cabinet ministériel en date du 15 septembre 2022, présentant ses observations et sollicitant une entrevue personnelle ;
Vu l’entrevue personnelle en date du 23 septembre 2022 ;
Considérant que les explications fournies par Monsieur … lors de son entrevue personnelle, combinées avec son courrier du 14 septembre 2022, ne permettent pas de justifier son comportement ; que Monsieur … aurait effectivement participé activement à la perturbation du contrôle de police, agissant de façon particulièrement agressive et non coopérative, résultant en un placement en cellule de dégrisement ; que les arguments avancés n’atténuent aucunement la gravité des faits constatés ;
Considérant que Monsieur … ne présente dès lors pas les qualités requises pour exercer le métier de policier tel qu’un comportement irréprochable dans et en dehors du service et une exemplarité sans faille ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 décembre 2022, inscrite sous le numéro 48290 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision précitée du ministre du 10 octobre 2022.
Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 48291 du rôle, il a encore sollicité le sursis à exécution de ladite décision jusqu’à ce que le recours au fond soit toisé par le tribunal administratif, demande à laquelle, le premier vice-président au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président du tribunal administratif, fit droit par ordonnance du 2 janvier 2023.
Quand bien même une partie a, comme en l’espèce, formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.
Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. En revanche, il est compétent pour connaître du recours principal en annulation, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Arguments des parties 3 A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir repris les rétroactes exposés ci-avant, conteste en premier lieu les faits lui reprochés et plus particulièrement celui d’avoir été impliqué dans une bagarre. A cet égard, il explique qu’au moment de la survenance de ladite bagarre, il se serait trouvé à l’intérieur d’un local de la « Schueberfouer » en compagnie d’un collègue. Ce n’aurait été qu’en sortant dudit local qu’il se serait rendu compte qu’il y avait eu une altercation entre plusieurs personnes, dont une aurait été blessée au visage. Le demandeur conteste encore s’être comporté de manière agressive lors du contrôle de police dont il a fait l’objet, tout en relevant que ce même contrôle n’aurait pas été effectué suivant les règles légales, telles que consacrées entre autres par l’article 45 du Code de procédure pénale. Il explique plus particulièrement qu’il aurait obtempéré aux instructions des policiers jusqu’au moment où l’un d’eux aurait commencé à prendre des photos avec son portable, le demandeur étant d’avis que la prise de telles photos n’aurait pas été justifiée, alors qu’il aurait donné son identité aux policiers en question et leur aurait remis sa carte d’identité.
Il explique ensuite avoir été entendu comme témoin, et non pas comme auteur présumé d’avoir commis une infraction, par l’Inspection Générale de la Police, tout en soutenant qu’il ignorerait les raisons pour lesquelles il avait été entendu comme témoin. A côté de cette audition, il aurait encore été entendu « à titre de simples explications » par son chargé d’études.
Le demandeur donne finalement à considérer qu’il ignorerait les faits qui ont été soumis au ministre, de même que l’identité de « l’auteur de cette dénonciation », alors qu’il ne se serait vu transmettre ni un procès-verbal de police, ni un rapport d’audition d’un plaignant respectivement d’un témoin.
En droit, le demandeur conclut en premier lieu à une méconnaissance du principe général du respect des droits de la défense, ainsi qu’à une violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », alors qu’aucune instruction disciplinaire neutre et indépendante n’aurait été diligentée à son encontre.
A cet égard, il donne plus particulièrement à considérer que bien que les fonctionnaires stagiaires ne bénéficieraient pas d’une procédure disciplinaire telle que celle applicable aux fonctionnaires, il n’en demeurerait pas moins que les principes élémentaires applicables au niveau du droit disciplinaire auraient été violés en l’espèce, le concerné rappelant à cet égard qu’à part son entrevue personnelle avec son chargé de direction, il n’aurait jamais été mis en mesure de prendre position par rapport à une accusation concrète et circonstanciée, de sorte que l’« enquête » dont il aurait fait l’objet, quod non, revêtirait un caractère unilatéral.
Or, le principe du respect des droits de la défense imposerait à toute administration de porter, en temps utile, à la connaissance de l’administré, les griefs qui sont soulevés à son encontre, de l’avertir de la sanction envisagée, de lui donner accès à l’ensemble du dossier fondant les poursuites et de lui permettre de faire valoir ses moyens de défense par rapport aux faits reprochés ainsi que de faire entendre, le cas échéant, des témoins utiles à sa défense et à la manifestation de la vérité. Il serait, par ailleurs, unanimement admis en jurisprudence 4que le dossier disciplinaire doit contenir toutes les pièces relatives aux faits servant de base aux poursuites et être mis à la disposition du fonctionnaire à partir de sa convocation.
Les dispositions des articles 11 et 12 du règlement du 8 juin 1979 imposeraient, quant à elles, une obligation de communication du dossier administratif à première demande à l’administration. Or, en l’espèce, les pièces relatives à son dossier disciplinaire ne lui auraient pas été communiquées conformément à ces dispositions réglementaires.
Il s’ensuivrait que la décision ministérielle sous analyse, laquelle ne contiendrait pas de motivation précise, réelle et sérieuse, devrait encourir l’annulation pour violation de la loi, excès de pouvoir, violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, voire pour détournement de pouvoir.
En deuxième lieu, le demandeur invoque une méconnaissance du principe de la présomption d’innocence, alors qu’aucune instruction disciplinaire à décharge n’aurait été effectuée en l’espèce.
Il fait plus particulièrement plaider que ce principe, lequel serait d’ordre public et résulterait de l’article 6, paragraphe 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales , ci-après désignée par « la CEDH », aurait fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », le demandeur précisant à cet égard que la CourEDH aurait notamment retenu que ledit principe trouverait à s’appliquer dans le cadre d’une procédure disciplinaire.
Dans la mesure où une instruction à sa décharge serait toutefois simplement inexistante, le principe de la présomption d’innocence aurait été violé en l’espèce, de sorte que la décision ministérielle litigieuse devrait encourir l’annulation de ce chef.
En troisième lieu, le demandeur conclut à une absence de motivation formelle de la décision litigieuse et partant à une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, alors que cette même décision resterait en défaut d’indiquer de façon claire et précise les faits justifiant le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier dans son chef.
Or, en cas d’imprécision de motifs, tel que ce serait le cas en l’espèce, le juge administratif se trouverait dans l’impossibilité de contrôler la légalité de la décision lui soumise, le demandeur ajoutant qu’une motivation formelle devrait être adéquate, c’est-à-dire permettre au destinataire d’un acte administratif d’en comprendre les raisons de fait et de droit ayant conduit l’administration à prendre ce même acte et ainsi lui permettre de mieux apprécier la légalité de celui-ci et l’opportunité de le contester en justice.
En l’espèce, l’imprécision des faits repris dans la décision litigieuse l’empêcherait de faire valoir utilement ses droits de la défense, le demandeur donnant plus particulièrement à considérer que ladite décision ferait référence à un avis du directeur général du 9 septembre 2022, avis qui ne lui aurait toutefois jamais été communiqué.
La motivation à la base de l’arrêté ministériel litigieux ne lui aurait partant pas permis de se défendre, de sorte qu’il y aurait lieu d’annuler cette même décision.
Le demandeur conclut ensuite à une violation des articles 9 et 12 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979, le concerné renvoyant à cet égard à la jurisprudence en la matière.
5Finalement, le demandeur conclut au caractère manifestement disproportionné de la décision ministérielle litigieuse. A cet égard, il se réfère en premier lieu à l’article 65, point 3 de la loi du 18 juillet 2018 et à l’article L.124-10, paragraphe (2) du Code du travail pour affirmer que le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier pour motifs graves ne serait justifié que si le stagiaire a commis un fait ou une faute grave rendant immédiatement et définitivement impossible toute collaboration entre lui et son administration. Il fait par ailleurs plaider qu’en matière disciplinaire le principe général de proportionnalité requerrait que la sanction infligée soit en rapport raisonnable avec les faits punissables, soit justifiée et ne procède pas d’un quelconque rapport arbitraire.
Le demandeur rappelle ensuite qu’il appartiendrait au tribunal, saisi d’une affaire disciplinaire, de vérifier si la sanction retenue est proportionnée et juste, et ce notamment en tenant compte de la situation personnelle et des antécédents du fonctionnaire concerné, pour soutenir qu’en l’espèce, au vu de ses contestations par rapport aux faits vagues lui reprochés, la décision litigieuse serait manifestement disproportionnée et devrait encourir l’annulation de ce chef.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au caractère non fondé du recours sous analyse.
A l’appui de ses conclusions, la partie étatique rappelle en premier lieu les faits reprochés au demandeur en soutenant en substance que durant la soirée du 1er au 2 septembre 2022, celui-ci aurait provoqué plusieurs personnes, aurait consommé des boissons alcoolisées de façon excessive, aurait été visiblement énervé et aucunement coopératif pendant le contrôle de police dont il aurait fait l’objet et aurait finalement dû être évacué et placé en cellule de dégrisement. Le délégué du gouvernement met encore en exergue qu’il ressortirait du libellé de la requête introductive d’instance que le demandeur est en aveu de ne pas avoir obtempéré aux ordres des policiers lors du prédit contrôle, tout en affirmant que la prise de photos illégale resterait à l’état de pure allégation.
En droit, et en ce qui concerne les développements du demandeur relatifs à une violation de l’article 11 du règlement du 8 juin 1979 et du principe du respect des droits de la défense, la partie étatique fait valoir que le demandeur n’aurait pas fait l’objet d’une instruction disciplinaire telle que prévue par la loi modifiée du 18 juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale, mais d’un retrait de son statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier, tel que prévu à l’article 65, point 3 de la loi du 18 juillet 2018. Le délégué du gouvernement en conclut qu’il ne saurait y avoir violation d’une quelconque procédure disciplinaire en l’espèce.
Il ajoute que « toutes les formalités » auraient été respectées en l’espèce, telles que les dispositions de la procédure administrative non contentieuse et ce par le biais de l’information préalable du demandeur de l’intention du ministre de lui retirer son statut de stagiaire, information qui aurait d’ailleurs contenu une description détaillée des faits reprochés au concerné.
Dans la mesure où le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense auraient été garantis en l’espèce, ce serait à tort que le demandeur affirmerait ne jamais avoir eu la possibilité de prendre position par rapport à une accusation concrète et circonstanciée.
6Le délégué du gouvernement est ainsi d’avis que le moyen relatif à une violation du principe général du respect des droits de la défense et de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 laisserait d’être fondé.
En ce qui concerne la violation alléguée du principe de la présomption d’innocence, le délégué du gouvernement fait valoir que ledit principe ne trouverait pas application en l’espèce, alors que la décision litigieuse n’aurait pas été prise dans le cadre d’une éventuelle procédure pénale en cours contre le demandeur ni dans celui d’une éventuelle procédure disciplinaire prévue par la loi modifiée du 18 juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale, seuls cas de figure où ledit principe pourrait se voir appliquer, le délégué du gouvernement donnant par ailleurs à considérer que seul le directeur général pourrait prendre l’initiative d’une telle procédure disciplinaire et non pas le ministre.
En ce qui concerne le défaut de motivation soulevé par le demandeur, le délégué du gouvernement fait valoir que la motivation à la base de la décision litigieuse serait « parfaitement claire et complète » tant en ce qui concerne les faits reprochés au concerné qu’en ce qui concerne la disposition légale à sa base et permettrait dès lors à ce dernier de comprendre les raisons qui ont amené le ministre à lui retirer le statut de fonctionnaire stagiaire. Il ajoute, en ce qui concerne les développements du demandeur selon lesquels l’avis du directeur général mentionné dans la décision litigieuse ne lui aurait pas été communiqué, qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’imposerait une telle communication. Par ailleurs, le ministre ne se serait pas limité à renvoyer à la motivation contenue dans ledit avis, mais se serait contenté de faire référence à ce même document, la partie étatique précisant encore que le demandeur n’aurait jamais sollicité la communication de l’avis en question.
En affirmant encore qu’une éventuelle insuffisance de motivation ne saurait, en tout état de cause, entraîner l’annulation de la décision litigieuse, mais uniquement une suspension des délais de recours, la partie étatique conclut au caractère non fondé dudit moyen.
Quant à la violation alléguée des articles 9 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la partie étatique conclut au rejet de ce moyen en renvoyant à ses développements relatifs aux moyens tenant à une violation de l’article 11 du même règlement, relatifs à une prétendue violation des droits de la défense et à un défaut de motivation.
Finalement, et en ce qui concerne les développements du demandeur relatifs à une violation du principe de proportionnalité, le délégué du gouvernement souligne que le comportement affiché par le concerné aurait été suffisamment grave pour être incompatible avec son maintien en service, la partie étatique mettant notamment en exergue que ce même comportement traduirait un manque de respect manifeste de Monsieur … envers ses futurs collègues de travail. Le délégué du gouvernement ajoute que le fait d’être impliqué dans une altercation avec un membre de la police grand-ducale, de refuser d’obtempérer lors d’un contrôle de police et de se retrouver placé en cellule de dégrisement tout en étant aspirant policier serait tout simplement inacceptable et porterait atteinte à l’image de la fonction de policier.
En insistant encore sur le fait que l’appréciation des motifs graves et de l’inconduite répétée relèverait du ministre sur avis du directeur général, la partie étatique conclut au caractère proportionné de la décision ministérielle litigieuse.
7Au vu de l’ensemble de ces considérations, le délégué du gouvernement estime que la décision ministérielle sous analyse serait fondée en fait et en droit et que le recours sous analyse serait à rejeter pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
Appréciation du tribunal S’agissant tout d’abord de la légalité externe de la décision litigieuse, force est de constater que le demandeur fait valoir qu’il n’aurait pas pu prendre position par rapport à une accusation concrète et circonstanciée, hormis une entrevue personnelle avec son chargé d’études, entrevue dont le contenu n’aurait pas été acté par un procès-verbal, et qu’il aurait été privé d’une mise à disposition des pièces relatives à son dossier disciplinaire, de sorte qu’il ignorerait les faits concrets sur lesquels se serait basé le ministre pour prendre la décision litigieuse, le demandeur concluant, de ce fait, à une violation du principe général des droits de la défense, ainsi que des articles 11 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
A cet égard, il convient d’abord de relever, à l’instar du juge du provisoire, que la décision déférée ne s’inscrit pas dans le cadre d’une procédure disciplinaire ouverte à l’égard du demandeur, mais qu’il s’agit d’une décision ayant pour objet le retrait de son statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier pour motifs graves, au sens de l’article 65, point 3 de la loi du 18 juillet 2018.
Il convient dès lors d’emblée de rejeter l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’aurait pas fait l’objet d’une instruction disciplinaire neutre et indépendante dans le cadre de la décision sous analyse, alors qu’une telle instruction disciplinaire n’est pas prévue en tant que telle en cas de résiliation de stage pour motifs graves.
Il y a ensuite lieu de rappeler que si l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 en vertu duquel « Tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être. […] », impose certes à l’administration une obligation de communication à première demande de l’intégralité du dossier administratif, cette obligation de communication n’est cependant pas une fin en soi, mais elle a pour but de permettre à l’administré de décider en connaissance de cause, au vu des éléments dont dispose l’administration et sur le fondement desquels a été prise sa décision, s’il est utile pour lui de saisir une juridiction. La non-communication de l’entièreté du dossier administratif ne constitue ainsi pas nécessairement et automatiquement une cause d’annulation de la décision litigieuse, laquelle repose sur des motifs qui lui sont propres, et ne saurait affecter la légalité de la décision administrative que dans l’hypothèse d’une violation vérifiée des droits de la défense1.
Il y a, à cet égard, encore lieu de relever qu’afin de démontrer qu’un administré a été lésé dans son droit à un recours effectif, il lui appartient de préciser concrètement quel élément du dossier lui aurait fait défaut pour pouvoir utilement préparer et déposer un recours contre une décision qui lui fait grief. Le droit à un recours effectif, en cas de dépôt en cours d’instance d’une pièce non communiquée préalablement, peut le cas échéant justifier l’autorisation d’un mémoire supplémentaire afin de sauvegarder les droits de la défense2.
1 Trib. adm., 29 octobre 2009, n° 24429 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 155 1er volet, et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 24 mai 2019, n° 40796 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 155, 2e volet.
8 En l’espèce, il y a tout d’abord lieu de relever qu’il ne ressort pas des pièces soumises au tribunal que le demandeur ait, à un quelconque stade de la procédure précontentieuse demandé de se voir communiquer l’intégralité de son dossier administratif, de sorte qu’il ne saurait valablement reprocher au ministre le défaut d’une telle communication et partant se prévaloir d’une prétendue violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Par ailleurs, et même si le demandeur ne s’est pas vu communiquer l’intégralité de son dossier administratif avant l’introduction du présent recours, le tribunal ne saurait toutefois suivre ses développements quant à une violation subséquente de ses droits de la défense, dans la mesure où il s’était vu soumettre, à travers le courrier du ministre du 13 septembre 2022, ainsi qu’à travers la décision litigieuse, tous les éléments factuels et juridiques ayant amené le ministre à lui retirer son statut de fonctionnaire stagiaire. Ainsi, le demandeur disposait de tous les éléments factuels à la base de la décision litigieuse préalablement à l’introduction de son recours.
Par ailleurs, et contrairement à ses affirmations, Monsieur … a pu prendre position quant aux faits lui reprochés, alors qu’il a été entendu, d’après ses propres déclarations, par son chargé d’études en date du 23 septembre 2022.
A cela s’ajoute que le demandeur, après s’être vu communiquer le dossier administratif tel que déposé par la partie étatique concomitamment avec le mémoire en réponse, aurait pu y prendre position en déposant un mémoire en réplique, ce qu’il a toutefois omis de faire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’une violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, ainsi que d’une violation du principe général des droits de la défense laisse d’être fondé.
En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, article aux termes duquel « Toute personne concernée par une décision administrative qui est susceptible de porter atteinte à ses droits et intérêts est également en droit d’obtenir communication des éléments d’informations sur lesquels l’Administration s’est basée ou entend se baser. », le tribunal relève que cette disposition est relative au droit pour une tierce personne concernée par une décision administrative qui est susceptible de porter atteinte à ses droits et intérêts d’obtenir communication des éléments d’informations sur lesquels l’administration s’est basée ou entend se baser. Or, étant donné que Monsieur … est le destinataire direct de la décision déférée, et non pas une personne tierce intéressée, les dispositions de l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne sont pas applicables en l’espèce.
Quant aux développements du demandeur relatifs à une violation du principe de la présomption d’innocence, tel que consacré par le paragraphe 2 de l’article 6 de la CEDH aux termes duquel « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie », ceux-ci sont également à rejeter.
En effet, et s’agissant de la présomption d’innocence dont peut se prévaloir un agent de la fonction publique, la CEDH a énoncé le principe selon lequel « la présomption d’innocence […] ne se limite pas à une simple garantie procédurale en matière pénale. Sa portée est plus étendue et exige qu’aucun représentant de l’Etat ou d’une autorité publique 9ne déclare qu’une personne est coupable d’une infraction avant que sa culpabilité ait été établie par un « tribunal ». »3.
S’il est certes vrai que le principe de la présomption d’innocence peut trouver à s’appliquer à des propos tenus dans le cadre d’une procédure disciplinaire parallèle visant un demandeur qui est également visé par une procédure pénale, force est toutefois de constater, outre le fait qu’il ne ressort pas des éléments soumis au tribunal que le demandeur soit effectivement visé par une procédure pénale en cours, que la décision litigieuse n’a pas été prise dans le cadre d’une procédure disciplinaire telle que visée par la loi du 18 juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale, mais dans un cadre légal différent, à savoir dans le cadre de la loi du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale et plus particulièrement sur base de l’article 65, point 3 de cette loi, lequel a trait au retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier pour motifs graves.
Il s’ensuit que le principe de la présomption d’innocence ne saurait trouver application en l’espèce et que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au reproche d’une absence de motivation formelle de la décision litigieuse et la violation alléguée de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, il convient de rappeler qu’aux termes de ladite disposition réglementaire toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsque notamment, comme en l’espèce, elle révoque ou modifie une décision antérieure. Force est de souligner, dans ce contexte, que l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n’impose pas une motivation exhaustive et précise, seule une motivation « sommaire » étant expressément exigée.
En l’espèce, il ressort de la lecture de la décision ministérielle litigieuse que cette dernière suffit aux exigences de l’article 6 précité du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce qu’elle est motivée tant en droit qu’en fait.
En effet, il échet de constater que les éléments factuels et juridiques à la base du retrait du statut de fonctionnaire stagiaire de Monsieur … lui ont été soumis tout d’abord, à travers le courrier ministériel du 13 septembre 2022 l’informant de l’intention du ministre de procéder à ce même retrait, renvoyant, d’une part, à l’article 65, point 3 de la loi du 18 juillet 2018 en tant que base légale du retrait envisagé, et, d’autre part, aux éléments de fait sous-
jacents, à savoir la circonstance pour le demandeur d’avoir dans la nuit du 1er au 2 septembre 2022 été impliqué « dans une bagarre à la « Schueberfouer » avec trois autres jeunes hommes », d’avoir « provoqué plusieurs personnes pendant la soirée, dont notamment des clients à l’intérieur d’un café-restaurant », d’avoir « consommé des boissons alcoolisées de façon excessive » de s’être énervé, de s’être comporté « de façon déplacée et irrespectueuse » et de ne pas avoir été coopératif lors du contrôle de police, le demandeur s’étant plus particulièrement vu reprocher d’avoir crié des slogans inappropriés lors de ce contrôle et d’avoir refusé d’obtempérer aux injonctions des policiers. En outre, le demandeur a été rendu attentif au fait qu’il a dû être évacué et placé en cellule de dégrisement en raison de son « comportement agressif perturbant l’ordre public et représentant un danger potentiel pour [lui]-même et les autres ».
3 Actualités du droit disciplinaire, sous la direction de Georges-Albert Dal, cup volume 167, ULg, Larcier 2016, page 44.
10 Le ministre a ensuite, à travers sa décision du 10 octobre 2022, repris en substance les éléments factuels mis en avant dans son courrier du 13 septembre 2022, tout en se basant tant sur les dispositions de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, que sur l’article 65, point 3 de la loi du 18 juillet 2018 et en prenant en compte les observations du demandeur fournies dans le cadre de son entrevue personnelle du 23 septembre 2022, ainsi que dans le cadre de son courrier du 14 septembre 2022.
Il convient, par ailleurs, de noter qu’il ressort de la présentation des moyens dans la requête introductive d’instance que le demandeur n’a pas été empêché de prendre position de manière circonstanciée, en fait et en droit, par rapport à tous les points de la décision déférée et des motifs à la base du retrait de son statut de fonctionnaire stagiaire.
Il suit de toutes ces considérations que le moyen relatif à un manque de motivation est à rejeter, au-delà du constat qu’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est tout au plus susceptible d’entraîner une suspension du délai de recours.
Quant au moyen ayant trait à une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 aux termes duquel : « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations. […] », le tribunal constate que le demandeur base son argumentation sur le fait qu’il n’aurait été informé ni de l’intention du ministre de lui retirer son statut de fonctionnaire stagiaire, ni des éléments de fait et de droit concrets à la base de sa « poursuite disciplinaire ».
Or, il résulte des développements ci-avant que dans son courrier du 13 septembre 2022, le ministre a non seulement informé le demandeur de son intention de lui retirer son statut de fonctionnaire stagiaire en renvoyant, à cet égard à l’article 65, point 3 de la loi du 18 juillet 2018, mais lui a également fait part des éléments de fait qui l’ont amené à considérer un tel retrait.
Il s’ensuit que les développements du demandeur relatifs à une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 laissent d’être fondés.
Force est de constater que, dans ce même contexte, le demandeur invoque encore une violation de l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, article qui n’est, au vu des développements ci-avant, pas applicable dans son chef, dans la mesure où il est le destinataire direct de la décision litigieuse, et non pas une personne tierce, étant rappelé que ladite disposition réglementaire consacre le droit pour une personne tierce d’obtenir communication des éléments d’informations sur lesquels l’administration s’est basée pour prendre une décision susceptible d’affecter ses droits et ne concerne dès lors pas le destinataire direct d’une telle décision.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision litigieuse, le tribunal relève de prime abord que l’article 65 de la loi du 18 juillet 2018, sur le fondement duquel elle a été 11prise, dispose que « Le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier est prononcé par le ministre sur avis du directeur général de la Police : […] 3° pour motifs graves tant dans le service qu’en dehors du service ; […] Le retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier en application du présent article équivaut à une résiliation du stage au sens de l’article 2 de la loi précitée du 16 avril 1979.
Après un retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier pour les motifs évoqués au point 3°, le candidat ne peut plus être admis au stage dans la Police. ».
Il convient à cet égard de rappeler que suivant une jurisprudence constante des juridictions administratives, la finalité première du stage est de permettre, outre l’intégration administrative et sociale du stagiaire dans sa nouvelle administration, l’évaluation du stagiaire, destinée à vérifier ses compétences et son aptitude à l’emploi : il s’agit d’une période d’épreuve.
La notion d’aptitude à l’emploi relève en principe de la seule appréciation discrétionnaire de l’Etat, seul qualifié pour apprécier le résultat du stage probatoire, et doit être largement entendue et ne pas se limiter à son aspect technique, objectif, étant donné que l’engagement d’un fonctionnaire ne saurait être détaché d’un élément d’intuitu personae, qui se traduit notamment dans les capacités d’intégration sociales et humaines du stagiaire4.
Il est encore de jurisprudence que si cette appréciation est discrétionnaire, elle ne saurait être arbitraire, en ce sens que les motifs ayant poussé l’Etat à ne pas nommer un stagiaire à l’issue de son stage, respectivement à retirer le statut de fonctionnaire stagiaire, doivent exister et se rapporter aux qualifications professionnelles du stagiaire, c’est-à-dire à l’insuffisance professionnelle ou à l’inadaptation aux fonctions du stagiaire.
Aussi, si le droit de l’administration d’apprécier l’existence et l’étendue des besoins du service, ainsi que de choisir le personnel qui, à ses yeux, remplit le mieux ces besoins, et, a fortiori, de ne pas retenir le personnel qu’elle estime inadapté, est discrétionnaire, il n’en est pas pour autant soustrait à tout contrôle juridictionnel dans ce sens que sous peine de consacrer un pouvoir arbitraire, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, doit se livrer à l’examen de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, et vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée5.
En l’espèce, force est de constater que si le demandeur ne conteste pas de s’être « retourné contre un policier pour éviter que ce dernier puisse prendre une photo ou faire une séquence vidéo de lui »6, ni d’avoir passé la nuit du 1er au 2 septembre 2022 dans la cellule de dégrisement, il conteste toutefois les autres faits lui reprochés, dont celui d’avoir été impliqué dans la bagarre dont le ministre a fait état ou encore d’avoir été irrespectueux 4 Trib. adm., 20 février 2006, n° 20326 du rôle, confirmé par Cour adm., 27 juin 2006, n° 21129C du rôle, Pas.
adm. 2023, V° Fonction publique, n° 33 et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Fonction publique, n° 223 et les autres références y citées.
6 Page 5 de la requête introductive d’instance.
12envers les policiers ayant effectué le contrôle de police, voire même d’avoir consommé des boissons alcoolisées de « façon excessive ».
A cet égard il y d’abord lieu de relever, à l’instar du juge du provisoire, que le libellé même de l’arrêté ministériel litigieux, lequel a énuméré les faits reprochés au demandeur au conditionnel, laisse planer un certain doute sur l’existence avérée de ces mêmes faits.
Force est en effet de constater, en ce qui concerne la matérialité des faits reprochés au demandeur, que le dossier administratif ne contient qu’un seul document relatif au déroulement de ceux-ci, à savoir un rapport de la Police grand-ducale du 5 septembre 2022 référencé sous le numéro … et dressé par le commissaire en chef …, lequel a patrouillé la nuit afférente à la « Schueberfouer ».
Il échet ensuite de noter qu’il ressort dudit rapport que le demandeur s’est démarqué par son comportement provocatif et peu coopératif affiché lors du contrôle de police dont lui-même et ses trois collègues ont fait l’objet pendant la nuit du 1er au 2 septembre 2022.
L’auteur de ce même rapport a ainsi plus particulièrement relevé que Monsieur … a tenu des propos inadaptés lors dudit contrôle de police, a refusé de tenir en place malgré les injonctions contraires lui données par les policiers ayant effectué ledit contrôle, et leur a crié dessus. Il a encore souligné qu’en agissant de la sorte Monsieur … a perturbé ce même contrôle de police, de sorte à avoir finalement dû être évacué et placé en cellule de dégrisement.
Force est toutefois également de constater qu’il ne ressort à aucun moment dudit rapport que Monsieur … aurait effectivement été impliqué dans la bagarre ayant eu lieu devant un local de la « Schueberfouer », ni même qu’il aurait provoqué « plusieurs personnes dans la soirée ». Par ailleurs, et si l’auteur dudit rapport de la Police grand-ducale du 5 septembre 2022 a certes encore précisé que Monsieur … a consommé des boissons alcoolisées, ce que le concerné ne conteste d’ailleurs pas, il ne donne toutefois aucune précision concrète sur le degré de consommation d’alcool effectif de celui-ci, l’auteur en question se contentant en effet d’affirmer à cet égard que le demandeur aurait porté atteinte à l’ordre public, aurait présenté un danger pour les autres personnes et lui-même et aurait dû être placé en cellule de dégrisement en raison de son « betrunkener Zustand ».
Dans la mesure où le dossier administratif ne contient aucun autre document, tel un rapport sur la déposition, ou encore des témoignages éventuels, susceptible de confirmer les faits de violence reprochés au demandeur, à savoir son implication effective dans la bagarre prémentionnée, voire ses prétendues provocations à l’égard de tierces personnes, et qu’il ne contient en outre aucun éthylotest qui pourrait confirmer une consommation excessive d’alcool de la part du concerné, il échet de retenir, à l’instar du juge du provisoire, que les seuls faits effectivement établis en l’espèce sont une consommation de boissons alcoolisées de la part du demandeur, la tenue par ce dernier de propos déplacés lors du contrôle de police dont il a fait l’objet, voire après ledit contrôle, le fait pour celui-ci de ne pas avoir tenu en place lors de ce même contrôle et son placement en cellule de dégrisement.
Quant à la proportionnalité de la décision ministérielle litigieuse, il échet de relever que s’il est vrai que seule une partie des faits reprochés au demandeur dans le cadre de la décision ministérielle litigieuse est établie à l’exclusion de tout doute, il n’en reste pas moins que ces faits ne sont manifestement pas dignes d’un fonctionnaire stagiaire du cadre policier, 13lequel doit, tel que relevé à juste titre par le ministre dans la décision sous analyse, présenter un comportement irréprochable dans et en dehors du service et une exemplarité sans faille.
Si le comportement ainsi affiché par le demandeur est dès lors certes répréhensible, le tribunal ne saurait toutefois suivre la conclusion de la partie étatique que ce même comportement présente une gravité telle qu’il pourrait, à lui seul, justifier la résiliation du stage du concerné pour motifs graves, ledit comportement n’étant en effet pas de nature à laisser conclure que le demandeur ne présente pas les qualités requises pour exercer le métier de policier, voire qu’il ne présente pas les capacités d’intégration sociales et humaines nécessaires, étant souligné à cet égard qu’il s’agit d’un incident unique qui laisse certes apparaître une certaine immaturité, voire une certaine désinvolture dans le chef du demandeur, mais non pas une incapacité dans son chef d’intégrer la discipline policière, incapacité qui serait de nature à rendre impossible tout maintien en service.
Il s’ensuit que ces mêmes faits n’ont pas pu valablement motiver la décision litigieuse portant retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier dans le chef de Monsieur …, de sorte que la décision ministérielle sous analyse encourt l’annulation.
Finalement, le demandeur sollicite la condamnation de l’Etat à un montant de 2.500 euros à titre d’indemnité de procédure, demande qui est à rejeter étant donné qu’il n’est pas établi en quoi il serait inéquitable de laisser à son unique charge les frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;
reçoit le recours principal en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant annule la décision du ministre de la Sécurité Intérieure du 10 octobre 2022 portant retrait du statut de fonctionnaire stagiaire du cadre policier pour motifs graves dans le chef de Monsieur …;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par le demandeur ;
condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 octobre 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
14 s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 15