Tribunal administratif N° 47480 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47480 4e chambre Inscrit le 27 mai 2022 Audience publique du 22 octobre 2024 Recours formé par la société anonyme … SA, …, contre une décision du directeur de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines en matière de sanction administrative
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47480 du rôle et déposée le 27 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Yusuf MEYNIOGLU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … SA, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines du 13 avril 2022 par laquelle celui-ci a prononcé une déclaration publique à l'égard de la demanderesse ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé en date du 3 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2022 par Maître Yusuf MEYNIOGLU, préqualifié, au nom la société anonyme … SA, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé en date du 21 novembre 2022 au greffe du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yusuf MEYNIOGLU et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles BARBABIANCA en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 septembre 2024.
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Par courrier du 31 août 2021, l'administration de l'Enregistrement, des Domaines et de la TVA, ci-après désignée par l’« AED », invita la société … SA, ci-après désignée par la « société … », à lui transmettre dans un délai de 30 jours le document « AED : Questionnaire anti-blanchiment », accompagné des pièces requises, en vertu de l'obligation de coopération conformément à l'article 5 de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, ci-après désignée par la « loi du 12 novembre 2004 ».
Par courriers des 17 janvier et 7 mars 2022, l'AED prononça une injonction à l’égard de la société … en vertu de l'article 8-2, paragraphe (1), point e) de la loi du 12 novembre 2004 1à remplir et à transmettre le document « AED : Questionnaire anti-blanchiment » dans un délai de 15, respectivement de 7 jours à compter de la date de notification desdites injonctions, sous peine d'une prononciation d'une déclaration publique en vertu de l'article 8-4, paragraphe (2), point c) de la même loi.
Dans la mesure où la société … ne réserva aucune suite aux courriers de l’AED, le directeur de l’AED, ci-après « le directeur », prononça, le 13 avril 2022, notifiée à l’intéressée le 28 avril 2022, une déclaration publique à son encontre dans les termes suivants :
« (…) 1. Applicabilité de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme (loi LBC/FT) Vu le titre 1, chapitre 1, article 2, (10) visant les agents immobiliers, au sens de la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales, établis ou agissant au Luxembourg ET/OU Vu le titre 1, chapitre 1, article 2, (10bis) visant les promoteurs immobiliers, au sens de la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales, établis ou agissant au Luxembourg.
2. Constatation des faits Vu que l'Administration de l'Enregistrement, des Domaines et de la TVA (AED) a invité la société … S.A. en date du 31 août 2021 à remplir et à transmettre dans un délai de 30 jours le document « AED : Questionnaire anti-blanchiment » accompagné des pièces requises via une démarche spécifique sur le site Myguichet.lu, ceci en vertu de l'obligation de coopération conformément à l'article 5 de la loi LBC/FT;
Vu que la société … S.A. n'a pas donné de suites à la requête du 31 août 2021, l'AED a prononcé une injonction en date du 17 janvier 2022, enjoignant la société … S.A. en vertu de de l'article 8-2(1) e) de la loi LBC/FT à remplir et à transmettre le document « AED :
Questionnaire anti-blanchiment » accompagné des pièces requises via une démarche spécifique sur le site Myguichet.lu dans un délai de 14 jours à compter de la date de notification ;
Vu que la société … S.A. n'a également pas donné de suites à l’injonction du 17 janvier 2022, l'AED a prononcé une seconde injonction en date du 7 mars 2022, enjoignant la société … S.A. en vertu de l'article 8-2(1) e) de la loi LBC/FT à se conformer aux dispositions de l'article 5 de la loi LBC/FT dans un délai de 7 jours à compter de la date de notification, sous peine d’une prononciation d’une déclaration publique en vertu de l'article 8-4 (2) c) de la loi LBC/FT ;
3. Prononciation d’une déclaration publique Par conséquent, vu les faits précités et vu qu’en date du 13 avril 2022 la société … S.A.
n’a pas rempli et transmis le document « AED : Questionnaire anti-blanchiment » accompagné des pièces requises via une démarche spécifique sur le site Myguichet.lu, l’AED en conclut 2que la société … S.A. persiste à ne pas se conformer à ses obligations professionnelles en vertu de la loi LBC/FT ; plus particulièrement à l’obligation de coopération conformément à l'article 5 de la loi LBC/FT Qu’il en résulte en vertu de l'article 8-4 (2) c), la prononciation d’une déclaration publique est décidée à l’encontre de la société … S.A.. (…) ».
Par courrier de son litismandataire du 26 avril 2022, la société … introduisit un recours gracieux contre la décision précitée du 13 avril 2022, recours qui fut rejetée par une décision directoriale dudit comité du 11 mai 2022 dans les termes suivants :
« (…) En tant qu'agent immobilier visé à l'article 2-(1) 10 de la loi modifiée du 12 novembre 2004 (ci-après « Loi LBC/ FT ») et/ou en tant que promoteur immobilier visé à l'article 2-(1) 10bis) de ladite loi, la société … S.A. est tenue aux obligations professionnelles de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme et plus précisément à son article 5 visant l'obligation de coopération avec les autorités de surveillance dont l'AED.
Il en va qu'en date du 31 août 2021, du 17 janvier 2022 et du 07 mars 2022, l'AED a invité la société … S.A. à remplir et à transmettre le document « AED : Questionnaire anti-
blanchiment » accompagné des pièces requises.
Or, la société … S.A. ne s'est absolument pas manifestée auprès de l'AED pour apporter de plus amples renseignements quant à sa situation, voire à demander une éventuelle dispense des obligations anti-blanchiment.
Au vu des éléments présentés par la société … S.A., l'AED invite la société à entreprendre les démarches suivantes :
1) Modification du code NACE Il est à soulever que le code NACE renseigné auprès du Registre de Commerce et des Sociétés pour la société … S.A. est le 68.310 portant sur l'activité « Agence immobilière ».
Partant, la société … S.A. est priée de régulariser sa situation auprès du STATEC.
Pour tout changement auprès du Registre de Commerce et des Sociétés, la société … S.A. trouvera sous le lien suivant les informations nécessaires ainsi qu'une référence courriel de contact : (…) 2) Informer les administrations fiscales En cas de cessation de l'activité d'agence immobilière, la société … S.A est priée d'envoyer une déclaration de cessation d'activité au bureau d'imposition de TVA (Bureau 7).
Conformément à l'article 62.1.1° de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée, l'assujetti établi à l'intérieur du pays déclare à l'administration le commencement, le changement et la cessation de son activité en qualité d'assujetti et en vertu de l'article 62.1.3° de la même loi, tout assujetti doit informer l'administration de toute modification par rapport aux renseignements fournis antérieurement.
33) Informer le Ministère de l'Economie En ce qui concerne l'autorisation d'établissement, la société … S.A. est dans l'obligation d'informer le Ministère de l'Economie de la démission de son administrateur.
Le dépôt de la démission de l'administrateur au Registre de Commerce et des Sociétés ne suffit pas à lui seul pour démontrer que la société n'a plus aucune activité d'agent immobilier et/ou promoteur immobilier encore faut-il que la situation soit régularisée auprès du Ministère de l'Economie.
Le défaut d'information de la part de la société … S.A. au Ministère de l'Economie, a pour conséquence que Madame … y est encore inscrite comme détentrice de l'autorisation d'établissement pour l'activité d'agent immobilier, de promoteur immobilier et d'administrateur de biens-syndic de copropriété.
Au vu de ce qui précède, la société … S.A. a démontré dans son chef un défaut intégral de régularisation de sa situation et reste soumise aux obligations professionnelles découlant de la Loi LBC/FT.
Par conséquent, la déclaration publique est maintenue. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 mai 2022, la société … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du 13 avril 2022 du directeur de l’AED.
Etant donné que la décision précitée a été prise sur base de l’article 8-4, paragraphe (2), point c) de la loi du 12 novembre 2004 et qu’aux termes de l’article 8-7 de cette même loi, « [u]n recours en pleine juridiction est ouvert devant le Tribunal administratif à l’encontre des décisions des autorités de contrôle prises dans le cadre du présent chapitre. Le recours doit être introduit sous peine de forclusion dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision attaquée. », le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision directoriale précitée du 13 avril 2022.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut, tout d’abord, à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société …, intérêt qui serait à apprécier à la date où le recours aurait été exercé devant les juridictions administratives, respectivement au jour de l’introduction de la requête introductive d’instance.
Or, la société … aurait, en l’occurrence, introduit son recours le 27 mai 2022, tandis que le délai de publication de la déclaration publique du 13 avril 2022 serait venu à échéance le 19 mai 2022. Ainsi, la mesure litigieuse, d’une part, n’aurait eu qu’une incidence de courte durée sur la situation de la société …, et, d’autre part, aurait cessé de produire tout effet à la date du dépôt de la requête introductive d’instance, de sorte que le recours sous examen serait irrecevable pour viser une décision inexistante au jour de l’introduction du recours.
Dans le cadre de son recours, la société … fait valoir disposer d’un intérêt personnel et direct à agir, alors qu’elle aurait subi une lésion de son intérêt personnel et légitime à travers la 4décision directoriale litigieuse et qu’elle pourrait retirer de la réformation, sinon de l'annulation de cette dernière une satisfaction certaine et personnelle.
Dans son mémoire en réplique, la société … précise encore que la circonstance mise en avant par la partie étatique selon laquelle le délai de publication de la déclaration publique du 13 avril 2022 serait arrivé à échéance le 19 mai 2022 ne ressortirait ni de la décision litigieuse elle-même, ni d’une quelconque disposition légale. Par ailleurs, ses intérêts et son image continueraient à être atteints par ladite décision, alors même que la déclaration publique ne serait plus publiée, dans la mesure où son nom figurerait toujours dans un article publié sur le site de paperjam.lu le 21 avril 2022 et intitulé « « Name and shame » inédit contre le secteur immobilier », de sorte à être considérée par le public comme une entreprise du secteur immobilier ne s'étant pas conformée aux règles anti-blanchiment.
Ainsi, tant que la décision directoriale ne serait ni réformée, ni annulée, la société … n'aurait aucun moyen de demander la suppression de sa dénomination sociale de la liste publiée par ce magazine, de sorte qu’elle disposerait d'un intérêt à agir, tant au jour du dépôt de son recours et encore à l’heure actuelle.
Quant à l’intérêt à agir de la société …, il y a lieu de rappeler que l'intérêt conditionne la recevabilité d'un recours contentieux. En matière de contentieux administratif portant, comme en l'espèce, sur des droits objectifs, l'intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu'une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d'un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif1.
Le juge doit vérifier, eu égard à l’intérêt mis en avant par le demandeur, si l’acte déféré est susceptible d’avoir une incidence sur la situation du demandeur : c’est au regard de l’incidence concrète de la décision sur la situation du demandeur que l’intérêt pour agir de ce demandeur devant le juge de l’annulation doit être apprécié. En effet, le demandeur ne pourra être regardé comme ayant intérêt à agir que si l’acte entraîne à son égard les conséquences fâcheuses constituant le grief mis en avant2.
L’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il ne se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés3.
Le tribunal doit, tout d’abord, constater que contrairement à l’argumentation de la partie étatique selon laquelle la publication de la déclaration publique prononcée à l’encontre de la société … serait venue à échéance le 19 mai 2022, la décision déférée du 13 avril 2022 ne fournit aucune indication quant à ladite durée de publication, durée qui ne ressort, par ailleurs, pas non plus de l’article 8-4, paragraphe (2), point c) de la loi du 12 novembre 2004, ni du dossier administratif soumis à l’analyse du tribunal.
1 Cour adm., 14 juillet 2009, nos 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 2 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 1er mars 2017, n° 37216 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1, 2e volet et les autres références y citées.
3 Cour adm., 13 décembre 2007, n° 23330C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 3, deuxième volet et les autres références y citées.
5 Dans la mesure où à travers la décision litigieuse, il a été porté atteinte à la réputation de la société …, atteinte dont il n’est pas établi en cause qu’elle aurait cessé ses effets, au regard notamment de l’article de presse publié sur internet désignant toujours nommément la société … de ne pas avoir respecté la loi du 12 novembre 2004, il y a lieu de retenir que la requérante dispose d’un intérêt à remettre en cause la légalité, respectivement le bien-fondé de la décision litigieuse pour avoir eu un impact négatif sur sa situation, l’éventuel constat d’illégalité, respectivement d’irregularité de la prédite décision autorisant la société … à solliciter la réparation du préjudice ainsi subi.
Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité est à rejeter.
A défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité, même à soulever d’office, le recours en réformation dirigé contre la décision litigieuse du 13 avril 2022 est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse reprend, tout d’abord, les faits et rétroactes tel qu’exposés ci-avant, en précisant que suite à la démission de son administrateur en date du …2017, elle ne disposerait plus d’une autorisation d’établissement et n’aurait, depuis cette date, exercé aucune activité d’agent immobilier, respectivement de promoteur immobilier. Par ailleurs, son nouvel administrateur n’aurait jamais sollicité une autorisation d’établissement pour pouvoir continuer lesdites activités.
Or, dans sa décision confirmative sur recours gracieux, le directeur aurait maintenu sa décision de prononcer une déclaration publique à son encontre, tout en l’invitant à effectuer les démarches nécessaires afin de modifier son code NACE et d’informer les autorités fiscales et le ministère de l’Economie du changement de son activité, dans le but de régulariser sa situation.
La demanderesse, tout en s’engageant à effectuer les démarches préconisées par le directeur, conteste avoir été soumise à la loi du 12 novembre 2004 et avoir dû effectuer les déclarations lui réclamées par l’AED.
Dans son mémoire en réponse, la demanderesse relève encore avoir entrepris, à plusieurs reprises, d’effectuer les déclarations, telles que lui réclamées par l’AED, mais qu’au regard de la circonstance qu’elle n’aurait exercé aucune activité immobilière depuis la démission de son administrateur du … 2017, elle n’aurait pas pu finaliser le questionnaire litigieux, ce dernier n’ayant pas été adapté à son activité.
En droit, la partie demanderesse, sur base de l'article 28, paragraphe (4) de la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales, ci-après désignée par « la loi du 2 septembre 2011 », argumente que tout changement des dirigeants d’une entreprise devrait donner lieu à une nouvelle demande d’autorisation, ce qui impliquerait, en cas de démission d’un dirigeant, d’une part, que la société concernée ne pourrait plus exercer la même activité si le nouveau dirigeant n'aurait pas demandé l’autorisation afférente à son nom pour le compte de la société, et, d’autre part, que le dirigeant démissionnaire devrait restituer son autorisation au ministère de l'Economie.
6Par ailleurs, la publication de la démission de son ancien dirigeant au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg serait opposable aux tiers.
Au regard du fait qu’elle n’aurait exercé aucune activité d'agent immobilier, respectivement de promoteur immobilier depuis la démission de son administrateur, Madame …, en date du … 2017, la demanderesse fait valoir qu’elle ne pourrait, depuis cette date, plus être considérée comme un agent économique relevant de l'application de la loi 12 novembre 2004, de sorte que la décision directoriale litigieuse serait à réformer de ce chef.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse critique encore la partie étatique pour ne pas avoir simplifié les démarches à effectuer, alors qu’elle aurait pu ajouter au début de son questionnaire en ligne, une rubrique permettant d’indiquer si l'entreprise concernée devait se considérer comme une entreprise du secteur immobilier.
Par ailleurs, la société … fait valoir avoir accompli les démarches que le directeur lui aurait conseillées d’effectuer. Ainsi, le STATEC l’aurait informée, le 20 octobre 2022 qu'elle aurait été classée comme activité principale dans la branche 70.220 « conseil pour les affaires et autres conseils de gestion » de la NACELUX Rév. 2. Elle aurait également porté la démission de son ancien administrateur à la connaissance du ministère de l'Economie en date du 14 octobre 2022, tout en précisant que sur le site internet guichet.public.lu, seule Madame …, et non plus Madame …, apparaîtrait comme titulaire d'une autorisation d'établissement pour son compte.
Elle réfute encore l’argumentation de la partie étatique selon laquelle elle aurait dû informer le ministère de l’Economie de la démission de son ancien dirigeant, alors qu’une telle obligation devrait plutôt peser sur la personne démissionnaire, l'autorisation d’établissement restant valable tant que la société serait dirigée de manière effective par ledit dirigeant.
Elle insiste, par ailleurs, sur le fait que la démission de l'administrateur publié au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg serait est opposable aux tiers et rendrait l’autorisation d’établissement caduque.
La demanderesse précise finalement avoir mandaté son comptable afin d’introduire une demande de changement d'activité auprès de l’AED, tout en relevant qu’il n'existerait aucun formulaire de déclaration de cessation d'activité auprès de ladite administration.
Sur base de l’ensemble de ces éléments, la demanderesse conclut à la réformation de la décision litigieuse.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour manquer de fondement.
A titre liminaire, force est tout d’abord de rappeler, quant au fond en ce qui concerne la loi applicable à l’examen du bien-fondé du présent recours, que si, dans le cadre d'un recours en réformation, le tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision 7litigieuse4, il n’en reste pas moins qu’en vertu du principe de non-rétroactivité des lois, consacré à l’article 2 du Code civil, le tribunal doit apprécier tant la question du champ d’application de la loi du 12 novembre 2004 que celle de la qualification des faits au regard des obligations y inscrites et susceptibles de conduire à une sanction administrative, ainsi que la question de la compétence du pouvoir sanctionnateur au regard de la loi du 12 novembre 2004, telle qu’elle était en vigueur au moment des faits5, respectivement au jour de la décision déférée, soit, en l’occurrence, la version avant la modification du 29 juillet 2022, le principe et le quantum de la sanction étant, par contre, à analyser sur base de la version de la loi du 12 novembre 2004 applicable au jour du jugement.
Dans ce contexte, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1), points 10 et 10bis de la loi du 12 novembre 2004, les agents immobiliers, ainsi que les promoteurs immobiliers tombent dans le champ d’application de la prédite loi, de sorte à être, conformément à l’article 5 de la même loi, soumis à une obligation de collaboration avec les autorités étatiques, telles qu’en l’espèce l’AED, au risque, sinon, de s’exposer à une des sanctions, respectivement mesures administratives prévues à l’article 8-4 de la loi du 12 novembre 2004.
Le tribunal doit constater qu’au jour où la société … s’est vu adresser le questionnaire à remplir de la part de l’AED, dans le cadre de la mission de surveillance et de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, en l’occurrence le 31 août 2021, la demanderesse disposait, à travers son dirigeant, Madame …, d’une autorisation d’établissement pour l’exercice des activités d’agent immobilier, de promoteur immobilier, ainsi que d’administrateur de biens-syndic de copropriété, autorisations qui ne furent annulées qu’en date du 18 août 2022, soit postérieurement à la décision déférée du 13 avril 2022, ainsi qu’à la décision confirmative sur recours gracieux du 11 mai 2022, sans qu’il ne soit concrètement établi en cause par la demanderesse que cette dernière n’aurait effectué lesdites activités durant la période litigieuse.
Il s’ensuit que jusqu’à la date du 18 août 2022, la demanderesse tombait dans le champ d’application de la loi du 12 novembre 2004, conformément à l’article 2, paragraphe (1), points 10 et 10bis de ladite loi, de sorte qu’à défaut d’avoir collaboré avec l’AED, elle a valablement pu faire l’objet d’une déclaration publique, conformément à l’article 8-4, paragraphe (2), point c) de la loi du 12 novembre 2004.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’invocation, de la part de la société …, de la démission de Madame … de sa fonction d’administrateur publiée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg le … 2017, alors qu’aucune démarche n’avait été entreprise par la demanderesse, suite à cette démission, afin de faire annuler les autorisations d’établissement afférentes, ainsi qu’afin de modifier son Code NACE auprès du Statec, lesdites démarches ayant été accomplies, tel que constaté ci-avant, postérieurement à la décision déférée.
4 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en reformation, n° 19 et les autres références y citées.
5 Trib. adm. 30 mai 2018, n°39088 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en reformation, n° 19 et les autres références y citées.
8Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, que le recours en réformation sous examen encourt le rejet pour manquer de fondement.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation dirigé contre la décision du directeur de l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA du 13 avril 2022 ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 octobre 2024 par :
Paul Nourissier, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 9