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16/10/2024 | LUXEMBOURG | N°51451

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 octobre 2024, 51451


Tribunal administratif N° 51451 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51451 3e chambre Inscrit le 7 octobre 2024 Audience publique du 16 octobre 2024 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51451 du rôle et déposée le 7 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marlène AYBEK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame

…, née le … à … (URSS), de nationalité géorgienne, actuellement retenue au Centre ...

Tribunal administratif N° 51451 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51451 3e chambre Inscrit le 7 octobre 2024 Audience publique du 16 octobre 2024 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 51451 du rôle et déposée le 7 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marlène AYBEK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (URSS), de nationalité géorgienne, actuellement retenue au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 19 septembre 2024 prorogeant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2024 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 octobre 2024 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de Madame …, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 octobre 2024.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », portant le numéro …, daté du 23 août 2024, émanant du Commissariat …, Région Sud-Ouest, qu’en date du 12 août 2024, Madame … et son fils, Monsieur …, firent l’objet d’un contrôle routier lors duquel leur véhicule fut immobilisé. Il ressort ensuite dudit rapport de police qu’en date du 23 août 2024 Madame …, accompagnée de son fils, se présenta au commissariat de … afin de se voir restituer le véhicule. A cette occasion, elle présenta notamment un passeport géorgien en cours de validité, tout en expliquant avoir déposé une demande de protection internationale en France en 2019, ensemble avec son mari et ses trois enfants et d’avoir franchi la frontière luxembourgeoise afin de se rendre à son lieu de travail dans une crèche au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche dans la base de données du système d’information Schengen (SIS) que Madame … faisait l’objet d’un signalement de la part des autorités françaises pour « Ressortissant d’un pays tiers en vue d’une décision de retour ».

1 Il ressort encore du dossier administratif qu’en date du même jour une demande de renseignements portant sur la situation administrative de Madame … fut adressée aux autorités françaises via le réseau nommé « SIRENE » (Supplément d’Information Requis à l’Entrée Nationale).

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressée en mains propres également à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Madame … au Luxembourg, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont elle a la nationalité, à savoir la Géorgie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressée en mains propres le jour même, le ministre ordonna le placement de Madame … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 23 août 2024 établi par la Police grand-ducale ;

Vu ma décision de retour du 23 août 2024, lui notifiée le même jour, assortie d’une interdiction d’entrée de 5 ans ;

Considérant que l’intéressée s’est maintenue sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressée, alors qu’elle ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), point a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressée seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Il ressort ensuite d’une recherche effectuée le 26 août 2024 dans la base de données EURODAC que Madame … avait introduit une demande de protection internationale en France le 12 septembre 2019.

Il ressort de la réponse du 27 août 2024 des autorités françaises via le réseau SIRENE que Madame … y faisait l’objet d’une décision de retour lui notifiée le 2 novembre 2023, ainsi que d’une assignation à résidence, information également confirmée par une réponse des autorités françaises à une demande de renseignements portant sur la situation administrative de Madame …, leur adressée par les autorités luxembourgeoises via le Centre de coopération policière et douanière (CCPD) en date du 28 août 2024.

Par arrêté du 19 septembre 2024, notifié à l’intéressée en mains propres le 23 septembre 2024, le ministre prorogea le placement de Madame … au Centre de rétention pour une durée 2d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 23 août 2024, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressée à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 23 août 2024 subsistent dans le chef de l’intéressée ;

Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressée afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 octobre 2024, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté, précité, du 19 septembre 2024 portant prorogation de son placement au Centre de rétention.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse explique qu’elle aurait introduit, ensemble avec son mari et ses trois enfants mineurs, une demande de protection internationale en France en 2019. Dans ce contexte, elle précise que tandis qu’elle-même et son fils …, entretemps devenu majeur, se trouveraient au Centre de rétention, son mari et ses deux enfants mineurs demeureraient actuellement en France, à une adresse se trouvant 40 kilomètres du Luxembourg, pays dans lequel toute la famille serait intégrée et en train de réaliser les démarches nécessaires afin de régulariser leur situation administrative, ce qui ressortirait, par ailleurs, des pièces versées en cause.

Elle met ensuite en exergue qu’elle souffrirait d’une maladie cardiaque et qu’elle nécessiterait des soins médicaux spécifiques en France où elle aurait dû annuler de nombreux rendez-vous médicaux depuis son placement en rétention.

En droit, elle conclut d’abord à la réformation de l’arrêté déféré en ce qu’il porterait une atteinte disproportionnée à son droit à la liberté de mouvement prévu à l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », alors que les autorités ministérielles n’auraient entamé aucune démarche en vue de la transférer en France sans qu’un obstacle légal n’empêcherait le ministre de la libérer du Centre de rétention, ce qui créerait un sentiment d’angoisse dans son chef, la demanderesse se référant encore, dans ce contexte à l’article 18 de la CEDH.

A cet égard, elle fait encore valoir que le principe suivant lequel une mesure de rétention ne saurait être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours, ainsi que le principe de proportionnalité ressortiraient de l’article 15, paragraphe (1), ainsi que du 3considérant numéro 16 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, désignée ci-après par « la directive 2008/115 », laquelle aurait été transposée en droit national par la loi du 29 août 2008.

Tout en précisant qu’elle ne présenterait aucun trouble à l’ordre public, elle critique encore le fait que le ministre ne lui aurait pas appliqué des mesures moins coercitives, de sorte que l’arrêté litigieux encourrait la réformation pour « illégalité », pour excès ou détournement de pouvoir, sinon pour violation de la loi et des formes destinées à protéger les intérêts privés.

La concernée critique ensuite l’absence de démarches entreprises par le ministre pour procéder à son éloignement.

La demanderesse fait également valoir une violation de l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève », en donnant à considérer que malgré le fait que le ministre serait au courant de l’introduction de sa demande de protection internationale, ainsi que de la présence de sa famille en France, aucune date de transfert ne lui aurait été communiquée. Tout en se référant de nouveau à son état de santé fragile, elle estime que cette situation lui serait préjudiciable et d’autant plus difficile considérant qu’elle serait séparée de quelques kilomètres seulement de sa famille.

Finalement, la concernée invoque encore une violation de sa vie privée ainsi que des droits de l’enfant, prévus aux articles 8 de la CEDH, 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte », et l’article 8 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, désignée ci-après par « la CIDE », alors que l’attitude du ministre de ne pas procéder à son renvoi en France dans les plus brefs délais l’empêcherait de voir ses membres de famille, notamment ses enfants mineurs, lesquels seraient empêchés d’entretenir une relation familiale durable avec elle.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant.

Le tribunal précise tout d’abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

4Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, force est d’abord de relever que Madame … se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, dans la mesure où elle a fait l’objet d’une décision déclarant son séjour sur le territoire luxembourgeois irrégulier et lui ordonnant de quitter le territoire sans délai en date du 23 août 2024, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans, de sorte que le risque de fuite dans son chef est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 534 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Madame … de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, à savoir des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’elle est, toutefois, restée en défaut de faire, cette dernière ne contestant pas un risque de fuite dans son chef, étant encore précisé que le risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à sa mesure d’éloignement. Au contraire, les affirmations de la demanderesse quant à la présence de sa famille en France et de son souhait de la retrouver, sans indication d’une quelconque attache ou adresse officielle au Luxembourg, sont plutôt de nature à conforter le constat d’un risque de fuite dans son chef.

Quant à l’argumentation de la demanderesse tenant à son état de santé fragilisé, le tribunal constate que s’il ressort certes des pièces versées en cause, notamment d’une synthèse médicale du docteur … de l’institut de cancérologie de Lorraine du 2 juin 2022, que celle-ci a subi une appendicectomie en juillet 2018, ainsi qu’une opération d’un mésothéliome multikystique en septembre 2020 et que cette dernière devait rester sous surveillance médicale, il ne résulte d’aucun élément du dossier qu’elle nécessiterait un traitement auquel elle n’aurait pas accès au Centre de rétention, sinon qu’elle aurait été empêchée de se présenter à un rendez-

vous médical en France.

Le moyen en relation avec son état de santé tendant à une violation du principe de proportionnalité par l’arrêté portant prorogation de la mesure de placement de la demanderesse est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant ensuite de l’argumentation de la demanderesse selon laquelle elle aurait dû bénéficier de mesures moins coercitives, le tribunal relève que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé 6utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, le tribunal est amené, pour les mêmes considérations que celles retenues ci-avant, à retenir que la demanderesse ne lui a pas soumis suffisamment d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

En effet, il est constant en cause que la demanderesse ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg ni d’une quelconque autre attache, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.

Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de prorogation du placement litigieuse, respectivement d’une application erronée des dispositions légales applicables, encourt le rejet pour ne pas être fondé.

Ce constat n’est pas énervé par les développements de la concernée relatifs à l’absence de trouble à l’ordre public dans son chef, alors que la décision déférée n’est pas basée sur un tel motif.

1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.

7 En ce qui concerne les contestations de la demanderesse quant aux démarches entreprises par le ministre, le tribunal constate qu’il ressort du dossier administratif que si, dans un premier temps le ministre avait, par courrier du 6 septembre 2024, demandé à l’Unité de Garde et d’Appui opérationnel, dénommée ci-après « l’UGAO », d’organiser le départ de la demanderesse vers la Géorgie, pays dont elle a la nationalité, le ministre a, suite au courrier électronique du 9 septembre 2024 du mandataire de la concernée le priant de renvoyer la demanderesse en France auprès de sa famille, contacté les autorités françaises par courrier envoyé le lendemain afin de leur demander la réadmission de l’intéressée sur le territoire français. Il ressort encore d’un courriel du 16 septembre 2024 du service retours de la direction générale de l’immigration auprès du ministère des Affaires intérieures que, suite à un refus de transit, le vol en direction de la Géorgie planifié pour le 27 septembre 2024 a été annulé et que les autorités ministérielles attendaient la réponse des autorités françaises quant à la réadmission éventuelle de la concernée en France avant de demander un nouveau plan de vol en direction de la Géorgie. Il ressort encore de deux courriels du 17 septembre 2024 et du 8 octobre 2024 que les autorités luxembourgeoises ont envoyé un rappel de leur demande de réadmission aux autorités françaises, lesquelles ont, par courriel du 24 septembre 2024 informé le ministre que ladite demande était toujours en cours d’instruction.

Au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, c’est à tort que la demanderesse estime que celui-ci n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à sa réadmission sur le territoire français pour lui permettre d’être réunie avec son mari et ses enfants mineurs, étant encore rappelé que, suite au rejet de sa demande de protection internationale en France, la demanderesse a fait l’objet d’une décision de retour et qu’elle n’est dès lors pas en possession d’une autorisation de séjour en France, de sorte que le ministre est tenu d’attendre un accord de réadmission de la part des autorités françaises.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, étant relevé qu’il ne se dégage d'aucun élément du dossier que l'éloignement de la demanderesse vers la Géorgie, pays dont elle a la nationalité, ne puisse pas être mené à bien endéans les délais légalement requis, l’absence de démarches actuelles de la part du ministre visant un tel éloignement résultant du souhait de la demanderesse même d’être éloignée vers la France, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Quant à la référence faite par la demanderesse à la directive 2008/115, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que 8l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte2.

Dans la mesure où, en l’espèce, la demanderesse n’allègue et a fortiori ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois serait effectivement resté en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’elle n’est pas fondée à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008.

Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence de la demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire de la demanderesse, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Il s’ensuit que le moyen tendant à une violation de l’article 33 de la Convention de Genève, prévoyant le principe de non-refoulement, est, à défaut pour la demanderesse de fournir des développements en droit circonstanciés dans ce contexte, également à rejeter.

En ce qui concerne encore l’invocation par la demanderesse, dans ce contexte, d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacré notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f), précité, de la CEDH, que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays3.

Dans un arrêt du 15 décembre 20164, la CourEDH a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir.

Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».

L’article 18 de la CEDH, invoqué par la demanderesse, dispose quant à lui : « Les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues. » 2 Trib. adm., 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 97, deuxième point, et les autres références y citées.

3 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812, premier point, et les autres références y citées.

4 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.

9En l’espèce et tel que relevé ci-avant, la demanderesse a fait l’objet d’une décision de retour ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans en date du 23 août 2024, de sorte qu’elle se trouve en séjour irrégulier sur le territoire. Par ailleurs, le tribunal a relevé ci-avant qu’une procédure d’éloignement est en cours et est poursuivie avec la diligence requise.

Il s’ensuit que le tribunal est amené à rejeter le moyen relatif à une violation des articles 5 et 18 de la CEDH.

En ce qui concerne encore le moyen tendant à une violation des articles 8 de la CEDH et 7 de la Charte qui prévoient que « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. », respectivement que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. », c’est à bon droit que la partie étatique fait valoir que l’article 15 de la loi du 28 mai 2009 portant création et organisation du Centre de rétention prévoit en son paragraphe (1) que « Le retenu peut recevoir des visiteurs librement et sans surveillance. Les modalités des visites sont fixées par règlement grand-ducal. », de sorte que l’impossibilité pour les membres de famille de la demanderesse de la visiter au Centre de rétention n’est pas le fruit de l’arrêté litigieux, mais plutôt de la situation administrative irrégulière de ses membres de famille. Il s’ensuit que l’arrêté déféré ne porte aucune atteinte à la vie privée et familiale de la demanderesse et que le moyen y afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Ce même constat vaut en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 8 de la CIDE qui prévoit en son paragraphe (1) que « (1) Les États parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales tels qu’ils sont reconnus par loi, sans ingérence illégale. », étant encore rappelé, tel que retenu ci-avant, que les diligences du ministre tendent, malgré l’absence dans le chef de la demanderesse d’une autorisation de séjour en France, à faire réadmettre celle-ci sur le territoire français afin de lui permettre une réunion avec ses enfants mineurs.

Le moyen tendant à une violation de l’article 8 de la CIDE encourt dès lors également le rejet.

Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

S’agissant encore de la demande en communication du dossier administratif formulée par la demanderesse au dispositif de son recours, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut pour la concernée de remettre en question le caractère complet 10du dossier mis à disposition à travers le mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant sans objet.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande sollicitant la communication du dossier administratif ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 octobre 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 51451
Date de la décision : 16/10/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-10-16;51451 ?

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