Tribunal administratif N° 49636 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49636 2e chambre Inscrit le 30 octobre 2023 Audience publique du 14 octobre 2024 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49636 du rôle et déposée le 30 octobre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Venezuela), de nationalité vénézuélienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 octobre 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Fideline Biloa Bibi, en remplacement de Maître Françoise Nsan-Nwet, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 juin 2024.
Le 9 novembre 2021, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Ses déclarations sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée / police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 11 mai et 27 juin 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 6 octobre 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
1 « […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite en date du 9 novembre 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-
après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos motifs de fuite En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 9 novembre 2021, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 11 mai et 27 juin 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande.
Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous êtes né le … à … au Venezuela, que vous êtes de nationalité vénézuélienne, célibataire et de confession catholique.
Vous seriez … et vous auriez dernièrement vécu à … dans l’Etat d’… au Venezuela avec votre compagnon (B).
Vous expliquez que vous auriez quitté le Venezuela principalement en raison de votre homosexualité.
Vous déclarez plus particulièrement qu’en 2018, vous auriez rencontré votre compagnon actuel, vous auriez officialisé votre relation et vous auriez décidé de vivre ensemble. Vous dites que vous auriez été « critiqué » et qu’« il y avait toujours des discrimination » mais que vous auriez continué à vivre (p.5 du rapport d’entretien).
Vous dites, d’une part, que vous auriez « toujours souffert de discrimination et été critiqué, montré du doigt », cela « depuis tout petit » (p.5 du rapport d’entretien) et qu’au Venezuela « la communauté LGBT n’a pas de soutien, ni de la police, ni du gouvernement » (p.6 du rapport d’entretien). Dans ce contexte, vous ajoutez qu’il n’y aurait « pas de droit, on est discriminé, on est pas protégé par la loi » (p.8 du rapport d’entretien).
D’autre part, vous expliquez avoir introduit une demande de protection internationale au Luxembourg afin d’« éviter qu’ils puissent [vous] torturer ou même vous assassiner » (p.5 du rapport d’entretien) car vous auriez « été victime de menaces » et vous auriez également été « poursuivi, maltraité et persécuté » (p.5 du rapport d’entretien).
Dans ce contexte, vous expliquez que le 10 mai 2021, alors que vous auriez été en voiture avec votre compagnon, (B), quatre hommes armés sur des motos vous auraient demandé de les suivre dans une rue isolée, vous auraient fait sortir du véhicule et vous auraient frappés. Ils vous auraient demandé « qui était (B) » puisque ce dernier aurait dû « faire avancer la procédure [d’un] contrat […] sinon il en subira les conséquences » (p.5 du rapport d’entretien) avant de tirer sur le pare-brise et de partir. Vous vous seriez alors présenté auprès de la police bolivarienne de l’Etat d’… afin de leur expliquer ce qu’il s’était passé mais ils se seraient moqués de vous en raison de votre homosexualité et vous auraient mis à la porte. Vous auriez ensuite appelé un ami de la famille de (B), capitaine de la Garde nationale, qui aurait 2 fait en sorte que la police prenne en compte votre plainte. Néanmoins, vous n’auriez jamais reçu de suite de l’enquête.
Un mois plus tard, trois hommes se seraient présentés sur votre lieu de travail alors que vous auriez été en consultation et ils vous auraient demandés « pourquoi (B) n’avait pas encore approuvé le contrat », ils auraient « jeté tout le matériel par terre » et « abimé la chaise de … » (p.6 du rapport d’entretien). Le lendemain de cet incident, le propriétaire du … où vous auriez travaillé n’aurait plus voulu que vous gardiez votre poste, de sorte que vous vous seriez alors senti « impuissant » et seriez « tombé en dépression ». Vous auriez tout de même essayé de trouver un nouveau travail en tant que … mais lors d’un entretien d’embauche, on vous aurait demandé de faire un test VIH, ce que vous auriez refusé car cela serait illégal. Etant donné que vous auriez « déjà changé de ville » et que vous auriez « toujours été discriminé » et que « l’homophobie était encore présente » vous auriez « décidé de quitter le pays » (p.6 du rapport d’entretien).
Vous ajoutez qu’en cas de retour au Venezuela vous craindriez pour votre vie et votre sécurité car vous auriez peur que « ces gens viennent se venger », que vous pourriez être considéré comme un « traitre à la patrie » et qu’« ils » pourraient vous « mettre en prison ou [vous] assassiner » (p.6 du rapport d’entretien).
A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants:
− Votre passeport vénézuélien, émis le 9 octobre 2013, prolongé à deux reprises, notamment du 24 octobre 2018 au 24 octobre 2020 et du 15 janvier 2021 au 15 janvier 2023 ;
− une copie de l’extrait de votre casier judiciaire vierge émis par la République Bolivarienne du Venezuela en date du 8 octobre 2019 ainsi que sa traduction en langue française ;
− la copie d’une « apostille » attestant de la véracité de la signature du document précédent émis par le Gouvernement Bolivarien du Venezuela en date du 21 octobre 2019 ainsi que sa traduction en langue française ;
− la copie d’une plainte introduite auprès de la police bolivarienne de l’Etat d’… du 10 mai 2021 ainsi que sa traduction en langue française ;
− la copie d’un rapport médical du 11 mai 2021 émis par un … de l’Etat d’… ainsi que sa traduction en langue française ;
− la copie d’une « carte de résidence » attestant de votre résidence dans la commune de … à … émise en date du 10 juin 2021 ainsi que sa traduction en langue française ;
− la copie d’un diplôme universitaire en langue espagnole ;
− la copie d’un document « Constancia de Culminacion de Estudios » en langue espagnole.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale 3 Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.
Monsieur, vous prétendez que vous auriez quitté votre pays d’origine car vous auriez été discriminé « depuis tout petit » (p.5 du rapport d’entretien) en raison de votre homosexualité. Dans ce contexte, vous expliquez que vous auriez « toujours souffert de discrimination et été critiqué, montré du doigt » (p.5 du rapport d’entretien). D’après vous, la communauté LGBT n’aurait « pas de soutien, ni de la police, ni du gouvernement » (p.6 du rapport d’entretien) et il n’y aurait « pas de lois au Venezuela » qui défendraient les personnes LGBT (p.8 du rapport d’entretien).
Tout d’abord, il convient de soulever qu’il ne vous serait jamais rien arrivé de grave en raison de votre orientation sexuelle, alors que vous faites état de pures et simples discriminations, qui ne sauraient, en l’espèce, suffire à justifier une crainte fondée de persécution selon les textes précités.
Il convient également de préciser que vous avez vécu au Venezuela toute votre vie, que vous y avez fait des études et travaillé pendant plus de vingt ans en tant que personne LGBT.
De plus, vous auriez « officialisé [votre] relation et décidé de vivre ensemble » avec votre compagnon (B) depuis 2018, et vous ne faites encore état d’aucun fait grave, ce qui prouve que vous ne vous trouviez donc manifestement pas dans une situation d’une gravité telle que vous tentez de le faire croire.
En effet, étant donné que vous avez pu vivre votre homosexualité sans que cela ne vous pousse à partir pendant de très longues années, il y a lieu de constater que vous n’étiez pas persécuté en raison de votre orientation sexuelle.
4 Concernant vos propos selon lesquels vous ne seriez « pas en sécurité » ou encore que vous n’auriez « pas de droits » et que vous seriez « discriminé » (p.8 du rapport d’entretien), il échet d’observer qu’il s’agit d’allégations totalement vagues et superficielles et que vous restez encore en défaut d’avancer une quelconque crainte individuelle et personnelle. Pareil constat s’impose alors que vous prétendez que les personnes LGBT ne seraient pas protégées par la loi, s’agissant d’affirmations totalement générales dépourvues de faits concrets et qu’il ne peut être établi que vous soyez réellement persécuté en raison de votre appartenance à la communauté LGBT.
De plus, il convient de constater que la constitution de la République bolivarienne du Venezuela prévoit ce qui suit : « Article 21 : Tous sont égaux devant la loi et, par conséquent :
Aucune discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion ou le statut social n’est permise, ni, en général, aucune discrimination ayant pour but ou pour effet d’annuler ou d’entraver la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice en toute égalité des droits et libertés de toute personne.
La loi garantit des conditions juridiques et administratives telles que l’égalité de tous devant la loi est réelle et efficace; prévoit des mesures d’action positive pour tout groupe victime de discrimination, vulnérable ou marginalisé; protège particulièrement les personnes qui, en raison des circonstances susmentionnées, se trouvent manifestement dans une position de faiblesse; et punit tout individu qui malmène ou maltraite ces personnes (Venezuela 1999) ».
Eu égard à ce qui précède, il échet de relever qu’il n’est manifestement pas établi que les autorités vénézuéliennes ne seraient pas en mesure de vous offrir une protection adéquate ou suffisante, respectivement qu’elles resteraient inactives face à aux infractions commises à l’encontre de personnes homosexuelles.
De plus, vous présumez qu’il « n’existe pas » d’association de défense des droits des personnes LGBT au Venezuela (p.8 du rapport d’entretien). Or, il convient de relever qu’il y a une importante communauté LGBT à Caracas et qu’hormis de nombreux bars, hôtels et clubs destinés au public homosexuel, une « Gay Pride parade » y est organisée annuellement.
Il convient ici de soulever que vous avez plutôt quitté votre pays d’origine en raison des « agressions » que vous auriez subies alors que vous expliquez que « la situation qu’on vivait, notre vie était en danger, on était poursuivi et menacé » (p.8 du rapport d’entretien), faisant référence aux agressions et non aux prétendues discriminations dont vous auriez été victime tout au long de votre vie en tant que personne homosexuelle.
Vous expliquez que vous auriez été agressé à deux reprises, notamment que des « personnes » vous auraient agressé afin que (B) fasse « avancer la procédure d’un contrat » (p.5 du rapport d’entretien) et que « trois hommes » se seraient présentés à votre cabinet pour chercher à savoir « pourquoi (B) n’avait pas encore approuvé le contrat » (p.6 du rapport d’entretien).
Il convient de noter que les deux agressions que vous mentionnez dans le … de votre entretien ne permettent en rien d’établir qu’elles seraient liées à votre homosexualité étant donné qu’il est clairement établi que vous auriez été intimidé à deux reprises afin que (B) s’exécute quant au prétendu chantage lié à son emploi et non en raison de votre homosexualité.
5 Ainsi, vos prétendus problèmes ne sont donc manifestement pas liés à l’un des motifs énumérés par la Convention de Genève et la Loi de 2015 à savoir votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social ou vos convictions politiques.
Par ailleurs, le seul fait d’être intimidé par des personnes non-identifiées ne constitue pas un acte de persécution au sens des textes précités.
Ce constat est d’autant plus vrai que vous auriez continué à vivre encore au moins quatre mois chez vous à … sans faire état d’un quelconque autre incident concret de sorte que la gravité de votre situation au Venezuela n’est pas telle que vous voulez la faire croire.
Quand bien même lesdits faits seraient à considérer comme étant des actes de persécution, ce qui est contesté, il convient de mentionner que vous ne sauriez pas qui sont ces personnes et que vous n’auriez « pas non plus pu les identifier » (p.7 du rapport d’entretien).
En tout cas, il se serait agi de personnes privées, sans lien avec l’Etat de sorte que cette prétendue persécution ne peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités du pays d’origine, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Vous expliquez que vous auriez réussi à porter plainte auprès de la police le jour de votre première agression mais vous n’auriez « pas eu de réponse » (p.7 du rapport d’entretien) alors qu’elle datait d’à peine un mois. Or, il convient de relever qu’un mois est un délai très court en vue de l’obtention de résultats d’une enquête, de sorte que votre argument ne tient pas la route et qu’en ce sens, il n’est pas possible de formuler un reproche envers lesdites autorités policières.
Concernant le deuxième incident, vous auriez décidé de ne pas porter plainte. Or, il est incompréhensible que vous n’ayez pas porté plainte car vous n’auriez pas eu de suite de la première plainte ou encore que vous n’auriez pas fait appel au capitaine Garcia, qui vous aurait aidé à porter plainte suite à la première agression, pour la simple raison que vous ne vouliez « pas le déranger » (p.7 du rapport d’entretien). En effet, il est attendu d’une personne qui aurait peur pour sa sécurité et pour sa vie qu’elle entreprenne tout ce qui est possible afin d’être en sécurité, ce que vous n’avez pas fait. En tout cas, vous n’avez jamais mis les autorités policières en mesure d’exécuter leur mission.
Eu égard à ce qui précède, il échet à nouveau de relever qu’il n’est clairement pas établi que les autorités vénézuéliennes ne seraient pas en mesure de vous offrir une protection adéquate ou suffisante.
Finalement, vous affirmez ce qui suit : « Je crains pour ma vie si ces gens viennent se venger on a le soutien de personne. Je suis venu ici comme touriste. Si je rentre maintenant, je suis un traitre à la patrie et je ne sais pas ce qu’ils vont me faire, me mettre en prison ou m’assassiner. Je ne suis pas en sécurité, pas tranquille » (p.14 du rapport d’entretien).
Monsieur, il ne ressort nullement des informations en possession du Ministère que des ressortissants vénézuéliens seraient considérés comme des traîtres à la patrie, assassinés ou encore mis en prison pour le simple fait d’avoir quitté le Venezuela pour l’Europe en tant que touriste.
6 Ainsi, il convient de préciser que les craintes d’emprisonnement dont vous faites allusion, tout comme le fait que vous pourriez être considéré comme traître à la patrie, sont totalement hypothétiques, voire, non fondées étant donné qu’il est incompréhensible que vous devriez être emprisonné alors que vous n’auriez jamais été accusé ni même emprisonné par les autorités vénézuéliennes auparavant. Pareil constat vaut concernant votre crainte d’être assassiné alors que vous n’auriez jamais été personnellement menacé.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.
L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Outre les conclusions ci-dessus il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015.
En effet, vous omettez d’établir qu’en cas de retour au Venezuela, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Or, et tout en renvoyant aux arguments développés précédemment, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité ou encore que les autorités vénézuéliennes ne pourraient pas vous accorder une quelconque protection.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
7 Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme manifestement non fondée.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Venezuela, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 6 octobre 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 6 octobre 2023, prise dans son double volet, telle que déférée.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
1) Quant au recours contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose avoir vécu au Venezuela, et plus particulièrement à … et ensuite à … dans la commune de …, et ce, ensemble avec son compagnon, Monsieur (B), qu’il aurait rencontré en 2018. Il ajoute qu’il aurait travaillé en tant que … dans un … dans son pays d’origine. Il serait de confession catholique et appartiendrait à la « minorité sexuelle LGBTQIA+ ». Ce serait principalement en raison de son orientation sexuelle qu’il aurait subi, depuis son enfance, des discriminations, des persécutions ainsi que de graves intimidations. Il fait, à cet égard, valoir qu’au Venezuela, la communauté LGBTQIA+ ne serait, de manière générale, soutenue ni par la police ni par le gouvernement et, en ce qui concerne plus particulièrement les personnes homosexuelles, elles n’y bénéficieraient non seulement d’aucune protection, mais elles n’y disposeraient également que de peu de droits et y seraient discriminées. Le demandeur précise, à titre subsidiaire, qu’il aurait été « persécuté jusque dans son environnement de travail », ce qui aurait, d’ailleurs, conduit à son licenciement. Il ajoute qu’il avait été affecté « dans sa chair » par les persécutions politiques subies par son compagnon et qu’il serait, dès lors, considéré comme un « fugitif aux côtés d’un traître à la patrie ». Au vu du fait qu’il se trouverait dans une « situation de psychique dégradée et une totale vulnérabilité », il aurait été contraint de quitter son pays d’origine « comme touriste » et d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 9 novembre 2021.
En droit et en ce qui concerne, en premier lieu, l’octroi du statut de réfugié, le demandeur met en avant, après avoir rappelé les termes des articles 2 h) et f) et 42 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1 A (2) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et renvoyé à l’article 21 (1) et (2) de la Constitution de la République bolivarienne au Venezuela, le fait qu’il n’existerait pas de législation pénale dans son pays d’origine réprimant spécifiquement 8 les personnes homosexuelles lorsque celles-ci seraient considérées comme formant un groupe social. L’absence d’une telle législation ne serait cependant pas suffisante pour établir que ces personnes ne subiraient pas de persécutions en raison de leur orientation sexuelle. Le demandeur estime qu’au contraire, des persécutions pourraient en effet être exercées sur les membres d’un groupe social considéré, sous couvert de dispositions de droit commun abusivement appliquées ou par des comportements émanant des autorités, encouragés, favorisés ou même simplement tolérés par celle-ci. Il expose, à ce sujet, avoir régulièrement et, depuis sa plus jeune enfance, subi des moqueries et des humiliations, qui se seraient aggravées après l’officialisation de sa relation avec son compagnon en 2018. Ainsi, en date du 10 mai 2021, lui et son compagnon auraient été victimes d’une violente agression de la part de quatre hommes contre lesquels le demandeur aurait immédiatement voulu déposer plainte auprès d’un commissariat de la police bolivarienne de l’Etat d’…. Il se serait cependant vu, audit commissariat, confronter à des moqueries et des humiliations en raison de son homosexualité et refuser l’enregistrement de sa plainte. De l’avis du demandeur, les agents dudit commissariat auraient directement fait le lien entre l’agression subie par lui et son compagnon et leur homosexualité. Ce n’aurait été que grâce à l’aide d’un membre de la famille de son compagnon, à savoir le capitaine Garcia de la garde nationale vénézuélienne, qu’il aurait finalement pu déposer une plainte. Celle-ci aurait toutefois été classée sans suite, et ce, non pas en raison d’une instruction restée infructueuse, mais à cause de l’homophobie régnant au sein de la société vénézuélienne « et des structures de l’état qui en [seraient] imprégnées ». Le demandeur estime que l’agression dont ils auraient été victimes ne pourrait pas être qualifiée d’une simple agression, mais d’une agression à caractère homophobe « et de comportements similaires ». Il reproche, dès lors, au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant d’entériner des faits aussi graves et homophobes, qu’il s’agisse de l’agression subie par lui et son compagnon ou du comportement indigne de la police nationale bolivarienne à leur égard.
Le demandeur, après avoir insisté sur le fait que la société vénézuélienne serait une société très catholique, conservatrice et majoritairement hostile à la minorité sexuelle à laquelle il appartiendrait, expose qu’un mois après cette première agression, il aurait une nouvelle fois été agressé, cette fois-ci sur son lieu de travail par trois hommes appartenant, suivant leur « mode opératoire », au groupe des « colectivos ». Ces derniers auraient raconté à sa clientèle qu’il serait atteint du sida, ce qui aurait conduit à son licenciement. Au vu du fait qu’il lui aurait été impossible de trouver un nouvel emploi par la suite, il aurait subi une profonde dépression.
Il estime que le lien causal entre les agressions subies et son homosexualité serait clairement établi.
Après s’être référé à deux articles sur les sites internet « wikipedia.org » et « freedomhouse.org » - ce dernier article concernant un rapport annuel de l’organisation non gouvernementale Freedom House traitant de la question des libertés dans le monde et publié en janvier 2017 -, ainsi qu’à plusieurs témoignages de membres de la communauté homosexuelle vénézuélienne, lesquels sont consultables sur le site internet « slate.fr », dans un article intitulé « Ces personnes LGBT+ qui fuient le Venezuela », et sur le site internet « unhcr.org », dans un article intitulé « Dans leurs pays d’accueil, deux réfugiés LGBTI du Venezuela recommencent une nouvelle vie », le demandeur donne à considérer que les couples homosexuels seraient souvent exclus des réseaux de distribution de nourriture promus par l’Etat vénézuélien. S’y ajouterait le fait que même les dirigeants politiques emploieraient régulièrement des expressions homophobes, tel que cela ressortirait de l’article « Report of the LGBTI Network of Venezuela to the United Nations Human Rights Committee on the Fourth Periodic Report of Venezuela concerning the International Covenant on Civil and Political 9 Rights during the 114th Period of Sessions - Human Rights Situation of Lesbian, Gays, Bisexual, Trans and Intersex persons in Venezuela », publié au mois de mai 2015 sur le site internet « ccprcentre.org ». En outre, la police se montrerait violente à l’encontre des membres de la population homosexuelle, tel que l’aurait d’ailleurs déjà recensé la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada dans son document du 13 juin 2014, intitulé « Information sur la situation des minorités sexuelles et sur le traitement qui leur est réservé ;
aide offerte aux victimes de discrimination ; protection offerte par l’État (2010-juin 2014) », et qui serait toujours d’actualité. Les faits susmentionnés revêtiraient, dès lors, le caractère de gravité tel que requis par l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015.
Le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir respecté son droit à la vie, ainsi que celui de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants tels que garantis par les articles 2 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».
Ensuite, après avoir renvoyé à l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait valoir que ses agresseurs seraient en réalité les « colectivos », qui seraient des « civils armés à moto » et le « bras armé » du président Nicolas Maduro, semant la terreur au Venezuela. En dépit du fait que l’Etat vénézuélien serait censé protéger la minorité homosexuelle, il participerait, à travers ses institutions, dont ferait partie la police nationale, aux discriminations de cette minorité. Il s’ensuivrait que toute demande de protection adressée aux autorités vénézuéliennes s’avèrerait inefficace et vouée, pour l’essentiel, à l’échec. Le demandeur ajoute que les droits de la communauté homosexuelle ne seraient, d’ailleurs, pas pleinement garantis par la simple organisation annuelle d’une « gay pride parade ».
Au vu des persécutions antérieures qu’il aurait subies, telles que décrites ci-avant, et de la présomption réfragable prévue à l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, il appartiendrait au ministre de démontrer l’existence de « bonnes raisons » justifiant que de telles persécutions ne se reproduiraient pas, ce qu’il resterait cependant en défaut de faire.
Le demandeur indique encore que son compagnon, qui aurait travaillé en tant que … dans une société … – considérée comme étant le cinquième plus grand exportateur de … au monde et politiquement fortement impliquée au Venezuela en approvisionnant l’essentiel du marché des changes du pays – aurait également quitté son pays d’origine après y avoir subi des persécutions exercées « singulièrement » par ses supérieurs hiérarchiques en raison de son refus de commettre des actes illégaux, notamment des pratiques de corruption exercées au sein de ladite entreprise, des faux en écriture et des procédures d’appel d’offres illégales. En raison du fait que son compagnon serait considéré par ses anciens responsables hiérarchiques comme un « traître à la patrie », le demandeur craint qu’il serait, au même titre que son compagnon, persécuté dans leur pays d’origine pour des considérations politiques. Il se réfère, à cet égard, aux agressions physiques subies à répétition par eux de la part des « colectivos ». En outre, la quasi-totalité des dirigeants de l’entreprise de son compagnon serait placée sous sanction canadienne ou américaine pour des faits de corruption, tandis qu’au Venezuela, ces derniers ne seraient pas inquiétés par la justice, malgré les déclarations officielles des autorités selon lesquelles elles combattraient la corruption. Le demandeur en conclut qu’il aurait « pris un risque supplémentaire disproportionné pour sa vie et les membres de sa famille en allant de nouveau se confier aux forces de l’ordre sans discernement ». Ce serait, dès lors, « en ayant intégré sa situation de vulnérabilité [qu’il ne serait] pas allé « déranger » de nouveau son beau-frère ».
10 Le demandeur avance encore que si, à la suite des agressions subies, lui et son compagnon avaient certes continué à vivre pendant quatre mois au Venezuela, pays qu’ils n’auraient de toute façon pas pu quitter tout de suite faute d’opportunités, respectivement de moyens, notamment financiers, cela n’aurait pas été sans avoir la « peur au ventre », alors qu’ils auraient en permanence craint pour leurs vies, de sorte à avoir vécu cachés et avoir limité leurs déplacements au maximum. Ce serait finalement « en qualité de touriste » qu’il aurait quitté son pays d’origine.
En s’emparant de l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, désignée ci-après par « la DUDH », garantissant à toute personne faisant l’objet d’une persécution, le droit de chercher l’asile et de bénéficier de l’asile dans d’autres pays, le demandeur fait valoir que de graves crimes seraient commis par l’Etat vénézuélien contre sa population, entraînant une situation humanitaire dramatique sans précédent, et ce, eu égard à l’impunité généralisée, à la suite des violations des droits humains et à l’absence de perspectives sérieuses d’une « sortie de crise » à court terme. Le refus du statut de réfugié lui opposé, le forçant à retourner dans un pays que plus de cinq millions de personnes auraient déjà quitté, serait manifestement attentatoire à ses droits fondamentaux.
Tout en renvoyant à un communiqué de mai 2019 de l’Agence pour les réfugiés des Nations Unies à travers lequel les Etats confrontés à l’arrivée de ressortissants vénézuéliens ont été appelés à leur autoriser l’accès sur leur territoire et à s’assurer qu’ils aient accès aux procédures d’asile et à un rapport de septembre 2020 de l’European Asylum Support Office (EASO), à présent dénommé European Union Agency for Asylum (EUAA), il insiste sur le fait que les Vénézuéliens seraient la troisième nationalité à demander l’asile dans l’Union européenne, après les Syriens et les Afghans, et que si plus de 90% des demandeurs de protection internationale faisaient leur demande en Espagne, ils obtiendraient dans la majorité des cas « la protection humanitaire » dans ce pays qui suivrait, en effet, directement les recommandations de l’Agence pour les réfugiés des Nations Unies.
Il ajoute que le refus de lui octroyer le statut de réfugié serait encore contraire à l’article 3 de la CEDH, du fait que les demandeurs d’asile déboutés qui rentrent au Venezuela y seraient soumis à un risque de violations et de traitements inhumains dégradants, et ce d’autant plus que le président vénézuélien accuserait les Vénézuéliens de retour au pays d’être des « bioterroristes », le demandeur renvoyant à cet égard à un article publié sur le site internet « www.devex.com » le 10 septembre 2020, intitulé « Returning Venezuelans subjected to ‘inhuman’ treatment, report says ».
Le demandeur ajoute que le « bénéfice du doute » serait un principe fondamental en droit des réfugiés, alors qu’il serait souvent impossible pour les réfugiés d’apporter toutes les preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale. Il estime que ce principe devrait s’appliquer à son égard, au motif que son récit serait crédible de manière générale et que ses déclarations seraient « cohérentes avec l’information générale et spécifique disponible ».
En ce qui concerne, en deuxième lieu, le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur s’empare de l’article 4 (3) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant 11 bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ainsi que des articles 2 g), 39 et 48 de la loi du 18 décembre 2015 pour faire valoir que les motifs développés dans le … du volet relatif à sa demande en obtention du statut de réfugié justifieraient également l’octroi, dans son chef, du statut conféré par la protection subsidiaire. Il risquerait, en effet, de subir des atteintes graves en retournant dans son pays d’origine, et plus particulièrement une atteinte à sa vie, étant donné que ses activités seraient désormais inexistantes dans ledit pays et qu’il serait sans doute fiché pour être considéré comme étant le compagnon « d’un traître à la patrie ». Il évoque, dans ce contexte, encore la situation économique, politique et humanitaire au Venezuela.
En ce qui concerne, enfin, la possibilité d’une fuite interne, le demandeur argumente qu’il appartiendrait au ministre d’identifier d’abord une zone sûre, accessible pour lui – tant en pratique que légalement –, avant de procéder à l’examen de la protection disponible et du caractère pertinent et raisonnable de l’alternative proposée en fonction du profil de la personne concernée. En l’espèce, le ministre resterait toutefois en défaut d’identifier une zone dans son pays d’origine qui serait à l’abri des pratiques de corruption, de harcèlement et de persécutions de la minorité homosexuelle.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé en se ralliant en substance aux développements contenus dans la décision ministérielle.
Quant au bien-fondé de la décision de refus d’une protection internationale, il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Force est au tribunal de constater que la notion de « réfugié » implique nécessairement des persécutions ou à tout le moins un risque de persécution dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
12 Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le 13 pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal relève de prime abord que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale dans le … de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause amène le tribunal à conclure que Monsieur (A) reste en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social susceptible de lui ouvrir droit au statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.
Il y a dans ce contexte lieu de de relever que Monsieur (A) invoque différents motifs à la base de sa demande de protection internationale, à savoir sa crainte de faire l’objet de persécutions en raison (i) de son orientation sexuelle, (ii) du fait d’être aperçu comme un « traître à la patrie » et (iii) de sa qualité de demandeur de protection internationale débouté.
En ce qui concerne tout d’abord sa crainte de subir dans son pays d’origine des actes de persécution en raison de son homosexualité, le demandeur invoque des discriminations subies depuis son enfance et deux « agressions » dont il aurait été victime, de même que la situation générale de la communauté LGBTQIA+ au Venezuela. Si cette crainte est susceptible de s’inscrire sur la toile de fond de son appartenance à un groupe social au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, il n’en reste pas moins que les éléments soumis à l’appréciation du tribunal ne sauraient justifier dans son chef l’octroi du statut de réfugié.
En ce qui concerne de prime abord la situation générale des membres de la communauté homosexuelle au Venezuela, le tribunal est amené à constater que même si, à l’instar de ce qui se passe d’ailleurs même dans les pays dont il est communément admis qu’ils sont respectueux des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, il se dégage des divers documents invoqués en cause que les membres de la communauté homosexuelle au Venezuela sont plus à risque d’être victimes d’agressions, de menaces ou d’actes discriminatoires de la part d’autres membres de la population, il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis à son appréciation, ni plus particulièrement des documents invoqués par le demandeur que, de manière générale, la situation de la communauté LGBTQIA+ au Venezuela soit à l’heure actuelle telle que ses membres y risqueraient systématiquement de subir des actes homophobes ou discriminatoires, respectivement d’être arrêtés et emprisonnés ou de subir des actes susceptibles d’être qualifiés de persécutions du seul fait de leur orientation sexuelle.
Le tribunal relève encore que l’affirmation du demandeur suivant laquelle la police aurait systématiquement un comportement violent envers les personnes homosexuelles, raison pour laquelle il serait impossible à celles-ci de solliciter une protection auprès de l’Etat vénézuélien, n’est pas non plus étayée par le moindre élément tangible, alors que tant l’article publié au mois de mai 2015 sur le site internet « ccprcentre.org » que le document de la 14 Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada, intitulé « Information sur la situation des minorités sexuelles et sur le traitement qui leur est réservé ; aide offerte aux victimes de discrimination ; protection offerte par l’État (2010-juin 2014) », du 13 juin 2014, invoqués par le demandeur à ce sujet, sont trop anciens pour pouvoir refléter la situation telle qu’elle se présente actuellement au Venezuela.
Le constat général suivant lequel il n’est pas établi que tout membre de la communauté homosexuelle soit actuellement fondé à faire état d’une crainte réelle et sérieuse d’être persécuté au Venezuela du seul fait de son orientation sexuelle n’est pas non plus contredit par le vécu et la situation personnelle du demandeur.
Il y a, à cet égard, lieu de relever que le demandeur fait état de discriminations auxquelles il aurait été exposé depuis son enfance, ainsi que de deux incidents concrets, prétendument liés à son orientation sexuelle, à savoir une première agression perpétrée en date du 10 mai 2021 par quatre hommes non autrement identifiés et une deuxième agression ayant été commise un mois plus tard, sur son lieu de travail, par trois hommes également non identifiés.
Pour ce qui est des discriminations subies depuis son enfance en raison de son homosexualité, le tribunal, tout en concédant que le fait de devoir vivre dans une société dans laquelle l’homosexualité est mal vue doit certainement être éprouvant, se doit de retenir que les agissements dont le demandeur fait état, à savoir des moqueries et des humiliations, n’atteignent pas un niveau de gravité tel qu’ils puissent s’analyser en des actes de persécution au sens de la loi du 18 décembre 2015. A cela s’ajoute qu’il se dégage du récit du demandeur qu’il admet lui-même que rien de grave ne lui serait arrivé jusqu’en 2021, et ce même après l’officialisation de sa relation avec Monsieur (B) en 20181.
En ce qui concerne ensuite les deux incidents ayant eu lieu en 2021, il y a lieu de relever que le demandeur explique, pour le premier de ces incidents, que quatre hommes non identifiés avaient menacé son compagnon, Monsieur (B), afin de « faire avancer la procédure d’un contrat » et d’arrêter « de ralentir les choses »2. Quant au deuxième incident, le demandeur relate que trois hommes non identifiés s’étaient adressés à lui en lui demandant pour quelles raisons son compagnon, Monsieur (B), n’aurait pas encore approuvé le « contrat »3. Il s’ensuit que ces deux incidents ont eu comme seul but d’intimider le demandeur et son compagnon pour que ce dernier exécute un certain contrat, par rapport auquel le demandeur ne fournit pas plus de précisions. Il ne se dégage, toutefois, d’aucun élément objectif tangible que ces deux incidents puissent être rattachés à l’orientation sexuelle du demandeur. Ces incidents ne sauraient, dès lors, justifier dans son chef une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève.
En ce qui concerne ensuite l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait été confronté au commissariat de police à des moqueries et des humiliations en raison de son homosexualité, le tribunal relève que si le comportement des agents de police, tel que décrit par le demandeur lors de son audition, est certes critiquable, il n’en reste pas moins qu’il admet avoir pu déposer une plainte, même si cela a été grâce à l’aide du capitaine Garcia. Dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’un autre acte de discrimination qu’il aurait subi 1 Page 5 du rapport d’audition : « En 2018, j’ai connu mon conjoint, on a officialisé notre relation et décidé de vivre ensemble. Cette année tout s’est bien passé. […] ».
2 Idem.
3 Page 6 du rapport d’audition.
15 personnellement de la part de policiers en raison de son homosexualité, le tribunal est amené à conclure qu’il s’est agi d’un incident isolé qui ne revêt pas un degré de gravité suffisant pour être qualifié de persécution au sens de la loi. Ce constat n’est pas ébranlé par l’affirmation du demandeur selon laquelle sa plainte du 10 mai 2021 aurait été classée sans suite en raison de l’homophobie régnant au sein de la société vénézuélienne, le classement sans suite de plaintes dirigées contre des auteurs d’agressions non autrement identifiés, dont le demandeur ne fait que supposer qu’ils appartiennent au groupement des « colectivos », n’ayant a priori rien d’inhabituel.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal se doit de conclure que le demandeur n’a pas fait état d’une crainte réelle et sérieuse d’être persécuté, en cas de retour dans son pays d’origine, en raison de son orientation sexuelle.
En ce qui concerne ensuite les craintes du demandeur d’être persécuté, en cas de retour au Venezuela, « pour des considérations politiques », il échet de constater que le demandeur motive cette crainte par les problèmes rencontrés par son compagnon, Monsieur (B), au sein de son entreprise pour avoir refusé de commettre des actes illégaux, refus en raison duquel ce dernier serait considéré comme un « traître à la patrie » et aurait subi des persécutions.
Or, une persécution vécue par une personne autre que le demandeur de protection internationale ne peut établir une crainte de persécutions dans le chef de ce dernier qu’à condition que le demandeur puisse établir l’existence, dans son chef, d’un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières.
Outre le fait que le demandeur fait uniquement état d’actes de persécution subis par son compagnon, sans d’ailleurs préciser la nature exacte de ces actes ni les circonstances dans lesquelles ils auraient été perpétrés, il reste, qui plus est, en défaut d’indiquer des éléments personnels l’exposant à un risque de subir des actes similaires. Il s’ensuit que même à supposer que le compagnon du demandeur puisse être considéré comme ayant subi des actes pouvant être qualifiés de persécutions, ceux-ci ne sont pas de nature à constituer dans le chef de celui-
ci des indices sérieux d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
En ce qui concerne ensuite les craintes du demandeur liées au fait de devoir retourner au Venezuela en tant que demandeur de protection internationale débouté, le tribunal relève qu’à supposer que le demandeur ait entendu rattacher cette crainte aux opinions politiques qui risqueraient de lui être attribuées par les autorités de son pays d’origine pour avoir quitté le Venezuela et s’être rendu en Europe, force est de constater qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que tout Vénézuélien retournant dans son pays à partir d’un pays européen risquerait d’y subir des persécutions au sens de la Convention de Genève.
Si des personnes ayant été en conflit avec le gouvernement vénézuélien avant leur fuite semblent être plus à risque d’être confrontées à des problèmes en cas de retour dans leur pays d’origine, il ne ressort toutefois pas de la documentation soumise au tribunal par le demandeur que tout ressortissant du Venezuela s’étant rendu en Europe et retournant dans son pays d’origine serait considéré comme un traître ou un opposant au régime en place et qu’il risquerait de ce fait de se retrouver dans le collimateur des autorités vénézuéliennes.
Force est, à cet égard, de constater qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier que le demandeur risquerait d’être considéré comme ayant quitté son pays d’origine pour avoir été un opposant au régime et donc de rencontrer des problèmes de ce fait en cas de retour, le 16 demandeur ne faisant pas état d’un quelconque agissement de sa part à l’encontre des autorités vénézuéliennes. Il y a, par ailleurs, encore lieu de constater qu’il a pu quitter légalement son pays d’origine le 29 septembre 2021 en tant que touriste, sans être inquiété d’une quelconque manière par les autorités vénézuéliennes.
Le tribunal relève encore que le demandeur ne tombe pas non plus dans le cas de figure des nationaux vénézuéliens ayant souhaité retourner au pays pendant la pandémie liée à la Covid-19 et dont les retours en masse en 2020 ont été rendus difficiles suite à des fermetures à la frontière entre la Colombie et le Venezuela, respectivement qui ont dû se soumettre à des mesures de quarantaine dans des conditions qualifiées d’inhumaines et dégradantes par les organisations non gouvernementales parce que le président vénézuélien les a accusés d’être des « bioterrorists ».
Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les craintes du demandeur de faire l’objet de persécutions s’il devait retourner dans son pays d’origine en tant que demandeur de protection internationale débouté ne sauraient pas non plus justifier dans son chef l’octroi du statut de réfugié.
Le tribunal est, dès lors, amené à conclure que c’est à bon droit, et sans violer l’article 14 de la DUDH ni les articles 2 et 3 de la CEDH, que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par le demandeur comme étant non fondée, de sorte que son recours dirigé contre le refus ministériel de lui accorder ledit statut encourt le rejet.
En ce qui concerne la demande en obtention d’une protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant rappelé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les 17 atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits qu’il avance, du risque réel de subir des atteintes graves que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, il convient de prime abord de relever que le demandeur ne fait pas état d’un risque de subir la peine de mort ou l’exécution ou d’être victime d’une violence aveugle dans le … d’un conflit armé interne au sens, respectivement, des points a) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, mais qu’il invoque uniquement une crainte de faire l’objet d’atteintes graves au sens du point b) du même article, de sorte que le tribunal limitera son analyse au risque allégué du demandeur de subir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate ensuite qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant que les moqueries et les humiliations dont le demandeur déclare avoir été victime en raison de son orientation sexuelle depuis son enfance, respectivement de la part d’agents de police lors du dépôt de sa plainte en date du 10 mai 2021, ne sont pas d’une gravité suffisante pour être qualifiées de persécutions, le demandeur n’est pas davantage fondé à invoquer sur base de ces mêmes faits une crainte réelle et sérieuse de subir des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Ensuite, quant aux deux agressions subies par le demandeur, le tribunal relève que les faits relatés, respectivement les craintes invoquées à cet égard, ne permettent pas non plus de conclure à l’existence d’un risque réel pour le demandeur de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 de la part des auteurs de ces agressions en cas de retour au Venezuela, alors que les menaces émises lors de ces deux incidents étaient, à chaque fois, dirigées contre Monsieur (B) et en lien avec l’exécution d’un « contrat », de sorte à avoir clairement visé le compagnon du demandeur et non pas lui-même.
La même conclusion s’impose en ce qui concerne la crainte du demandeur de risquer des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 pour être considéré comme un « traître à la patrie ». Cette crainte est, en effet, basée sur le vécu de son compagnon, le demandeur restant, tel que soulevé dans le … de l’analyse du recours dirigé contre la décision de refus du statut de réfugié, en défaut d’indiquer des éléments personnels l’exposant à un risque de subir des actes similaires.
Quant à sa crainte liée au fait de devoir retourner au Venezuela en tant que demandeur de protection internationale débouté, dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant que Monsieur (A) n’avait, dans ce contexte, pas fait état d’une crainte réelle et sérieuse de faire l’objet d’actes de persécutions, le demandeur n’est pas davantage fondé à invoquer sur base de 18 ces mêmes faits un risque réel et sérieux de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.
En ce qui concerne, enfin, l’argument du demandeur selon lequel la crise politique au Venezuela aurait engendré une crise humanitaire, économique et sécuritaire qui entraînerait, en cas de retour dans ledit pays, le risque qu’il subisse des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal a déjà eu l’occasion de retenir dans d’autres affaires relatives à des demandes de protection internationale de ressortissants vénézuéliens que la situation socio-économique tendue et la crise humanitaire qui en résulte sont plutôt la conséquence d’une situation complexe conjuguant différents facteurs tels qu’une mauvaise gestion économique, des sanctions économiques lourdes, la chute de la production … et des prix pétroliers, l’hyperinflation et une contraction de l’économie4. Le demandeur ne démontre, d’ailleurs, pas qu’en cas de retour au Venezuela, il serait exposé d’une façon intentionnelle et personnelle à une pauvreté extrême dans laquelle il ne pourrait plus satisfaire à ses besoins vitaux5 et que les autorités vénézuéliennes empêcheraient délibérément leurs citoyens de subvenir à leurs besoins vitaux, de sorte à commettre des actes contraires à l’article 3 de la CEDH.
A défaut d’autres éléments, le demandeur reste ainsi en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour au Venezuela.
C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que le recours en ce qu’il est dirigé à l’encontre du refus ministériel de lui octroyer ledit statut est également à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation du refus d’octroi d’une protection internationale.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.
Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
4 Trib. adm., 17 mai 2021, n° 44670 du rôle, et trib. adm., 12 janvier 2023, n° 46750 du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.
5 Voir dans ce sens : Conseil du Contentieux des Etrangers belge, arrêt n° 247 229 du 12 janvier 2021.
19 Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur n’a à craindre ni des persécutions, ni des atteintes graves dans son pays d’origine, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé de lui accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale, c’est encore à bon droit qu’il a pu prononcer un ordre de quitter le territoire à son encontre.
Il s’ensuit que le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 6 octobre 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 6 octobre 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 14 octobre 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
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