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09/10/2024 | LUXEMBOURG | N°48428

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 octobre 2024, 48428


Tribunal administratif N° 48428 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48428 3e chambre Inscrit le 19 janvier 2023 Audience publique du 9 octobre 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48428 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 janvier 2023 par Maître Bénédicte SCHAEFER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à

Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeur...

Tribunal administratif N° 48428 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48428 3e chambre Inscrit le 19 janvier 2023 Audience publique du 9 octobre 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48428 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 janvier 2023 par Maître Bénédicte SCHAEFER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 décembre 2022 portant retrait du statut de réfugié à son encontre et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître José STEFFEN, en remplacement de Maître Bénédicte SCHAEFER, et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 juin 2024.

Le 8 septembre 2015, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 13 avril 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda le statut de réfugié à Madame …, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 12 avril 2021.

Il ressort ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », portant le numéro …, daté du 3 juin 2022, émanant de l’unité de la police de l’aéroport, groupe SCA-

SCF, que Madame … fit, en date du même jour, l’objet d’un contrôle par des agents de police à l’aéroport de Luxembourg alors qu’elle arrivait d’Istanbul, contrôle lors duquel il s’avéra que l’intéressée était en possession d’un passeport irakien en cours de validité et estampillé en Irak en date du 13 août 2021, lequel fut saisi par les agents de police le même jour. Il en ressort encore que Madame … aurait à cette date visité des membres de famille en Irak.

1 Par courrier du 29 juin 2022, le ministre informa Madame … de son intention de lui retirer le statut de réfugié et l’invita à présenter ses observations dans un délai de huit jours.

Par courrier du 13 juillet 2022, le mandataire de Madame … fit parvenir les observations de celle-ci au ministre, observations qui furent complétées par une pièce envoyée au ministre par courrier du 25 juillet 2022.

Par décision du 13 décembre 2022, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé le 19 décembre 2022, le ministre retira le statut de réfugié à Madame …, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, dans les termes suivants :

« […] En date du 13 avril 2016, le statut de réfugié vous a été accordé au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée la « Loi de 2015 »).

Par courrier du 29 juin 2022, notifié en date du 5 juillet 2022, vous avez été informée de l'intention ministérielle de vous retirer votre protection internationale conformément à l'article 44 de la Loi de 2015 et du fait que vous pouvez présenter des observations quant aux faits indiqués dans le courrier endéans un délai de huit jours. Il vous est en effet reprochée d'avoir voyagé en Irak, votre pays d'origine mais surtout et avant toute chose d'avoir sollicité un nouveau passeport auprès des autorités de votre pays d'origine, passeport qui vous a été délivré le 26 juillet 2021 et qui est valable jusqu'au 25 juillet 2029. Votre passeport irakien a été trouvé caché dans vos bagages par les autorités douanières à l'aéroport du Luxembourg lors d'un contrôle fortuit alors que vous reveniez d'Istanbul.

Par courrier du 13 juillet 2022, vous avez fait part de vos observations par le biais de votre mandataire. Vous tentez de justifier vos déplacements en Irak par le fait que lorsque vous auriez rendu visite à votre sœur Madame … en Turquie en juin 2021, vous auriez été informée du décès de votre sœur aînée, Madame … qui aurait vécu jusqu'au jour de son décès le … 2021 à … en Irak. Sous le coup de l'émotion, vous auriez décidé de vous rendre en Irak afin de lui rendre un dernier hommage. Vous expliquez ensuite que vous auriez sollicité un passeport auprès des autorités irakiennes alors que vous auriez craint ne plus pouvoir quitter l'Irak en raison de l'absence d'un document de voyage valable.

En outre, vous expliquez que vous auriez ignoré que votre passeport irakien se trouvait dans vos bagages lors du contrôle effectué par les agents douaniers de l'aéroport de Luxembourg en date du 3 juin 2022 alors que vous auriez pensé que celui-ci se trouverait à votre domicile au Luxembourg. De plus, vous ajoutez que vos deux filles majeures se trouvent au Luxembourg et qu'un retrait de votre protection internationale aurait comme conséquence une rupture de vos liens familiaux.

A l'appui de vos dires, vous remettez une copie et une traduction assermentée de l'acte de décès de votre sœur Madame … ainsi qu'une copie de la carte d'identité de votre fille Madame … et du titre de séjour de votre fille Madame … qui se trouvent au Luxembourg.

Madame, je vous informe par la présente que votre protection internationale vous est retirée avec effet immédiat conformément à l'article 47(1) de la Loi de 2015 qui dispose que 2« Le ministre révoque le statut de réfugié octroyé à un ressortissant de pays tiers ou à un apatride, lorsque le réfugié a cessé de bénéficier de ce statut en vertu de l'article 44 ».

L'article 44(1) de la Loi de 2015 précise notamment que : « Tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride cesse d'être un réfugié dans les cas suivants :

a) s'il s'est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité ; (…) ».

Tel qu'il ressort de l'analyse de votre dossier, il s'avère que le point a), de l'article 44(1) se trouve être d'application pour les raisons étayées ci-après.

Madame, l'Unité de Police à l'Aéroport a porté à ma connaissance en date du 3 juin 2022 qu'il a été procédé à une saisie de votre passeport irakien portant le numéro … émis le 26 juillet 2021 par les autorités irakiennes à Bagdad/Irak que vous aviez dissimulé dans vos bagages au moment de votre arrivée au Luxembourg depuis la Turquie. En effet les autorités ont trouvé ce passeport le 3 juin 2022 lors d'un contrôle de routine effectué à votre arrivée au Luxembourg et ont saisi le document alors que vous n'êtes pas censée être en possession d'un tel document en tant que bénéficiaire du statut de réfugié.

Il ressort des tampons apposés dans ce passeport que vous êtes effectivement retournée à au moins une reprise en Irak, considérant le tampon de sortie de l'Irak en date du 13 août 2021 (page 5). Vous confirmez d'ailleurs vous-même que vous vous êtes procurée un passeport irakien auprès des autorités irakiennes par peur de ne plus pouvoir quitter le territoire irakien en raison de l'absence d'un document de voyage dans votre chef.

Il est dès lors incontestable que vous vous êtes volontairement à nouveau réclamée de la protection du pays dont vous avez la nationalité. Par conséquent, les conditions du point a) de l'article 44(1) de la Loi de 2015 sont remplies.

En ce qui concerne vos explications par rapport au fait que vous auriez ignoré que votre passeport irakien se trouvait dans vos bagages lors du contrôle effectué par les agents douaniers de l'aéroport de Luxembourg en date du 3 juin 2022, celles-ci ne sauraient avoir une quelconque influence sur la décision alors que le fait pertinent est que vous êtes en possession de ce document que vous avez sciemment sollicité auprès de des autorités de votre pays d'origine, le fait de le porter sur vous ou non n'est pas un élément déterminant en l'espèce.

Par rapport à votre crainte de perdre contact avec vos deux filles qui se trouvent au Luxembourg, il y a lieu de noter que celle-ci est infondée sachant qu'elles ont toutes les deux atteint l'âge de la majorité depuis longtemps, qu'elles ont fondé leur propre famille et que rien ne vous empêchera de maintenir un contact étroit et régulier avec elles suite au retrait de votre protection internationale.

Par conséquent, votre protection internationale vous est retirée tel que prévu par l'article 47(1) de la Loi de 2015 et vous êtes, en vertu des dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015 dans l'obligation de quitter le territoire luxembourgeois.

Conformément aux termes des articles 44(1), point a), et 47(1) de la Loi de 2015, votre protection internationale est révoquée.

3Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2023, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 13 décembre 2022 portant retrait de son statut de réfugié et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant retrait du statut de réfugié Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions portant retrait d’un statut de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 13 décembre 2022, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et au-delà des faits exposés ci-avant, la demanderesse explique s’être rendue en Turquie le 6 juin 2021 pour rendre visite à sa sœur, visite lors de laquelle elle-

même et sa sœur auraient été informées en date du … 2021 du décès de leur sœur aînée, laquelle aurait vécu à … jusqu’au jour de son décès. Suite à cette nouvelle, elle se serait rendue en Irak afin d’assister aux funérailles de sa défunte sœur, avec laquelle elle aurait eu des liens intenses, la demanderesse précisant qu’elle se serait ensuite vue contrainte de solliciter un passeport irakien auprès des autorités irakiennes, de crainte de ne plus pouvoir quitter l’Irak en l’absence de document d’identité valable, tout en mettant encore en exergue qu’une fois de retour au Luxembourg, elle ne se serait plus rendue en Irak.

En droit, Madame … conclut à une violation des articles 44, paragraphe (1), point a) et 47, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, en reprochant au ministre d’avoir retenu dans sa décision du 13 décembre 2022 qu’elle aurait, en sollicitant la délivrance d’un passeport irakien dans son chef, réclamé la protection de l’Etat irakien, sans tenir compte des circonstances particulières qui l’auraient amenée à ce faire. Après avoir réitéré les éléments de fait qui l’auraient poussée à se rendre en Irak et à solliciter un passeport irakien, tels qu’exposés ci-dessus, elle précise que, bien que son passeport irakien indiquerait la date de délivrance du 26 juillet 2021, celui-ci ne lui aurait été remis qu’au début de la deuxième semaine du mois d’août 2021 et qu’elle aurait, dès réception dudit passeport, immédiatement quitté l’Irak et n’aurait depuis plus eu le moindre contact avec les autorités irakiennes, ce qui serait encore corroboré par les tampons figurant sur le passeport en question.

Elle estime, dans ce contexte, que l’absence de nouvelles persécutions ne permettrait pas, à elle seule, de conclure à l’effectivité de la protection apportée par l’Etat irakien, la demanderesse revenant, à cet égard, plus particulièrement sur les motifs invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale, et notamment sur le fait qu’elle aurait exercé la profession de journaliste en Irak et qu’elle aurait, de ce fait, subi des persécutions de la part de la milice « Al Haq », qui serait un acteur non étatique, et non pas de la part de l’Etat irakien.

Par ailleurs, selon la demanderesse, le fait d’avoir demandé la délivrance d’un passeport aux autorités de son pays d’origine ne saurait ipso facto amener à la conclusion qu’elle entendrait se placer volontairement sous la protection dudit pays, la demanderesse ajoutant que l’autorité 4ministérielle resterait en défaut d’apporter la preuve de l’effectivité d’une éventuelle protection lui apportée par l’Etat irakien. Elle en déduit que la crainte de faire l’objet de persécutions en Irak persisterait actuellement dans son chef et que les motifs ayant justifié l’octroi du statut de réfugié dans son chef n’auraient pas cessé d’exister, de sorte qu’elle n’aurait pas cessé d’être un réfugié au sens de l’article 44, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que la décision ministérielle déférée devrait encourir la réformation en ce sens.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Il est constant en cause que le ministre a considéré que le statut de réfugié devait être retiré à Madame … sur base du point a) de l’article 44, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, lequel dispose que « (1) Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride cesse d’être un réfugié dans les cas suivants :

a) s’il s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité ; […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 47, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « (1) Le ministre révoque le statut de réfugié octroyé à un ressortissant de pays tiers ou à un apatride, lorsque le réfugié a cessé de bénéficier de ce statut en vertu de l’article 44. ».

Il s’ensuit que le statut de réfugié peut être révoqué par le ministre, notamment lorsque le détenteur dudit statut s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité.

Le tribunal relève à cet égard qu’un réfugié peut être présumé s’être volontairement réclamé à nouveau de la protection de son pays d’origine (i) s’il a agi volontairement, (ii) si l’acte a été accompli intentionnellement et (iii) si le résultat produit est l’obtention d’une protection effective1.

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier administratif, et notamment du rapport de la police grand-ducale du 3 juin 2022, de même que des explications de la demanderesse-

même, qu’après avoir obtenu le statut de réfugié en 2016, celle-ci s’est rendue en Irak en juillet 2021 pour assister aux funérailles de sa sœur aînée, décès duquel elle aurait été informée le … 2021, et qu’elle y a sollicité la délivrance d’un passeport irakien dans son chef, lequel a été émis à son égard par les autorités irakiennes en date du 26 juillet 2021. Il ressort encore dudit rapport de police que le passeport irakien de Madame …, lequel a été confisqué par les agents de police, comporte un tampon mentionnant le 13 août 2021 comme date de sortie de l’Irak.

Au vu de ce qui précède, force est au tribunal de constater que les deux premières conditions précitées sont remplies, dans la mesure où la demanderesse s’est volontairement rendue dans le pays dans lequel elle craindrait subir des persécutions et qu’elle y a sollicité la délivrance d’un passeport irakien auprès des autorités irakiennes.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle elle se serait vue contrainte de solliciter la délivrance d’un passeport irakien de peur 1 European Asylum Support Office (EASO), Analyse juridique – Fin de la protection internationale : articles 11, 14, 16 et 19 de la Directive Qualification (2011/95/UE), 2018, p. 26.

5de ne plus pouvoir quitter l’Irak, alors que, d’une part, et tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, dans la mesure où elle a, sans difficultés, pu entrer sur le territoire irakien sans passeport irakien, il peut être légitimement admis qu’elle aurait a fortiori pu quitter ledit territoire sans passeport irakien et que, d’autre part, ces affirmations ne sont, en tout état de cause, pas de nature à énerver le fait qu’elle s’est, dans un premier temps, volontairement rendue en Irak, alors même qu’elle prétend risquer d’y être persécutée.

Le même constat s’impose quant à l’affirmation de la demanderesse que son passeport irakien, lequel mentionne le 26 juillet 2021 comme date d’émission, ne lui aurait été remis qu’au début de la deuxième semaine du mois d’août 2021 et qu’elle aurait, dès réception dudit passeport, immédiatement quitté l’Irak, cette affirmation, outre de rester à l’état de pure allégation, n’étant pas non plus de nature à remettre en cause le fait qu’elle s’est, de prime abord, volontairement rendue dans son pays d’origine où elle craindrait justement de subir des persécutions, et qu’elle a, de sa propre initiative et intentionnellement, sollicité ledit passeport auprès des autorités irakiennes. A cela s’ajoute, tel qu’il a été souligné à juste titre par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, que même à admettre que le passeport en question n’aurait été remis à l’intéressée qu’au début de la deuxième semaine du mois d’août 2021, soit aux alentours du 9 août 2021, celle-ci n’a quitté l’Irak qu’en date du 13 août 2021, tel qu’indiqué par le tampon figurant dans ledit passeport, et serait, partant, restée encore plusieurs jours sur le territoire irakien après la réception dudit document.

Quant à la troisième condition relative à l’obtention d’une protection effective et s’agissant du reproche de la demanderesse relatif à l’absence de preuve par le ministre de l’effectivité de la protection sollicitée auprès des autorités irakiennes, il échet de relever qu’il est admis que, en l’absence de preuves contraires, la délivrance ou le renouvellement d’un passeport, à la demande du réfugié, est assimilé à l’obtention de la protection du pays d’origine2, étant précisé qu’il revient à cet égard au réfugié d’établir que sa motivation, les conditions et la durée de son séjour ne sont pas de nature à démontrer qu’il s’est réclamé à nouveau la protection des autorités de son pays d’origine3.

Il aurait partant incombé à la demanderesse de rapporter la preuve qu’elle ne s’est pas à nouveau réclamée de la protection des autorités irakiennes, ce qu’elle est toutefois restée en défaut de faire. En effet, celle-ci reste en défaut d’apporter la preuve du décès de sa sœur et partant de la motivation de son voyage et séjour dans son pays d’origine, de même qu’elle reste en défaut d’établir les conditions de son séjour en Irak et partant du défaut de protection des autorités irakiennes contre les agissements de la milice « Al Haq ».

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres éléments, le tribunal est amené à conclure que la demanderesse n’a pas renversé la présomption pesant sur elle et que celle-ci, en se rendant volontairement dans le pays dans lequel elle affirme craindre de subir des persécutions, ainsi qu’en y sollicitant la délivrance d’un passeport irakien auprès des autorités irakiennes, s’est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité, de sorte que c’est à bon droit que le ministre lui a retiré le statut de réfugié sur base de l’article 44, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit que ce volet du recours est à rejeter.

2 European Asylum Support Office (EASO), Analyse juridique – Fin de la protection internationale : articles 11, 14, 16 et 19 de la Directive Qualification (2011/95/UE), 2018, p. 27.

3 Ibidem.

62) Quant au recours visant la décision du ministre portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal à l’encontre de la décision ministérielle du 13 décembre 2022 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

La demanderesse sollicite d’abord la réformation de l’ordre de quitter le territoire pour violation du principe de non-refoulement tel que consacré à l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », en ce que la décision litigieuse aurait pour effet qu’elle soit refoulée vers son pays d’origine où sa vie serait en danger.

Elle invoque ensuite une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », et de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », au motif qu’elle encourrait un risque réel et sérieux de faire l’objet d’actes de persécutions et de subir des traitements inhumains et dégradants dans son pays d’origine.

En se prévalant, par ailleurs, de l’article 18 de la Charte, ainsi que des articles 44, paragraphe (1), point a) et 47, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, elle conclut qu’au vu de tout ce qui précède, l’ordre de quitter le territoire litigieux devrait encourir la réformation.

Finalement, la demanderesse sollicite encore la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision portant retrait de son statut de réfugié en relevant qu’en tout état de cause, le doute devrait lui profiter.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.

A défaut de restriction prévue à cet égard, cette disposition légale a également vocation à s’appliquer à un ordre de quitter le territoire contenu dans une décision portant révocation du statut de réfugié prise en application de l’article 47, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a retiré le statut de réfugié à la demanderesse, ce dernier pouvait a priori valablement assortir ladite décision d’un ordre de quitter le territoire.

7En ce qui concerne la violation alléguée du principe de non-refoulement, ainsi que des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il échet de constater, en ce qui concerne les risques prétendument encourus par la demanderesse en cas de retour dans son pays d’origine, que le tribunal vient de conclure ci-avant que celle-ci n’a pas renversé la présomption de s’être volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité, à savoir l’Irak, conclusion dont le tribunal ne saurait actuellement se départir à ce niveau-ci de son analyse. Il s’ensuit que la demanderesse ne justifie plus d’une crainte actuelle et fondée de subir des persécutions dans son pays d’origine.

Le tribunal n’estime, dès lors, pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi de la demanderesse dans son pays d’origine soit dans des circonstances incompatibles avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, voire avec le principe de non-refoulement prévu par l’article 33 de la Convention de Genève, de sorte que les moyens afférents encourent le rejet.

S’agissant finalement de l’article 18 de la Charte, en vertu duquel « Le droit d'asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après dénommés « les traités »). », force est au tribunal de constater que la demanderesse n’a pas autrement précisé dans quelle mesure cette disposition aurait été méconnue par le ministre, de sorte que ce moyen simplement suggéré encourt le rejet, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence de la demanderesse en recherchant lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

Il s’ensuit que le volet du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 décembre 2022 portant retrait du statut de réfugié de Madame … ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 décembre 2022 portant ordre de quitter le territoire dans le chef de Madame … ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre lesdites décisions ministérielles du 13 décembre 2022 ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 octobre 2024 par :

8 Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 48428
Date de la décision : 09/10/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-10-09;48428 ?

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