Tribunal administratif N°48129 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48129 5e chambre Inscrit le 3 novembre 2022 Audience publique du 9 octobre 2024 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de port d’armes
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48129 du rôle et déposée le 3 novembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation, sinon subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 19 septembre 2022 ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2023 par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, et Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 juin 2024.
Monsieur (A) était titulaire d’une autorisation de détention d’armes portant sur dix armes, délivrée le 6 mars 2017, et d’un permis de port d’armes de sport portant sur 16 armes, délivré le 26 mars 2018, ainsi que d’une carte européenne d’armes à feu portant sur 8 armes, délivrée le 30 août 2019.
Par courrier du 3 février 2022, réceptionné le 7 février 2022 par le ministère de la Justice, Monsieur (A) demanda le renouvellement de son autorisation de détention d’armes.
Par courrier du 22 mars 2022, le ministre de la Justice, ci-après « le ministre », informa Monsieur (A) de son intention, suite à sa condamnation par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 17 mars 2020, inscrit sous le numéro 943/2020, notamment à une amende correctionnelle de 3.000 euros pour incitation à la haine et à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur origine, en raison de leur non appartenance vraie ou supposée à la nation allemande, en raison de leur homosexualité, et en raison de leur appartenance vraie ou supposée à une religion déterminée, à savoir la religion juive, de refuser la demande de renouvellement de son autorisation de détention d’armes, ainsi que de révoquer son autorisation de port d’armes de sport du 26 mars 2018 et sa carte européenne d’armes à feu du 30 août 2019, tout en invitant l’intéressé à présenter ses 1observations afférentes dans la quinzaine de la réception du courrier en question. Ce courrier est libellé comme suit :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande du 03 février 2022 par laquelle vous avez sollicité le renouvellement de votre autorisation de détention d'armes du 06 mars 2017.
Tel qu'il ressort de l'extrait numéro 2 de votre casier judiciaire, vous avez été condamné par jugement du Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, en date du 17 mars 2020 à une peine d'amende de 3.000 euros pour incitation à la haine et à la violence à l’égard d'un groupe de personnes en raison de leur appartenance vraie ou supposé à la nation allemande, en raison de leur origine et en raison de leur religion déterminée, à savoir la religion juive. À l'origine de cette condamnation furent plusieurs faits qui se résument comme suit :
Vous êtes en aveu d'avoir publié en date du 1er août 2019 sur le mur virtuel du profil … de l'utilisateur « (B) », à la suite d'une contribution critiquant la politique européenne en matière de réfugiés, de façon visible pour tous les utilisateurs de la plateforme virtuelle …, le commentaire suivant : « E pur gud pracéiert Topedoen an de Spuk as um Enn ».
Ensuite, vous êtes en aveu d'avoir publié en date du 30 août 2019 sur le mur … du profil de l'utilisateur « (C) », profil fermé au public mais accessible à 915 amis virtuels, le commentaire suivant : « Esou eppes misst gezielt ofgeschoss gin ».
Enfin, vous êtes également en aveu d'avoir publié en date du 24 septembre 2019 à l'adresse de l'utilisateur … « (D) », accessible à tous les autres utilisateurs …, sur le mur virtuel dudit utilisateur, le commentaire suivant : « (D) Has du dir eppes anescht fun engem schule Judd erwoaert. […] ».
Monsieur (A) fit présenter ses observations au ministre, par l’intermédiaire de son litismandaire, par courrier du 28 mars 2022.
Par courrier du 22 juin 2022, le litismandataire de Monsieur (A) s’enquit auprès du ministère de la Justice, ci-après désigné par « le Ministère », des suites réservées à son courrier du 28 mars 2022.
Par décision du 16 août 2022, le ministre refusa le renouvellement de l’autorisation de détention d’armes de Monsieur (A) et lui révoqua son permis de port d’armes de sport et sa carte européenne d’armes à feu, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] La présente pour faire suite à vos courriers du 28 mars et du 22 juin 2022 en réponse au courrier ministériel du 22 mars 2022 adressé à votre mandant, Monsieur (A), demeurent à L-…, aux termes duquel j'ai informé votre mandant de mon intention de refuser sa demande de renouvellement de son autorisation de détention d'armes du 3 février 2022, entrée en nos services le 7 février 2022, ainsi que de mon intention de révoquer son autorisation de port d'armes de sport du 26 mars 2018 et sa carte européenne d'armes à feu du 30 août 2019.
Mis à part le fait que vous écrivez que votre client regrette « amèrement » les publications sur …, que vous qualifiez de « malheurs », le seul argument avancé dans votre 2courrier précité du 28 mars 2022 est que la condamnation pénale de Monsieur (A) « ne prouve pas qu'il soit violent ou agressif, respectivement qu'il fait preuve d'un comportement irresponsable au niveau des armes. ».
Il y a lieu de relever qu'il est de jurisprudence administrative constante que, tout comme la gravité de la décision d'accorder une autorisation de porter ou de détenir une arme impose au ministre de faire application de critères très restrictifs pour la reconnaissance de motifs valables y relatifs, celle de refuser ou de révoquer pareille autorisation appelle une démarche également rigoureuse de la part de l'autorité administrative amenée à statuer (cf. en ce sens notamment Trib. adm. 25 juin 2008, n° 23663, Pas. adm. 2016, V° Armes prohibées, n° 19).
En l'espèce, force est de constater qu'il existe un risque de mauvais usage d'armes dans le chef de votre client. Je rappelle que Monsieur (A) est en aveu d'avoir publié -entre autres -
sur … les commentaires suivants : « Esou eppes misst gezielt ofgeschoss gin » ou encore « E pur gud pracéiert Topedoen an de Spuk as um Enn » (sic).
Ainsi, le comportement de votre client est incompatible avec le comportement responsable et respectueux de la loi qu'on est en droit d'exiger d'un détenteur d'armes à feu, et ce indépendamment du fait qu'il ait fait preuve d'un comportement irresponsable avec ses armes ou non.
En outre, si le rôle du ministre ne consiste certes pas à sanctionner un fait déterminé, il lui appartient, en effet, en application du principe de précaution, compte tenu du comportement de l'individu, de tout mettre en œuvre afin de veiller à ce que le détenteur d'armes prohibées ne puisse pas, dans le futur, faire un mauvais usage de ces armes (Trib.
adm. 30 janv. 2017, numéro 37363 du rôle).
Au vu de ce qui précède, ensemble les considérations exposées dans mon courrier du 22 mars 2022, la demande de renouvellement d'autorisation de détention d'armes de Monsieur (A) du 06 mars 2017 est refusée, et son autorisation de port d'armes de sport du 26 mars 2018 ainsi que sa carte européenne d'armes à feu du 30 août 2019 sont révoquées en application de l'article 14, paragraphe 1er, de l'article 24, paragraphe 1er , point 2°, et de l'article 25, paragraphe 2, de la loi modifiée du 2 février 2022 sur les armes et munitions. […] ».
Par décision du 19 septembre 2022 prise sur recours gracieux introduit en date 31 août 2022 par le litismandataire de Monsieur (A) et réceptionné le 1er septembre 2022, le ministre confirma sa décision de refus datée du 16 août 2022 en ces termes :
« […] La présente pour faire suite à votre courrier du 31 août 2022, entrée en nos services le 1er septembre 2022, valant recours gracieux contre la décision du 16 août 2022 portant refus de la demande de renouvellement de l'autorisation de détention d'armes du 3 février 2022 et révocation du permis de port d'armes de sport du 26 mars 2018 et de la carte européenne d'armes à feu du 30 août 2019 de votre mandant, Monsieur (A), né le ….
Force est de constater que votre mandant fournit actuellement des explications sémantiques concernant ses publications faites sur … (notamment « E pur gud pracéiert Topedoen an de Spuk as um Enn » et « Esou eppes misst gezielt ofgeschoss gin ») qui visent manifestement à minimiser la portée de ces publications. Or, ces explications sont en flagrante contradiction avec les déclarations faites par votre mandant devant la Police et le Tribunal 3dans le cadre de l'affaire ayant mené au jugement correctionnel du 17 mars 2020 ayant condamné votre mandant pour incitation à la haine et à la violence.
Votre mandant ne saurait remettre en question les éléments de fait et de droit ayant été retenus par le jugement précité du 17 mars 2020, alors que ce jugement est actuellement coulé en force de chose jugée, de sorte que les éléments qu'il renferme font partie de la « vérité judiciaire » en cette affaire. Partant, dans le cadre de la présente procédure administrative, les éléments du jugement précité du 17 mars 2020 sont à considérer comme des faits, sur lesquels le ministre peut se baser pour prendre des décisions en matière d'armes.
Il appartient en effet au ministre, en application du principe de précaution et compte tenu du comportement de l'intéressé, de tout mettre en œuvre afin de veiller à ce que le détenteur d'armes prohibées ne puisse pas, dans le futur, faire un mauvais usage de ces armes (cf. Tribunal administratif, 30 janv. 2017, numéro 37363 du rôle).
Or, pris en lui seul, l'argument avancé actuellement par votre mandant, selon lequel le verbe luxembourgeois « ofschéissen » signifierait « rapatrier un étranger en séjour irrégulier dans son pays », montre déjà à suffisance de droit que votre mandant ne regrette rien des publications faites par lui sur …, mais essaye seulement de se dérober à ses responsabilités.
Etant donné que votre mandat a utilisé des verbes comme « abattre » à l'égard d'autres êtres humains, le Ministre peut, sans commettre une erreur manifeste d'appréciation et sans dépasser sa marge d'appréciation, retenir que des armes à feu entre les mains de votre mandant puissent faire craindre qu'il est susceptible de présenter un danger au sens de l'article 24, paragraphe 1er, point 2°, de la loi du 2 février 2022 sur les armes et munitions, et cela même en l'absence d'une preuve que ce risque existe.
Par conséquent, et en l'absence d'autre motifs que ceux avancés par le recours gracieux du 31 août 2022, la décision ministérielle du 16 août 2022 est confirmée par la présente. […] ».
Par requête déposée en date du 3 novembre 2022, inscrite sous le numéro 48129 du rôle, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation, sinon subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 19 septembre 2022.
1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Lorsque le demandeur a entendu exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision1.
Etant donné que ni la loi du 2 février 2022 sur les armes et munitions, entrée en vigueur le 1er mai 2022 et abrogeant la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, ci-
après désignée par la « loi du 2 février 2022 », ni aucune autre disposition légale ne prévoient de recours de pleine juridiction contre une décision de refus de port d’armes, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière.
1 Trib. adm., 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 4 et les autres références y citées.
4Il s’ensuit que le tribunal est, en l’espèce, compétent pour connaître du recours principal en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 19 septembre 2022, précitée, et doit se déclarer incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation dirigé à son encontre.
Ledit recours en annulation ayant encore été introduit selon les formes prévues par la loi est dès lors recevable.
2) Quant au fond Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose en substance les rétroactes mentionnés précédemment.
En droit, le demandeur reproche, en premier lieu à la décision déférée du 19 septembre 2022 d’être entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, au motif que le ministre se serait, à tort, référé, pour motiver sa décision, au principe de précaution et au jugement correctionnel rendu le 17 mars 2020 par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, inscrit sous le numéro 943/2020 du rôle, qui l’a condamné pour « incitation à la haine et à la violence ».
A cet égard, le demandeur argue qu’il ne serait ni homophobe, ni antisémite, qu’il aurait présenté ses excuses lors du jugement précité, qu’il aurait déjà été condamné pour les faits lui reprochés et qu’il se serait à nouveau expliqué auprès du ministre par courrier concernant les formulations de phrases publiées sur le réseau social « … ».
Il fait, ensuite, valoir que « les antécédents judiciaires d’un requérant ne constitue[rait] pas le seul critère pour l’octroi ou le refus d’une autorisation de port d’armes. » en citant un jugement du tribunal administratif du 13 juillet 1998, inscrit sous le numéro 9572 du rôle, ainsi qu’un jugement du 18 septembre 2006, inscrit sous le numéro 20868 du rôle.
Le demandeur soutient, ensuite, en se fondant sur les jugements du tribunal administratif du 3 octobre 2011, inscrit sous le numéro 27911 du rôle, du 29 juin 2015, inscrit sous le numéro 34774 du rôle, du 30 janvier 2017, inscrit sous le numéro 37363 du rôle, que « [l]e rôle du ministre ne serait pas de sanctionner un fait, mais d’évaluer le risque et la gravité du trouble à l’ordre ».
Dans ce contexte, le demandeur donne à considérer que les faits qui lui seraient reprochés remonteraient à plus de deux ans et demi qu’il n’aurait pas d’antécédents judiciaires autre que les faits jugés en date du 17 mars 2020, de sorte à ne pas présenter ipso facto de « danger pour [lui]-même, pour autrui ou pour l’ordre et la sécurité publique ». Il en conclut que la décision du ministre serait disproportionnée et que ce dernier aurait excédé les limites de son pouvoir d’appréciation dans le cadre des attributions lui conférées par la « loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ».
Le demandeur reproche, en second lieu, au ministre d’avoir commis un détournement de pouvoir en lui refusant le port d’armes au seul motif de l’existence de ses antécédents judiciaires.
Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours.
5 Appréciation du tribunal A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant.
Toujours à titre liminaire, il échet de préciser que, même si le demandeur invoque des dispositions de la « loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions », cette dernière n’est pas applicable au recours sous examen. En effet, ladite loi a été abrogée par la loi du 2 février 2022, laquelle était en vigueur et applicable au moment de la décision du ministre du 16 août 2022 ainsi qu’à la décision déférée du 19 septembre 2022, étant relevé que le tribunal est saisi en l’espèce d’un recours en annulation, de sorte qu’il est amené à apprécier la situation de droit et de fait au moment de la prise de l’acte déféré. C’est d’ailleurs sur la base de la loi du 2 février 2022 que le ministre a pris les deux décisions déférées, et non pas sur la base de la loi du 15 mars 1983, qui n’est à aucun moment mentionnée dans lesdites décisions.
S’agissant, dans un premier temps, du moyen du demandeur selon lequel la décision ministérielle déférée serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, il convient de préciser qu’aux termes de l’article 24, paragraphe 1er de la loi du 2 février 2022 sur le fondement duquel le ministre a basé son refus : « (1) Sans préjudice des conditions spéciales applicables aux autorisations et permis visés aux articles 25 à 37 et 40 à 48, nul ne peut acquérir, acheter, importer, exporter, transférer, transporter, détenir, porter, vendre et céder des armes et munitions relevant du champ d’application de la présente loi si les conditions suivantes ne sont pas remplies cumulativement dans le chef du demandeur : […] 2° le requérant ne fait pas craindre qu’il est susceptible de présenter un danger au sens de l’article 14, paragraphe 1er ; […] ».
L’article 14 de la loi du 2 février 2022 dispose comme suit : « (1) [l]es autorisations, permis et agréments prévus par la présente loi sont délivrés par le ministre aux seules personnes qui, compte tenu de leur comportement et de leurs antécédents judiciaires ou policiers, ne font pas craindre qu’elles sont susceptibles de présenter un danger pour elles-
mêmes ou pour autrui, pour l’ordre public ou pour la sécurité publique. Une condamnation pour une infraction intentionnelle violente est considérée comme une indication d’un tel danger.
(2) [a]ux fins de la détermination de la dangerosité visée au paragraphe 1er, une enquête administrative est diligentée par le ministre qui consiste à vérifier auprès du procureur d’État du tribunal d’arrondissement dans le ressort duquel le requérant réside et de la Police grand-
ducale si le requérant a commis un ou plusieurs des faits visés au paragraphe 3 qui ont fait l’objet d’une condamnation pénale ou qui ont donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal ou d’un rapport de police. Les faits auxquels se rapportent les informations fournies par le procureur d’État et la Police grand-ducale ne peuvent avoir été commis plus de cinq ans avant l’introduction de la demande en obtention d’une autorisation, d’un permis ou d’un agrément prévus par la présente loi ou font l’objet d’une poursuite pénale en cours.
Les informations concernant les faits visés à l’alinéa 1er sont communiquées au ministre sous forme de l’intégralité ou d’extraits de procès-verbaux ou rapports de police, jugements, 6arrêts, ordonnances, ou tout autre document ou acte de procédure contenant les informations concernées. […] (3) Le procureur d’Etat et la Police grand-ducale ne communiquent des informations au ministre, conformément au présent article, que pour des faits :
1° incriminés en tant que crime ou délit par la loi ;
2° visés à l’article 563, point 3°, du Code pénal relatif aux voies de fait et violences légères ;
3° ayant motivé une procédure d’expulsion sur base de l’article 1er de la loi modifiée du 8 septembre 2003 sur la violence domestique. […] ».
Il résulte des dispositions légales précitées que, dans le cadre d’une demande d’autorisation ou de renouvellement de port ou de détention d’armes et de munitions, le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, selon les critères énoncés par l’article 14 de la loi du 2 février 2022, l’existence d’un danger dans le chef de l’intéressé, notamment lorsque son comportement ou ses antécédents judiciaires ou policiers laissent craindre qu’il est susceptible de représenter un danger pour lui-même, autrui ou pour l’ordre public ou la sécurité publique. Toutefois dès lors que l’existence de ce danger est constatée, la compétence du ministre est liée et il est tenu en vertu de l’article 24, paragraphe (1) de la loi du 2 février 2022 de refuser la délivrance ou le renouvellement d’une autorisation de port d’armes.
A cette fin, le ministre diligente une enquête administrative portant sur la dangerosité du requérant qui consiste notamment à vérifier si ce dernier a fait l’objet d’une condamnation pénale pour des faits, commis moins de cinq ans avant l’introduction de la demande en obtention ou en renouvellement d’une autorisation et qualifiés de crime ou de délit par loi. Les informations relatives à ces faits sont communiquées au ministre sous forme de l’intégralité ou des extraits de procès-verbaux ou rapports de police, jugements, arrêts, ordonnances, ou tout autre document ou acte de procédure contenant les informations concernées.
Le tribunal relève, ensuite, que dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est, quant à lui, appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée, dans les hypothèses où l’auteur de la décision dispose d’une telle marge d’appréciation, étant relevé que le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité2 appelant le juge administratif à opérer une balance valable et équilibrée des éléments en cause et à vérifier plus particulièrement si l’acte posé est proportionné à son but3.
2 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 56 et les autres références y citées.
3 Cour adm., 12 janvier 2021, n° 44684C du rôle, disponible sur www.justice.public.lu.
7Ce contrôle ne saurait toutefois avoir pour but de priver le ministre, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale, alors qu’il appartient au seul ministre de peser en définitive la valeur des intérêts publics et privés en discussion et de prendre sa décision en conséquence, en assumant tant à l’égard des intéressés qu’à l’égard de l’opinion publique la responsabilité de cette décision, de sa sévérité ou de sa clémence4.
En l’espèce, il échet de constater que, dans la décision ministérielle précitée du 19 septembre 2022, le ministre s’est fondé, pour caractériser le danger dans le chef du demandeur, sur les antécédents judiciaires de ce dernier, en l’occurrence sur un jugement de la neuvième chambre du tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle du 17 mars 2020 l’ayant condamné à une amende correctionnelle de 3.000 euros, ci-après désigné par « le jugement correctionnel ».
A cet égard, il ressort du jugement correctionnel que le tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg a retenu que :
- dans un premier temps, le 1er août 2019, à 11h19, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, en infraction à l’article 457-1,3° du Code pénal, le demandeur a publié, sur le mur virtuel du profil de … de l’utilisateur « (B) », à la suite d’une contribution critiquant la politique européenne en matière de réfugiés, et de manière visible pour tous les utilisateurs de la plateforme, le commentaire suivant « E pur gud pracéiert Topedoen an de Spuk as um Enn », et partant en a conclu que le demandeur avait commis, en qualité d’auteur, l’infraction d’incitation à la haine et à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur origine ;
- dans un second temps, le 30 août 2019, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, en infraction à l’article 457-1, 3° du Code pénal, le demandeur a publié sur le mur … du profil de l’utilisateur « (C) », un profil fermé au public mais accessible à 915 amis virtuels, à la suite du partage d’une contribution parue le 28 août 2019 sur le site virtuel « Welt.de » sous la rubrique « Panorama » intitulée « Massenschlägerei mit Machete und Messer auf Strasse in Neuköln », rediffusée par le biais de la page virtuelle … intitulée « Die Welt hinter der Leinwand Comeback », le commentaire suivant : « Esou eppes misst gezielt ofgeschoss gin », en précisant, lors de son audition au Commissariat de Police … par les commissaire et commissaire-adjoint de la Section Anti-Terrorisme du Service de Police judiciaire, souhaiter pouvoir faire renvoyer les gens qui se comportent mal dans leur pays d’origine, et partant en a conclu que le demandeur avant incité à la haine et à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur non appartenance vraie ou supposée à la nation allemande ; et - enfin, dans un troisième temps, le 24 septembre 2019, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, en infraction à l’article 457-1, 3° du Code pénal, le demandeur a publié à l’adresse de l’utilisateur … « (D) », accessible à tous les autres utilisateurs …, sur le mur virtuel dudit utilisateur, à la suite d’une contribution déplorant un prétendu manque de respect des ministres luxembourgeois à l’égard des autres grand pays, à l’occasion de la visite du Premier Ministre britannique Boris Johnson au Grand-Duché, mettant en exergue le ministre d’Etat de l’époque 4 Trib. adm. 24 septembre 2008, n° 24108 du rôle, disponible sur www.justice.public.lu.
8Xavier BETTEL et le ministre des Affaires étrangères de l’époque Jean ASSELBORN, le commentaire suivant : « (D) Has du dir eppes anescht fun engem schule Judde erwoart », et partant en a conclu que le demandeur avait commis, en qualité d’auteur, l’infraction d’incitation à la haine et à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur homosexualité, de leur appartenance vraie ou supposée à une religion déterminée, à savoir à la religion juive.
Le jugement ayant acquis autorité de la chose jugée, il s’ensuit qu’il est constant que le demandeur a commis plusieurs faits, les 1er août 2019, 30 août 2019 et 24 septembre 2019, constituant des délits, moins de cinq ans avant la soumission de sa demande litigieuse de renouvellement de son autorisation de détention d’armes, formulée par courrier daté du 3 février 2022, lesquels ont fait l’objet d’une condamnation pénale.
Partant, c’est à bon droit que le ministre s’est référé dans la décision litigieuse en application de l’article 14, paragraphes (1) et (2) de la loi du 2 février 2022 aux faits ayant fait l’objet du jugement correctionnel rendu le 17 mars 2020 par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, qui a condamné le demandeur pour « incitation à la haine et à la violence ».
Le tribunal ne saurait suivre l’argumentation contraire développée par le demandeur dans ce contexte.
Aussi, en se référant à ses antécédents judiciaires et tout particulièrement au regard des faits toisés par le jugement rendu le 17 mars 2020 selon lesquels le demandeur a procédé aux publications suivantes « E pur gud pracéiert Topedoen an de Spuk as um Enn » et « Esou eppes misst gezielt ofgeschoss gin », ainsi qu’à ses tentatives de justifier voire de minimiser, par le courrier du 31 août 2022, la portée des infractions pour lesquelles il a été condamné, le ministre a valablement pu conclure, dans la décision litigieuse, que le demandeur présente un danger pour lui-même ou pour autrui, pour l’ordre public ou pour la sécurité publique.
Il s’ensuit que le ministre a, par la suite, valablement procédé à la révocation subséquente du permis d’autorisation de détention d’armes de chasse, respectivement sa carte européenne d’armes, en conformité avec l’article 24 de la loi du 2 février 2022. Le ministre ne dispose, en effet, dans ce contexte que d’une compétence liée.
Quant à l’invocation par le demandeur des jugements du tribunal administratif du 3 octobre 2011, inscrit sous le numéro 27911 du rôle, du 29 juin 2015, inscrit sous le numéro 34774 du rôle, ainsi que du 30 janvier 2017, inscrit sous le numéro 37363, il échet de préciser, outre le fait que le demandeur se limite à énumérer ces références sans expliquer pour quelle raison les situations à la base desdits jugements soient assimilables à la sienne, que ces jugements portent sur la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, abrogée par la loi du 2 février 2022, rendant cet argument nécessairement surabondant.
C’est dès lors sans commettre une erreur manifeste d’appréciation et sans excéder les limites de son pouvoir d’appréciation dans le cadre des attributions lui conférées par la loi du 2 février 2022, que le ministre a valablement pu prendre la décision de refuser le renouvellement de l’autorisation de port d’armes délivrée au demandeur, respectivement de révoquer purement et simplement son autorisation de détention d’armes, de sorte que le moyen afférent soulevé par le demandeur encourt le rejet.
La même conclusion s’impose, pour les mêmes motifs, concernant les développements du demandeur selon lesquels le ministre aurait commis un détournement de pouvoir en lui 9refusant le port d’armes au seul motif de l’existence de ses antécédents judiciaires, de sorte que le moyen afférent soulevé par le demandeur est à rejeter.
Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il échet de conclure que le ministre a, à juste titre, pu estimer que le demandeur ne remplissait pas les conditions pour se voir renouveler l’autorisation de port d’armes, respectivement de son autorisation de détention d’armes, de sorte que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;
reçoit le recours principal en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 octobre 2024 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 10