La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/10/2024 | LUXEMBOURG | N°47864

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 octobre 2024, 47864


Tribunal administratif N° 47864 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47864 1re chambre Inscrit le 26 août 2022 Audience publique du 9 octobre 2024 Recours formé par Madame (A1) et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47864 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 août 2022 par Maître

Cora MAGLO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Tribunal administratif N° 47864 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47864 1re chambre Inscrit le 26 août 2022 Audience publique du 9 octobre 2024 Recours formé par Madame (A1) et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47864 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 août 2022 par Maître Cora MAGLO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A1), née le … à … (Venezuela), agissant tant en son nom personnel qu’aux noms et pour le compte de ses enfants, (A2) né le … à … (Venezuela) et (A3) né le … à …, tous de nationalité vénézuélienne et demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 août 2022 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 février 2024.

Le 12 octobre 2020, Madame (A1) introduisit en son nom personnel, ainsi qu’au nom et pour le compte de ses enfants mineurs (A2) et (A3), auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame (A1) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date du 6 octobre 2021, Madame (A1) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur ses motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 3 août 2022, notifiée à Madame (A1) par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », 1informa l’intéressée que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée dans les termes suivants :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite en date du 12 octobre 2020, sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015, relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-

après dénommée la « Loi de 2015 ») pour votre propre compte et pour celui de vos enfants, (A2), né le … à …/Venezuela et (A3), né le … à …/Venezuela, les deux de nationalité vénézuélienne.

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 12 octobre 2020 et votre rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 6 octobre 2021, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.

Madame, vous signalez être de nationalité vénézuélienne, être veuve et être originaire d'…, où vous auriez vécu avec votre époux défunt et vos enfants entre 2005 et 2020 et travaillé en tant qu'indépendante. En mars 2020, vous seriez partie vous installer chez votre beau-père et votre belle-sœur en Colombie, où vous seriez restée jusqu'à votre départ en octobre 2020, pour le Luxembourg, pays où vivraient déjà deux de vos sœurs. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous auriez été menacée par des membres des « colectivos », voire, par des membres d'un conseil communal de votre ville.

Ainsi, votre époux aurait été membre du conseil communal du secteur de … dans la ville d'…, conseil qui compterait une douzaine de membres et dont votre époux aurait été « la personne qui signait » (p. 7 du rapport d'entretien). Il aurait été comme un « procureur » (p. 6 du rapport d'entretien) étant chargé de la distribution des « CLAP » (p. 6 du rapport d'entretien) et la supervision des ressources données par l'Etat pour réaliser des projets. Or, en 2019, il serait tombé malade et aurait arrêté de participer aux activités dudit conseil à partir de février 2019. Un jour, il aurait reçu des messages menaçants sur son téléphone, tout en étant interrogé sur les raisons qui l'auraient poussé à cesser ses activités au sein du conseil communal. Il aurait répondu qu'il serait malade, mais quelques jours plus tard, il aurait reçu un autre message l'informant que s'il ne pouvait plus assister au conseil, vous-même devriez y aller à sa place. Vous auriez ignoré ces messages. En octobre 2019, on aurait envoyé des menaces de mort à votre époux et vous auriez alors décidé de vendre le portable et de partir ensemble à Maracaibo. Vous vous expliqueriez ces menaces par le fait qu'en absence de votre époux, il n'y aurait plus eu personne pour signer au sein du conseil communal et qu'il n'aurait pas non plus pu être remplacé par un autre membre de ce conseil parce qu'il aurait été le « leader et fondateur » « qui faisait bouger les gens » (p. 7 du rapport d'entretien). Ainsi, les « gens du quartier » (p. 7 du rapport d'entretien) auraient été convaincus, qu'en absence de votre époux, vous devriez le remplacer alors que vous auriez tous les deux été très appréciés et qu'« Ils pensaient que comme moi j'étais sa femme, les gens allaient suivre ce que je disais » (p. 7 du rapport d'entretien). En novembre 2019, votre époux serait décédé d'un cancer et vous seriez retournée vivre à la maison et vous auriez repris votre travail. Vous supposeriez que 2ledit conseil aurait continué à exister après la mort de votre époux.

Le matin du 15 février 2020, chez vous à la maison, vous auriez entendu un bruit, « comme une explosion » (p. 6 du rapport d'entretien) et vous auriez par la suite remarqué que la porte d'entrée de la maison aurait été détruite. Vous ajoutez par la suite que les murs auraient été cassés et qu'une feuille se serait trouvée par terre, indiquant « On va te tuer » (p.

8 du rapport d'entretien). En téléphonant ensuite à vos sœurs, celles-ci vous auraient conseillé d'immédiatement porter plainte et puis de venir les rejoindre au Luxembourg, où elles auraient été en train d'introduire des demandes de protection internationale. Vous n'auriez jusque-là pas été au courant des démarches entreprises par vos sœurs alors que vous auriez été d'avis qu'elles seraient venues au Luxembourg pour travailler.

« Après février » (p. 8 du rapport d'entretien) 2020, vous auriez décidé de quitter la maison et de vous installer chez une amie. Interrogée si vous possédiez des photos des dégâts occasionnés par cette explosion, vous répondez « Non. Le CICPC y est allé, mais j'ai demandé qu'ils ne le mettent pas dans la plainte » (p. 8 du rapport d'entretien). Conviée à expliquer cette réaction, vous répondez que vous auriez « demandé » (p. 8 du rapport d'entretien) cette plainte lorsque vous vous seriez déjà trouvée au Luxembourg et que vous auriez demandé à ce qu'on ne vous envoie pas de photos pour ne pas être obligée de revoir ces images. Vous seriez en outre d'avis que des membres du conseil communal ou des « colectivos », « ce sont les mêmes » (p. 9 du rapport d'entretien) auraient perpétré cette attaque.

Le 15 mars 2020, vous auriez pris un taxi pour vous conduire à la frontière colombienne où vous auriez été aidée par une personne à entrer en Colombie par les « trochas » (p. 5 du rapport d'entretien) étant donné que la frontière officielle aurait été fermée le jour-même à cause de la pandémie du Covid-19. Vous auriez initialement prévu venir au Luxembourg en mars 2020, mais à cause de cette pandémie, le Luxembourg aurait aussi fermé ses frontières et vous auriez dû attendre jusqu'en octobre 2020, pour pouvoir prendre l'avion.

En cas d'un retour au Venezuela, vous auriez peur que les « menaces et le préavis deviennent réalité » (p. 6 du rapport d'entretien), en précisant que vous auriez peur de vous faire tuer si vous ne preniez pas la place de votre époux dans le conseil communal. Vous auriez d'autant plus peur d'être tuée alors que lors de votre séjour en Colombie, vous auriez entendu qu'à …, il y aurait eu des explosions dans une clinique dirigées contre des entrepreneurs.

A l'appui de votre demande, vous versez les pièces suivantes :

− Votre passeport vénézuélien prolongé en mai 2019, ceux de vos enfants, prolongés en novembre 2019, ainsi que votre carte d'identité vénézuélienne et celle de votre fils (A2) ;

− la copie de l'acte de décès de votre époux en langue espagnole ;

− la copie, en langue espagnole, de la plainte que vous auriez déposée auprès du CICPC, datée au 15 février 2020. Vous précisez qu'une avocate au Venezuela serait allée au CICPC pour récupérer ce document et vous l'envoyer au Luxembourg.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

3 Madame, avant tout autre développement en cause, il échet de relever que des doutes évidents doivent être formulés par rapport à la crédibilité de vos dires et par conséquent à la réelle gravité de votre situation au Venezuela, respectivement, quant aux véritables motifs qui vous ont poussée à quitter le Venezuela avec vos enfants pour venir rejoindre vos sœurs au Luxembourg.

En effet, force est en premier lieu de constater que vous n'êtes pas en mesure de fournir la moindre pièce authentique, originale ou objective à l'appui de vos dires, tout en présentant des excuses bien arrangeantes pour justifier l'absence de toute preuve concrète dont vous auriez pourtant été en possession.

Ainsi, vous prétendez entre autre que suite à votre plainte, la CICPC aurait pris des photos des dégâts de l'« explosion » dans le cadre de son enquête et que celles-ci seraient intégrées à votre plainte mais que vous auriez inexplicablement préféré vous faire envoyer cette dernière en demandant de ne pas l'accompagner desdites photos. Une telle explication n'emporte évidemment pas conviction et ne fait que confirmer que de telles photos n'ont jamais existé. Pendant votre entretien concernant vos motifs de fuite, vous avez d'ailleurs justement été mise attentive au fait qu'il serait vraiment opportun et utile pour votre demande de protection internationale de faire parvenir à la Direction de l'immigration ces prétendues photos, mais jusqu'à ce jour, vous êtes restée totalement inactive à ce sujet, constat qui vaut d'autant plus qu'il vous aurait apparemment suffi, au cours des deux dernières années, de vous mettre encore une fois en contact avec votre prétendue avocate au Venezuela pour vous les faire envoyer.

Votre comportement totalement inactif et passif dans ce contexte fait en tout cas preuve d'un désintérêt évident par rapport à votre demande de protection internationale et ne fait que confirmer les doutes retenus concernant votre crédibilité, alors qu'on doit pouvoir attendre d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée et vraiment à la recherche d'une protection internationale qu'elle entreprenne au moins tout ce qui est dans son pouvoir pour se procurer des pièces concluantes par rapport à ses dires et mette à disposition des autorités desquelles elle souhaite obtenir cette protection des preuves susceptibles de corroborer ses allégations.

Le fait que vous prétendez ensuite avoir vendu en octobre 2020 le portable de votre époux pour expliquer pourquoi il ne vous serait pas non plus possible de verser des quelconques exemples quant aux menaces reçues, n'est d'ailleurs pas non plus à percevoir comme une excuse sincère, mais paraît surtout, à nouveau, comme une tentative de justification non convaincante censée expliquer l'absence de toute preuve à vos dires. Ce constat vaut d'autant plus que vos explications supplémentaires selon lesquelles vous auriez vendu ce portable pour ne plus recevoir de messages menaçants ne convainc pas non plus. En effet, il aurait notamment suffi de changer simplement de numéro pour ne plus se faire envoyer ces prétendues menaces. Par ailleurs, le fait de changer de portable n'implique pas manifestement la disparition des messages reçus.

Le constat est identique pour ce qui est de votre excuse supplémentaire d'après laquelle il ne vous serait pas non plus possible de verser la lettre de menace que vous auriez reçue, parce que vous auriez tout simplement décidé de la laisser traîner par terre dans votre maison.

Or, hormis le constat qu'il n'est déjà en soi pas crédible que vous ayez simplement ignoré cette lettre de menace, il faut ajouter que vous confirmez encore avoir vécu dans votre maison tout 4au long du mois de février 2020. Vous auriez donc pendant plusieurs semaines continué à vivre dans votre maison, avec vos enfants, tout en laissant pendant tout ce temps traîner par terre près de la porte d'entrée et donc à la vue de vos enfants mineurs, une lettre de menace de mort qui vous aurait été destinée.

Il saute en tout cas aux yeux que vous avancez différentes excuses non plausibles et non crédibles pour tenter d'expliquer pourquoi vous n'êtes pas en mesure fournir la moindre preuve permettant de corroborer vos dires. Vos tentatives de justification démontrent par conséquent qu'il existe des doutes manifestes liés à la sincérité de vos dires.

Dans ce contexte, la seule copie versée de votre prétendue plainte que vous auriez déposée auprès du CICPC doit clairement être perçue comme un document fabriqué, voire, un document de complaisance, versé dans le seul but de ne pas vous présenter auprès des autorités luxembourgeoises les mains totalement vides. En effet, ce constat s'impose en premier lieu alors qu'il ne fait aucun sens que vous ayez eu le réflexe de déposer plainte auprès du CICPC si, comme vous le prétendez, vous aviez déjà à ce moment planifié de « fuir » le Venezuela pour rejoindre vos sœurs et demander une protection internationale. Il faudrait pareillement se demander pourquoi vous n'auriez alors pas été en possession desdites copies dès votre dépôt de plainte si vous vous étiez vraiment rendue à un bureau du CICPC, mais que vous auriez dû attendre une date inconnue vers 2021, pour vous faire envoyer, cette copie, grâce à une prétendue avocate, à nouveau inconnue.

Surtout, il ne fait aucun sens que dans ce document, qui est censé présenter vos déclarations effectuées dans le cadre de votre dépôt de plainte, l'agent du CICPC décide d'ajouter ses propres conclusions à vos déclarations. En effet, alors que le début de ce prétendu dépôt de plainte constitue vos prétendues déclarations en rapport avec la prétendue attaque contre votre maison, ledit agent, représentant les forces de l'ordre du régime vénézuélien, conclurait lui-même dans ce même dépôt de plainte et avant même la moindre enquête effectuée, que vous seriez « en définitif » à considérer comme une « persécutée politique » au Venezuela à cause de vos « idéaux ». Il est évident qu'à l'instar du document lui-même, aucune crédibilité ne saurait être accordée à son contenu. Il ne fait en effet aucun sens qu'un agent du CICPC utilise de tels mots dans le cadre de son travail, à part le fait que ses prétendues conclusions n'auraient nullement leur place dans le dépôt de plainte d'un citoyen. Ce constat vaut d'autant plus que vous-même ne mentionnez à aucun moment une quelconque « persécution politique » dont vous auriez souffert au Venezuela, ni des quelconques « idéaux » que vous auriez défendus et qui auraient eu comme conséquence que vous rentriez en conflit avec d'autres personnes au Venezuela. Cette copie est en tout cas à percevoir comme un exemple-type d'un document de complaisance, sinon falsifié, versé dans la seule tentative de rendre plus crédible un fait inventé, respectivement, versé dans le seul but d'intégrer un quelconque élément d'activisme politique ou de persécution politique dans votre demande de protection internationale pour la relier à la Convention de Genève et ainsi augmenter les probabilités de vous faire octroyer une protection internationale.

Il est en tout cas clair que, non seulement, vous ne versez pas la moindre preuve à l'appui de vos dires, mais surtout, que vous avancez des excuses manifestement pas convaincantes censées justifier l'absence de toute pièce, pièces qui se seraient pour le surplus trouvées en votre possession.

Dans un contexte plus large, on peut encore ajouter que vous restez également en défaut de verser une preuve quelconque concernant l'existence de ce prétendu conseil communal qui 5aurait été créé par votre époux, ou une preuve que votre époux aurait effectivement assisté aux réunions de ce conseil jusqu'en 2019 et qu'il aurait joué le rôle d'un « procureur » ou qu'il aurait été la personne responsable pour la distribution des « CLAP », ou encore une preuve permettant de corroborer vos dires selon lesquels des « colectivos » seraient membre dudit conseil. Les recherches ministérielles n'ont d'ailleurs pas non plus permis de trouver trace de ce conseil communal, ni de la prétendue participation de membres des « colectivos » dans ce conseil.

En outre, vous restez également en défaut de verser la moindre pièce en rapport avec votre vie quotidienne, votre travail, votre vie sociale ou ne serait-ce qu'un document qui permettrait de retracer votre parcours en 2020 et de corroborer vos dires selon lesquels vous auriez vécu en Colombie de mars à octobre 2020. Il est en effet plus qu'étonnant que vous prétendez avoir par pur hasard choisi le 15 mars 2020, le jour exact de la fermeture des frontières entre le Venezuela et la Colombie à cause de la pandémie liée au Covid-19, pour quitter votre pays d'origine et vous installer chez votre belle-famille. Au vu de ce qui précède, il paraît bien plus plausible que vous ayez appris par cœur cette date ou que vous vous en rappeliez et que vous vous servez dans le cadre de votre demande de protection internationale pour rendre votre vécu en 2020 plus occulte ou dramatique et pour concorder plus ou moins avec la chronologie de votre récit. A défaut de verser une quelconque preuve quant à un séjour de huit mois en Colombie, il doit être rejeté que vous avez quitté le Venezuela à cette date précise mais bien à une date ultérieure après avoir normalement continué à vivre avec vos enfants au Venezuela et dans le seul but pour prendre un avion en Colombie vous permettant de venir rejoindre vos sœurs au Luxembourg.

Ce constat se trouve davantage confirmé par vos nombreuses publications sur votre compte twitter, tout au long de l'année 2020 et notamment en date du 15 octobre 2020, qui n'ont manifestement rien d'une personne persécutée et qui ne contiennent pas non plus d'indice que vous vous trouveriez en Colombie alors qu'elles traitent essentiellement vos vues sur la gestion des autorités face à la pandémie du Covid-19 et des questions environnementales touchant le Venezuela. Force est de constater qu'aucun de vos très nombreux tweets cette année-là fait part de craintes en rapport à votre sécurité au Venezuela, voire, d'une prétendue explosion qui aurait eu lieu chez vous. Pour être complet à ce sujet, soulevons encore qu'on peut attendre de personnes réellement persécutées dans leur pays d'origine ou qui craignent réellement d'être victimes d'actes de persécution, qu'elles restent plutôt discrètes et qu'elles ne divulguent pas immédiatement après leur arrivée dans un pays sûr où elles comptent bénéficier du statut de réfugié, leur nouvelle adresse. Or, c'est justement ce que vous avez fait après votre arrivée au Luxembourg, preuve de plus que vous ne craignez rien au Venezuela.

Concernant votre arrivée au Luxembourg pour rejoindre vos sœurs, force est ensuite de constater qu'avant février 2020, vous auriez été d'avis que celles-ci auraient quitté le Venezuela pour venir travailler au Luxembourg. Il s'ensuit que votre famille aurait donc déjà par le passé connu des membres qui auraient émigré de leur pays d'origine sur base de considérations économiques, respectivement, que l'idée d'une émigration vers le Luxembourg pour des raisons économiques vous était parfaitement connue. Il s'agirait d'ailleurs d'autant plus d'envisager que des motifs économiques expliquent votre départ du Venezuela et votre arrivée au Luxembourg, que vous avez déjà fait prolonger votre passeport et ceux de vos enfants au cours de l'année 2019, c'est-à-dire bien avant vos prétendus problèmes de 2020 qui vous auraient poussée à quitter le pays. Il paraît donc établi que déjà avant 2020, vous avez pris le choix de quitter le Venezuela et de venir rejoindre vos sœurs au Luxembourg.

6Il paraît d'autant plus établi que de motifs économiques ou de convenance personnelle sous-tendent votre demande de protection internationale, qu'après la mort de votre époux en 2019, vous auriez dû subvenir toute seule aux besoins de la famille et que vous avez quitté le Venezuela en pleine crise du Covid-19, qui s'est concrétisée par un quotidien déjà compliqué devenu encore un peu plus pénible. Rappelons dans ce contexte qu'avant vous, des millions de Vénézuéliens ont déjà au cours de la dernière décennie décidé de quitter leur pays à cause de la crise économique et humanitaire qui a touché le Venezuela: « The country is bankrupt, and widespread undernourishment has driven people to seek refuge elsewhere, causing the largest exodus in Latin American history. (…) "no independent government institutions remain today in Venezuela to act as a check on executive power…. Severe shortages of medicines, medical supplies, and food leave many Venezuelans unable to feed their families adequately or access essential healthcare". The COVID-19 pandemic has compounded the suffering. Venezuela was woefully unprepared for the pandemic because years of economic mismanagement exhausted their healthcare infrastructure and medical supply reserves ».

Il suit de l'ensemble des considérations qui précèdent que la sincérité de vos propos doit être réfutée et que vous avez quitté le Venezuela sur base de motifs économiques ou de convenance personnelle en avançant des motifs de fuite basés sur un récit inventé de toute pièces, dans le but évident d'augmenter les probabilités de vous faire octroyer une protection internationale.

Quand bien même un grain de crédibilité devrait être accordé à vos dires et que vous craindriez effectivement pour votre sécurité pour ne pas avoir pris la place de votre époux dans un conseil communal, suite à sa mort en 2019, aucune protection internationale ne vous saurait être accordée pour les raisons étayées ci-dessous.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Madame, force est de constater, à supposer que réelles vos craintes concernant votre sécurité, qu'il ne ferait aucun sens que trois ans après la mort de votre époux, ce conseil 7communal, à supposer qu'il existerait toujours, aurait toujours besoin de vous. En effet, à supposer, tel que vous l'affirmez, que ce conseil communal serait toujours actif, il n'est manifestement pas plausible qu'il n'aurait pas entretemps occupé le poste qui serait resté vacant depuis 2019. Ce constat vaut d'autant plus que depuis le départ de votre époux, ce conseil aurait manifestement eu besoin d'une nouvelle personne en mesure de « signer » des documents pour pouvoir continuer à faire leur travail. Il s'ensuit que vos craintes d'être toujours recherchée par qui que ce soit pour faire partie de ce conseil doivent clairement être définies comme étant totalement hypothétiques et infondées et ne se traduisant aucunement en craintes fondées de persécution au sens de la Convention de Genève ou de la Loi de 2015.

A cela s'ajoute que vous expliquez vous-même qu'après la prétendue explosion de la porte de votre maison, vous auriez simplement continué à vivre chez vous, jusqu'« après février » 2020, avant de vous installer chez une amie et de finalement quitter le Venezuela à une date inconnue. Vous ne faites plus état d'un quelconque incident qui serait survenu au Venezuela de sorte à nouveau relativiser la gravité de votre situation au Venezuela et à percevoir vos craintes comme étant manifestement hypothétiques.

Force est par ailleurs de constater que vous n'auriez en fait aucune idée sur les auteurs de cette « explosion » de la porte de votre maison. Il saute dans ce contexte en outre aux yeux, alors que vous n'avez à aucun moment parlé de « colectivos » au cours de votre entretien, que vous mentionnez ce terme à une seule reprise lorsqu'on vous demande « A votre avis qui a fait sauter votre porte ? » (p. 9 du rapport d'entretien), sans donner plus d'explications à ce sujet.

En effet, jusque-là vous auriez uniquement été mise sous pression par des « gens du quartier » de rejoindre ledit conseil étant donné que vous auriez été tellement appréciée par le voisinage.

De plus, la prétendue lettre de menace que vous auriez reçue n'aurait contenu aucun emblème et n'aurait pas non plus été signée de sorte que vous n'auriez aucune idée qui vous en voudrait et pour quelles raisons. Il ne fait par ailleurs aucun sens dans ce contexte que quelqu'un qui aurait vraiment voulu vous tuer, se soit contenté à casser votre porte d'entrée et à poser une lettre de menace par terre, si déjà cette personne avait réussi à se procurer l'accès dans votre maison. Force est en tout cas de retenir que vous pourriez uniquement émettre des hypothèses quant aux personnes qui voudraient s'en prendre à vous, tout comme vous pourriez uniquement présumer que vous vous seriez trouvée dans le collimateur de « colectivos », voire, des membres d'un conseil communal qui aurait été créé par votre époux. Comme susmentionné, les recherches ministérielles n'ont d'ailleurs pas non plus permis de donner plus de poids à vos dires quant à l'existence de ce conseil et les membres qui le constitueraient. Il s'ensuit, qu'à part le fait que vos craintes sont à percevoir comme étant totalement hypothétiques ou infondées, qu'aucun lien entre ces prétendues craintes et la Convention de Genève ne saurait être établi.

Ajoutons au sujet de cette prétendue crainte en rapport avec votre sécurité, qu'il n'est pas non plus établi que vous n'ayez pas pu trouver une protection au Venezuela, respectivement, que les autorités vénézuéliennes n'auraient pas pu ou pas voulu vous venir en aide. En effet, il résulte de vos dires que vous auriez pu déposer plainte auprès du CICPC qui se serait déplacé sur les lieux et aurait ouvert une enquête, de même que vous auriez eu - à suivre vos dires dans ce contexte - l'assistance d'un avocat. Enfin, soulevons que vous auriez évidemment aussi pu vous installer dans un autre quartier de votre ville, voire, ailleurs, pour ne plus être mêlée aux activités de ce conseil communal, forcément géographiquement limité à un quartier précis d'….

Ajoutons à toutes fins utiles au vu des motifs économiques ou de convenance 8personnelle sous-tendant votre demande de protection internationale, que la seule situation économique ou humanitaire générale au Venezuela ne saurait en tout cas pas non plus suffire pour justifier dans votre chef l'octroi du statut de réfugié alors que ces soucis ne sont nullement liés à l'un des cinq critères prévus par la Convention de Genève ou la Loi de 2015, textes qui prévoient une protection à toute personne persécutée ou à risque d'être persécutée à cause de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social. Pour être complet sur ce sujet, notons encore que suite à l'exode massif susmentionné des années 2010, l'année 2020 s'est caractérisée par un certain retour au calme au Venezuela et par un retour de plus en plus de Vénézuéliens au pays qui sont désormais autorisés à investir en dollars et à faire proliférer leurs entreprises privées. Ces retours au pays se sont encore multipliés par la suite, à cause de la crise économique liée au COVID-19, ayant souvent fait perdre le travail aux Vénézuéliens partis dans d'autres pays sud-américains pour fuir la crise économique dans leur propre pays.

Ces retours démontrent en même temps, tel que relevé ci-avant, que les Vénézuéliens ont par le passé surtout fui la crise économique et non pas les autorités ou des persécutions, tout en ne craignant manifestement pas d'y retourner.

Partant le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par fa protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Au vu des conclusions ci-dessus détaillées par rapport au manque de crédibilité de vos déclarations, et au vu des motifs économiques et de convenance personnelle sous-tendant votre demande de protection internationale et de la nature totalement hypothétique de vos craintes à les supposer réelles, ainsi que de la possibilité d'une protection qui vous serait offerte, il y a lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de fa loi de 2015.

9 Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Venezuela, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 août 2022, Madame (A1), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de ses enfants, (A2) et (A3), a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 3 août 2022 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 3 août 2022, prise dans son double volet, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

1) Quant au recours visant la décision du ministre du 3 août 2022 portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée en réitérant en substance, ses déclarations, telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère.

Face aux doutes du ministre quant à l’authenticité de la plainte auprès de la CICPC, la demanderesse précise que le rapport d’enquête de la CICPC ferait état de photos, ce qui prouverait que l’attentat à l’explosif aurait eu lieu à son domicile.

En droit et en premier lieu, la demanderesse soutient que la décision litigieuse devrait encourir la réformation pour erreur manifeste d’appréciation des faits et pour erreur manifeste d’interprétation de la loi du 18 décembre 2015.

A ce titre, elle cite l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 et fait valoir que ce serait à tort que le ministre aurait remis en cause la crédibilité de son récit.

Plus particulièrement, elle précise qu’elle n’aurait pas pu faire parvenir au ministère les photos prises par la CICPC, sur lesquelles figureraient les dégâts causés par l’explosion, alors qu’elle ne les aurait reçues que « récemment » par son avocat vénézuélien, tout en précisant que ce dernier aurait dû les demander auprès de la CICPC.

10Elle réfute encore l’argumentation ministérielle selon laquelle elle aurait élaboré un « stratagème opportuniste » et ferait un usage abusif de la procédure d’asile au Luxembourg.

A cet égard, elle souligne que le ministère refuserait de « faire preuve de bonne volonté et de croire aux faits invoqués » par elle, alors qu’il serait « pourtant clair que les éléments fournis par [elle] corrober[aient] [sa] version des faits », de sorte que la décision déférée devrait encourir la réformation pour erreur manifeste d’appréciation et d’interprétation.

La demanderesse fait ensuite valoir qu’un retour au Venezuela ne serait « pas envisageable », alors que de nombreuses sources existeraient sur « le traitement réservé par les autorités aux demandeurs d’asile déboutés et qui retourne[raient] au Venezuela ».

Dans ce contexte, elle se réfère à un article du « Immigration and Refugee Board of Canada » daté du 5 janvier 2018 selon lequel un demandeur d’asile débouté encourrait des conséquences en cas de retour au Venezuela, à savoir « ne pas trouver un emploi, avoir son passeport annulé ou être emprisonné sans qu’un procès régulier soit nécessaire, le système judiciaire étant subordonné au pouvoir exécutif ». A ce titre, elle précise en substance que l’absence de documents d’identité entraînerait « nécessairement » l’absence d’accès aux services offerts par l’Etat vénézuélien.

Elle renvoie encore à un article publié le 10 septembre 2020, intitulé « Returning Venezuelans subjected to inhuman treatment », selon lequel le président MADURO accuserait les Vénézuéliens retournant au Venezuela d’être des « bioterroristes », tout en soulignant que ces derniers seraient emprisonnés et sujets à des traitements cruels, dégradants et inhumains.

Elle réfute encore l’argumentation du ministre selon laquelle le Venezuela disposerait des moyens nécessaires pour lutter contre l’insécurité et se réfère, dans ce contexte, à un article du 16 septembre 2020, intitulé « Venezuela : tortures, meurtres… Maduro et des ministres suspectés de crimes contre l’humanité par l’ONU », selon lequel des crimes seraient commis au Venezuela « au nom des directives d’Etat, en connaissance de cause et avec le soutien direct d’officiers supérieurs et de hauts responsables du gouvernement ». Les enquêteurs de l’ONU évoqueraient un usage systématique de la torture et des assassinats, ainsi que de possibles crimes contre l’humanité. Elle souligne que de nombreux reportages dénonceraient les exactions des forces vénézuéliennes.

La demanderesse fait valoir qu’il appartiendrait au ministre de justifier qu’elle ne risquerait pas d’être persécutée en retournant dans son pays d’origine.

Elle se réfère à deux jugements du tribunal administratif des 31 mai 2018 et 25 mai 2020, inscrits respectivement sous les numéros de rôle 41149 et 43576a, et estime que le ministre devrait apporter « de bonnes raisons justifiant » que les atteintes graves subies ne se reproduiraient pas.

Elle conclut qu’elle-même et ses enfants rempliraient les conditions d’obtention du statut de réfugié.

En deuxième lieu, la demanderesse reproche au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation et d’interprétation par rapport aux « Conventions Internationales ».

11A ce titre, elle fait valoir que la décision litigieuse serait contraire à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme garantissant à toute personne faisant l’objet d’une persécution le droit de chercher l’asile et de bénéficier de l’asile dans d’autres pays.

Dans ce contexte, elle précise que le Venezuela serait actuellement et « d’après les rapports de tous les organismes internationaux reconnus » un pays dans lequel de graves crimes seraient commis par l’Etat vénézuélien contre sa population, ce qui entraînerait une situation humanitaire dramatique sans précédent, ce d’autant plus eu égard à l’impunité généralisée suite aux violations des droits humains et l’absence de perspectives sérieuses d’une sortie de crise à court terme.

Elle souligne qu’en refusant à elle-même et à ses enfants l’octroi d’un statut de réfugié et en les forçant à retourner dans un pays dont plus de cinq millions d’habitants auraient déjà quitté le sol, le ministre contreviendrait directement à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Elle se réfère ensuite à un communiqué de l’Agence pour les réfugiés des Nations Unies daté de mai 2019 à travers lequel les Etats confrontés à l’arrivée de ressortissants vénézuéliens ont été appelés à leur autoriser l’accès sur leur territoire et à s’assurer qu’ils aient accès aux procédures d’asile et à un rapport de septembre 2020 de l’European Asylum Support Office (EASO), à présent dénommé European Union Agency for Asylum (EUAA), tout en soulignant que les Vénézuéliens seraient la troisième nationalité à demander l’asile dans l’Union européenne, après les Syriens et les Afghans, et que si plus de 90% des demandeurs de protection internationale introduisaient leur demande en Espagne, ils obtiendraient dans la majorité des cas « la protection humanitaire » dans ce pays qui suivrait, en effet, directement les recommandations de l’Agence pour les réfugiés des Nations Unies.

Elle ajoute que le refus de lui octroyer le statut de réfugié serait encore contraire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », du fait que les demandeurs d’asile déboutés qui rentrent au Venezuela y seraient soumis à un risque de « violations » et de traitements inhumains et dégradants. Elle souligne que « le traitement des déboutés d’asile [serait] connu », d’autant plus que le président vénézuélien accuserait les Vénézuéliens de retour au pays d’être des « bioterroristes ».

En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, la demanderesse, après avoir cité l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015 et renvoyé aux articles 39 et 48 de la même loi, fait valoir que les raisons plus amplement développées dans le cadre du volet de son recours ayant trait au refus ministériel de lui octroyer le statut de réfugié justifieraient également dans son chef l’octroi d’une protection subsidiaire puisqu’il devrait être admis qu’elle encourrait des risques sérieux de subir des atteintes graves au sens de la loi.

La demanderesse précise que plus de 5,5 millions de Vénézuéliens auraient fui leur pays depuis 2014 et qu’une « grande majorité » serait toujours à l’extérieur du pays, alors que ceux qui retourneraient actuellement le feraient « surtout à cause de la situation sanitaire due à la pandémie covid qui [serait] en cours de résorption ». Elle renvoie encore à un rapport de Human Rights Watch, selon lequel « Returnees are subject to abuse upon arrival ».

Elle se réfère encore à un arrêt de la Cour administrative, inscrit sous le numéro 41166C du rôle, selon lequel l’appréciation de l’existence des motifs sérieux et avérés de subir des 12atteintes graves se ferait à l’aune, non pas de la situation au moment où le requérant aurait quitté son pays, mais à partir d’une observation contemporaine des circonstances politiques et sociales du pays d’origine. A ce titre, elle précise que ce principe aurait été confirmé par l’arrêt MP c. Secretary of State de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE ».

Elle souligne que le Venezuela serait un pays dangereux pour les ressortissants vénézuéliens qui y retourneraient, tout en expliquant qu’elle ferait partie d’un groupe de la population qui ferait directement l’objet de persécutions à son retour au Venezuela.

Elle en conclut qu’elle-même et ses enfants rempliraient les conditions d’obtention de la protection subsidiaire, de sorte que la décision litigieuse encourrait la réformation.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

13c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un 14apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.

Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal est à cet égard tout d’abord amené à rappeler qu’en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, il doit examiner, en plus de la situation générale du pays d’origine, la situation particulière du demandeur de protection internationale et vérifier, concrètement, si sa situation subjective a été telle qu’elle laissait supposer un danger pour sa personne.

En l’espèce et indépendamment de la crédibilité du récit de Madame (A1), le tribunal relève que cette dernière déclare avoir quitté le Venezuela au motif qu’elle ne s’y serait plus sentie en sécurité en raison de sa crainte de subir des actes de persécution, respectivement des atteintes graves de la part des membres du conseil communal dont son époux aurait été membre ou des « colectivos »1.

Dans ce contexte, elle explique (i) qu’en octobre 2019, son époux aurait reçu des messages contenant des menaces de mort, (ii) qu’en date du 15 février 2020, elle aurait entendu 1 Page 9 du rapport d’entretien.

15une explosion, suite à laquelle la porte et les murs de sa maison auraient été détruits2,3 et (iii) que suite à l’explosion, elle aurait trouvé une feuille de papier par terre ayant contenu une menace de mort4.

S’agissant d’abord de l’explosion au domicile de Madame (A1), le tribunal constate qu’à l’appui de son affirmation, cette dernière a soumis au cours de la procédure précontentieuse sa plainte auprès de la CICPC, complétée au cours de la procédure contentieuse par un rapport de la CICPC contenant, entre autres, des photos des dégâts causés par l’explosion.

Force est toutefois au tribunal de constater que ces documents sont rédigés en langue étrangère et non accompagnés d’une traduction en l’une des langues officielles du Luxembourg, de sorte que ces pièces sont dépourvues de toute force probante.

Force est encore au tribunal de constater que l’auteur de cette explosion est inconnu, alors que Madame (A1) estime que les auteurs seraient soit des membres du conseil communal, soit des « colectivos », qui seraient, selon ses propres déclarations, « les mêmes » personnes5, de sorte que ses affirmations à cet égard sont essentiellement hypothétiques.

A cet égard, le tribunal constate encore que le lien invoqué entre l’explosion et les membres du conseil communal ou les « colectivos », ci-après désignés par le « groupe d’individus », n’est corroboré par aucun élément concret, de sorte à correspondre à une simple supposition.

Le tribunal relève encore que les recherches effectuées par le ministre quant au conseil communal, respectivement quant à la participation des « colectivos » dans ce dernier sont restées sans résultat, sans que la demanderesse n’ait fourni des précisions supplémentaires à cet égard.

En ce qui concerne les menaces de mort écrites prétendument proférées par le conseil communal ou les « colectivos » à l’encontre de Madame (A1) en octobre 2019 et février 2020, le tribunal est amené à retenir que ces simples menaces écrites, non suivies d’un quelconque acte de violence concret et émanant de personnes non autrement identifiées - étant rappelé que le tribunal vient de retenir ci-avant que l’auteur de l’explosion susmentionnée demeure inconnu -, ne sont pas d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiées d’actes de persécution ou d’atteintes graves, et ne sont, dès lors, pas de nature à justifier l’octroi d’un statut de protection internationale.

Par ailleurs, et surtout, à admettre que l’explosion serait la suite des menaces de mort et en supposant que le conseil communal ou les « colectivos » en seraient les auteurs, le tribunal constate que l’objectif de ces personnes aurait été d’inciter Madame (A1) à remplacer son 2 Page 6 du rapport d’entretien.

3 Page 8 du rapport d’entretien.

4 Pages 8 et 9 du rapport d’entretien : « […] Le jour de cette explosion qu’avez vu ? Les murs cassés, de la fumée et une feuille avec écrit « on va te tuer. » […] La feuille avec la menace de mort, où se trouve-t-elle ? Je ne l'ai pas prise, je suis partie sans quand j'ai quitté la maison le jour même, la feuille est restée par terre. […] ».

5 Page 9 du rapport d’entretien : « […] A votre avis qui a fait sauter votre porte ? Les membres du conseil communal ou des colectivos, je ne sais pas parce que ce sont les mêmes. […] ».

16époux défunt au conseil communal6 - étant rappelé que ce dernier aurait été le « leader et fondateur du conseil »7. Or, il n’y a plus de raison de penser que Madame (A1) serait actuellement encore dans le collimateur de ce groupe d’individus, alors qu’il est pour le moins improbable que depuis février 20198 - période à partir de laquelle son époux aurait cessé de participer aux travaux du conseil communal -, sinon depuis le 3 novembre 2019 - jour du décès de son époux -, le conseil communal n’aurait entretemps, soit environ cinq ans plus tard, pas trouvé un remplaçant, alors que l’époux de la demanderesse aurait été la personne ayant signé les documents au sein du conseil communal9.

Il s’ensuit que la crainte de la demanderesse avancée dans ce contexte est essentiellement hypothétique.

En ce qui concerne ensuite les craintes de la demanderesse liées au fait de devoir, le cas échéant, retourner ensemble avec ses enfants au Venezuela en tant que demandeurs de protection internationale déboutés, le tribunal relève qu’à supposer que Madame (A1) ait entendu rattacher cette crainte aux opinions politiques qui risqueraient de lui être attribuées par les autorités de son pays d’origine pour avoir quitté celui-ci et demandé une protection internationale en Europe, il ne se dégage pas des éléments soumis à son appréciation que toute personne se trouvant dans cette situation et retournant au Venezuela risquerait d’y subir des persécutions ou des atteintes graves.

Outre le fait que le rapport de l’Immigration and Refugee Board of Canada sur lequel la demanderesse base son argumentation a été rédigé le 5 janvier 2018, et que, de ce fait, se pose légitimement la question de l’actualité des informations y renseignées, il se dégage de ce rapport que le traitement réservé à un demandeur de protection internationale débouté, à savoir le fait de ne pas pouvoir trouver un emploi, d’avoir son passeport annulé ou d’être emprisonné, dépend des raisons pour lesquelles il a quitté le pays, de son rôle ou de la profession exercée au Venezuela et de la nature de son conflit avec le gouvernement. Or, dans la mesure où Madame (A1) reste en défaut de démontrer concrètement qu’elle aurait des caractéristiques personnelles qui exacerberaient le risque de faire l’objet de l’une de ces mesures, notamment en raison de son rôle, de son emploi ou d’un conflit qu’elle aurait eu avec le gouvernement, il échet de constater que les craintes de Madame (A1) restent hypothétiques.

En ce qui concerne le rapport de Human Rights Watch, intitulé « Venezuela - events of 2020 » et l’article de presse du 10 septembre 2020, intitulé « Returning Venezuelans subjected to ‘inhuman’ treatment, report says », précité, le tribunal relève que Madame (A1) ne tombe pas non plus dans le cas de figure des nationaux vénézuéliens ayant souhaité retourner au pays pendant la pandémie liée à la COVID-19, qui sont visés dans les prédits documents, et dont les retours en masse en 2020 ont été rendus difficiles suite à des fermetures de la frontière entre la Colombie et le Venezuela, respectivement qui ont dû se soumettre à des mesures de quarantaine 6 Page 10 du rapport d’entretien : « […] Vous évoquez des menaces de mort en octobre 2019. Expliquez-moi de quoi il s'agit exactement. Etant donné que mon mari ne pouvait pas participer au conseil communal car il était malade, si moi je ne participais pas à sa place, ils allaient me tuer. […] ».

7 Page 7 du rapport d’entretien : « […] Pour quelle raison demande-t-on à votre mari que vous le remplaciez plutôt qu'un des membres du conseil ? Ils pensaient que comme mon mari était leader et fondateur du conseil, comme on était les premiers habitants du secteur, quand mon mari disait quelque chose il était suivi. Ils pensaient que comme moi j'étais sa femme, les gens allaient suivre ce que je disais. […] ».

8 Page 7 du rapport d’entretien : « […] Quand votre mari a-t-il arrêté d'aller aux activités du conseil communal ? En février 2019. Il avait trop de douleur pour sortir de la maison. […] ».

9 Page 7 du rapport d’entretien : « […] Pour quelle raison le menace-t-on puisqu'il était malade ? Parce qu'il ne participait plus et que lui était la personne qui signait. […] ».

17dans des conditions qualifiées d’inhumaines et dégradantes par les organisations non gouvernementales parce que le président vénézuélien les a accusés d’être des « bioterrorists ».

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les craintes de la demanderesse de faire l’objet de persécutions si elle devait retourner ensemble avec ses enfants dans leur pays d’origine en tant que demandeurs de protection internationale déboutés ne sauraient pas non plus justifier dans leur chef l’octroi du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire.

La conclusion qui précède n’est pas ébranlée par l’invocation par la demanderesse des recommandations émises par l’Agence pour les réfugiés des Nations Unies en mai 2019, précitées, puisqu’à travers ces recommandations, ladite agence n’a pas exhorté les Etats accueillant des ressortissants vénézuéliens à leur octroyer systématiquement une protection internationale en raison de la situation régnant dans leur pays d’origine, et notamment du sort qui leur serait réservé en tant que demandeurs de protection internationale déboutés, mais leur a demandé d’autoriser lesdits ressortissants à accéder à leur territoire et de leur garantir un accès aux procédures d’asile, ce qui a, en l’espèce, bien été le cas.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, force est de constater qu’aucun élément du dossier ne permet de retenir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, la demanderesse et ses enfants risqueraient de subir des persécutions ou des atteintes graves, alors que les craintes invoquées sont purement hypothétiques et s’analysent en l’expression d’un simple sentiment général d’insécurité plutôt qu’en une crainte fondée de subir des actes de persécution ou des atteintes graves.

S’agissant plus particulièrement de l’argumentation de la demanderesse ayant trait à l’existence, dans son chef et dans le chef de ses enfants, d’un risque réel de subir des atteintes graves par leur seule présence sur le territoire vénézuélien et pour autant qu’elle ait entendu invoquer par cette argumentation l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, visant « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international », il échet tout d’abord de rappeler que cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire. Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH.10 Par ailleurs, il convient de relever que la CJUE a précisé dans le considérant 43 de son arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c. Pays-Bas », numéro C 465/07, que « […] l’article 15, sous c), de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de la même directive, doit être interprété en ce sens que :

- l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que ce dernier 10 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, paragraphe 28.

18rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle ;

- l’existence de telles menaces peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours, apprécié par les autorités nationales compétentes saisies d’une demande de protection subsidiaire ou par les juridictions d’un État membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée, atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces. ».

Elle a également retenu, dans le considérant 39 du prédit arrêt, que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire ».

Le conflit armé interne a été défini par la CJUE dans son arrêt du 30 janvier 2014, « Diakité c. Belgique », numéro C-285/12, et plus particulièrement en son considérant 35, de la manière suivante : « […] lorsque les forces régulières d’un État affrontent un ou plusieurs groupes armés ou lorsque deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné. ».

Quant aux violences aveugles, elles ont été définies par la CJUE dans le susdit arrêt « Elgafaji c. Belgique », notamment dans les considérants 34 et 35, comme étant des violences qui s’étendent à des civils sans considération de leur situation personnelle ou de leur identité.

Or, s’il il ne peut, certes, pas être nié que le Venezuela connaît une situation sécuritaire problématique, notamment en raison de la violence criminelle de droit commun qui y est très répandue, de sorte qu’il doit être admis qu’il y existe un certain degré de violence ciblée, il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que la situation sécuritaire au Venezuela serait telle qu’elle répondrait aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, tels que clarifiés par la jurisprudence de la CJUE, précitée.11 A défaut d’autres éléments, c’est à bon droit, et sans violer l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ni l’article 3 de la CEDH, que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de la demanderesse, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire 11 Voir, en ce sens : trib. adm., 19 décembre 2022, n° 46741 du rôle, de même que Cour adm., 28 septembre 2021, n° 46128C du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.

19La demanderesse n’a pas invoqué de moyens spécifiques à l’appui de ce volet de son recours.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.

Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de la demanderesse et de ses enfants au Venezuela ne les expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 3 août 2022 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 3 août 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne Madame (A1) aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 octobre 2024 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 20 Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 21


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 47864
Date de la décision : 09/10/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-10-09;47864 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award