Tribunal administratif N° 51435 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51435 4e chambre Inscrit le 3 octobre 2024 Audience publique du 8 octobre 2024 Recours formé par Monsieur … connu encore sous un autre alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51435 du rôle et déposée le 3 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … et être de nationalité algérienne, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 19 septembre 2024 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 21 septembre 2024 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Hélène MASSARD en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Eric SAYS s’étant excusé.
Il ressort d'un rapport de la police grand-ducale n°JDA 124875-1, du 5 décembre 2022 que Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », fit l’objet d’un contrôle policier lors duquel il ne put présenter de documents d’identité en cours de validité.
Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC en date du 9 janvier 2023 révéla que Monsieur … avait introduit une demande de protection internationale en Suisse en date du 2 juin 2020.
Par courriel du 11 janvier 2023, les services du ministre de l’Immigration et de l’Asile adressèrent une demande d'informations concernant Monsieur … au Centre de coopération policière et douanière Luxembourg, recherche qui révéla que ce dernier avait fait l'objet, en date du 5 mai 2021, d'une mesure d'éloignement du territoire belge assortie d'une interdiction d’entrée sur ledit territoire et qu'il y avait fait usage de plusieurs alias.
1Il ressort encore d’un rapport de la police grand-ducale n°2024/34814/1025/GT, du 21 août 2024 que Monsieur … fut de nouveau appréhendé par les forces de police et que lors dudit contrôle il fit usage d'un faux nom et ne fut pas en mesure de présenter des documents d'identité.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, en l’occurrence l’Algérie ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.
Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport no 2024/34814/1025/GT du 21 août 2024 établi par la Police grand-
ducale ;
Vu ma décision de retour du 21 août 2024, lui notifiée le même jour, assortie d'une interdiction d'entrée de 5 ans ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Par arrêté ministériel du 19 septembre 2024, notifié à l’intéressé le lendemain, ladite mesure de placement en rétention fut prorogée pour une durée d’un mois avec effet au 21 septembre 2024.
Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 21 août 2024, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 21 août 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
2Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 19 septembre 2024.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend, en substance, les rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.
En droit, s’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, le demandeur invoque une violation de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008. A cet égard, il conteste, d’une part, que les démarches nécessaires pour l’exécution de la mesure d’éloignement auraient été engagées, et, d’autre part, qu’il existerait, dans son chef, un danger de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de l’exécution de la procédure d’éloignement, tout en précisant qu’il aurait vécu pendant 15 ans en Italie.
Il souligne, par ailleurs, qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite et qu’aucune date de son extradition ne lui aurait été proposée.
Il estime que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vols ne sauraient justifier un placement en rétention.
Le demandeur en conclut que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.
Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant.
S’agissant, d’abord, de la légalité externe de la décision déférée, c’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3, 3point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.
Le moyen de légalité externe afférent soulevé par le demandeur est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision de placement litigieuse, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée.
C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
4 La rétention peut par ailleurs être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées à l’article 120, paragraphe (1) de la loi susmentionnée sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
En l’espèce, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour comportant une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, a été prise à son encontre le 21 août 2024, décision qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse de même qu’il ne dispose ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.
Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers […] est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
Il aurait, par conséquent, appartenu au demandeur de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser ladite présomption de risque de fuite, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, ce qu’il est, toutefois, resté en défaut de faire.
Par conséquent, les simples contestations formulées par le demandeur quant à l’existence d’un risque de fuite dans son chef sont à rejeter.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention et maintenir ce placement afin d’organiser son éloignement.
Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de l’exécution de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas expressément motivée par une telle considération, de sorte à en conclure que ce moyen est à l’évidence à rejeter pour manquer en fait.
Force est, ensuite, au tribunal de constater que le demandeur n’allègue pas et a fortiori ne démontre pas que les conditions pour bénéficier de mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, seraient remplies en l’espèce, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a retenu qu’il n’y a pas lieu d’appliquer une mesure moins coercitive à l’égard de Monsieur ….
5En ce qui concerne finalement les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal doit constater que par courrier électronique du 23 août 2024, soit le surlendemain du placement en rétention de Monsieur …, les autorités luxembourgeoises avaient adressé aux autorités consulaires algériennes à Bruxelles une demande d’identification en vue de la délivrance d’un laissez-
passer dans le chef de l’intéressé, lesquels, suite à un rappel leur envoyés le 13 septembre 2024, répondirent le même jour que le dossier était en cours d’examen et, par courrier du 19 septembre 2024, que la nationalité algérienne de Monsieur … n’a pas pu être établie.
Par courrier électronique du 1er octobre 2024, les autorités luxembourgeoises ont encore adressé aux autorités consulaires marocaines à Liège une demande d’identification en vue de la délivrance d’un laissez-passer dans le chef de Monsieur ….
Au vu des démarches ainsi entreprises par les autorités ministérielles luxembourgeoises, actuellement confrontées au refus du demandeur de révéler sa véritable identité, ainsi que sa nationalité, tout en étant tributaires de la collaboration des autorités marocaines – étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels leur adressés – le tribunal est amené à conclure qu’au vu des éléments soumis à son appréciation, le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter pour ne pas être fondées.
Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 8 octobre 2024 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
6s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 7