Tribunal administratif N°49585 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49585 5e chambre Inscrit le 19 octobre 2023 Audience publique du 4 octobre 2024 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, en matière de permis de conduire
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49585 du rôle et déposée le 19 octobre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc KERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon à l’annulation, (i) de la décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 9 août 2023 l’informant du retrait de quatre points de son permis de conduire et (ii) de la décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 9 août 2023 portant suspension de son droit de conduire un véhicule automoteur pour une période de 12 mois ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2023 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Marc KERGER pour le compte de son mandant, préqualifié, déposé au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marc KERGER et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 avril 2024.
___________________________________________________________________________
Par courrier recommandé du 7 juillet 2022, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) du retrait d’un total de quatre points du capital dont est doté son permis de conduire pour avoir commis les infractions suivantes en date du 29 juin 2022 : (i) « [i]nobservation de la limite de vitesse de 50 km/h à l’intérieur d’une agglomération, le dépassement étant supérieur à 15 km/h », ainsi que (ii) « [d]éfaut de suivre les injonctions des membres de la police grand-ducale chargés de contrôler la circulation », tout en précisant que le solde restant de points s’élevait à huit.
Par ordonnance pénale du 23 février 2023, Monsieur (A) fut condamné à une interdiction de conduire de 12 mois assortie d’un sursis intégral par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du chef d’avoir, le 9 juin 2022, toléré la mise en circulation d’un véhicule sur la voie publique sans qu’il ne soit couvert par un contrat d’assurance valable. Suite à l’ordonnance pénale susmentionnée, le ministre informa Monsieur (A) du retrait de quatre points du capital dont est doté son permis de conduire par courrier recommandé du 28 juin 2023, précisant que le solde restant de points s’élevait à quatre.
Par ordonnance pénale du 2 mai 2023, Monsieur (A) fut condamné à une interdiction de conduire de 12 mois assortie d’un sursis intégral par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg pour avoir mis en circulation, le 22 novembre 2022, un véhicule sur la voie publique sans qu’il ne soit couvert par un contrat d’assurance valable. Suite à l’ordonnance pénale susmentionnée, le ministre informa Monsieur (A) du retrait de quatre points de son permis de conduire par courrier recommandé du 9 août 2023, précisant que le solde restant de points s’élevait à zéro.
Par courrier du 31 juillet 2023, l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, ci-après désignée par « l’administration », s’adressa à Monsieur (A) dans ces termes :
« […] J'ai l'honneur de vous informer que suite à une confusion de vos jugements 1 et 2 l’amende de … € concernant le jugement 2 a été supprimée et n'est donc plus à payer.
Uniquement les frais de justice y relatifs d'un montant de … € s'ajoutent à votre jugement 1.
Suite à cette confusion et en tenant compte de vos acomptes déjà effectués, le solde restant à payer de votre jugement 1 s'élève à un montant de … €. […] ».
Par un arrêté du 9 août 2023, et en conséquence de la perte de l’intégralité des points dont était doté son permis de conduire, le ministre suspendit pour une durée de douze mois le droit de conduire un véhicule automoteur de Monsieur (A). Cet arrêté est basé sur les motifs et considérations suivants :
« […] Vu les articles 2bis et 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques ;
Vu l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques ;
Considérant que Monsieur (A), né le … à … et demeurant à …, L-…, a commis plusieurs infractions à la législation routière sanctionnées par une réduction du nombre de points dont son permis de conduire est doté en vertu de l’article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 précitée ;
Considérant qu’à chaque infraction ayant donné lieu à une réduction de points, l’intéressé a été informé du nombre de points retirés et du solde résiduel de points ;
Considérant que le capital de points affecté au permis de conduire de l’intéressé est épuisé et qu’il y a donc lieu à application des dispositions du paragraphe 3 de l’article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 précitée ; […] ».
Par courrier recommandé de son mandataire du 26 septembre 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours gracieux contre (i) la décision ministérielle du 9 août 2023 l’informant du retrait de quatre points de son permis de conduire et (ii) l’arrêté ministériel du 9 août 2023, précité, portant suspension de son droit de conduire pour une durée de douze mois.
Par décision du 2 octobre 2023, le ministre rejeta ledit recours gracieux dans les termes suivants :
« […] Faisant suite à votre courrier du 26 septembre 2023 concernant l'affaire retenue sous rubrique, je me permets vous informer que j'ai consulté le service des interdictions du Parquet Général du Luxembourg afin de me renseigner sur l'ordonnance pénale 3 du 2 mai 2023 prise à l'encontre de votre mandant.
Dans ce contexte, je tiens à vous faire savoir que l'ordonnance pénale précitée n'a pas été annulée de tel sorte que je me dois, dès lors, de confirmer les dispositions de mon courrier du 9 août 2023 informant votre mandant de la perte de 4 points sur son permis de conduire suite à l'ordonnance pénale précitée, ainsi que de l'arrêté ministériel du 9 août 2023 portant suspension de son permis de conduire pour la durée de 12 mois. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon à l’annulation, (i) de la décision ministérielle du 9 août 2023 l’informant du retrait de quatre points de son permis de conduire et (ii) de la décision ministérielle du 9 août 2023 portant suspension de son droit de conduire un véhicule automoteur pour une période de 12 mois.
1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Etant donné que ni la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désignée par « la loi du 14 février 1955 », ni l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désigné par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 », ni d’autres dispositions légales ne prévoient de recours au fond en la présente matière, le tribunal de céans est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
En revanche, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation dirigé contre les décisions critiquées.
Le tribunal relève que le recours sous examen n’est introduit que contre les décisions du 9 août 2023, et non point contre la décision purement confirmative du 2 octobre 2023 prise sur recours gracieux. A cet égard, il convient de rappeler qu’une décision prise sur recours gracieux, purement confirmative d’une décision initiale, tire son existence de cette dernière et, dès lors, les deux doivent être considérées comme formant un tout indivisible, de sorte qu’un recours introduit contre la seule décision initiale est valable1.
Le recours subsidiaire en annulation est dès lors à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
2) Quant au fond 1 Trib. adm. 31 janvier 2013, n°28520 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n°280 et les autres références y citées Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose, en substance, que suivant un courrier de l’administration daté du 31 juillet 2023, la « décision judicaire » du 2 mai 2023 portant référence 2 aurait été « supprimée ».
En droit, le demandeur soutient que la décision du 9 août 2023 visant à retirer quatre points de son permis de conduire serait « caduque, sinon nulle et non avenue » et par conséquent entachée d’illégalité, au motif que le jugement sur lequel cette décision serait fondée aurait été « supprimé ».
Le demandeur en conclut qu’il disposerait toujours de quatre points au capital de son permis de conduire, de sorte que la décision du 9 août 2023 tendant à la suspension de son droit de conduire un véhicule automoteur, serait « entachée à son tour d’illégalité ».
Dans son mémoire en réplique, le demandeur confirme ne pas contester le calcul effectué par le ministre quant à l’addition des points retirés du capital dont est doté son permis de conduire, lequel serait « arithmétiquement parlant » exact, mais il insiste sur le fait que le courrier de l’administration daté du 31 juillet 2023 ne soulèverait pas seulement « une confusion de jugement mais également expressément la suppression d’une amende ».
Le demandeur expose qu’une amende serait nécessairement liée à une infraction, de sorte que la « suppression » d’une amende ne pourrait que résulter de la « suppression » de l’infraction. Il en conclut que le courrier de l’administration daté du 31 juillet 2023 impliquerait « implicitement mais nécessairement » la « suppression d’un jugement ».
En se référant aux « Lignes de bonne conduite administratives » publiées par le Ministère de la fonction publique, le demandeur fait plaider que l’administré aurait le droit de recevoir toutes les explications nécessaires à la compréhension de la position de l’administration, particulièrement en cas de « position incompréhensible d’une administration vis-à-vis d’une autre ».
Le demandeur affirme que le courrier de l’administration daté du 31 juillet 2023 serait « créateur de droits » en son chef et invoque, à cet égard, le « principe d’intangibilité des droits acquis ».
En se référant à la jurisprudence des juridictions administratives, il soutient que l’administration aurait le devoir de faire bénéficier l’administré de la règle « la plus favorable ».
A titre subsidiaire, le demandeur affirme qu’il existerait à tout le moins un doute quant au bien-fondé des points retirés et qu’il appartiendrait à l’administration de lever ce mystère.
La partie étatique conclut au rejet du recours pour être non fondé.
Appréciation du tribunal Il convient de souligner que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.
Le tribunal constate que les parties sont, en l’espèce, en désaccord sur la question de la légalité des décisions précitées du 9 août 2023 au motif que la « décision judicaire » du 2 mai 2023 portant la référence 2 sur laquelle reposeraient les décisions du 9 août 2023, aurait été « supprimée ». Le demandeur fonde cette allégation sur le courrier de l’administration du 31 juillet 2023 pour soutenir sa thèse.
Au vu dudit courrier de l’administration daté du 31 juillet 2023, le tribunal est cependant amené à constater qu’il n’en ressort pas que la « décision judicaire » du 2 mai 2023 aurait été « supprimée ». Le libellé dudit courrier est formulé de la manière suivante : « […] suite à une confusion de vos jugements 1 et 2 l’amende de … € concernant le jugement 2 a été supprimée et n’est donc plus à payer […] », de sorte à viser sans équivoque la suppression du seul recouvrement de l’amende prononcée par l’ordonnance pénale du 2 mai 2023, référencée sous le numéro 3, et non point le jugement lui-même, comme l’affirme à tort le demandeur.
D’ailleurs, le ministre a confirmé dans le cadre de la décision sur recours gracieux du 2 octobre 2023 - après consultation préalable du service des interdictions du Parquet Général du Luxembourg - que l’ordonnance pénale du 2 mai 2023, référencée sous le numéro 3, n’a pas été supprimée.
Il s’ensuit que le moyen invoqué par le demandeur est à rejeter.
Pour les mêmes motifs, l’argumentation du demandeur tendant à faire valoir l’existence d’un droit acquis dans son chef qui résulterait du courrier de l’administration du 31 juillet 2023 est à rejeter pour ne pas être fondée.
S’agissant, ensuite, du vice d’illégalité dont seraient affectées les deux décisions attaquées, le tribunal relève que l’article 2bis de la loi du 14 février 1955 dispose en ses paragraphes 1, 2 et 3 que :
« Paragraphe 1er Tout permis de conduire est initialement affecté de 12 points. […] Paragraphe 2 Les infractions énumérées ci-après donnent lieu aux réductions de points indiquées :
[…] 6) la mise en circulation ou le fait de tolérer, comme propriétaire, détenteur 4 points d’un véhicule ou titulaire du certificat d’immatriculation d’un véhicule, la mise en circulation du véhicule automoteur ou de la remorque, sans que la responsabilité civile à laquelle ce véhicule peut donner lieu, soit couverte […] 14) le dépassement de la limitation réglementaire de la vitesse considéré 2 points comme contravention grave en vertu de l’article 7, autre que celle visée au point 9) ci-avant […] 23) le défaut de suivre les injonctions des membres de la police grand-ducale 2 points ou des fonctionnaires de l’administration des douanes et accises qui règlent la circulation […] Pour autant qu’une des infractions mentionnées ci-avant ait été commise sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, toute condamnation judiciaire qui est devenue irrévocable, et tout avertissement taxé dont le contrevenant s’est acquitté, entraîne une réduction du nombre de points affecté au permis de conduire. Cette réduction intervient de plein droit. […] La réduction de points suite à une décision judiciaire a lieu au moment où cette décision devient irrévocable.
La réduction de points suite à un avertissement taxé a lieu au moment du paiement de la taxe. […] Paragraphe 3 La perte de l’ensemble des points d’un permis de conduire entraîne pour son titulaire la suspension du droit de conduire. […] La suspension du droit de conduire est de 12 mois. […] ».
L’article 7 de la loi du 14 février 1955 dispose encore que constitue une « contravention grave », l’« inobservation de la limitation réglementaire de la vitesse, la vitesse constatée étant supérieure à plus de 15 km/h à la vitesse maximale autorisée en agglomération, à plus de 20 km/h à la vitesse maximale autorisée en dehors des agglomérations ou à plus de 25 km/h à la vitesse maximale autorisée sur autoroute ».
Il résulte des dispositions légales qui précèdent que la réduction de points intervient de plein droit à partir du moment où la commission d’une des infractions énumérées à l’article 2bis, paragraphe 2 de la loi du 14 février 1955 a été constatée par une décision judiciaire devenue irrévocable ou par un avertissement taxé dont le contrevenant s’est acquitté et que le ministre ne fait que procéder à la réduction conséquente du nombre de points dont le permis de conduire de l’auteur de l’infraction se trouve à ce moment doté. Le ministre ne dispose, en effet, dans ce contexte que d’une compétence liée.
En l’espèce, il résulte des éléments du dossier administratif que la condamnation de Monsieur (A) par l’ordonnance pénale du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, du 2 mai 2023, devenue irrévocable le 19 juillet 2023, a entraîné une perte de quatre points du capital de son permis de conduire intervenue de plein droit à compter du 19 juillet 2023 conformément à l’article 2bis, paragraphe 2 de la loi 1955, précité. Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a, par décision du 9 août 2023, procédé au retrait de quatre points de son permis de conduire, de sorte que le moyen afférent tiré de l’illégalité de la décision du 9 août 2023 portant retrait de quatre points du capital du permis de demandeur encourt le rejet pour ne pas être fondé.
Le même constat s’impose quant à l’invocation par le demandeur de l’illégalité de l’arrêté du 9 août 2023 portant suspension de son droit de conduire pour une période de douze mois. C’est, en effet, à juste titre que le ministre a constaté que le solde des points restants du demandeur était réduit à zéro et qu’il a, par ledit arrêté du 9 août 2023, suspendu son droit de conduire pour une période de douze mois conformément aux dispositions de l’article 2bis, paragraphe 3 de la loi 1955 précité. Il s’ensuit que le moyen afférent soulevé par le demandeur est à son tour à rejeter.
Au vu des considérations qui précèdent et n’étant justifié en aucun de ses moyens, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 octobre 2024 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 7