Tribunal administratif N° 51388 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51388 3e chambre Inscrit le 24 septembre 2024 Audience publique du 1er octobre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51388 du rôle et déposée le 24 septembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Maroc), et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 30 août 2024, ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, et Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en sa plaidoirie à l’audience publique du 1er octobre 2024.
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Il se dégage du dossier administratif qu’en date du 13 juillet 2018, Monsieur … introduisit une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Il ressort également d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg, ci- après désigné le « CPL », du 6 août 2018, que l’intéressé fut placé en détention préventive pour tentative d’homicide volontaire.
Par décision ministérielle du 14 décembre 2018, notifiée à l’intéressé en mains propres le 17 décembre 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Aux termes d’un relevé journalier du CPL du 5 février 2019 et d’un échange de courriers électroniques entre le ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, et la police grand-ducale du 11 avril 2019, Monsieur … fut libéré du CPL sous le régime du contrôle judiciaire le 5 février 2019.
En date du 19 mars 2019, Monsieur … introduisit une deuxième demande de protection internationale sur base de la loi du 18 décembre 2015 auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes.
Il se dégage ensuite des éléments du dossier administratif, qu’après une demande de reprise en charge formulée le 5 avril 2019 par les autorités néerlandaises, conformément aux dispositions du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite par l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III », l’intéressé fut transféré au Luxembourg le 14 juin 2019.
En date du 10 juillet 2019, les autorités suisses adressèrent une demande de reprise en charge de Monsieur … aux autorités luxembourgeoises, demande qui fut acceptée par ces dernières en date du 18 juillet 2019 sur base de l’article 18, paragraphe 1) point b) du règlement Dublin III. Il ressort ensuite d’un courrier du 22 juillet 2019 des autorités suisses que le transfert n’a pas pu être exécuté en raison de la disparition de l’intéressé.
Par décision du 26 juillet 2019, notifiée à l’intéressé par affichage public, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … que sa deuxième demande de protection internationale, introduite le 19 mars 2019, était « considérée comme implicitement retirée » sur base de l’article 23 de la loi du 18 décembre 2015.
Il ressort d’un échange de courriers électroniques que l’intéressé fut transféré aux autorités luxembourgeoises par les autorités néerlandaises, à la suite d’une demande de reprise en charge formulée par ces dernières le 27 décembre 2019, conformément aux dispositions du règlement Dublin III.
Il ressort ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, unité Commissariat Luxembourg-Gare, portant le numéro de référence …, du 17 janvier 2020, ainsi que d’un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, unité C2R Gare Hollerich, portant le numéro de référence …, du 31 janvier 2020, que l’intéressé a fait l’objet de contrôles d’identité, au cours desquels, il ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité.
Suivant un acte d’écrou du CPL du 1er juillet 2021, Monsieur … fut condamné à une peine de réclusion de dix ans pour tentative de meurtre, dont cinq ans avec sursis par un arrêt de la Cour supérieure de Justice à Luxembourg du 1er juin 2021.
Par arrêté du 1er août 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le 2 août 2024 à sa libération du CPL, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par le « ministre », interdit à Monsieur … l’entrée sur le territoire pour une durée de dix ans.
Par arrêté du même jour, notifié le lendemain, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification. Ledit arrêté est libellé comme suit :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;
Vu ma décision de retour du 14 décembre 2018 ;
Considérant que l’intéressé constitue un danger pour l’ordre public ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par arrêté du 30 août 2024, notifié à l’intéressé le 2 septembre 2024, le ministre prorogea le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 1er août 2024, notifié le 2 août 2024, décidant de soumettre l’interessé à une mesure de placement ;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 1er août 2024 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 septembre 2024, inscrite sous le numéro 51388 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 30 août 2024 ayant pour objet la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de l’arrêté en question.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant que les démarches nécessaires pour son éloignement auraient été entamées.
Il conteste ensuite qu’il existerait dans son chef un risque de fuite.
Il fait valoir qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite et qu’aucune date de son extradition ne lui aurait été proposée, tout en soulignant que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vols ne sauraient justifier un placement en rétention.
Il en conclut de l’ensemble de ces développements que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.
Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
S’agissant d’abord des contestations de Monsieur … quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour en date du 14 décembre 2018, et, d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de dix ans à compter de sa sortie de l’espace Schengen en date du 1er août 2024, de sorte qu’il se trouve dès lors en situation de séjour irrégulier au Luxembourg, étant précisé qu’il est encore démuni de tout document d’identité et de voyage valable.
Il existe, dès lors dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3) point c), 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant pas soumis un quelconque élément pertinent de nature à renverser la présomption de risque de fuite.
En ce qui concerne ensuite les contestations générales du demandeur quant aux démarches entreprises, le tribunal relève qu’il est uniquement saisi de la décision du ministre de proroger une première fois la mesure de rétention de Monsieur …, de sorte qu’il lui appartient seulement d’examiner le bien-fondé de ladite décision en s’assurant qu’à l’heure actuelle le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire.
A cet égard force est de constater qu’il ressort du dossier administratif que par courrier électronique du 2 août 2024, soit le jour-même du placement initial du demandeur au Centre de rétention, les services du ministre ont contacté le Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège en vue de l’identification du demandeur et de la délivrance d’un laisser-passer dans son chef, tout en y joignant un jeu d’empreintes digitales ainsi qu’une photo d’identité.
Il ressort ensuite du dossier administratif que par courrier du 26 août 2024, l’agent ministériel en charge du dossier a demandé aux autorités marocaines de le renseigner sur l’état d’avancement du dossier de l’intéressé, auquel ces dernières ont indiqué dans un courrier daté du 28 août 2024 avoir bien reçu le dossier en question, et qu’elles ne manqueraient pas de revenir vers lui dès qu’elles seraient en possession d’éléments d’identification délivrées par les autorités compétentes.
En date du 18 septembre 2024, c’est-à-dire après la notification de l’acte litigieux déféré, les autorités luxembourgeoises ont envoyé une nouvelle demande d’informations aux autorités consulaires marocaines pour s’enquérir de l’état d’avancement du dossier du demandeur. Par courrier électronique du 20 septembre 2024, le Consul général du Royaume du Maroc à Liège a répondu que le dossier de Monsieur … était toujours en cours d’instruction.
Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à conclure que les diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise doivent être considérées, dans les circonstances de l’espèce et au stade précoce d’une première prolongation, comme suffisantes, de manière que dans ces conditions la nécessité requise au sens de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 pour la prolongation de la mesure de rétention est vérifiée en l’espèce.
Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, la légalité et le bien-fondé de la décision déférée ne portent pas à critique.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er octobre 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Géraldine Anelli, vice-président, Laura Urbany, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 7