Tribunal administratif N° 48341 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48341 3e chambre Inscrit le 2 janvier 2023 Audience publique du 1er octobre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48341 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2023 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 novembre 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenue dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2023 ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 17 avril 2023 ayant autorisé le dépôt d’un mémoire supplémentaire par partie pour le 22 mai 2023, respectivement le 26 juin 2023 ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2023 par Maître Louis TINTI, pour compte de son mandant, préqualifié ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 mai 2024.
Le 7 octobre 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
En date des 1er décembre 2021 et 24 janvier 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 30 novembre 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée le 2 décembre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 7 octobre 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 octobre 2021, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 1er décembre 2021 et 24 janvier 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.
Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de Bagdad en Irak, d'ethnie Kurde et de confession musulmane sunnite.
Monsieur, vous indiquez que votre père serait détenteur d'un magasin de textile dans le quartier … à Bagdad depuis vingt ans. Vous avancez qu'il serait entouré de commerçants ayant la foi musulmane chiite et que ces derniers auraient souvent tenté d'acquérir à bas prix le magasin de votre père, alors qu'ils auraient été jaloux de son commerce.
En date du 10 voire 11 août 2021, trois personnes, qui se seraient présentées en tant que membres de la milice Asa'ib Ahl al-Haqq, se seraient rendues dans le magasin de votre père et auraient sollicité de l'argent.
Dans ce contexte, vous mentionnez que votre père aurait l'habitude de se voir de temps à autre racketter 50 à 80 mille dinars irakiens, mais que cette fois-ci les individus en question auraient demandé un million de dinars. Votre père n'aurait pas été en mesure de payer une telle somme, raison pour laquelle les individus auraient alors indiqué à votre père de se présenter au bureau de la milice et de se rendre auprès de leur responsable dénommé ….
Vous vous seriez alors rendus sur place ensemble le lendemain. Arrivés au bureau de la milice, vous auriez été dirigés vers le secrétaire et le responsable vous aurait rejoint quelques minutes plus tard. Il aurait d'abord demandé le motif de votre visite et aurait ensuite exigé la continuation des paiements en indiquant que ce serait de l'argent de protection étant donné que votre père serait d'ethnie Kurde.
Le dénommé … aurait en outre accusé de manière générale les Kurdes d'être des traîtres alors qu'ils n'auraient jamais combattu pour le compte de l'Irak selon ce dernier. Il se serait ensuite tourné vers vous et aurait exigé que vous rejoigniez la milice Asa'ib ahl al-Haqq en vous donnant un formulaire de recrutement à remplir par vos soins endéans les dix prochains jours.
Vous ajoutez également que vous auriez été obligé de laisser votre empreinte sur un document du nom de « Kompiala » [sic], qui serait un contrat de dette lequel vous engagerait à lui rembourser une créance de 100 million de dinars irakiens. Vous auriez ensuite été libre de partir, cependant le dénommé … aurait exigé que votre père reste sur place.
Vous auriez attendu durant deux jours pour ensuite parler à un voisin, qui aurait conseillé de vous adresser à la police. Le 14 août 2021, vous vous seriez rendu au commissariat de police de … et vous auriez porté plainte. L'agent de police aurait pris votre déposition et vous aurait fait signer un document. Vous expliquez que quatre jours plus tard, vous auriez reçu un appel de la police vous demandant de venir au commissariat.
Vous vous seriez alors rendu sur place et vous auriez été reçu par le commissaire principal, qui aurait été accompagné par une autre personne en civil dont vous supposez qu'il se serait agi d'un membre de la milice. Le commissaire aurait demandé si vous aviez déjà retrouvé votre père, sur quoi vous auriez répondu que vous espéreriez que la police le retrouve. Il vous aurait ensuite demandé si vous étiez sûr que votre père serait détenu par des membres de la milice Asa'ib Ahl al-Haqq, information que vous auriez confirmée. Vous auriez réexpliqué l'incident en détail, mais la personne présente dans le bureau se serait agitée et se serait subitement dirigée vers vous. Le commissaire serait alors intervenu et vous aurait fait signe de quitter son bureau.
Vous auriez quitté le commissariat et vous aurait appelé votre épouse afin de l'informer que vous n'alliez pas rentrer à la maison. Vous seriez allé dans un hôtel situé dans le quartier « … », ensuite vous auriez changé d'hôtel tous les deux voire trois jours. Votre épouse et votre mère vous auraient rapporté que des personnes en civil seraient venues pour demander après vous et qu'elles auraient fouillé la maison. Vous auriez alors décidé d'installer votre famille dans le quartier « … », étant donné que vous n'auriez plus osé rentrer à la maison ou aller dans votre magasin après ces faits.
Une semaine plus tard, votre épouse vous aurait appelé pour vous informer que le « Mukthar » du quartier aurait demandé après vous alors qu'il aurait été accompagné par trois autres personnes. Vous auriez alors pris la décision de quitter l'Irak et vous auriez vendu votre maison ainsi que votre magasin, en location à un commerçant au moment de la vente. Ce dernier vous aurait informé que deux personnes se seraient rendues à votre magasin et qu'elles auraient posé des questions à votre sujet.
Vous auriez alors contacté un ami et vous l'auriez prié d'aller chercher votre passeport chez votre épouse. Vous auriez quitté votre pays d'origine seul en date du 8 septembre 2021 pour vous rendre en Europe.
Enfin, vous indiquez que votre père aurait finalement été relâché fin décembre 2021 respectivement début janvier 2022 après avoir accepté de vendre son magasin à bas prix. Il séjournerait actuellement en Irak de même que votre mère ainsi que votre épouse et vos enfants.
A l'appui de votre demande, vous présentez votre carte d'identité irakienne n°… établie le 9 mars 2011, votre certificat de nationalité n°… établi le 11 avril 2011/2, votre carte d'enregistrement n°… établie 31 janvier 2021, votre acte de mariage n°… établi le 10 juillet 2003 et votre carnet de ravitaillement n°… établi le 23 février 2007.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
Avant tout progrès en cause, il convient de constater qu'il n'est pas crédible que des membres de la milice auraient exigé votre adhésion après le refus respectivement l'incapacité de votre père de donner suite à leur requête alors qu'ils l'auraient détenu dans leur bureau.
En effet, il convient de souligner que les recrutements au sein des milices en Irak se faisaient dans le but de combattre l'Etat islamique pour libérer le pays des mains des terroristes, objectif qui a été atteint fin 2017.
De plus, il découle clairement des informations à ma disposition que les Unités de mobilisation populaire, dont fait également partie la milice Asa'ib Ahl al-Haqq, ne procèdent plus du tout à des recrutements forcés : « The recruitment to the PMF is entirely on a voluntary basis.
Many join the PMF for economic reasons, because the salaries are attractive, compared to the rest of Iraq. The PMF are very influential and they are popular among the majority of the population for their effort to defeat ISIL ».
Force est dès lors de constater que l'adhésion se fait exclusivement sur une base contractuelle volontaire avec une rémunération.
Il convient dès lors de conclure que vos craintes par rapport au prétendu recrutement de force par les membres de la milice « Asa'ib Ahl al-Haqq » ne sont pas crédibles et sont à écarter de l'analyse de votre demande de protection internationale.
Je tiens encore à souligner qu'il est fort étonnant que votre père se serait vu racketter de petites sommes d'argent depuis des années dans le cadre de son commerce et que soudainement, après toutes ces années, des membres d'une milice auraient réclamé un million de dinars irakiens en août 2021 sans aucune raison apparente.
Vos déclarations dans ce contexte sont d'autant plus improbables du fait que vous ne mentionnez à aucun moment avoir été personnellement victime d'extorsion d'argent et ce, en dépit du fait d'être détenteur d'un commerce voire d'un magasin comme votre père, avec la seule différence que le vôtre aurait été loué à un autre commerçant.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Monsieur, vous avancez que vous craigniez d'être arrêté voire recruté de force par des membres de la milice « Asa'ib Ahl al-Haqq » en cas de retour dans votre pays d'origine. Dans ce contexte, vous indiquez que le 10 ou 11 août 2021, des membres de la milice auraient réclamé une somme d'argent non négligeable à votre père, montant qu'il n'aurait pas été en mesure de payer. Son incapacité de paiement se serait soldé par sa détention dans un des bureaux de la milice et par le fait qu'ils auraient revendiqué que vous les rejoigniez afin de combattre pour leur compte. Vous auriez non seulement eu aucune intention d'adhérer au groupement, mais le fait que vous ayez porté plainte par la suite aurait corsé votre situation. En effet, vous expliquez à cet égard que des personnes en civil se seraient rendues à deux reprises auprès des membres de votre famille, notamment votre mère et votre épouse, pour demander après vous.
Force est de constater que les faits que vous relatez n'entrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève, étant donné qu'il ressort clairement de vos déclarations que les malfrats auraient agi dans un but de lucre et que les propos à connotation religieuse et ethnique ne sont qu'un prétexte.
Quand bien même ces faits entreraient dans le champ d'application de la Convention de Genève, force est de constater qu'ils ne sont pas d'une gravité suffisante pour être qualifiés d'actes de persécution.
En effet, concernant l'incident du 10 voire du 11 août 2021, date à laquelle vous vous seriez rendu au bureau de la milice dans le quartier « … » de Bagdad, vous avancez que le responsable de la milice vous aurait insulté. Or, suite à cet incident, vous seriez reparti le jour même sans qu'aucun autre fait personnel et concret ne soit survenu.
Il en va de même pour les quelques incidents dont vous faites état par après, à savoir le fait que des personnes en civil se seraient rendues auprès de votre mère et de votre épouse, respectivement dans votre magasin, afin de fouiller les lieux et demander après vous. En effet, le simple fait que des personnes non autrement identifiées, dont vous ne pouvez que supposer qu'elles appartiendraient à des milices alors que vous n'avancez pas la moindre preuve, s'adressent à une ou deux reprises à votre mère ainsi qu'à votre épouse et se rendent une fois dans votre magasin pour avoir des renseignements à votre sujet, est exempt d'une gravité particulière et suffisante pour être qualifié d'acte de persécution.
Il ressort ainsi de façon claire et non équivoque de vos déclarations qu'il ne vous est absolument rien arrivé dans le cadre des incidents dont vous faites état et ce, jusqu'au jour de votre départ d'Irak.
La gravité de la situation dans votre pays d'origine est encore à mettre en cause par le fait que vous ayez quitté l'Irak seul alors que vos parents ainsi que votre épouse et vos enfants séjournent encore actuellement sur place sans rencontrer de problèmes, ce qui prouve incontestablement que la gravité de la situation dans votre pays d'origine n'est manifestement pas celle que vous tentez de dépeindre. Le fait que votre père aurait été contraint de vendre son magasin comme vous l'avancez ne saurait infirmer cette conclusion.
Force est dès lors de conclure que votre situation est indéniablement exempte d'une gravité particulière et suffisante de sorte qu'on ne saurait retenir l'existence dans votre chef d'une persécution respectivement d'une crainte de persécution au sens des prédits textes.
Même à supposer que les incidents que vous relatez seraient à qualifier d'actes de persécution motivés par un des cinq motifs de fond de la Convention de Genève et la Loi de 2015, quod non, notons qu'une persécution commise par des acteurs non-étatiques peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.
En effet, soulignons en premier lieu qu'il ne ressort pas clairement de vos propos contre qui respectivement quoi vous auriez concrètement porté plainte.
D'abord vous avancez que vous auriez déposé une plainte en indiquant à la police ce qui se serait déroulé le 10 ou 11 août 2021 dans le bureau de la milice et que votre père aurait été détenu sur place.
En effet, vous avancez que : « Ich ging zum Büro des Offiziers, er hatte einen Stern auf der Schulter. Er bat mich Platz zu nehmen und fragte mich wie er mir helfen könnte. Ich erklärte ihm, dass ich eine Anzeige stellen wolle: „Mein Vater ist seit 2 Tagen bei den Asaib eingesperrt." Der Offizier fragte mich: „Sind Sie sich dessen sicher, was sie mir erzählen?" Ich habe dies bejaht und erzählte ihm die Geschichte. Er erklärte mir daraufhin: „Hinterlassen Sie Ihre Kontaktdaten, wir melden uns bei Ihnen." Er hat meine Aussagen niedergeschrieben und bat mich dies zu unterschreiben » (p.7/19 de votre rapport d'entretien).
Ensuite, questionné si vous aviez officiellement déclaré l'enlèvement respectivement la disparition de votre père auprès de l'autorité de police, vous répondez que vous vous seriez uniquement contenté de déposer plainte sans être à même de donner une quelconque autre précision à ce sujet.
En effet : « Hatten Sie auch später eine Vermisstenanzeige gestellt? Nein, ich ging nur zur Polizei und stellte Anzeige » (p.13/19 de votre rapport d'entretien).
Monsieur, vous indiquez avoir déposé une plainte auprès de la police irakienne et vous affirmez que l'agent en charge de votre dossier aurait pris votre déposition et enregistré votre plainte.
Le fait que vous auriez été convoqué par le commissaire principal quatre jours plus tard dans le cadre de votre plainte démontre que la police a fait son travail en enregistrant vos déclarations et en diligentant une enquête, de sorte qu'aucun reproche ne saurait être formulé à l'égard des autorités irakiennes.
Vos allégations selon lesquelles une personne en civil, dont vous ne pouvez que supposer qu'il s'agirait d'un membre de la milice alors que vous n'avancez pas la moindre preuve, aurait été présente et qu'elle se serait agitée sur vous suite à vos propos ne saurait infirmer cette conclusion.
Rappelons dans ce contexte que le maintien de l'ordre public en Irak relève de la compétence de la police irakienne et non des « Unités de mobilisation populaire » dont fait également partie la milice « Asa'ib Ahl al-Haqq ».
A cela s'ajoute que votre père aurait finalement été relâché sain et sauf et qu'il séjournerait actuellement en Irak.
Vous restez dès lors en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.
Il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.
Pour ce qui est des faits qui seraient survenus à votre père, à savoir le fait qu'il aurait été victime de racket par des membres de la milice et le fait qu'il aurait été détenu dans leur bureau le 10 ou 11 août 2021, il importe de souligner qu'il s'agit de faits non personnels.
Notons que des faits non personnels mais vécus par d'autres personnes ne sont susceptibles de constituer une crainte fondée de persécution au sens des prédits textes que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.
En effet, il convient de souligner que vous essayez de créer un lien artificiel avec votre personne et les prétendus faits que vous avez relatés au sujet de votre père. A cet égard, il importe de réitérer que votre père aurait eu des soucis avec des membres d'une milice étant donné que ces derniers auraient essayé de lui extorquer de l'argent. Il est cependant important de rappeler que contrairement à votre père, vous n'auriez jamais été victime de racket de la part des membres de milices. A cela s'ajoute que vous concédez que votre père aurait finalement été relâché par ses ravisseurs après avoir accepté de vendre son commerce, de sorte qu'aucun lien n'est établi en l'espèce entre le vécu de votre père et votre personne.
Enfin, il y a lieu de préciser qu'à la lecture de l'ensemble de votre dossier, il en découle que des raisons économiques et de convenance personnelle sont à la base de votre demande de protection internationale étant donné que vous indiquez avoir vendu tous vos biens en Irak. Ce constat est renforcé par le fait que vous mentionnez avoir contracté une dette avec des membres de la milice sans néanmoins être à même de donner des indications concrètes à ce sujet, fait que vous tentez d'utiliser pour essayer de faire croire que la milice procéderait de cette manière afin de vous obliger de les rejoindre.
Or, des motifs économiques et de convenance personnelle ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié, alors qu'ils ne répondent à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015, garantissant une protection à toute personne persécutée ou qui risque d'être persécutée dans son pays d'origine à cause de sa race, de sa nationalité, de ses opinions politiques, de sa religion ou de son appartenance à un groupe social déterminé.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
Il ressort de vos déclarations que vous basez votre demande en octroi du statut conféré par la protection subsidiaire sur les mêmes motifs invoqués dans le cadre de votre demande en obtention du statut de réfugié. Or, et tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victime d'atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d'un retour dans votre pays d'origine.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
• Quant à la fuite interne En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.
Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.
En l'espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n'auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d'origine, au motif que la milice « Asa'ib Ahl al-Haqq » pourrait vous retrouver partout en Irak.
Or, ce motif ne constitue pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d'origine. En effet, la région autonome du Kurdistan irakien est composée de trois grandes régions, dont notamment Arbil et Sulaymâniyah, parmi lesquelles les grands centres urbains comptent presque 900,000 habitants rien que pour la ville d'Arbil et plus de 700,000 habitants pour la ville de Sulaymâniyah sans compter les populations des régions rurales.
De plus, il ressort des informations en mes mains qu'une réinstallation dans les régions du Kurdistan irakien est actuellement tout à fait envisageable.
Soulignons dans ce contexte que les « Unités de mobilisation populaire », dont fait également partie la milice « Asa'ib Ahl al-Haqq », n'exercent aucun contrôle sur le territoire des régions du Kurdistan irakien étant donné que le maintien de la sécurité des régions autonomes relève de la compétence des autorités locales à savoir des Peshmerga, de la Police Municipale et des Asayish.
En effet : « In KRI, the Peshmerga, the municipal police and the Asayish are the main security actors of the KRG ».
De plus : « Selon deux sources interrogées par le DIS/Landinfo en 2018, les Kurdes en provenance du reste de l'Iraq « n'ont pas besoin d'une autorisation spéciale » et « peuvent entrer et séjourner dans la RKI sans aucun problème » ou sans avoir besoin d'un garant. Le DFAT a également observé que les personnes originaires de la RKI ou d'origine ethnique kurde devraient pouvoir entrer dans la RKI « relativement facilement »; toutefois, cela peut varier en fonction des cas ».
Ces constats sont également confirmés par l'UNHCR, en effet : « Individuals of minority groups who are of neither Arab nor Turkmen origin who originate from outside the KR-I can enter Erbil Governorate without restrictions by presenting their CSID/UNID.
(…) Iraqi Kurds from outside the KR-I are allowed to enter Sulaymaniyah Governorate without restrictions by presenting their CSID/UNID. In practice, Yazidis from outside the KR-I are treated similarly to Kurds and can enter Sulaymaniyah Governorate by showing their CSID/UNID ».
Monsieur, vous affirmez être d'origine kurde, ainsi vous auriez effectivement pu et pourriez d'ailleurs toujours vous installer avec votre famille dans une région du Kurdistan irakien, notamment à Arbil ou à Sulaymàniyah.
Vu la densité de la population dans les grandes villes de ces régions et le fait que votre souci était un cas local, il appert que vous ne soulevez aucune raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.
Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de l'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 30 novembre 2022 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 30 novembre 2022, telle que déférée.
Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur affirme être de nationalité irakienne, de confession musulmane sunnite et d’ethnie kurde.
Il explique avoir quitté son pays d’origine en raison de problèmes qu’il aurait eu avec la milice « Asa’ib Ahl al Haqq », désignée ci-après par « la milice ». Le demandeur précise à cet égard que la milice aurait réclamé à son père, propriétaire d’un commerce, la somme d’argent de 1.000.000 dinars en août 2021. L’intéressé fait valoir que lui-même et son père auraient à cette occasion été convoqués devant un représentant de la milice, un dénommé …, lequel leur aurait expliqué qu’ils devraient payer cette somme d’argent, d’une part, afin de bénéficier d’une protection de sa part et, d’autre part, en raison de leur ethnie kurde, le demandeur expliquant que les kurdes seraient considérés comme des traitres par ladite milice au motif qu’ils n’auraient jamais combattu pour la défense de l’Etat irakien. Le demandeur explique ensuite que son père aurait été retenu par la milice et que celle-ci aurait demandé à lui-même de s’engager au sein de celle-ci à travers un formulaire, ainsi que de signer une reconnaissance de dette envers eux à hauteur dudit montant de 1.000.000 dinars, ce qu’il n’aurait pourtant pas fait. En date du 14 août 2021, il aurait déposé plainte auprès de la police irakienne, alors que son père aurait toujours été séquestré par la milice. L’intéressé fait ensuite valoir que quatre jours après le dépôt de cette plainte, il aurait été convoqué auprès du commissaire principal qui l’aurait reçu en présence d’une personne qui aurait « de toute évidence » appartenu à la milice et qui se serait comportée de manière si agressive que le commissaire aurait dû interrompre l’entrevue. Le concerné fait encore plaider que suite à cet incident des personnes en civil se seraient présentées à son domicile pour le fouiller et que le « Mukthar », accompagné de trois autres personnes, l’aurait recherché. Le demandeur explique qu’il suspecterait que ce dernier serait toujours à sa recherche, alors que la personne qui aurait acheté son commerce l’aurait informé que deux personnes se seraient présentées au magasin pour s’enquérir sur lui.
Le demandeur en conclut qu’il risquerait en cas de retour dans son pays d’origine d’être tué, sinon d’être forcé de joindre les rangs de la milice et ce nonobstant le fait que son père aurait finalement été relâché par cette dernière fin décembre 2021, début janvier 2022.
En droit et à titre de préambule, le demandeur, en s’appuyant sur l’article 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, met en avant la situation sécuritaire en Irak et plus particulièrement celle des personnes menacées par la milice.
Dans ce contexte, il se réfère à un rapport de l’organisation non gouvernementale « Amnesty International », publié le 29 mars 2022 et intitulé « Irak – Rapport annuel 2021 », duquel il ressortirait que depuis octobre 2019 des membres des « Unités de mobilisation populaire », désignées ci-après par « les PMU », auraient attaqué des militants manifestant contre la corruption au sein du gouvernement irakien et que plusieurs de ces manifestants auraient fait l’objet d’exécutions extrajudiciaires et d’enlèvements de leur part.
Il insiste plus particulièrement sur l’influence des milices chiites en Irak, et plus spécialement de la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq », en s’appuyant sur le site Internet Wikipédia retraçant les origines de cette milice et ses effectifs en Irak. En référence à une note du chercheur …, intitulée « Les milices chiites et l’Etat en Irak – Entre intégration et autonomisation », il donne à considérer que la milice exercerait toujours actuellement un rôle politique et précise à quel point la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » serait puissante en Irak, tant sur le terrain militaire que politique. Il explique à cet égard que la milice en question jouirait du soutien des autorités en place pour avoir directement combattu le Daesh avec celle-ci et que ladite milice apparaîtrait comme le protecteur du peuple chiite sur le sol irakien. Le demandeur relève encore l’influence politique de la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq », en s’appuyant sur un article intitulé « Accord – Austrian Centre for Country of origin & Asylum Research and Documentation » ainsi que sur un rapport du « European Asylum Support Office », désigné ci-
après par « l’EASO », publié en mars 2019 et intitulé « Rapport d’information sur les pays d’origine – Iraq- Individus pris pour cible ». De même, ladite milice bénéficierait, d’après le demandeur, d’un rôle important au sein de la société irakienne, rôle qui serait confirmé par un article de presse d’un chercheur d’études politiques, Monsieur …, publié le 24 août 2020 et intitulé « Les Chiites au pouvoir en Irak : l’échec de la première expérience », par un article de presse du 27 avril 2021 intitulé « Profile : Asaib Ahl al-Haq », ainsi que par un rapport de février 2022 de l’ « Institut de recherche stratégique de l’école militaire » du ministère des armées français, désigné ci-après par « l’IRSEM », et intitulé « LE REGIME MILICIEN IRANIEN EN IRAK – LES MILICES CHIITES PRO-IRANIENNES À LA CONQUÊTE DE L’ETAT ». Ainsi, l’Etat de droit irakien serait fortement altéré, en raison de la présence des milices telles que « Asa’ib Ahl al-Haqq » qui afficheraient des comportements particulièrement violents et notamment à l’égard de ceux qui s’opposeraient aux intérêts des autorités en place.
Le demandeur fait ensuite valoir que ce serait à tort que le ministre aurait remis en cause la crédibilité de son récit s’agissant de la demande de la milice de la rejoindre moyennant un formulaire de recrutement. Il explique à cet égard qu’il ne serait pas contesté que le recrutement au sein de ladite milice se ferait sur une base volontaire et critique qu’il aurait alors appartenu au ministre d’apprécier « la véracité de ce fait » dans son vrai contexte, alors que la remise du formulaire de recrutement aurait eu pour seul but de faire pression sur son père pour que celui-
ci verse la somme d’argent demandée. Il ne serait ainsi pas « exclu à l’abri de tout doute » qu’il aurait dit la vérité en relatant la tentative de recrutement de la part de la milice et qu’il aurait « légitimement » mal interprété cet acte de leur part.
S’agissant du fait que son père se serait, dans le passé, vu extorqué des sommes d’argent beaucoup moins importantes et que lui-même, également propriétaire d’un commerce, n’aurait pas personnellement fait l’objet d’une demande de paiement d’argent, l’intéressé fait plaider que, d’une part, ces éléments ne sauraient entacher la crédibilité globale de son récit et que, d’autre part, son père serait plus fortuné et que lui-même n’aurait été qu’un moyen de pression pour forcer son père à payer la somme d’argent demandée.
En s’appuyant sur l’article 37, paragraphe (5), point e) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait encore valoir, qu’en tout état de cause le doute devrait profiter au demandeur de protection internationale dès lors que le législateur aurait entendu accorder crédit non pas tant à la crédibilité de certains aspects de ses déclarations qu’à celle plus générale de son récit.
Or, en l’espèce, la crédibilité générale de son récit devrait être retenue comme étant établie alors que celui-ci serait non seulement globalement cohérent, mais en outre corroboré par les documents et pièces versés en cause.
Ensuite, en ce qui concerne les conditions d’octroi du statut de réfugié, le demandeur considère que les faits à l’origine de sa demande satisferaient les critères définis par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015.
Il donne à cet égard à considérer que les actes invoqués à l’appui de sa demande seraient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f), que ces actes seraient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils émaneraient de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 et, enfin qu’il ne pourrait ou ne voudrait pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Le demandeur estime dès lors remplir l’ensemble des critères d’octroi du statut de réfugié.
Il ajoute que les faits rapportés relèveraient d’une gravité extrême dès lors qu’il serait question de menaces graves dont il aurait fait l’objet de la part de la milice et qu’il risquerait en cas de retour dans son pays d’origine de faire l’objet de violences physiques susceptibles de conduire à sa mort, ces actes constituant, selon le demandeur une persécution au sens de l’article 42, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015.
De plus, les faits sous-tendant sa demande de protection internationale seraient motivés par l’un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, dès lors que son comportement serait considéré par les acteurs des persécutions comme relevant de la sphère politique, alors que le fait pour lui d’avoir déposé plainte contre la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » devant la police irakienne serait considéré par cette dernière comme un acte d’opposition politique à son encontre.
Dans ce contexte, le demandeur soulève que les persécutions subies par lui seraient le fait des autorités en place, dans la mesure où la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » serait directement incorporée dans les forces armées irakiennes qui seraient elles-mêmes sous le contrôle des autorités politiques irakiennes.
Subsidiairement, même à considérer que les persécutions qu’il aurait subies seraient le fait de personnes privées, voire de tiers, le demandeur estime qu’il conviendrait d’accorder aux auteurs de ces persécutions la qualification d’acteurs au sens de la Convention de Genève en raison du fait que les autorités en place ne voudraient pas le protéger, respectivement lui assurer une protection suffisante.
A cet égard, en s’appuyant sur l’article 40, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait valoir que les autorités en place n’effectueraient aucune démarche pour empêcher les exactions commises par la milice, laquelle bénéficierait de leur complaisance, ce dont attesterait en l’espèce la manière de laquelle sa plainte aurait été instruite, à savoir en présence d’une personne « non autrement identifiée » lors de son interrogatoire auprès du commissaire principal. Le demandeur en déduit qu’il ne bénéficierait pas d’une protection suffisante dans son pays d’origine, sans que l’on puisse lui reprocher de ne pas avoir attendu l’issue de l’instruction de sa plainte avant d’avoir quitté son pays d’origine. Au regard de cette absence de protection de la part des autorités en place, il serait permis de retenir que les auteurs des persécutions dont il aurait été victime auraient la qualité d’« agent de persécution » au sens de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève », et de l’article 39, point c) de la loi du 18 décembre 2015.
Enfin, le bien-fondé de sa demande de protection internationale se trouverait encore et pour autant que de besoin renforcée par la présomption prévue à l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015.
Dans ce contexte, le demandeur souligne encore qu’il n’existerait aucune « bonne raison » de penser que les persécutions qu’il aurait subies ne se reproduiraient pas en cas de retour en Irak, dès lors que, depuis son départ, la situation n’aurait pas évolué de manière suffisamment favorable, s’agissant plus spécialement de l’influence de la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq ».
Il n’existerait par ailleurs aucune possibilité de fuite interne dans son chef, ce qui renforcerait, selon lui, la conclusion qu’il devrait se voir octroyer le statut de réfugié. En effet, selon les lignes directrices du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, ci-après désigné par « l’UNHCR », l’alternative de la fuite interne ne s’appliquerait que lorsque la zone de réinstallation serait accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.
Or, en l’espèce, il serait établi à suffisance de droit que sa réinstallation sur une autre partie du territoire irakien serait impossible en termes de sécurité, le demandeur se référant, dans ce contexte à un article de presse du 15 juin 2021 intitulé « Kurdistan irakien. Arrestations arbitraires et disparitions forcées de militant-e-s et de journalistes » qui relaterait des actes de répression de la part des autorités de la région du Kurdistan irakien à l’encontre de militants, de sorte qu’il ne saurait, en raison de son assimilation par les autorités irakiennes à un opposant politique, bénéficier d’une fuite interne à l’intérieur du Kurdistan. Tout en se référant encore à un article de presse publié le 22 décembre 2021 et intitulé « L’afflux de migrants kurdes irakiens est un révélateur des inégalités profondes dont souffre leur société », le demandeur ajoute qu’en tout état de cause la situation au Kurdistan serait trop dangereuse et que mêmes les kurdes peineraient à y trouver des conditions de vie satisfaisantes du fait d’une forte corruption qui y règnerait.
En ce qui concerne ensuite le reproche du ministre suivant lequel l’ensemble des faits relatés par lui constitueraient des faits non personnels du fait d’être liés à son père et non pas à sa propre personne, l’intéressé fait valoir qu’il aurait non seulement relaté des faits personnels, mais encore que les faits relatifs à son père seraient en lien direct avec ceux-ci.
De même, le demandeur conteste le reproche du ministre suivant lequel sa fuite aurait été motivée par des motifs purement économiques et explique que la vente de son magasin et de sa maison serait le résultat direct des actes de persécutions subis par lui et aurait, d’une part, été destinée à financer sa fuite de l’Irak et, d’autre part, eu pour but d’empêcher que la milice ne s’en approprie injustement.
Concernant sa demande de protection subsidiaire, le demandeur affirme que les faits d’espèce permettraient de retenir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015.
Le demandeur invoque encore dans ce cadre, l’« Affaire grecque » par laquelle la « Commission européenne » aurait retenu que les traitements considérés comme dégradants seraient ceux qui humilient gravement la personne aux yeux d’autrui ou l’incitent à agir contre sa volonté ou sa conscience. Dans l’affaire Irlande c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », aurait retenu qu’un traitement infligé devrait, pour pouvoir être qualifié de torture, causer de « forts graves et cruelles souffrances » au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH ». Dans une affaire Selmouni c. France, la CourEDH se serait réservée une certaine souplesse dans l’examen des actes illicites en fonction du niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Or, dans son pays d’origine il devrait vivre dans un état de peur et d’angoisse particulièrement aigu d’être arrêté par la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » et de subir des actes de torture qui auraient pour seul objectif de le contraindre à se comporter de manière contraire à sa volonté et sa conscience « en ce sens qu’il ne saurait tolérer le comportement de la prédite milice à l’égard de son père qu’elle séquestra ».
Le demandeur considère que toutes les conditions seraient partant remplies pour se voir octroyer la protection subsidiaire, tout en renvoyant, concernant la seconde condition sous-
tendant l’octroi dudit statut, à savoir que les auteurs des actes précités puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, à ses développements portant sur l’octroi du statut de réfugié.
Dans son mémoire supplémentaire, le demandeur fait valoir qu’il aurait, en date du 3 avril 2023, communiqué au ministre une vidéo enregistrée à partir d’une caméra de surveillance installée à son domicile en Irak le 24 janvier 2023 vers 23.38 heures sur laquelle on verrait l’arrivée d’un véhicule duquel sortirait une personne « non autrement identifiée » et qui déposerait une enveloppe avant de repartir, ainsi que le document en question, en l’occurrence une lettre de menace, de même que sa traduction, et il précise que l’ensemble desdites pièces aurait été déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 avril 2023, celles-ci constituant dès lors des éléments nouveaux.
Après avoir cité les termes de la prétendue lettre de menace ainsi versée, le concerné estime avoir établi qu’il serait personnellement visé par la milice, alors que la lettre lui serait adressée et qu’il y serait désigné comme « traitre ». Dans la mesure où il y serait convoqué de se présenter auprès de la milice et qu’un châtiment lui y serait annoncé, il conclut qu’il serait établi qu’il risquerait sa mort en cas de retour en Irak. Le demandeur met encore en exergue que la milice ferait partie des PMU qui seraient présentes en Irak et commettraient des actes terroristes, tel qu’il ressortirait d’un extrait du site internet du gouvernement des Etats-Unis de janvier 2020 et intitulé « State Department Terrorist Designations of Asa’ib Ahl al-Haq and Its Leaders, Qays and Laith al-Khazali », ainsi que d’un rapport de l’ « European Union Agency for Asylum », désignée ci-après par « l’EUAA », publié en janvier 2022 et intitulé « Iraq – Security Situation ».
Le demandeur relève ensuite que la milice lui reprocherait dans ladite lettre de condamner les partis chiites et qu’il les qualifierait de milices appartenant à la République islamique d’Iran, de sorte qu’elle connaîtrait son opinion concernant un lien entre eux et l’Etat iranien, ce qui augmenterait, d’après lui, son risque de faire l’objet de représailles de sa part en cas de retour dans son pays d’origine, alors que celle-ci préférerait que cette implication politique ne soit pas révélée.
En se référant à ses développements précédents, le demandeur conclut que la réalité de la menace grave dont il ferait l’objet de la part de la milice serait établie.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 2, point b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécutions ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« […] a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition des atteintes graves reprise à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit, par ailleurs, procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, cette dernière pouvant notamment être retenue lorsque le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, lorsque tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants ou encore lorsque les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et qu’elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande1.
Force est de constater que les craintes du demandeur reposent sur les évènements suivants : (i) une demande de paiement d’une somme de 1.000.000 dinars irakiens adressée par des membres de la milice à son père et la séquestration de celui-ci par la milice dans ce contexte, (ii) la demande lui adressée par ces mêmes membres de la milice de joindre les services de celle-ci et (iii) sa plainte auprès des autorités de police locales dirigée contre ladite 1 Voir art. 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, disponible sur www.jurad.etat.lu.
milice en raison de faits susmentionnés, raison pour laquelle la milice le considérerait comme un opposant politique.
Or, indépendamment de la question de la crédibilité du récit du demandeur et de celle de la qualification des faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale, l’examen des faits et motifs invoqués par ce dernier à l’appui de sa demande de protection internationale dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il reste en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève, respectivement d’atteintes graves au sens de la loi, en cas de retour en Irak, alors qu’il reste en défaut d’établir une absence de protection de la part des autorités de son pays, condition commune au statut de réfugié et celui de la protection subsidiaire.
En effet, en ce qui concerne les acteurs de persécution, il ressort des sources citées par le demandeur, notamment de la note du chercheur …, intitulé « Les milices chiites et l’Etat en Irak – Entre intégration et autonomisation », que les milices chiites ont acquis depuis 2018 une place importante dans le maintien de la sécurité en Irak en raison de leur implication dans la lutte contre l’organisation terroriste se nommant « l’Etat islamique », qu’elles auraient été de plus en plus impliquées dans les aspects politiques et économiques des structures de gouvernance du pays et qu’elles auraient été sous l’autorité du Premier ministre irakien, de sorte que le demandeur pouvait a priori se prévaloir d’un manque de confiance dans le fonctionnement des autorités policières de son pays à cette époque. Il a par contre été retenu par le tribunal administratif, dans une affaire similaire, par un jugement du 29 juillet 2022, inscrit sous le numéro 45307 du rôle, que si différentes milices ont certes reçu un statut officiel par une loi du 26 novembre 2016, les UMP ont toutefois pour seule mission de préserver la sécurité nationale, et plus particulièrement de combattre l’« Etat islamique ». Il a encore été retenu que ces milices sont placées au même niveau que les forces armées irakiennes lorsqu’elles agissent dans le cadre de cette mission, de sorte à rester sous le contrôle de celles-
ci, le maintien de l’ordre public relevant, tel que retenu par le ministre, de la compétence de la police irakienne. Il s’ensuit que lesdites milices ne peuvent, de manière générale, pas être assimilées à l’Etat.
Dans ce contexte, la Cour administrative a, par ailleurs, retenu dans un arrêt2 concernant une affaire similaire que « même en admettant que ladite milice devrait être reconnue comme acteur étatique, elle ne peut pas être considérée comme la seule autorité compétente en Irak et il ne faut pas perdre de vue que les autorités officielles irakiennes sont aussi présentes sur le territoire irakien et assurent leur rôle d’organisation des structures étatiques. Or, la crainte de faire l’objet d’actes de persécution de la part de personnes privées sans lien avec l’Etat ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités irakiennes ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective à l’appelant ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection, de manière que c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source des actes de persécution, respectivement des atteintes graves. Ensuite, l’appelant a admis lors de ses entretiens qu’il n’a ni officiellement porté plainte auprès d’une autorité irakienne contre ses intimidateurs, ni demandé une protection quelconque auprès d’une autorité de son pays. Or, à défaut d’avoir au moins tenté de porter plainte contre les auteurs des menaces de mort alléguées, l’appelant ne saurait reprocher aux autorités irakiennes une 2 Cour administrative, 29 novembre 2018, n°41019C du rôle.
quelconque inaction volontaire ou un refus de l’aider, ce d’autant plus qu’il n’a en particulier pas fait état qu’un dépôt d’une plainte lui aurait été refusé. ».
Ainsi, et à défaut par le demandeur d’avoir versé un rapport international contredisant cette analyse, nonobstant le fait que la légitimité de la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » est reconnue par le gouvernement irakien, du fait de l’aide qu’elle lui apporte dans sa lutte contre « l’Etat islamique » et que ladite milice exerce un certain contrôle sur certaines parties du territoire irakien, le tribunal relève que le demandeur ne peut faire valoir un risque réel de subir des actes de persécution, respectivement des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 que si les autorités irakiennes ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre les agissements des membres de la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » dont il fait état, ou s’il a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.
En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale3. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionniste du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut4.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de l’atteinte grave infligée.
Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
3 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNCHR, décembre 2011, p. 21, n° 100.
4 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
En l’espèce, en ce qui concerne d’abord la tentative d’extorsion de fonds à l’égard de son père, la séquestration de celui-ci, ainsi que la demande adressée au demandeur de rejoindre les forces de la milice, il ne ressort pas des déclarations du concerné ni des pièces produites en cause que les autorités irakiennes compétentes aient refusé ou aient été dans l’incapacité de lui fournir une protection quelconque contre les menaces proférées par la milice « Asa’ib Ahl al-
Haqq ».
Le demandeur a, au contraire, déclaré qu’il a déposé plainte contre ladite milice auprès du commissariat principal à … et que celle-ci a, ensemble avec ses données et renseignements, été enregistrée. Il affirme ensuite que seulement quatre jours après ledit dépôt, il aurait été contacté par la police et prié de se présenter au commissariat où il a pu apporter des précisions concernant la séquestration de son père et la tentative d’extorsion de 1.000.000 dinars irakiens par les membres de la milice, de sorte qu’il ne saurait être reproché aux autorités irakiennes de ne pas avoir pu ou voulu l’aider.
Ce constat n’est pas énervé par l’affirmation du demandeur suivant laquelle un membre de la milice aurait été présent lors de son entrevue avec le commissaire principal et que les autorités policières travailleraient avec la milice, alors qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que la personne, qualifiée par le demandeur lui-même comme « non autrement identifiée », présente lors de son entrevue avec le commissaire principal soit en effet un membre de la ladite milice, étant relevé que lors de son entretien sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale, le demandeur a affirmé « Ich kann wirklich nicht sagen, ob der Polizeichef mit Asaib arbeitet oder nicht »5. L’affirmation du demandeur suivant laquelle cette personne lui inconnue se soit, lors de ladite entrevue, énervée à tel point que le commissaire aurait été contraint de mettre fin à leur entrevue ne permet pas, à elle seule, de tirer une telle conclusion, le demandeur restant en effet en défaut de présenter des éléments concrets et tangibles permettant de conclure à l’appartenance de cette personne à ladite milice, le seul fait que la personne en question aurait été une personne en civil étant insuffisant à cet égard.
Or, à défaut d’avoir attendu l’issue de sa plainte déposée auprès de la police, ou d’avoir sollicité une autre forme quelconque d’aide aux autorités étatiques irakiennes, le demandeur ne saurait leur reprocher de ne pas avoir pu ou voulu l’aider.
Ce constat n’est pas non plus énervé par les nouveaux éléments présentés par le demandeur, à savoir une prétendue lettre de menace déposée à son domicile en Irak par la milice le 24 janvier 2023, et sa crainte générale du demandeur d’être persécuté par la milice en raison du fait d’avoir déposé une plainte contre eux, alors qu’il ne ressort ni d’un élément du dossier, ni du mémoire supplémentaire du demandeur que les autorités irakiennes auraient été informées des prétendues menaces qui ressortiraient de ladite lettre, de sorte qu’il ne saurait pas non plus leur être reproché de ne pas avoir voulu ou pu lui offrir une protection à cet égard.
En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas tenté lui-même formellement d’obtenir une telle protection.
Une des conditions cumulatives du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire faisant défaut, le recours pour autant qu'il est dirigé contre le refus 5 Page 16 du rapport d’entretien.
du ministre d’accorder au demandeur un statut de protection internationale est à déclarer comme étant non fondé en son double volet.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
En s’appuyant sur l’article 33, paragraphe (1) de la Convention de Genève, et en se référant à la réunion spéciale de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 du Conseil européen, le demandeur souligne que le respect du principe de non-refoulement serait repris en droit interne luxembourgeois à travers l’article 54, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015. Il considère qu’il y aurait lieu de réformer la décision du ministre en ce qu’elle porte sur l’ordre de quitter le territoire, comme conséquence de la reconnaissance, dans son chef, du statut de réfugié sinon du statut de protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Comme le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur comme non justifiée, de sorte qu’il n’est pas établi que son retour en Irak l’expose à des actes de persécution, respectivement à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir sa décision d’un ordre de quitter le territoire luxembourgeois, sans violer le principe de non-
refoulement.
Le tribunal ne saurait partant utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire, de sorte que le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 30 novembre 2022 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 30 novembre 2022 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er octobre 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 22