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27/09/2024 | LUXEMBOURG | N°47685

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2024, 47685


Tribunal administratif N°47685 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47685 5e chambre Inscrit le 11 juillet 2022 Audience publique du 27 septembre 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée X, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47685 du rôle et déposée en date du 11 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Annie ELFASSI, avocat à la Cour, assistée de Maître Andrea ADDAMIANO, avocat, toutes

deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour compte de la soc...

Tribunal administratif N°47685 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47685 5e chambre Inscrit le 11 juillet 2022 Audience publique du 27 septembre 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée X, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47685 du rôle et déposée en date du 11 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Annie ELFASSI, avocat à la Cour, assistée de Maître Andrea ADDAMIANO, avocat, toutes deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour compte de la société à responsabilité limitée X, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil de gérance, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 11 avril 2022 ayant déclaré irrecevable la réclamation introduite au nom de la société à responsabilité limitée X, préqualifiée, contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial de l’année 2019, ainsi que contre le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2020, tous émis le 16 décembre 2020 ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 28 novembre 2022 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 23 décembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Annie ELFASSI assistée de Maître Andrea ADDAMIANO pour le compte de leur mandante, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Annie ELFASSI et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 avril 2024.

___________________________________________________________________________

Le 16 décembre 2020, le bureau d’imposition …, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de la société à responsabilité limitée X, ci-après désignée par « la société X », les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial de l’année 2019, ainsi que le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2019, ci-après désignés par « les bulletins d’imposition litigieux ».

Par courrier du 16 mars 2021, la société X introduisit, par l’intermédiaire de la société anonyme Y, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, ci-après désignée par « la société Y », signé par Monsieur A, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné « le directeur », contre les bulletins précités.

A cette même date, la société X procéda, par l’intermédiaire de la société Y, au dépôt électronique auprès du bureau d’imposition d’une déclaration pour l’impôt sur le revenu, l’impôt commercial et l’impôt sur la fortune des collectivités rectificative au titre de l’année 2019.

Par courrier du 16 juin 2021, le secrétaire de la division Contentieux de l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par « l’administration », invita Monsieur A de la société Y, sur base des §§ 107, 238 et 254 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégée par « AO », de justifier pour le 16 juillet 2021 au plus tard, de son pouvoir d’agir en versant au dossier la procuration établissant son mandat exprès et spécial pour la réclamation introduite le 16 mars 2021.

Pour courrier du 5 août 2021, réceptionné le 6 août 2021, la société Y, sous la signature de Monsieur A, transmit à l’administration une « procuration », intitulée « Power of Attorney », datée du 15 juillet 2021 « with effective date as at 16 December 2020 » libellée comme suit:

« […] The undersigned: […] Mr …, […] acting as Manager of the company X, a (société à responsabilité limitée) registered in Luxembourg under the tax number …, having its registered office address at …, inscribed at the Luxembourg Trade and Companies Register under number … (hereafter the Company), do hereby confirm having granted proxy and having empowered […] A […] in [his] capacity as employee of Y , […] to represent them, and to act in their name and on their behalf with full power of substitution, with effect as of 16 December 2020, in accordance with paragraphs 107, 238 and 254 of the Luxembourg General Tax Law of May 22, 1931 (Loi générale des impôts du 22 mai 1931), as amended from time to time, in the scope of any operation, request, or exchange of email, conference call and mail with the Luxembourg tax authorities, including the filing of a claim (réclamation), in relation with the tax assessments issued on 16 December 2020 and related to (i) corporate income tax 2019 (bulletin de l'impôt sur le revenu des collectivités 2019), (ii) municipal business tax 2019 (bulletin de l'impôt commercial communal 2019), (iii) the determination of the unitary value as of 1 January 2020 (bulletin d'établissement de la valeur unitaire au 1.1.2020) and (iv) net wealth tax as of 1 January 2020 (bulletin de l'impôt sur a fortune au 1.1.2020).

The undersigned direct the proxy holder to approve any item as stated above in their name and on their behalf, and give as well full powers to the proxy holder to sign all documents or undertake all actions which are necessary or useful in connection with or in respect of the performance of this power of attorney even though not especially indicated herein, undertaking to ratify and confirm such acts and signatures if the need would arise.

[…] Executed on 15 July 2021 with the effective date as at 16 December 2020. […] ».

Par décision du 11 avril 2022, référencée sous le numéro C29568 du rôle, le directeur déclara la réclamation introduite par Monsieur A de la société Y le 16 mars 2021 irrecevable faute de qualité. Cette décision est libellée comme suit :

« […] Vu la requête introduite le 16 mars 2021 par le sieur A, de la société anonyme Y, agissant au nom de la société à responsabilité limitée X, avec siège social à L-…, pour réclamer contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de la base d'assiette de l'impôt commercial de l'année 2019, ainsi que contre le bulletin de l'impôt sur la fortune au 1er janvier 2020, tous émis en date du 16 décembre 2020 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que le § 254, alinéa 2 AO autorise le directeur des Contributions à exiger d'un mandataire une preuve écrite de son mandat (« Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen. ») ;

Considérant qu'en droit luxembourgeois, pour pouvoir exercer l'action d'autrui, il faut justifier en toutes matières d'un mandat ad litem exprès et spécial aux fins de l'instance ;

Considérant que « l'acte d'introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l'imposition revue le cas échéant in pejus, présente un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l'intéressé ; qu'une procuration afférente doit dès lors être non seulement expresse, mais encore de nature à renseigner clairement l'intention du mandant d'investir le mandataire du pouvoir d'agir par la voie d'une réclamation à l'encontre d'une décision déterminée avec toute la précision requise » ;

Considérant qu'en l'espèce, faute de procuration jointe, le déposant a dû être invité par lettre du 16 juin 2021 à justifier de son pouvoir d'agir en versant au dossier une procuration qui établit son mandat exprès et spécial pour l'instance introduite ;

Considérant qu'il est de jurisprudence constante qu'une procuration expresse et spéciale doit avoir existé antérieurement à l'introduction d'une réclamation ; qu'il a notamment été retenu « que le mandataire d'un contribuable doit prouver l'existence d'un mandat spécial et exprès au moment de l'introduction de la réclamation pour le compte de son mandant, le tribunal, statuant dans le cadre d'un recours en réformation, peut prendre en compte des pièces qui n'étaient pas à la disposition du directeur au moment où ce dernier a pris sa décision, sous condition que le mandat versé pendant la phase contentieuse ait été antérieur à l'introduction de la réclamation litigieuse » ;

Considérant qu' « en effet que si le paragraphe 254 alinéa 2 de la loi générale des impôts (AO) porte que « Bevollmachtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen », disposition muette sur la date à laquelle devrait exister le pouvoir visé, il n'en est pas moins que l'invitation à verser une procuration doit être entendue en ce sens qu'il s'agit de communiquer à l'administration la procuration existante qui aura pu 3 manquer au dossier, rendant ainsi incertaine l'existence de la qualité d'agir du mandataire et non pas de faire rédiger a posteriori une procuration, un mandataire n'ayant pu introduire la réclamation pour compte d'autrui qu'au cas où il était muni d'une procuration spéciale et expresse à cette fin » ;

Considérant que la « procuration » versée en date du 6 août 2021 est signée et datée au 15 juillet 2021 avec la mention « with effective date as at 16 December 2020 » ; que force est de constater que cette procuration fut cependant rédigée postérieurement à l'introduction de la requête du 16 mars 2021, date à laquelle la procuration n'existait pas encore ; que le mandataire n'était forcément pas en possession « d'une procuration spéciale et expresse » lors de l'introduction de la présente requête, ce qui n'est d'ailleurs pas énervé par ladite mention « with effective date as at 16 December 2020 », étant donné qu'aucun effet rétroactif ne peut être créé en antidatant un document, sachant qu'un tel n'est au surplus pas opposable à un tiers, dont l'Administration des contributions directes ;

Considérant qu'il découle de ce qui précède que l'existence d'un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l'introduction d'une réclamation n'est pas établie et que, partant, les réclamations contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de la base d'assiette de l'impôt commercial communal de l'année 2019, tout comme la réclamation contre le bulletin de l'impôt sur la fortune au ter janvier 2020, sont irrecevables faute de qualité ;

PAR CES MOTIFS dit les réclamations irrecevables faute de qualité.[…] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2022, la société X a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision directoriale, précitée, du 11 avril 2022.

1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Il résulte de la lecture combinée des dispositions du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3) point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », que seul un recours au fond est ouvert contre la décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit par la société X, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

2) Quant au fond Arguments et moyens des parties À l’appui de son recours et en fait, la société demanderesse reprend en substance les faits et rétroactes exposés ci-avant en précisant qu’elle aurait engagé la société Y et la société anonyme Y, établie et ayant son siège social à …, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, ci-après désignée par « la société Y », pour toustypes de services en matière de conseil fiscal luxembourgeois par un accord qui aurait été formalisé par une lettre d’engagement datée du 29 novembre 2017.

Dans le cadre de cet accord global, la société Y aurait été mandatée pour assister la société demanderesse dans la préparation et le dépôt de ses déclarations fiscales annuelles pour les besoins de l’impôt sur le revenu des collectivités, l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune.

La société demanderesse explique qu’elle aurait identifié des erreurs « manifestes » dans ses comptes annuels pour l’année 2019 et qu’elle aurait ainsi donné « mandat » à la société Y et à la société Y pour faire « ce que de droit » auprès de l’administration, en vue d’obtenir une modification de l’imposition relative à l’année 2019. Elle se réfère, à cet égard, à trois courriers datés des 8 et 22 janvier et 16 mars 2021.

Elle ajoute, en substance, qu’elle aurait donné ledit « mandat » à la société Y et la société Y pour procéder au dépôt de la déclaration fiscale rectificative, ensemble la réclamation contre les bulletins d’imposition litigieux, avant l’introduction de la réclamation litigieuse, la société demanderesse se référant à une lettre d’engagement du 2 décembre 2020 qui aurait été jointe à sa déclaration fiscale 2019. Monsieur A, un employé de la société Y et la société Y introduit ainsi la réclamation litigieuse conformément à sa volonté claire et non-équivoque.

En droit, la société demanderesse fait valoir (i) que son « mandat » serait spécial et exprès et antérieur à sa réclamation, (ii) que l’exigence du mandat serait une mesure destinée exclusivement à protéger le contribuable et (iii) que le dépôt de sa déclaration fiscale rectificative, pour lequel un mandat exprès et spécial aurait existé, vaudrait à lui seul une réclamation.

La société demanderesse invoque, tout d’abord, les articles 1987 et 1988 du Code civil pour expliquer que le libellé du « mandat » litigieux serait à considérer comme spécial et exprès en ce qu’il renseignerait clairement son intention de donner le pouvoir à la société Y d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre des bulletins d’imposition litigieux par la mention « filing of a claim (réclamation) » qui mentionnerait explicitement le pouvoir de représentation. Elle se prévaut encore dans ce contexte de la théorie de la « volonté déclarée » et de la « volonté réelle »).

Pour soutenir que le « mandat » aurait été donné antérieurement à la réclamation, la société demanderesse se réfère au § 102 AO, qui renverrait aux dispositions du Code civil, notamment aux articles 1984 et 1985, selon lesquels un mandat pourrait être donné verbalement, sans que sa validité ne soit subordonnée à la formalité de l’écrit. A cet égard, elle estime que les éléments factuels étayés attesteraient à suffisance sa volonté de donner mandat et pouvoir à la société Y et la société Y pour l’assister dans le cadre du dépôt des déclarations fiscales rectificatives et de la réclamation y relative, et ce dès le 16 décembre 2020 sinon dès le 2 décembre 2020, sans que la rédaction de l’écrit daté du 15 juillet 2021 ne puisse être considérée comme une condition de validité du mandat. La société demanderesse conclut que le mandat serait à considérer comme parfait dès cette période et serait, par conséquent, antérieur à la réclamation.

La société demanderesse ajoute que le § 102 AO renverrait au droit civil, lequel prévoirait que la ratification par le mandant, ex post, d’un acte du mandataire jugé irrégulier serait possible, tel que cela se dégagerait des jugements du tribunal administratif datés du 1eroctobre 2011 inscrit sous le numéro 12879 de rôle et du 5 décembre 2014 inscrit sous le numéro 3369 du rôle, ainsi que l’arrêt de la Cour administrative en date du 28 juin 2012 inscrit sous le numéro 29913 du rôle. De même, la société demanderesse soutient que les principes d’interprétation des actes juridiques résultant du Code civil imposeraient à l’administration et aux juridictions de s’attacher à l’intention voulue des parties. Elle en conclut que ni la production, ni la ratification ultérieure du mandat ne seraient de nature à affecter son existence et sa validité dès lors que l’intention du mandant d’être représenté résulterait clairement et explicitement du mandat, eût-il été rédigé à une date postérieure. A cet égard, la société demanderesse soutient qu’elle aurait confirmé sans équivoque l’existence du mandat par ratification le 15 juillet 2021 « with effect as of 16 December 2020 ». En outre, la société demanderesse fait valoir que le mandat aurait été signé par l’un de ses gérants dûment habilité à l’engager conformément à ses statuts. La volonté de la société demanderesse d’octroyer un mandat aurait également été réitérée dans une décision du conseil de gérance en date du 8 juillet 2022.

La société demanderesse conteste le moyen tiré de l’inopposabilité du « mandat » en raison de son « effet rétroactif » soulevé par l’administration. Elle soutient que la décision litigieuse confondrait l’« instrumentum » et le « negotium » du contrat. L’« instrumentum » ne serait que le support du contrat et n’existerait en l’espèce que depuis le 15 juillet 2021, alors que le « negotium », le contenu lui-même du contrat, c’est-à-dire la volonté des parties, constituerait une situation de fait qui s’imposerait au tiers et existerait depuis le 16 décembre 2020 sinon depuis le 2 décembre 2020.

La société demanderesse cite encore la jurisprudence des juridictions civiles relative aux dispositions de l’article 1165 du Code civil en faisant valoir que la règle selon laquelle les conventions ne seraient opposables qu’aux parties et non aux tiers, ne serait applicable que lorsqu’il s’agirait d’établir une obligation à la charge d’un tiers en vertu d’un acte qui lui serait étranger. Elle affirme que, dans le domaine du contentieux fiscal, le mandat en lui-même ne créerait aucune obligation à la charge de l’administration, au motif que le § 254, alinéa (2) AO conféreraient seulement à l’administration un pouvoir de contrôle dans un souci de protection de l’intérêt du contribuable, ce qui aurait été rappelé par l’arrêt de la Cour administrative du 3 avril 2014 inscrit sous le numéro 33764C du rôle. La société demanderesse soutient que le « mandat » tel qu’il aurait été formalisé par écrit ne serait soumis à aucun formalisme particulier et ne nécessiterait que la volonté des parties clairement exprimée. Elle en conclut qu’il s’imposerait donc aux tiers et, particulièrement, à l’administration.

La société demanderesse affirme, de plus, que le directeur aurait implicitement reconnu l’existence du « mandat », dans la mesure où il se serait directement adressé par écrit au mandataire dans son courrier du 16 juin 2021 en vue d’obtenir une copie dudit mandat.

La société demanderesse reproche encore au directeur d’avoir violé son obligation d’examiner la situation de fait et de droit conformément aux §§ 243 et 244 AO en méconnaissant ses droits à voir sa situation fiscale réexaminée conformément aux §§ 228 à 305 AO et d’avoir agi en contradiction avec la jurisprudence précitée.

La société demanderesse s’empare, ensuite, du § 254, alinéa (2) AO et de la jurisprudence de la Cour administrative, notamment des arrêts du 3 avril 2014 inscrit sous le numéro 33764C du rôle et du 9 juin 2022 inscrit sous le numéro 46415C du rôle, pour affirmer que l’exigence de la justification d’un mandat par le mandataire serait « destinée à protéger le contribuable et non le directeur ». Elle en conclut que le défaut d’un tel mandat ne pourraitêtre valablement soulevé que par le mandant lui-même et ne pourrait, en tout état de cause, pas conduire à l’irrecevabilité d’une réclamation dans le cas où le mandant aurait confirmé l’existence du mandat.

La société demanderesse fait également valoir que l’introduction du présent recours vaudrait comme une ultérieure ratification et réitération de son intention de « cautionner l’introduction de la réclamation ».

A titre subsidiaire, la société demanderesse soutient que le dépôt de la déclaration fiscale rectificative vaudrait réclamation à l’encontre des bulletins d’impôt litigieux, laquelle serait recevable au sens des §§ 228 et 249 AO, dans la mesure où aucun formalisme particulier ne serait nécessaire pour introduire une réclamation. La société demanderesse affirme que la déclaration fiscale rectificative serait sensiblement différente de la déclaration fiscale initiale et serait, par conséquent, à considérer comme contestant les bulletins d’imposition litigieux.

Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse insiste sur le fait qu’un « mandat exprès et spécial » aurait été donné à la société Y et à la société Y pour introduire la réclamation contrairement à ce que soutiendrait le délégué du gouvernement. Pour ce faire, elle se réfère au courrier électronique daté du 8 janvier 2021, par lequel elle aurait formellement mandaté la société Y et la société Y pour contester les bulletins d’impôt litigieux. Elle se réfère également au troisième paragraphe de la lettre du 2 décembre 2020 accompagnant la déclaration fiscale initiale de l’année 2019 émise par la société Y, respectivement par la société Y, lequel ferait mention d’un mandat (« proxy »).

La société demanderesse conteste l’affirmation du délégué du gouvernement suivant laquelle l’écrit du 15 juillet 2021 versé à l’appui de sa réclamation serait inopposable à l’administration. A cet égard, elle s’appuie également sur une attestation testimoniale de Monsieur A datée du 20 décembre 2022, laquelle confirmerait que la société Y, respectivement la société Y, aurait bien reçu mandat oral et écrit de sa part pour introduire la réclamation contre les bulletins d’impôt litigieux, et ce avant l’introduction de ladite réclamation. Elle affirme que la preuve testimoniale serait à déclarer recevable et fondée sur base de l’article 1347, alinéa 1 du Code civil ainsi que de la jurisprudence administrative, en se référant au jugement du tribunal administratif daté du 1er août 2007 inscrit sous le numéro 22361 du rôle.

La société demanderesse conteste ensuite l’affirmation du délégué du gouvernement suivant laquelle le « mandat » qu’elle aurait donné à la société Y, respectivement à la société Y, pour déposer ses déclarations fiscales de l’année 2019 par courrier du 2 décembre 2020, ne comporterait pas également un « mandat » pour déposer la réclamation litigieuse. Elle ajoute qu’un tel « mandat » se dégagerait encore d’un courrier électronique du 8 janvier 2021.

La société demanderesse renvoie encore aux §§ 102 et suivants AO pour soutenir que les règles applicables à la représentation en matière de déclarations fiscales seraient les mêmes que celles applicables en matière de réclamation. Elle argue que l’administration chercherait « par opportunisme » à remettre en cause le mandat dans le cadre de la réclamation et non celui relatif au dépôt de la déclaration fiscale initiale de 2019, compte tenu du « revenu significatif soumis à l’impôt ».

Finalement, la société demanderesse s’empare du § 204 AO pour rappeler que l’administration aurait l’obligation de veiller à ce que l’impôt soit fixé de façon conforme auxdispositions légales et non pas de « maximiser les recettes fiscales », et ajoute que le directeur aurait violé le § 254 AO.

Pour le surplus, la société demanderesse réitère et maintient son argumentation exposée dans sa requête.

Le délégué du gouvernement, de son côté, conclut au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal Avant tout progrès en cause, il y a lieu de souligner qu’en l’espèce, le tribunal est saisi de l’examen de la légalité et du bien-fondé de la décision directoriale du 11 avril 2022 rejetant comme irrecevable la réclamation introduite par la société Y « au nom » de la société demanderesse contre les bulletins d’impôt litigieux, bien que cette dernière se soit référée, dans le cadre de ses écrits, simultanément à la société Y et à la société Y en les désignant par « Y ».

Le tribunal est amené à constater que les parties sont en substance en désaccord quant à savoir si, par le courrier du 16 mars 2021 adressé au directeur par la société Y, sous la signature de Monsieur A, celle-ci a pu valablement introduire une réclamation contre les bulletins d’impôt litigieux au nom de la société demanderesse, et plus précisément, s’il existait, préalablement, voire au jour du dépôt de ladite réclamation, un mandat spécial et exprès accordé par la société demanderesse en faveur de la société Y, respectivement si le dépôt de la déclaration fiscale rectificative de l’année 2019 par la société Y sur la plateforme « MyGuichet » valait comme preuve de l’existence d’un tel mandat et de réclamation.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant.

Le § 238 AO, qui prévoit notamment que le destinataire d’un bulletin d’impôt visé par le § 228 AO ou une décision y assimilée par le § 235 AO est autorisé à introduire une réclamation contre celui-ci, dispose que ledit destinataire peut se faire représenter conformément au § 102, alinéa (2) AO, en vertu duquel les règles du droit civil sont applicables en l’absence de dispositions spécifiques aux §§ 103 à 111 AO1.

A cet égard, l’article 1987 du Code civil distingue entre le mandat spécial pour une affaire ou certaines affaires seulement et le mandat général pour toutes les affaires du mandant, tandis que l’article 1988 du même Code spécifie que le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration et que s’il s’agit d’aliéner ou d’hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès. L’article 1989 précise, en outre, que le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat.

Dans la mesure où l’introduction d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu déclenche un réexamen de l’imposition par les soins du directeur et que ce réexamen peut le cas échéant aboutir, par application du § 243 AO, à une décision qui est au détriment de celui qui a introduit la réclamation (« Sie können die Entscheidung auch zum Nachteil dessen, der das Rechtsmittel eingelegt hat, ändern.»), l’introduction d’une réclamation est à 1 Trib. adm., 20 juillet 2009, n°25156 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°1141 et autres références y citées. considérer comme excédant un simple acte d’administration, de sorte à requérir l’établissement d’un mandat exprès2.

Dès lors, l’acte d’introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l’imposition revue, le cas échéant, in pejus, présentant un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l’intéressé, une procuration afférente doit être expresse et spéciale et renseigner clairement l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise3.

En l’espèce, il est constant que la société Y, sous la signature de Monsieur A, a introduit, pour le compte de la société demanderesse, un courrier de réclamation daté du 16 mars 2021 et qu’aucun mandat ad litem n’a été joint audit courrier.

Aux termes du § 254, alinéa (2) AO suivant lequel « Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen ». Le § 107, alinéa (6) AO ajoute que « Hat eine Steuerverwaltungsbehörde oder ein Verwaltungsgericht (…) jemanden als Bevollmächtigten oder als Beistand zurückgewiesen, so ist das, was der Zurückgewiesene trotz der Zurückweisung schriftlich oder mündlich in Sachen eines anderen vorbringt, ohne steuerrechtliche Wirkung.». Dès lors, l’administration est en droit d’inviter l’auteur d’une réclamation à produire devant elle une procuration documentant qu’à la date de l’introduction de la réclamation, le signataire de celle-ci fut investi d’un mandat valable. L’administration est, par ailleurs, en droit de ne pas reconnaître la justification du mandat lui soumise. Il s’ensuit que le moyen de la société demanderesse selon lequel le défaut de mandat ne pourrait être valablement soulevé que par le mandant laisse d’être fondé et encourt le rejet. Il en est de même du moyen tiré d’une violation du § 254, alinéa (2) AO par le directeur.

En l’espèce, l’administration a usé de cette prérogative en adressant le 16 juin 2021 un courrier à Monsieur A, employé de la société Y et signataire de ladite réclamation, l’invitant à lui soumettre une procuration documentant que, à la date de l’introduction de la réclamation, en l’occurrence le 16 mars 2021, il était investi d’un mandat ad litem valable. Le directeur a par la suite déclaré irrecevable la réclamation, faute de qualité du mandataire.

Le tribunal ne saurait pas en conséquence suivre l’argument avancé par la société demanderesse, selon lequel le directeur aurait implicitement reconnu l’existence du mandat, sous prétexte qu’il aurait directement communiqué avec le mandataire par son courrier du 16 juin 2021 afin d’obtenir une copie du mandat, alors que l’administration s’est limitée à faire application du § 254, alinéa (2) AO précité en sollicitant une justification du mandant, une telle demande ne pouvant précisément pas s’analyser en reconnaissance implicite, mais plus particulièrement en vérification. De sorte que le moyen afférent de la société demanderesse est également à rejeter.

Il convient, ensuite, de relever que le contribuable est en droit de produire matériellement une procuration, même suite à la demande du directeur, en vue de la soumission d’une preuve écrite du mandat dans le chef de celui qui a introduit une réclamation. Néanmoins ce mandat doit avoir existé dès l’introduction de la réclamation auprès du directeur et cette 2 Ibidem.

3 Trib. adm., 1er octobre 2001, n°12879 du rôle confirmé par Cour adm., 29 janvier 2002, n°14152C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°1142 (1er volet) et autres références y citées.antériorité au dépôt de la réclamation, voire l’intention de ratifier un tel acte déjà accompli, doit ressortir clairement du libellé de la procuration émanant du contribuable concerné4.

Il s’ensuit que la seule circonstance qu’une procuration écrite n’est produite qu’après l’introduction de la réclamation n’entraîne pas ipso facto l’irrecevabilité de la réclamation pour défaut de mandant, le réclamant étant en droit d’établir, même ex post, l’existence d’un mandat au jour de l’introduction de la réclamation.

Par ailleurs, dans le cadre du recours sous analyse, le tribunal est saisi d’un recours en réformation lequel est l'attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l'administration, sur tous les aspects d'une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu'il la confirme ou qu'il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l'administration a prise sur base d'une situation de droit et de fait telle qu'elle s'est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, mais elle l'appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l'administration et des administrés concernés5 .

Dès lors que le mandataire d’un contribuable doit prouver l’existence d’un mandat spécial et exprès au moment de l’introduction de la réclamation pour le compte de son mandant, le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en réformation, peut prendre en compte des pièces qui n’étaient pas à la disposition du directeur au moment où ce dernier a pris sa décision, sous condition que le mandat versé pendant la phase contentieuse ait été antérieur à l’introduction de la réclamation litigieuse6.

En l’espèce, il est constant qu’au moment de la prise de sa décision, le directeur n’avait à sa disposition que la procuration du 15 juillet 2021 lui transmise par courrier réceptionné le 6 août 2021 aux termes de laquelle Monsieur … en sa qualité de « manager », représentant la société demanderesse, a donné procuration (« granted proxy and having empowered »), notamment à Monsieur A en sa capacité d’employé auprès de la société Y pour « in accordance with paragraphs 107, 238 and 254 of the Luxembourg General Tax Law of May 22, 1931 (Loi générale des impôts du 22 mai 1931), as amended from time to time, in the scope of any operation, request, or exchange of email, conference call and mail with the Luxembourg tax authorities, including the filing of a claim (réclamation), in relation with the tax assessments issued on 16 December 2020 and related to (i) corporate income tax 2019 (bulletin de l'impôt sur le revenu des collectivités 2019), (ii) municipal business tax 2019 (bulletin de l'impôt commercial communal 2019), (iii) the determination of the unitary value as of 1 January 2020 (bulletin d'établissement de la valeur unitaire au 1.1.2020) and (iv) net wealth tax as of 1 January 2020 (bulletin de l'impôt sur a fortune au 1.1.2020) », étant relevé que ni la qualité de gérant de la société demanderesse de Monsieur …, ni le fait que Monsieur A, en sa fonction d’employé de la société Y, « mandataire » désigné, ait signé la réclamation litigieuse7, ni 4 Trib. adm., 1er octobre 2001, n°12879 du rôle, confirmé par Cour adm., 29 janvier 2002, n°14152C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°1142 (1er volet) et les autres références y citées.

5 Cour adm. 6 mai 2008, n°23341 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 (1er volet) et les autres références y citées.

6 En ce sens: Trib. adm., 16 juin 1999, n°10724 du rôle, confirmé par Cour. adm., 21 décembre 1999, n°11382C (1er volet) du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°1135 et autres références y citées.

7 En ce sens : Cour adm., 3 octobre 2023, n°48681C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.encore les termes précis de cette procuration n’ont été contestés par le délégué du gouvernement, les parties étant uniquement en désaccord quant à la date de prise d’effet de ladite procuration. La partite étatique ne s’oppose pas non plus à l’admissibilité du « mandat » litigieux du 16 juillet 2021 au motif qu’il a, tel que cela ressort des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, été transmis après le délai du 16 juillet 2021 fixé par le directeur.

Or, la procuration du 15 juillet 2021, telle qu’elle est libellée, ne permet pas de confirmer l’existence d’un mandat oral ou écrit au jour de l’introduction de la réclamation soit le 16 mars 2021. En effet, l’indication suivant laquelle la procuration aurait été « Executed on 15 July 2021 with the effective date as at 16 December 2020 », ne permet pas a priori de retenir qu’elle confirmerait l’existence d’un mandat, le cas échéant oral comme soutenu par la société demanderesse, antérieur, sinon à la date de l’introduction de la réclamation, mais impose d’avantage le constat que la procuration vise à conférer un mandat à la date du 15 juillet 2021 rétroactivement au 16 décembre 2020 qui, partant, n’existait pas au jour de l’introduction de ladite réclamation, antérieure en date. Si la société demanderesse peut tenter de se prévaloir de l’existence d’un mandat oral antérieur à sa réclamation, encore faut-il qu’elle en rapporte la preuve, ce qu’un écrit établi le 15 juillet 2021, soit près de 4 mois après l’introduction de la réclamation, ne saurait justement démontrer, d’autant plus compte tenu des effets rétroactifs au 16 décembre 2020 qu’il entend conférer.

Il s’ensuit qu’au regard des éléments à la disposition du directeur au moment de la prise de sa décision, sa conclusion, à laquelle le tribunal se rallie, que l’existence d’un mandat antérieurement à, sinon au jour de, l’introduction de la réclamation n’était pas établie n’est pas critiquable. Cette conclusion n’est énervée ni par le fait que ladite procuration aurait été signée par l’un des gérants de la société demanderesse dûment habilité à engager la société demanderesse conformément à ses statuts, ni par les résolutions du procès-verbal du conseil de gérance de la société demanderesse (« board of managers ») datées du 8 juillet 2022 et versées en cause lesquelles, en substance, ratifient l’introduction de la réclamation contre les bulletins d’imposition litigieux. Ces résolutions sont, par la force des choses postérieures à l’introduction de la réclamation de sorte qu’elles ne sauraient pas établir l’existence d’un mandat exprès et spécial au jour de l’introduction de la réclamation.

A l’appui du présent recours, la société demanderesse a versé des éléments nouveaux pour tenter de démontrer les circonstances dans lesquelles un mandat verbal aurait été donné à la société Y préalablement à la réclamation, voire au jour de son introduction.

La société demanderesse se prévaut, tout d’abord, d’une attestation testimoniale datée du 20 décembre 2022 émise par Monsieur A, employé de la société Y.

A cet égard, il convient de rappeler qu’en matière administrative, notamment en ce qui concerne les impôts directs, le régime des preuves est marqué par les principes de la liberté dans l’administration de la preuve par rapport au fait matériel ou juridique à prouver et de la liberté de l’administration dans l’appréciation des preuves fournies8.

Il s’ensuit qu’il incombe au tribunal d’apprécier, en tenant compte du contexte et des pièces versées au dossier, de la valeur probante de l’attestation testimoniale de Monsieur A.

8 Cour adm., 9 août 2017, n°38876 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.Ensuite, force est au tribunal de constater que le contenu de l’attestation testimoniale de Monsieur A concorde avec celui des autres pièces versées en cause, notamment les courriers électroniques datés du 8 janvier 2021 et du 22 janvier 2021 adressés par la société demanderesse à la société Y, les courriers électroniques datés du 16 mars 2021 adressés par la société Y à la société demanderesse ainsi que la facture émise par la société Y à l’intention de la société demanderesse le 17 juin 2021. Aucune de ces pièces ne mentionne qu’un quelconque mandat aurait été accordé par la société demanderesse à la société Y pour introduire, en son nom, une réclamation contre les bulletins d'impôts litigieux. Ces pièces attestent tout au plus que la société Y a été mandatée par la société demanderesse pour préparer et pour déposer, en son nom, une déclaration fiscale rectificative pour l’année 2019 (« rectified 2019 CTR »), ce qui ne constitue pas un mandat exprès et spécial pour introduire une réclamation.

Dans l’attestation testimoniale sous examen, Monsieur A fait valoir que : « […] dans la continuité des instructions qui nous ont été données dès le 8 janvier 2021 (15h17) et réitérées oralement à plusieurs occasions (à savoir « de tenter toute ce qui était possible auprès de l’Administration des Contributions Directes »), nous avons estimé avoir été dûment et très spécifiquement mandaté par la Société pour procéder au e-dépôt des Déclarations Fiscales et adresser dans le même temps le courrier de réclamation contre les Bulletins auprès de l’Administration des Contributions Directes dont une copie a été adressée à la société. […] ».

C’est tout d’abord à tort que la société demanderesse veut faire croire que le fait de donner pouvoir de «[…] tenter toute ce qui était possible auprès de l’Administration des Contributions Directes […]» à un mandataire engloberait également le pouvoir d’introduire une réclamation. Une telle manière de procéder reviendrait à admettre qu’un mandat pour l’introduction d’une réclamation soit conféré de manière implicite, ce qui contrevient aux articles 1987 et1988 du Code civil.

La société demanderesse se prévaut, ensuite, des contrats, intitulés « assignment letter » et « framework agreement », tous deux conclus avec la société Y en date du 29 novembre 2017, desquels il ressort qu’à partir de cette date, la société demanderesse a donné mandat à la société Y notamment pour « [t]he preparation of the letter to the VAT authorities requesting the modification of the VAT filing periodicity for the past ; [t]he preparation of the VAT de-

registration form in case of simplification of the structure. ».

Or, force est au tribunal de constater que cette pièce ne peut être considérée comme pertinente pour démontrer l’existence d’un mandat spécial et exprès en faveur de la société Y pour le dépôt d’une réclamation contre les bulletins d’impôts litigieux. En effet, outre le fait que les parties aux contrats susmentionnés sont la société demanderesse et la société Y et non la société Y, l’objet du mandat conféré par lesdits contrats est étranger à l’objet du présent recours à plusieurs égards. Ainsi, il porte notamment sur la matière de la TVA et le blanchiment d’argent et non points sur les impôts directs et il concerne des années d’imposition différentes de celles qui sont litigieuses en l’espèce (« […] [o]ur assistance would cover : - The preparation of the letter of the VAT authorities requesting the modification of the VAT filing periodicity for the past; - The preparation of the VAT de-registration form in case of simplification of the structure. […] »). Ledit document n’est pas à considérer comme conférant un mandat à la société Y pour l’introduction d’une réclamation contre des bulletins d’imposition litigieux pour l’année 2019, de sorte que le moyen afférent soulevé par la société demanderesse est à rejeter.

La société demanderesse se prévaut d’une lettre de la société Y, intitulée « [c]orporate tax returns for the year ending 31 December 2019 », émise en date du 2 décembre 2020, laquelle énonce « […] [w]e would like to inform you that claims against tax assessments received can be filed, under the form of a letter, with a period of 3 months (following their receipt/notification) with the Director of the LTA. If you receive any assessments, we would recommend that you forward the assessments to us immediately so that we may review and enter any appeals required. Please note that the decision taken by the Director, following the claim, can be appealed by a “reformation” claim, to be filed with another period of 3 months with the Administrative tribunal. ».

Force est au tribunal de constater que cette lettre de la société Y a été envoyée à l’attention de la société demanderesse à titre d’information générale seulement sans qu’il ne soit invoqué ni a fortiori établi que la société demanderesse y ait répondu ou pris position de quelque manière que ce soit, de sorte qu’elle ne peut donc en aucun cas démontrer l’existence d’un mandat spécial et exprès octroyé par la société demanderesse à la société Y à cette date pour introduire une réclamation contre les bulletins d’impôts litigieux, de sorte que le moyen afférent soulevé par la société demanderesse est à rejeter.

En l’espèce, le tribunal se doit de constater que la société demanderesse est restée en défaut de préciser et de prouver la date et les circonstances exactes dans lesquelles un mandat verbal pour le dépôt, en son nom, d’une réclamation contre les bulletins d’imposition litigieux aurait été donné à la société Y.

Concernant l’affirmation de la société demanderesse selon laquelle l’introduction du recours sous analyse serait à considérer « […] comme une ultérieure ratification et réitération de [son] intention de cautionner l’introduction de la réclamation. […] », il convient de constater que le recours contentieux ne peut pas valoir a posteriori comme preuve d’un mandat ayant déjà existé au plus tard au jour de l’introduction de la réclamation auprès du directeur, compte tenu de l’absence de preuve qu’un quelconque mandat oral aurait été donné par la société demanderesse à la société Y, tel que retenu ci-avant, de sorte que le moyen afférent soulevé par la société demanderesse est à rejeter.

En dernier lieu et contrairement à ce qu’affirme la société demanderesse, le seul fait que la société Y ait, le jour de l’introduction de la réclamation litigieuse, soit le 16 mars 2021, déposé en parallèle sur la plateforme « MyGuichet », une déclaration fiscale rectificative au titre de l’année 2022 litigieuse n’est pas de nature à démontrer l’existence d’un quelconque mandat exprès et spécial ayant existé à cette date. En effet, d’abord, le simple dépôt d’une déclaration fiscale rectificative dépourvu de toute précision ou indication supplémentaire ne saurait valoir, à lui seul, de réclamation. Ensuite, et en tout état de cause, celui-ci ne saurait intervenir postérieurement à l’émission du bulletin d’imposition de l’année auquel la déclaration fiscale rectificative se rapporte9, puisque dans une telle situation, l’intéressé ne peut que soit introduire une réclamation contre ledit bulletin d’imposition, laquelle emporte un effet dévolutif général, soit déposer une demande de modification ponctuelle du bulletin d’impôt critiqué, laquelle autorise le bureau d’imposition à réexaminer et à décider à nouveau sur le seul point litigieux10.

9 Trib. adm., 7 octobre 1998 n°10450 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

10 A. Steichen, Manuel de droit fiscal, 6e éd., Legitech, 2023, point 219 p. 213 et point 313 p. 306.Par ailleurs si, la déclaration fiscale rectificative de l’année 2019 a également été annexée à la réclamation datée du 16 juin 2021, force est au tribunal de constater que ladite déclaration fiscale rectificative était manifestement destinée à être examinée conjointement avec ladite réclamation et non constituer une réclamation en soi, de sorte que le moyen afférent soulevé par la société demanderesse est à rejeter.

Il suit de l’ensemble des développements qui précèdent qu’à défaut de preuve de l’existence d’un mandat conféré à la société Y au jour de l’introduction par cette dernière de la réclamation en cause voire antérieurement, c’est à bon droit que la décision du directeur du 11 avril 2022 a déclaré la réclamation introduite par la société Y, sous la signature de Monsieur A, le 16 mars 2021 irrecevable faute de qualité, de sorte qu’à défaut d’autres moyens, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

3) Quant à la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure Au vu de l’issue du litige, la demande telle que formulée par la société demanderesse dans le dispositif de sa requête introductive d’instance, tendant à se voir octroyer une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, est rejetée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 11 avril 2022 ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la société demanderesse ;

condamne la société demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 27 septembre 2024 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 47685
Date de la décision : 27/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-09-27;47685 ?

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