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27/09/2024 | LUXEMBOURG | N°47151

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2024, 47151


Tribunal administratif N° 47151 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47151 5e chambre Inscrit le 9 mars 2022 Audience publique du 27 septembre 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée A, …, contre des bulletins de l’administration des Contributions directes, en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt sur le revenu des capitaux

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47151 du rôle et déposée au greffe du tri

bunal administratif le 9 mars 2022 par Maître Perrine LAURICELLA, avocat à la Cour, inscrite a...

Tribunal administratif N° 47151 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47151 5e chambre Inscrit le 9 mars 2022 Audience publique du 27 septembre 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée A, …, contre des bulletins de l’administration des Contributions directes, en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt sur le revenu des capitaux

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47151 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2022 par Maître Perrine LAURICELLA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée A, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonction, tendant à la réformation, sinon à l’annulation (i) des bulletins de la retenu d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2015 et 2016 ; des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2015 et 2016 et des bulletins de l’impôt commercial 2015 et 2016, tous émis le 24 mars 2021 ainsi que (ii) d’une « décision de refus implicite de Monsieur le Directeur de l’Administration des contributions directes en matière d’impôt tiré du silence gardé pendant une période de six mois après le dépôt d’une réclamation en date du 25 mai 2021 » ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 9 juin 2022 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les actes critiqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Dilara CELIK en remplacement de Maître Perrine LAURICELLA et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 mai 2024.

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Suite au dépôt des déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités, l’impôt commercial et l’impôt sur la fortune des collectivités résidentes des années 2015 et 2016, réceptionnées le 30 décembre 2016, respectivement le 29 décembre 2017, par le bureau d’imposition …-sur-Alzette de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », ce dernier effectua en date du 15 mars 2019 un « contrôle sur place » au siège de la société à responsabilité limitée A, désignée ci-après par « la société A », portant sur les années d’imposition 2015 et 2016. Par courrier du même jour, le bureau d’imposition informa la société A, sur le fondement du § 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », qu’il envisageait de dévier des déclarations fiscales telles que déposées par ladite société, tout en l’invitant à formuler ses éventuelles objections de façon écrite jusqu’au 29 mars 2019. Ledit courrier est formulé comme suit :

« (…) En exécution du § 205 (3) de la loi générale des impôts, je vous informe qu’après avoir examiné les déclarations fiscales de votre société, le bureau d’imposition … a l’intention d’effectuer les redressements suivants :

Pour l’année 2015 :

Augmentation des recettes : … euros Pour l’année 2016 :

Augmentation des recettes : … euros (marge largement inférieure à la marge bénéficiaire comparable de la branche) Ces majorations sont considérées comme distributions cachées de bénéfice tombant sous la coupe de l’article 164, alinéa 3 L.I.R., avec une retenue d’impôt sur revenus de capitaux de 15%. (…) ».

Par courrier du 25 mars 2019 la société A répondit au courrier précité du bureau d’imposition que « (…) les distributions cachées de bénéfice visées par l’article 164, alinéa 3 de la loi précitée existent uniquement si un associé reçoit directement ou indirectement d’une société des avantages qui s’analysent pour dernière en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l’associé n’aurait pas pu obtenir en l’absence de ce lien.

Aussi, aux termes de l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives : « la preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable. » Il appartient dès lors à votre Administration de démontrer l’existence d’une distribution cachée de bénéfices. Votre Administration ne peut pas se contenter de justifier l’opération de correction qu’elle entend entreprendre comme indiquant simplement comme elle le fait :

« marge largement inférieure à la marge bénéficiaire comparable de la branche. » En effet, il appartient à votre Administration de relever des éléments dans le patrimoine des associés de la société qui pourraient laisser croire en l’existence d’une distribution cachée de bénéfices, tel que par exemple un accroissement inexpliqué de la fortune des associés.

Ceci n’en est rien.

La société est tout juste viable, c’est tout.

Ma mandante vous remercie de ne pas corriger les bilans qui vous ont été présentés alors que ces bilans reflètent de manière honnête et transparente sa situation économique. (…) ».

Par courrier du même jour, le bureau d’imposition le bureau d’imposition répondit à la société A dans les termes suivants : « Faisant suite à votre lettre du 25 mars 2019 et en complément à ma lettre du 15 mars 2019, je me permets de vous faire parvenir le détail des calculs des marges bénéficiaires pour les années 2015 et 2016.

2 En outre, je rends votre attention sur le fait, que d’après le registre de commerce et des sociétés (mémorial C n°2433 du 29.09.2012), l’intégralité du capital de la société A est détenue par Monsieur X et que le dernier bilan publié correspond à l’année 2014.

Je vous prie de bien vouloir me faire parvenir votre avis au sujet des redressements envisagés pour le 5 avril 2019 au plus tard, faute de quoi le bureau d’imposition procédera d’office aux redressements indiqués dans la lettre du 15 mars 2019.

Il est à noter que la réponse doit être fournie par écrit soit par le contribuable lui-

même, soit par une personne physique dûment mandatée. (…) ».

Par courrier de son litismandataire, daté au 25 mars 2019, mais envoyé par téléfax le 27 mars 2019, la société A contesta le détail des calculs des marges bénéficiaires pour les années 2015 et 2016, lui transmis par le bureau d’imposition en reprochant à ce denier de ne pas prendre en considération le fait qu’elle louerait des chambres en incluant « dans le paiement du loyer des frais de bouche ». Ces locataires seraient « en effet nourris et logés » par elle, de sorte que le bureau d’imposition ne pourrait pas « mettre en compte des recettes supplémentaires liées aux dépenses de restauration alors que ces recettes ont été déclarées dans les loyers » qu’elle aurait perçus.

Par un courrier du 26 février 2021, le bureau d’imposition informa de nouveau la société A, sur le fondement du § 205, alinéa (3) AO, qu’il envisageait de dévier de ses déclarations fiscales, tout en l’invitant de nouveau à formuler ses éventuelles objections de façon écrite, cette fois-ci jusqu’au 12 mars 2021 au plus tard. Ledit courrier est libellé comme suit :

« (…) En exécution du § 205 (3) de la loi générale des impôts, je vous informe qu'après avoir examiné les déclarations fiscales ainsi que la comptabilité pour les années 2015 et 2016 de votre société, le bureau d'imposition … a l'intention d'effectuer les redressements suivants :

Pour l'année 2015 :

Augmentation des recettes : … euros Pour l'année 2016:

Augmentation des recettes : … euros Suite au contrôle fiscal effectué pour les années 2015 et 2016, il a été constaté entre autre, que :

-un livre de caisse n'était pas dressé ; les relevés journaliers de la caisse enregistreuse ont été détruits et seulement une partie des relevés mensuels ou trimestriels ont été présentés pour effectuer le contrôle fiscal dans le compte (516010) Caisse Luxembourg on ne retrouve que d'inscriptions au 01/2015, 12/2015 et 12/2016 --L'inobservation des prescriptions prévues par le §162 AO fait perdre à la comptabilité son caractère régulier. La tenue journalière soignée, voire consciencieuse et 3 exacte, du compte caisse est indispensable et permet de vérifier la régularité de la comptabilité et notamment la comptabilisation continue, exacte et claire des ventes en numéraire. (La non-

observation des pièces justificatives sur les recettes en numéraire rend pratiquement impossible l'appréciation de la sincérité des écritures concernant ces opérations.) Un livre de caisse en bonne et due forme n'a pas été tenu. Les données journalières de la caisse enregistreuse étant inaccessibles, il n'existe pas de documents et pièces valables prouvant les recettes effectivement réalisées. La personne responsable du contrôle est d'avis que les irrégularités constatées sont d'une gravité suffisante pour compromettre la force probante des écritures comptables. Elles entraînent le rejet de la comptabilité et l'évaluation du bénéfice conformément au §2017 AO.

Ces majorations sont considérées comme distributions cachées de bénéfice tombant sous la coupe de l'article 164, alinéa 3 L.I.R., avec une retenue d'impôt sur revenus de capitaux de 15%. (…) ».

En date du 24 mars 2021, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société A les bulletins de la retenu d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2015 et 2016, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2015 et 2016 et les bulletins de l’impôt commercial 2015 et 2016. Les bulletins d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2015, respectivement 2016, indiquèrent : « Augmentation des recettes : … euros [respectivement « … euros »] Suivant notre lettre du 26 février 2021 : Evaluation du bénéfice conformément au paragraphe 217 AO », tandis que les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2015 respectivement 2016 indiquèrent : « Distribution cachée de bénéfice, voir explications sur le bulletin de la retenue sur les revenus de capitaux ».

Par courrier de son mandataire daté du 25 mai 2021, la société A fit introduire auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une réclamation à l’encontre desdits bulletins de la retenu d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2015 et 2016, des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2015 et 2016 et des bulletins de l’impôt commercial 2015 et 2016. Cette réclamation ne connut pas de suites de la part du directeur.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2022, la société A fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins d’imposition précités, ainsi que d’une « décision de refus implicite de Monsieur le Directeur de l’Administration des contributions directes en matière d’impôt tiré du silence gardé pendant une période de six mois après le dépôt d’une réclamation en date du 25 mai 2021 ».

1. Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Le délégué du gouvernement se rapporte à la prudence du tribunal en ce qui concerne la recevabilité du recours en la forme, tout en concluant à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation au motif qu’une telle voie ne serait ouverte que dans les matières où la loi n’organise pas d’autre recours.

Le fait, pour une partie de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation.

S’agissant, tout d’abord, de la compétence du tribunal pour statuer sur le recours sous analyse, force est de souligner que conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation desjuridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », il est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’imposition, étant encore précisé qu’un recours contre un bulletin d’imposition n’est prévu à l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la même loi que dans l’hypothèse où une réclamation a été introduite par le contribuable et qu’aucune réponse n’est intervenue dans un délai de six mois.

Il est constant en cause que suite à la réclamation introduite le 25 mai 2021 par la société A auprès du directeur contre les bulletins de l’impôt litigieux émis le 24 mars 2021, aucune décision directoriale n’est intervenue.

Force est dès lors de constater que le tribunal est en tout état de cause compétent pour connaître du recours principal en réformation en ce qu’il est dirigé contre les bulletins de la retenu d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2015 et 2016, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2015 et 2016 et les bulletins de l’impôt commercial 2015 et 2016. Ledit recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

En ce qui concerne, ensuite la question de la recevabilité du recours principal en réformation sous analyse pour autant qu’il vise une prétendue décision de refus implicite du directeur, qualifiée comme telle, force est de constater que s’il est exact que l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi du 7 novembre 1996 dispose : « Lorsqu’une réclamation au sens du §228 de la loi générale des impôts […] a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant […] peu[t] considérer la réclamation […] comme rejetée […] et interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation […] » et reprend ainsi textuellement l’article 4, paragraphe (1) de la même loi, à savoir « les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée », disposition dont découle une décision implicite de refus, il n’en demeure pas moins qu’il résulte des documents parlementaires que le législateur n’a pas prévu la création d’une décision implicite de refus en cas de silence du directeur suite à l’introduction d’une réclamation contre un bulletin d’impôt1. Par voie de conséquence, le tribunal est amené à conclure que l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », et non pas contre une décision implicite de refus du directeur2.

Dans la mesure où aucune décision directoriale n’a été adoptée par l’effet du silence de plus de six mois après l’introduction de la réclamation, le recours sous analyse est irrecevable pour défaut d’objet pour autant qu’il est dirigé contre une prétendue décision implicite de refus du directeur.

1 Voir doc. parl. 3940A, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p. 5, ad (3) 3.: « Par opposition au domaine administratif, le silence de l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. (…) Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée ».

2 Trib. adm. 25 novembre 1998, n° 10308 à 10311 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n°129 et les autres références y citées.

2. Quant au fond Arguments des parties A l’appui de son recours la société demanderesse expose les faits et rétroactes tels que repris ci-avant. Elle reproche ensuite au bureau d’imposition d’avoir procédé à une évaluation de ses bénéfices par voie de taxation d’office en application du § 217 AO au motif que sa comptabilité serait irrégulière. Elle conteste plus particulièrement que les « irrégularités présentes dans la comptabilité (…) justifient une telle taxation ». Ainsi, le bureau d’imposition aurait indiqué opérer un nouveau calcul de la marge au seul motif que la marge serait largement inférieure à la marge bénéficiaire comparable à la branche. Le bureau d’imposition aurait visé la revente des produits alimentaires en lui reprochant de ne pas faire une marge qu'elle jugerait raisonnable sur la revente desdits produits. Toutefois, selon la société demanderesse, ces produits seraient proposés à sa clientèle sous forme de pension complète, puisqu’elle louerait des chambres situées au-dessus du café. De cette manière, les produits ne feraient pas l'objet d'une revente directe, raison pour laquelle la marge réalisée serait « peut-être en-deçà » de celle des autres établissements. La société demanderesse explique avoir adressé un courrier au bureau d’imposition présentant un bilan intermédiaire réalisé lors de la fermeture de l'établissement durant la crise sanitaire en retenant deux méthodes. Cette analyse démontrerait que sa situation ne pourrait pas être assimilée à celle d'un établissement de débit de boissons.

En tout état de cause, les irrégularités observées en 2021 par le bureau d’imposition n’auraient aucun lien avec la proposition de redressement annoncée en 2019. La société demanderesse affirme encore avoir soumis l'intégralité des extraits bancaires au bureau d’imposition et proposé de les verser de nouveau pour l’hypothèse où ils auraient été égarés.

La société demanderesse conclut que le bureau d’imposition n’aurait eu aucune raison d’écarter sa comptabilité au motif qu’elle serait irrégulière.

La société demanderesse conteste ensuite le quantum des marges retenues par voie de taxation. Elle argumente que le bureau d’imposition aurait augmenté de manière totalement arbitraire les marges réalisées, sans justifier cette augmentation, de sorte à commettre un abus de pouvoir.

En dernier lieu, elle conteste l’existence d’une distribution cachée de bénéfices selon l’article 164, alinéa (3) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, désignée ci-après la « LIR », en expliquant qu’il n’y aurait distribution cachée de bénéfices seulement si un associé reçoit directement ou indirectement d'une société des avantages qui s'analysent pour cette dernière en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l'associé n'aurait pas pu obtenir en l'absence de ce lien. La preuve de l’existence d’une telle distribution cachée de bénéfices appartiendrait au bureau d’imposition selon l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 » et il ne suffirait pas à cet égard d’indiquer que la marge serait « largement inférieure à la marge bénéficiaire comparable de la branche. ». En l’espèce, le bureau d’imposition serait toutefois resté en défaut de rapporter une telle preuve de sorte qu’aucune distribution cachée de bénéfices ne pourrait être retenue.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal La société demanderesse reproche en substance au bureau d’imposition d’avoir qualifié sa comptabilité d’irrégulière, suite à un contrôle sur place, d’avoir en conséquence évalué ses bénéfices par voie de taxation d’office, d’avoir procédé à une majoration desdits bénéfices et d’avoir retenu une distribution cachée de bénéfices à hauteur de ces majorations, tout en appliquant une retenue de quinze pourcents.

Les parties sont donc d’abord en désaccord sur la question de la régularité de la comptabilité présentée par la société demanderesse, et corollairement sur l’évaluation des marges bénéficiaires par voie de taxation d’office ayant abouti à une augmentation des marges.

Force est au tribunal de constater que l’un des cas d’ouverture d’une taxation d’office constitue la présence d’une comptabilité irrégulière quant à la forme ou quant au fond.

• Quant à la question de la régularité de la comptabilité En matière de fiscalité directe, les §§ 162 à 165 AO imposent la tenue d’une comptabilité régulière et complète quant à la forme et quant au fond.

Ainsi, la comptabilité est régulière quant à la forme lorsqu’elle est agencée de façon claire et ordonnée, de façon à faciliter toute recherche et tout contrôle. Même si aucun texte légal n’impose l’obligation précise de porter sur des pièces comptables les informations quant à la date de leur comptabilisation et aux comptes débités et crédités, il n’en reste cependant pas moins que la nécessité de ces renseignements découle de l’exigence de clarté d’une comptabilité. En effet, les écritures comptables doivent être appuyées par des pièces justificatives devant être conservées, de manière que l’exercice utile de leur pouvoir de vérification par les dirigeants de l’entreprise et les vérificateurs de la comptabilité, dont l’administration fiscale, implique que le rapprochement entre l’enregistrement comptable et la pièce justificative afférente puisse être fait avec aisance, ce qui implique que pour tout enregistrement comptable les références des pièces justificatives qui l’appuient doivent être indiquées. En outre, les écritures doivent être appuyées par des pièces justificatives qui doivent être conservées afin de permettre l’examen de la validité des enregistrements et des pièces justificatives à leur base3.

Une comptabilité est régulière quant au fond lorsqu’elle renvoie une image fidèle et complète de la situation financière de l’entreprise. A cette fin, elle doit respecter les principes généraux comptables tels que les principes de continuité, de constance, de spécificité des exercices, de non-compensation, de comptabilisation des charges et produits et de prudence4.

Le § 162 AO dispose notamment en son alinéa (2) que: « Die Eintragungen in die Bücher sollen fortlaufend, vollständig und richtig bewirkt werden. Der Steuerpflichtige soll sich einer lebenden Sprache und der Schriftzeichen einer solchen bedienen ». Cette disposition consacre ainsi le principe de la comptabilisation continue qui implique la comptabilisation chronologique des opérations et ce dans un délai rapproché après leur survenance, ainsi que le principe de vérité qui impose l’enregistrement approprié de toutes les opérations.

3 Cour adm. 15 janvier 2019, n° 41547C, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 956 (2e volet) 4 Cour adm. 14 août 2019, n° 42249C et 42318C, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 956 (2e volet)Le § 208, alinéa (1) AO instaure une présomption de régularité en faveur de toute comptabilité tenue conformément aux principes énoncés au § 162 AO dès lors qu’il n’existe aucune raison particulière d’en contester la régularité au fond.

Or, eu égard au faisceau d’indices concordants relevés par les agents de l’administration des Contributions directes, il convient de relever que le bureau d’imposition était fondé à remettre en cause la régularité formelle de la comptabilité de la société demanderesse au vu des manquements manifestes aux exigences de clarté et de sincérité des écritures comptables posées par le § 162 AO.

Ainsi, il ressort du rapport concernant le contrôle sur place effectué le 15 mars 2019 par un agent du bureau d’imposition auprès de la société demanderesse, en ce qui concerne l’année 2015, notamment (i) qu’aucune périodicité de la comptabilité n’a pu être relevée, qu’aucun inventaire du stock de marchandises n’a été effectué et que le stock au 31 décembre 2015 était « assez élevé », (ii) qu’aucun livre de caisse n’a été tenu par la société demanderesse pour les années d’imposition litigieuses, (iii) que les enregistrements journaliers de la caisse étaient jetés à la poubelle à la fin du mois après un contrôle par l’associé unique et que le relevé du mois de janvier faisait défaut, de même qu’il n’y avait pas d’impression pour tous les mois, (iv) que le compte caisse ne renseignait des inscriptions qu’aux mois de janvier et décembre 2015 et, (v) que des comptabilisation globales pour encaissement de loyer en liquide ont été effectuées, sans être documentées par des pièces justificatives. Le même rapport indique qu’aucun détail n’a été fourni quant aux recettes issues de la location de chambres et que les extraits bancaires des comptes de la société demanderesse auprès de la banque … ainsi qu’auprès de la banque …, erronément indiqué comme banque …, n’ont malgré plusieurs rappels, pas été présentés. Par ailleurs, selon le rapport, aucune comptabilisation relative à des tickets de caisse remis en vrac dans une farde en plastique à l’agent du bureau d’imposition n'a pu être trouvée. Le rapport précise encore que la variation au niveau de la marge déclarée pour les années 2010 à 2015 serait fort improbable. Enfin, ledit rapport fait état d’un manque de coopération de la part de l’associé de la société demanderesse ainsi que de sa fiduciaire.

Le même rapport relève qu’en ce qui concerne l’année 2016 (i) l’absence d’un livre de caisse, (ii) l’inventaire du stock de marchandises, (iii) l’absence d’inscription des recettes de location, (iv) les comptes bancaires, ainsi que (v) les tickets de caisse figurant dans une farde en plastique, les mêmes annotations que celles faites pour l’année 2015 s’imposaient. De même, en ce qui concerne les marges déclarées pour l’année 2016, le rapport renvoie à ses conclusions relatives à l’année 2015. Enfin, il indique que des factures du fournisseur « … » auraient été comptabilisées comme frais.

Face aux nombreuses irrégularités ainsi relevées par le bureau d’imposition au niveau de la comptabilité de la société demanderesse pour les années 2015 et 2016, cette dernière se limite à affirmer que ces irrégularités ne pourraient pas justifier une taxation d’office, sans pour autant contester l’existence de telles irrégularités ni a fortiori établir la régularité de la comptabilité, pièces à l’appui. Force est dès lors au tribunal de conclure qu’en ce qui concerne les années 2015 et 2016, la comptabilité de la société demanderesse n’est ni continue ni complète, ni effectuée de manière chronologique, de sorte qu’elle n’est pas conforme aux dispositions du § 162 AO et qu’elle est donc irrégulière en la forme, faute d’avoir été agencée de façon claire et ordonnée, et à défaut de permettre aux agents du bureau d’imposition toute recherche et tout contrôle au sein de celle-ci.

Dans la mesure où la régularité formelle de la comptabilité a pu être écartée à partir des irrégularités relevées par les agents du bureau d’imposition, c’est partant à bon droit que la partie étatique fait valoir que la présomption de régularité au fond de la comptabilité, prévue au § 208, alinéa (1), AO, ne saurait trouver application en l’espèce. Il y a partant lieu de confirmer que la présomption de régularité résultant du § 208 AO devait être écartée.

• Quant à la question de la taxation d’office La taxation d’office est prévue au § 217 AO qui dispose comme suit :

« (1) Soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschließlich solcher Besteuerungsgrundlagen, die für eine gesonderte Feststellung nicht vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind.

(2) Zu schätzen ist insbesondere dann, wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichenden Aufklärungen zu geben vermag oder weitere Auskunft oder eine Versicherung an Eides Statt verweigert. Das gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind ».

Conformément à sa dénomination allemande (« Schätzung »), la taxation d’office consiste « à déterminer et à utiliser une valeur probable et (ou) approximative, lorsque la détermination de la valeur réelle et exacte n’est pas possible »5. Ce procédé comporte nécessairement et par définition une marge d’incertitude et d’inexactitude, tandis que la prise en compte par l’administration fiscale d’une marge de sécurité est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération. Il est ainsi vrai que le principe d’ordre public de la détermination exacte des bases d’imposition oblige les autorités fiscales à mettre tout en œuvre pour arriver à une imposition sur des bases qui correspondent le plus exactement possible à la réalité. Cependant, le § 217 AO permet au bureau d'imposition de recourir à une estimation des bases d’imposition notamment dans l’hypothèse où il a dû constater le caractère incomplet ou irrégulier de la comptabilité lui présentée par le contribuable.

Tel que le tribunal vient de le préciser, l’un des cas d’ouverture d’une taxation d’office réside dans la présence d’une comptabilité irrégulière quant à la forme ou quant au fond.

Dans la mesure où, en l’espèce, l’irrégularité formelle de la comptabilité vient d’être retenue et dans la mesure où le tribunal a retenu qu’il y avait partant lieu de confirmer que la présomption de régularité résultant du § 208 AO devait être écartée, force est de conclure que le bureau d’imposition a valablement pu rejeter la comptabilité de la société demanderesse pour les années 2015 et 2016 et procéder par voie de taxation d’office, en application du § 217 AO.

Le recours à la taxation d’office ayant ainsi été justifié en l’espèce, il appartient à la société demanderesse de prouver que ses revenus réels s’écartent de manière significative des bases d’imposition retenues par l’administration fiscale et plus particulièrement que les marges réelles s’écartent de manière significative des marges bénéficiaires retenues par le bureau d’imposition pour les années 2015 et 2016.

5 J. OLINGER, La Procédure contentieuse en matière d’impôts directs, Etudes fiscales nos 81 à 85, page 117, n° 190 Or, à cet égard, le tribunal ne s’est pas vu soumettre d’éléments concluants qui lui permettraient de remettre en cause le bien-fondé des augmentations des marges bénéficiaires de la société demanderesse, telles que résultant de la taxation d’office opérée par le bureau d’imposition, laquelle a été effectuée sur base des marges bénéficiaires déclarées par la société demanderesse pour les années 2012 et 2013, ainsi que sur base des marges réalisées par des établissements que le bureau d’imposition a estimé être comparables.

En effet, la société demanderesse se limite à contester l’augmentation des marges bénéficiaires retenue par le bureau d’imposition en affirmant qu’elle ne pourrait pas être comparée à d’autres établissements et que ses marges seraient inférieures puisqu’elle louerait des chambres au-dessus de son café sous forme de « pension complète » à ses clients, de sorte que « les produits ne font pas l’objet d’une revente directe » et que partant la marge réalisée serait « peut-être en deçà que les autres établissements ». Outre le manque de cohérence de ces explications, elles ne sont corroborées par aucun élément concret ni document versé en cause.

Si la société demanderesse renvoie à un courrier qu’elle aurait adressé en date du 29 juillet 2021 au directeur en tant que complément à sa réclamation, le courrier en question ne permet pas de démontrer, tel que soutenu par la société demanderesse, que les marges bénéficiaires retenues par le bureau d’imposition pour les années 2015 et 2016 seraient arbitraires. Ainsi, dans le cadre dudit courrier la société demanderesse déclare avoir dressé deux tableaux, dont l’un montrant « la marge bénéficiaire selon un calcul forfaitaire avec la location des chambres » et l’autre montrant « la marge bénéficiaire selon un calcul forfaitaire sans la location des chambres ». La différence entre les marges bénéficiaires retenues par les deux tableaux s’expliquerait par le fait que « la perte de revenu engendrée par l’alimentation des locataires » serait « couverte par le paiement du loyer mensuel ». Force est toutefois au tribunal de constater que les chiffres indiqués dans les tableaux en question ne sont appuyés par aucun document et que, surtout, lesdits tableaux se réfèrent à l’année 2021, de sorte qu’aucune conclusion relative aux années 2015 et 2016 litigeuses en l’espèce ne saurait en être tirée, d’autant plus que l’année 2021 fut frappée d’une crise sanitaire, de sorte que la situation ayant régné en 2021 n’est en tout état de cause pas comparable à celle ayant régné en 2015 et 2016.

La société demanderesse n’ayant versé aucun autre élément ni document en cause et son litismandataire ayant même sur question expresse du tribunal à l’audience publique des plaidoiries déclaré ne pas vouloir opposer d’autres éléments aux développements circonstanciés du délégué du gouvernement, mais se rapporter à prudence de justice, force est de retenir que la société demanderesse est restée en défaut d’établir que ses marges réelles s’écarteraient de manière significative des marges bénéficiaires retenues par le bureau d’imposition pour les années 2015 et 2016. Il s’ensuit que l’évaluation des marges bénéficiaires des années 2015 et 2016 de la société demanderesses telle qu’opérée par le bureau d’imposition par voie de taxation d’office est à confirmer.

L’argumentation afférente de la société demanderesse encourt dès lors le rejet.

• Quant à la question de la distribution cachée de bénéfices Le tribunal relève que l’article 164 loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », prévoit ce qui suit : « (1) Pour déterminer le revenu imposable, il est indifférent que le revenu soit distribué ou non aux ayants droit.

10 (2) Sont à considérer comme distribution dans le sens de l’alinéa qui précède, les distributions de quelque nature qu’elles soient, faites à des porteurs d’actions, de parts bénéficiaires ou de fondateurs, de parts de jouissance ou de tous autres titres, y compris les obligations à revenu variable donnant droit à une participation au bénéfice annuel ou au bénéfice de liquidation.

(3) Les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable.

Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ».

L’essence de la notion de distribution cachée doit être dégagée à partir du principe posé par l’article 164, alinéa (1) LIR suivant lequel les distributions ne peuvent pas réduire le revenu imposable. Ainsi, le revenu à soumettre à l’impôt doit correspondre à celui réalisé par la collectivité soumise à l’impôt sur le revenu des collectivités agissant en tant qu’acteur indépendant dans une logique économique impliquant qu’elle entre en relation avec d’autres acteurs économiques sur une base synallagmatique en recherchant un équilibre entre ses engagements et la contre-prestation de l’autre partie. Toute forme de répartition de revenus aux actionnaires ou associés de la collectivité ne peut être opérée qu’à partir du revenu déjà préalablement soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités. L’article 164 LIR opère à cette fin une distinction entre la sphère de réalisation des revenus, qui détermine le revenu devant être soumis à imposition, et celle d’utilisation ou de distribution des revenus qui ne doit pas influer sur le revenu imposable.

Une distribution cachée de bénéfices s’analyse en une opération ayant l’apparence d’être intervenue dans le cadre de la réalisation de revenus, mais dont l’examen de la substance permet de dégager sa qualification réelle sous la forme d’une opération de distribution trouvant son fondement dans l’allocation d’un avantage direct ou indirect à un associé, actionnaire ou intéressé et ayant entraîné soit une diminution de l’actif (« Vermögensminderung ») soit un défaut d’accroissement de l’actif (« verhinderte Vermögensmehrung »).

Les distributions cachées de bénéfices visées par l’article 164, alinéa (3) LIR existent dès lors à partir du moment où un associé, actionnaire ou intéressé, reçoit directement ou indirectement, en dehors de la distribution de bénéfices prévue en droit des sociétés, d’une société des avantages qui s’analysent, pour cette dernière, en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l’associé, actionnaire ou intéressé, n’aurait pas pu obtenir pareil avantage en l’absence de ce lien sociétaire. La situation concernée est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers.

Par ailleurs, aux termes de l’article 59 de la loi du 21 juin 1999, « la preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ».

Il se dégage d’une lecture combinée de ces dispositions que la charge de la preuve de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices repose en premier lieu sur le bureau d’imposition. Celui-ci doit en effet procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et relever des éléments qui lui paraissent douteux et qui pourraient indiquer l’existence de distributions cachées de bénéfices. Ainsi, c’est essentiellement lorsque le bureau d’imposition peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent une telle distribution probable et qui n’ont pas été éclairées ou documentées par le contribuable, qu’il peut mettre encause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées.

En l’espèce, le tribunal vient de retenir l’irrégularité formelle de la comptabilité de la société demanderesse concernant les années 2015 et 2016 et corollairement le rejet de la présomption de régularité de la comptabilité résultant du § 208 AO. Le tribunal a conclu que le bureau d’imposition a valablement pu rejeter la comptabilité de la société demanderesse pour les années 2015 et 2016 et procéder par voie de taxation d’office, en application du § 217 AO pour évaluer les marges bénéficiaires réalisées par la société demanderesse pour les années litigieuses. Enfin, le tribunal a retenu que l’évaluation des marges bénéficiaires de la société demanderesse des années 2015 et 2016 telle qu’opérée par le bureau d’imposition par voie de taxation d’office était à confirmer.

L’augmentation des marges bénéficiaires par le bureau d’imposition par rapport aux marges bénéficiaires déclarées par la société demanderesse peu vraisemblables car bien inférieures à celles constatées par ailleurs dans le même secteur, implique que le bureau d’imposition a conclu à l’existence de recettes perçues par la société demanderesse mais non enregistrées dans sa comptabilité et non déclarées.

Les parties sont désormais en désaccord sur la question de savoir si les recettes ainsi perçues mais non déclarées ont donné lieu à des distributions cachées de bénéfice au sens de l’article 164, alinéa (3) LIR.

Conformément aux considérations qui précèdent, il échet dès lors de vérifier, tout d’abord, si le bureau d’imposition a fait état d’un faisceau de circonstances rendant probable l’allocation d’un avantage sans contrepartie effective et équivalente à un de ses associés, sociétaires ou intéressés.

Le délégué du gouvernement argumente que les recettes issues des augmentations des marges bénéficiaires mais non déclarées auraient été « nécessairement mis à la disposition des associés ».

Force est à cet égard de constater qu’il est constant en cause que Monsieur X est l’associé unique de la société demanderesse dont il détient 100% des parts sociales. Il s’ensuit que la condition, tenant à l’existence d’un lien entre la société demanderesse et l’intéressé ayant potentiellement bénéficié desdites recettes est remplie.

Il convient ensuite de constater que les recettes issues des augmentations des marges bénéficiaires constituent précisément des recettes non enregistrées dans sa comptabilité et dont l’affectation ne peut partant pas être retracée. Ces sommes d’argent encaissées sont partant susceptibles d’être transmises à un bénéficiaire et constituent dans le chef de ce dernier en un avantage à évaluer à la hauteur des sommes d’argent perçues.

Quant à la question de savoir si ces recettes ont effectivement été allouées à l’associé unique de la société demanderesse, tel que soutenu par le délégué du gouvernement, , il faut se résoudre à l’évidence que la forme « cachée » de leur allocation rend la preuve concrète d’une attribution à une personne déterminée souvent très difficile, voire impossible. Dans la mesureoù ces méthodes d’allocations « cachées » ne doivent néanmoins pas conduire à un défaut d’imposition, sous peine d’un non-respect des principes d’égalité devant l’impôt et de légalité de l’impôt, il y a lieu d’admettre que la réunion d’indices suffisants permet d’imputer les distributions cachées à une personne déterminée en tant que leur bénéficiaire.

A cet égard, il convient de rappeler qu’il n’est pas contesté en cause que Monsieur X était au cours des années d’imposition 2015 et 2016 associé unique à hauteur de 100% de la société demanderesse. Or, il peut valablement être admis que des sommes encaissées dans l’exploitation commerciale d’une société, mais non enregistrées ont été continuées au bénéficiaire économique de la société6 et la question d’une attribution à une personne en particulier ou d’une répartition entre plusieurs personnes se pose essentiellement dans l’hypothèse d’une pluralité de bénéficiaires économiques ou de dirigeants d’une société. Tel n’étant pas le cas en l’espèce et aucune autre allocation à des tiers n’ayant été alléguée par la société demanderesse, il y a lieu de conclure en l’espèce que le bureau d’imposition a fait état d’un faisceau de circonstances rendant probable l’allocation d’un avantage sans contrepartie effective et équivalente à son associé unique Monsieur X.

Il s’ensuit que la partie étatique peut valablement faire état d’un renversement de la charge de la preuve au sens de la jurisprudence précitée, de sorte qu’il appartient à la société demanderesse de démontrer qu’il n’y a pas eu diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées, ce qu’elle est cependant restée en défaut de faire.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent force est au tribunal de conclure que le bureau d’imposition a, à bon droit, pu retenir, l’existence d’une distribution cachée de bénéfices de la société demanderesse au profit de son associé unique, de sorte que le moyen afférent de la société demanderesse est à rejeter pour manquer de fondement.

Si le délégué du gouvernement explique encore que les distributions tant ouvertes que cachées de bénéfices devraient faire l’objet d’une retenue d’impôts sur les revenus de capitaux s’élevant aux termes de l’article 148, alinéa 1er LIR au taux de 15% en ce qui concerne les années 2015 et 2016, la société demanderesse n’a pas avancé de contestation ni de moyen à cet égard, de sorte que le tribunal n’est pas saisi de cette question.

Enfin, l’affirmation non autrement circonstanciée de la société demanderesse selon laquelle l’administration aurait commis un abus de pouvoir est à rejeter, d’une part, étant donné que des moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, sont à rejeter dans la mesure où il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, et, d’autre part, étant donné qu’il n’apparait pas en l’espèce que le bureau d’imposition aurait utilisé ses compétences dans un autre but que celui pour lequel elles lui ont été conférées.

Il suit de l’ensemble des éléments qui précèdent que le bureau d’imposition a valablement pu conclure à l’existence d’une distribution cachée de bénéfices et que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.

6 Cour adm. 5 août 2015, n° 35680C du rôle, Pas. adm. 2023, n°692 (1er volet) et les autres références y citées.Au vu de l’issue du litige, la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500 euros formulée par la société demanderesse sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare irrecevable le volet du recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite de refus du directeur de l’administration des Contributions directes ;

reçoit en la forme le recours en réformation pour le surplus ;

au fond, le dit non justifié partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 2.500 euros formulée par la société demanderesse ;

met les frais et dépens de l’instance à charge de la société demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 septembre 2024 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Nicols GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 47151
Date de la décision : 27/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-09-27;47151 ?

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