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11/09/2024 | LUXEMBOURG | N°50962

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 septembre 2024, 50962


Tribunal administratif N° 50962 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50962 chambre de vacation Inscrit le 21 août 2024 Audience publique de vacation du 11 septembre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50962 du rôle et déposée le 21 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maîtr

e Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembour...

Tribunal administratif N° 50962 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50962 chambre de vacation Inscrit le 21 août 2024 Audience publique de vacation du 11 septembre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50962 du rôle et déposée le 21 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Serbie) et être de nationalité serbe, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité kosovare, ayant été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer et ayant élu domicile en l’étude de Maître Lukman ANDIC, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 7 août 2024 de le transférer vers la France comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 août 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nazirou THIAM, en remplacement de Maître Lukman ANDIC et Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 11 septembre 2024.

Le 9 juillet 2024, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les recherches effectuées à cette occasion dans le système d’information Schengen (« SIS »), ainsi que dans la base de données du Centre de coopération policière et douanière Luxembourg (« CCPD ») révélèrent que Monsieur … avait été éloigné d’Allemagne en 2017 1 sans que des éléments n’établissent que l’intéressé y serait retourné entretemps, et qu’il faisait l’objet en France d’une mesure de reconduite à la frontière lui notifiée le 3 novembre 2022.

Une recherche effectuée toujours le 9 juillet 2024 dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 2 avril 2015, ainsi qu’une demande de protection internationale en France en date du 27 octobre 2021.

Le 11 juillet 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

Le 15 juillet 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers en date du 29 juillet 2024.

Par arrêté du 7 août 2024, notifié à Monsieur … en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

Par décision du 7 août 2024, notifiée à l’intéressé le même jour en mains propres, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 9 juillet 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 9 juillet 2024 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 11 juillet 2024, 2 1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 9 juillet 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 2 avril 2015 et une demande en France en date du 27 octobre 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 11 juillet 2024.

Sur cette base, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 15 juillet 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 30 juillet 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert 3 En l’espèce, la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 2 avril 2015 et une demande en France en date du 27 octobre 2021.

Monsieur, selon vos déclarations, vous auriez séjourné en Europe de 2015 jusqu’en 2017. Vous auriez été rapatrié par les autorités allemandes en 2017, après que votre demande de protection internationale aurait été rejetée. Vous auriez quitté le Kosovo une deuxième fois en 2021 afin de vous rendre en France. Vous y avez introduit une demande de protection internationale et vous auriez vécu à Strasbourg jusqu’au jour où les autorités françaises auraient refusé votre demande. Vous vous seriez ensuite rendu à Reims où vous auriez travaillé de manière clandestine jusqu’au 8 juillet 2024 quand vous auriez décidé de rejoindre votre mère au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 11 juillet 2024, vous mentionnez avoir des problèmes de mémoire. Il y a cependant lieu de soulever que vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l’Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez ne pas vouloir retourner en France, parce que des membres de votre famille y résideraient. Vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de problèmes de famille, et vous aimeriez rester au Luxembourg, où vous n’auriez aucun proche, à part votre mère.

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

4 En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence la France. Vous ne faites valoir aucun indice que la France ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions françaises, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Notons dans ce contexte que bien qu’il soit compréhensible que vous voudriez rester auprès de votre mère qui se trouve ici au Luxembourg, il y a lieu de constater que vous êtes majeur d’âge et capable de vivre seul sans l’assistance d’un membre de famille. Ainsi, rien n’empêche votre transfert en France.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

5 Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la France, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 7 août 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes retranscrits ci-dessus, le demandeur se prévaut, en premier lieu, d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III et d’un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge qui aurait conclu en mars 2024 à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en France. Le demandeur conteste l’affirmation du ministre suivant laquelle la France bénéficierait de la confiance mutuelle entre Etats membres et qu’elle respecterait ses obligations internationales, en se référant à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », suivant laquelle il ne s’agirait que d’une présomption réfragable.

Le demandeur se prévaut, ensuite, d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III en faisant valoir qu’il ne serait pas considéré comme étant prioritaire dans l’attribution d’un lieu d’hébergement par les autorités françaises au motif que la politique de la France privilégierait les personnes plus vulnérables, notamment les personnes gravement malades, les familles et les mineurs, alors que lui ne serait qu’un jeune majeur. Le demandeur en déduit qu’il se retrouverait à la rue, dans un squat ou un campement illégal, soit dans des conditions de vie similaires à des traitements contraires aux articles 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par la « CEDH », et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte ».

En dernier lieu, le demandeur se prévaut d’une violation isolée de l’article 3 de la CEDH, en se référant à un arrêt de la CJUE à ce sujet et en soutenant que les « informations de sources publiques » qu’il affirme avoir invoquées à l’appui de son recours démontreraient à suffisance qu’en cas de transfert vers la France, il encourrait un risque réel et sérieux d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants contraires audit article 3 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

6 En ce qui concerne d’abord la compétence de la France, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement, la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour reprendre en charge Monsieur …, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Il suit de cette disposition que l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale est obligé de reprendre en charge le suivi de cette demande dans l’hypothèse où le ressortissant de pays tiers ou l’apatride concerné a vu rejeter sa demande de protection internationale et a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre.

En l’espèce, il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait la France où le demandeur a, de façon non contestée, infructueusement déposé une demande de protection internationale et que les autorités françaises ont accepté sa reprise en charge le 29 juillet 2024.

C’est, dès lors, a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Force est, ensuite, au tribunal de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de la France, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais invoque l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ainsi que, de manière plus générale, le risque d’y subir des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH en cas de transfert, le demandeur critiquant encore le fait que le ministre n’a pas fait application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une 7 part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), précité, du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit :

« Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte – corollaire de l’article 3 de la CEDH –, une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre1.

A cet égard, le tribunal relève que la France est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par la « Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92 2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

8 d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.

Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.

Quant à la preuve à rapporter, en l’espèce, par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations 3 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591 du rôle, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10 Ibid., pt. 92.

9 caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.

En l’espèce, il incombe au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation en France, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.

Or, force est au tribunal de constater que le demandeur n’a plus la qualité de demandeur de protection internationale depuis le refus définitif – non contesté – de sa demande de protection internationale en France, de sorte qu’il ne saurait actuellement se prévaloir de l’existence de prétendues défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil desdits demandeurs de protection internationale dans ce pays pour contester son transfert vers celui-ci.

Ensuite, le tribunal constate que le demandeur reste, en tout état de cause, en défaut de mettre d’une quelconque manière en relation les « informations de source publique » citées dans sa requête pour invoquer l’existence de défaillances systémiques en France avec sa situation personnelle ou son vécu en France. La seule pièce versée dans ce contexte à l’appui de son recours, à savoir une Tribune du directeur du Jesuit Refugiee Service publiée le 31 mai 2024 est insuffisante pour remettre en cause ce constat. De la même manière, la seule mention tout à fait générale par le demandeur d’un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belges – mention d’ailleurs tirée de ladite Tribune du 31 mai 2024 – qui aurait conclu à l’existence de défaillances systémiques en France, non versé par le demandeur à l’appui de son recours et non mis en relation avec sa situation concrète de demandeur de protection internationale débouté n’est, à défaut d’autres éléments, pas de nature à permettre au tribunal de conclure à l’existence de défaillances systémiques en France.

Par ailleurs, le tribunal relève que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par la « CourEDH », relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations Unies, désigné ci-après par l’« UNHCR ». Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant du UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui exposerait les personnes concernées à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte empêchant tout transfert de demandeurs de protection internationale vers ce pays, étant rappelé que le demandeur, dont la demande de protection internationale a été traitée et définitivement rejetée par la France, ne sera a priori plus considéré, en cas de retour dans 11 Ibid., pt. 93.

10 ledit pays, comme un demandeur de protection internationale, mais comme un étranger en situation irrégulière.

Au vu de ce qui précède et compte tenu des éléments soumis au tribunal, il échet de conclure que le demandeur n’a pas démontré que son transfert vers la France serait contraire à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH, que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable12.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte13, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant14.

Or, en l’espèce, force est de constater que le demandeur n’a fait état d’aucun élément permettant de retenir que dans son cas particulier, son transfert vers la France lui ferait encourir le risque de subir des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH et à l’article 4 de la Charte. Lors de son entretien Dublin III, le demandeur n’a d’ailleurs pas fait état d’agissements qu’il aurait personnellement et concrètement subis de la part des autorités françaises lors du traitement de sa demande de protection internationale, ni d’un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ni encore que ses droits n’y auraient pas été respectés, le demandeur s’étant limité à affirmer qu’il aurait eu un entretien lors d’une « procédure normale » au cours de laquelle les autorités françaises n’auraient « pas pris en compte tous les documents que je leurs ai fourni » et que « l’interprète ne me comprenais pas bien vu qu’il venait de l’Albanie »15.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’affirmation du demandeur selon laquelle un transfert vers la France l’exposerait à des traitements inhumains et dégradants, en substance, au motif qu’il ne bénéficierait, à son arrivée en France, pas d’une quelconque prise en charge matérielle, dans la mesure où il ne serait pas une personne dite vulnérable.

12 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09 13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96 14 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17.

15 Entretien Dublin III, page 5.

11 En effet, le tribunal relève qu’à défaut d’introduire une nouvelle demande de protection internationale en France, le demandeur devra y être considéré comme un migrant en situation irrégulière compte tenu de la décision de rejet de sa demande d’asile et comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève en sa qualité de demandeur de protection internationale débouté. Dès lors, la question litigieuse, en l’espèce, se pose davantage en termes d’accès à l’aide sociale d’urgence de droit commun plutôt qu’en termes d’accès au système d’accueil spécifiquement mis en place pour les besoins des demandeurs de protection internationale. Or, le demandeur n’apporte aucun élément probant dont il se dégagerait qu’en sa qualité de demandeur de protection internationale débouté, il ne pourrait accéder à l’aide sociale d’urgence en France.

Dans ce contexte et de manière plus générale, le tribunal relève encore que la CourEDH a considéré de manière régulière que l’article 3 de la CEDH ne saurait être interprété comme obligeant les Etats membres à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction. Il ne saurait non plus être tiré de l’article 3 de la CEDH un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie16.

La CourEDH a de même retenu qu’aucune disposition de la CEDH ne saurait être interprétée comme conférant à une personne le droit de jouir d’un niveau de vie donné ou le droit d’obtenir une aide financière de l’Etat17.

Par ailleurs, un Etat ne peut pas se voir reprocher de vouloir inciter une personne définitivement déboutée de sa demande de protection internationale et a fortiori en situation irrégulière de quitter volontairement le territoire sur lequel elle réside irrégulièrement ; le fait d’être le cas échéant exposé à la nécessité d’entreprendre des démarches administratives plus contraignantes pour obtenir l’assistance, telle que la mise à disposition d’un logement gratuit de l’Etat où la personne en question se maintient en dépit d’une décision de refus, respectivement de ne pouvoir bénéficier que d’une aide plus limitée, ne saurait être considéré comme impliquant ipso facto un traitement inhumain et dégradant qui serait contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide français – que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents français – était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates.

En conclusion, le moyen tiré d’une violation isolée de l’article 3 de la CEDH et 4 de la Charte encourt également le rejet pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le moyen fondé sur l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des 16 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, points 94 et 95, et les jurisprudences y citées.

17 CEDH, 20 avril 1999, Wasilewski c. Pologne, n° 32734/96.

12 critères fixés dans le présent règlement. […]. », il y a lieu de relever que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres18, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 février 201719.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge20, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration21.

En l’espèce, le demandeur renvoie en substance, dans ce contexte, à son argumentaire développé à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Or, dans la mesure où cet argumentaire a été rejeté ci-avant et que d’autres considérations n’ont pas été mises en avant par le demandeur sous cet aspect pour infirmer le constat afférent du tribunal, celui-ci conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 11 septembre 2024 par :

18 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

19 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 88 et 97.

20 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

21 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

13 Daniel Weber, vice-président, Benoît Hupperich, juge, Caroline Weyland, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50962
Date de la décision : 11/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-09-11;50962 ?

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