La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/08/2024 | LUXEMBOURG | N°50886

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 août 2024, 50886


Tribunal administratif N° 50886 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50886 chambre de vacation Inscrit le 6 août 2024 Audience publique de vacation du 28 août 2024 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50886 du rôle et déposée le 6 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Madame …, née le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, demeurant ac...

Tribunal administratif N° 50886 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50886 chambre de vacation Inscrit le 6 août 2024 Audience publique de vacation du 28 août 2024 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50886 du rôle et déposée le 6 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribuée au ministre de l’Immigration et de l’Asile, du 18 juillet 2024 de la transférer vers la Pologne comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 août 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sanae IGRI, en remplacement de Maître Lukman ANDIC, et Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation de ce jour.

___________________________________________________________________________

Le 20 juin 2024, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date par les autorités luxembourgeoises dans la base de données Eurodac révéla que Madame … avait auparavant introduit une demande de protection internationale en Pologne le 10 juin 2024.

1 Le 24 juin 2024, Madame … fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

En date du 3 juillet 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues polonais une demande de reprise en charge de Madame …, basée sur l’article 18, paragraphe (1), b) du règlement Dublin III.

Par courrier électronique du 8 juillet 2024, les autorités polonaises informèrent les autorités luxembourgeoises de leur acceptation de la reprise en charge de Madame … sur base de l’article 18, paragraphe (1), b) du règlement Dublin III.

Par décision du 18 juillet 2024, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de la transférer dans les meilleurs délais vers la Pologne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), b) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 20 juin 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférée vers la Pologne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 20 juin 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 24 juin 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 20 juin 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 10 juin 2024.

2 Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 24 juin 2024.

Sur cette base, une demande de reprise en charge sur base de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités polonaises en date du 3 juillet 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités polonaises en date du 8 juillet 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point b) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 10 juin 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d'origine en août 2020 quand vous vous seriez rendue au Soudan. Vous y seriez restée jusqu'en 2023 quand vous seriez partie en Ethiopie afin de vous rendre en avion en Biélorussie. Selon vos déclarations, vous auriez été munie d'un passeport falsifié afin de pouvoir entamer ce voyage. Vous auriez vécu à Minsk jusqu'en juin 2024 quand vous auriez franchi la frontière polonaise. Madame, vous déclarez avoir été obligée de fournir vos empreintes mais que vous n'auriez pas eu l'intention 3 d'introduire une demande de protection internationale en Pologne. Après à peu près une semaine, vous auriez continué votre voyage vers le Luxembourg en passant par l'Allemagne.

Vous seriez arrivée au Luxembourg en date du 20 juin 2024.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 24 juin 2024, vous mentionnez avoir des problèmes rénaux. Cependant, vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Pologne qui est l'Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Madame, vous déclarez ne pas vouloir retourner en Pologne parce que vous seriez directement mise en prison suite à votre décision de quitter la Pologne sans prévenir les autorités auparavant.

Rappelons à cet égard que la Pologne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Pologne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Pologne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, la Pologne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Pologne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires polonaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Pologne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Madame, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Pologne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

4 Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la Pologne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la Pologne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transférée. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la Pologne en informant les autorités polonaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités polonaises n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2024, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 18 juillet 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant être arrivée en Europe pour se rendre au Luxembourg mais qu’en transitant par la Pologne elle y aurait été obligée d’introduire une demande de protection internationale dont l’examen serait actuellement toujours en cours. Quelques jours après son arrivée en Pologne elle aurait quitté ledit pays en direction du Luxembourg où elle 5 aurait introduit une demande de protection internationale. Elle précise ne pas être d’accord avec la motivation avancée dans la décision ministérielle litigieuse et en conséquence souhaiter que le tribunal de céans procède à un examen beaucoup plus approfondi en fait et en droit.

En droit, la demanderesse conclut, en premier lieu, à une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, alors qu’elle risquerait d’être victime en Pologne de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, Madame … s’emparant, dans ce contexte, de deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10 et C-493/10, N. S. e.a., respectivement du 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland.

Sur base d’un article publié le 4 février 2022 sur le site du Conseil de l’Europe intitulé « La Commissaire intervient devant la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire concernant la situation des demandeurs d’asile et des migrants bloqués à la frontière entre la Pologne et le Bélarus », d’un article de presse publié le 9 février 2022 sur le site www.francetinfo.fr, intitulé « Migrants : en Pologne, le Commissaire aux droits de l’homme alerte sur les conditions de vie dans les centres surveillés », d’un article publié en ligne par l’association Amnesty International sur la situation des droits humains en Pologne en 2023, intitulé « Pologne : la situation des droits humains Amnesty International », d’un autre article de presse publié le 11 février 2022 sur le site www.lemonde.fr et intitulé « Pologne : la gestion des demandeurs d’asile montrée du doigt », ainsi que d’un article de presse publié le 12 juin 2023 sur le site www.euractiv.fr et intitulé « La Pologne entend former une coalition contre le pacte de l’UE sur la migration et l’asile », la demanderesse soutient qu’il se dégagerait de ces publications qu’en plus des failles notées dans son système d’asile, la Pologne ne cacherait pas son opposition à la politique migratoire de l’Union européenne. Elle insiste, à cet égard, sur le fait que lorsque des rapports et articles de presse font état d’une situation problématique, les autorités nationales chargées de l’examen de la demande de protection internationale auraient l’obligation de s’assurer que les droits fondamentaux du demandeur ne seront pas mis à mal après son transfert sans qu’elles ne puissent se contenter de constater que le demandeur de protection internationale ne démontre pas lui-même le risque de traitement dégradant. La demanderesse renvoie dans ce contexte aux constatations faites par le Comité des droits de l’Homme le 21 juillet 2022 « sur le cas de la POLOGNE » lequel aurait notamment constaté qu’« en adoptant des mesures d’expulsion avec effet immédiat et en les faisant exécuter sans donner aux auteurs la possibilité ou les moyens de contester effectivement la décision leur refusant arbitrairement le statut de demandeur d’asile, l’État partie n’a pas garanti le droit des auteurs d’accéder à un recours utile concernant la violation alléguée de l’article 13 du Pacte. ».

Après avoir souligné qu’elle aurait clairement indiqué lors de son entretien Dublin III qu’elle aurait simplement donné ses empreintes en Pologne et que son objectif aurait été celui d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, la demanderesse estime que les autorités luxembourgeoises seraient tenues « de faire usage de la faculté que [leur] laisse l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III et d’accepter la responsabilité d'examiner et de statuer sur [s]a demande de protection internationale » puisqu’il pourrait raisonnablement être présumé qu’elle se retrouvera « dans des centres dont les conditions matérielles et d’accueil sont dénoncées par les organismes actifs dans le domaine ».

En deuxième lieu, la demanderesse fait encore valoir que son transfert vers la Pologne 6 serait contraire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »). Elle s’appuie, à cet égard, sur la documentation reprise ci-

avant ainsi que sur l’arrêt du 23 juillet 2020 de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») rendu dans une affaire M.K. et autres c. Pologne, et sur l’arrêt de la CJUE du 16 février 2017 rendu dans l’affaire C.K.H. A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16 et à ses déclarations faites lors de son entretien Dublin III suivant lesquelles elle aurait été maltraitée en Pologne, pour insister sur le fait qu’il se dégagerait de tous ces éléments qu’il existe des motifs raisonnables de penser que même en l’absence d’une « situation de défaillance systémique », elle encourrait en cas de transfert vers la Pologne un risque réel et sérieux d’être exposée à des traitements inhumains et dégradants, respectivement de se retrouver dans des conditions inhumaines immédiatement après son transfert, voire d’être refoulée vers la Biélorussie, le tout en violation de l’article 3 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

En vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités polonaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Madame …, prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: […] b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale qui est toujours en cours d’examen.

Il est constant en cause que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), b) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Madame …, mais la Pologne en ce que la demanderesse y a déposé une demande de protection internationale qui est toujours en cours d’examen et que les autorités polonaises ont accepté sa reprise en charge le 8 juillet 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé 7 de ne pas examiner la demande de protection internationale déposée au Luxembourg par la demanderesse et de la transférer vers la Pologne.

Force est tout d’abord au tribunal de constater que la demanderesse ne conteste pas cette compétence de principe des autorités polonaises, et, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais soutient que son transfert violerait les articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et 3 de la CEDH.

Le tribunal précise ensuite que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », respectivement de l’article 3 de la CEDH, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat, tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, non invoqué en l’espèce, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

S’agissant de l’argumentation de la demanderesse quant à l’existence, en Pologne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, le tribunal rappelle qu’en vertu de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.

1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

8 A cet égard, le tribunal relève que la Pologne est tenue au respect, en tant qu’Etat membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile, auquel la Pologne adhère, a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.

Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du 2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 78.

3 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

9 règlement Dublin III requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.

En l’espèce, la demanderesse n’a pas fourni le moindre élément probant qui serait de nature à établir qu’à l’heure actuelle, la Pologne connaîtrait de manière générale des défaillances systémiques en ce sens que les conditions matérielles des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure, d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH.

En effet, la demanderesse ne fournit aucun élément objectif tangible permettant de retenir que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Pologne, ou encore que ceux-ci n’auraient en Pologne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités polonaises en usant des voies de droit adéquates, étant rappelé que la Pologne est signataire de la Charte et de la CEDH et qu’elle est en tant que membre de l’Union européenne tenue au respect des dispositions de celles-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants du 10 décembre 1984 et de la Convention de Genève.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10 Ibid., pt. 92.

11 Ibid., pt. 93.

10 Ce constat n’est pas ébranlé par la documentation versée en cause par la demanderesse et dont il se dégage en substance qu’au cours des années 2022 et 2023, les autorités polonaises ont connu de sérieux problèmes quant à leur politique d’asile, dans la mesure où il est fait référence à la situation de demandeurs de protection internationale qui n’ont pas eu accès à la procédure d’asile, ont fait l’objet de « pushbacks » à la frontière polonaise et ont été regroupés dans des « Centres de détention » pendant des mois avec un accès limité aux soins médicaux y inclus les soins psychologiques et dans de mauvaises conditions de vie et d’hygiène. Or, comme la situation y décrite concerne essentiellement des migrants ayant traversé la frontière entre la Biélorussie et la Pologne et non pas des personnes transférées en Pologne dans le cadre du règlement Dublin III suite à une acceptation expresse de leur reprise en charge par les autorités polonaises, le tribunal se doit de rejoindre la partie étatique dans son constat que les pièces invoquées ne permettent pas de conclure qu’il existe à l’heure actuelle un risque réel et concret que tout demandeur de protection internationale soit placé systémiquement en détention par les autorités polonaises, respectivement de se voir confronté en Pologne à un système d’asile et d’accueil contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Par ailleurs, le tribunal relève que la demanderesse n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers la Pologne, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (« UNHCR »). Elle ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la Pologne de ressortissants érythréens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile polonaise qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que la demanderesse n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Pologne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.

Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable12.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, 12 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09 11 au sens de l’article 4 de la Charte13, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant14.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef de la demanderesse, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé15.

Or, en l’espèce, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement les droits de la demanderesse n’auraient pas été respectés en Pologne dans le cadre de sa demande de protection internationale y introduite. Il ressort, au contraire, du dossier administratif que les autorités polonaises ne lui ont pas refusé l’accès à la procédure d’asile, mais qu’après avoir « fait un petit entretien », elle a consciemment choisi de quitter la Pologne sans attendre une réponse à sa demande de protection internationale16 au motif que son but aurait toujours été celui de rejoindre le Luxembourg. Il ne se dégage pas non plus des éléments du dossier qu’au cours de son séjour en Pologne, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant ni qu’en cas de transfert, elle serait personnellement exposée au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités polonaises avant de la transférer.

Si la demanderesse a vaguement déclaré lors de son entretien Dublin III qu’elle aurait été « maltraitée en Pologne », le tribunal se doit de constater qu’outre le fait qu’elle n’a pas indiqué qui étaient les auteurs des maltraitances en question, la demanderesse a, au contraire, elle-même précisé qu’il ne se serait agi de rien de grave étant, pour le surplus, rappelé, qu’il vient d’être constaté ci-avant que les mauvais traitements de la part des autorités polonaises, tels que ceux décrits dans les publications qu’elle verse à l’appui de son recours, concernent essentiellement des migrants ayant traversé la frontière entre la Biélorussie et la Pologne et non pas des personnes transférées en Pologne dans le cadre du règlement Dublin III suite à une acceptation expresse de leur reprise en charge par les autorités polonaises, tel que c’est le cas de la demanderesse. Il ne se dégage, en tout état de cause, pas des éléments soumis au tribunal que les personnes transférées sur base du règlement Dublin III risqueraient systématiquement de subir des maltraitances de la part des autorités polonaises.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si la demanderesse devait estimer que le système d’aide et d’accueil polonais est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un 13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

14 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88 15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

16 Page 5 du rapport d’entretien Dublin III.

12 traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités polonaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates.

Quant à l’argumentation de la demanderesse ayant trait à sa crainte d’être refoulée vers la Biélorussie en violation de l’article 3 de la CEDH, il y a tout d’abord lieu de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202317, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat membre requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat membre, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat membre requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat membre requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.

Par ailleurs et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever que la décision ministérielle déférée désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale de la demanderesse, en l’occurrence la Pologne qui a reconnu être compétente pour la reprendre en charge.

Le tribunal relève ensuite que la demanderesse reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque d’être renvoyée arbitrairement en Biélorussie par les autorités polonaises. En effet, si les articles versés en cause relatent des cas de renvoi de demandeurs de protection internationale à la frontière polonaise vers la Biélorussie, il n’en reste pas moins qu’ils concernent essentiellement la situation de migrants franchissant la frontière terrestre entre la Pologne et la Biélorussie et non pas celle de personnes transférées en Pologne dans le cadre du règlement Dublin III, étant encore relevé que, pour ce qui est de la demanderesse, les autorités polonaises ont expressément accepté de la reprendre en charge et qu’il ne se dégage, qui plus est, pas de ses déclarations que lesdites autorités aient tenté de la renvoyer en Biélorussie puisqu’au contraire elle a pu déposer une demande de protection internationale en Pologne.

De plus, il ne se dégage pas des éléments produits par la demanderesse que si les autorités polonaises devaient néanmoins décider de la renvoyer en Biélorussie en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités polonaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates.

Au vu des développements faits ci-avant, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, la demanderesse serait exposée à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert vers la Pologne, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.

17 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21 13 Eu égard aux considérations qui précèdent, l’argumentation de la demanderesse ayant trait à l’existence, dans son chef, d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH, en cas de transfert vers la Pologne, est à rejeter dans son ensemble.

A défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Michel Thai, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 28 août 2024 par le vice-président en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50886
Date de la décision : 28/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-28;50886 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award