Tribunal administratif N° 50926 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50926 Chambre de vacation Inscrit le 14 août 2024 Audience publique extraordinaire du 22 août 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous un autre alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50926 du rôle et déposée le 14 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocaine, alias …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 24 juillet 2024 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 27 juillet 2024 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 août 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maitre Clémence REMIER, en remplacement de Maître Sanae IGRI et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 août 2024.
Il ressort d’un rapport n° … de la police grand-ducale de la région Capitale, Commissariat Luxembourg – C3R, dit « Fremdennotiz », du 5 avril 2021, qu’en date du même jour, Monsieur …, connu sous un autre alias, à savoir …, désigné ci-après par « Monsieur … », fut interpellé à la suite d’un incident ayant eu lieu dans le quartier de Cents de la Ville de Luxembourg, sans être en possession de documents d’identité valables.
Suivant relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 13 juillet 2021, Monsieur … y fut placé en détention préventive le même jour pour des faits de vol à l’aide de violences.
Une recherche effectuée en date du 20 juillet 2021 dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale en Espagne, le 30 mai 2018, au Danemark, le 7 juillet 2018, en Suède, le 4 septembre 2018, en Allemagne, le 20 juin 2019, aux Pays-Bas, le 1er novembre 2019 et en Suisse, le 17 mars 2020.
1Il ressort de l’acte d’écrou du 22 août 2022 que par arrêté de la Cour supérieure de Justice à Luxembourg du 10 mai 2022, n° …, Monsieur … fut condamné à 48 mois d’emprisonnement, dont 12 avec sursis, peine ayant commencé à courir le 13 juillet 2021 pour s’achever le 27 juin 2024.
Par courrier de son mandataire du 16 mai 2024, Monsieur … fit part au ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », de sa volonté d’être rapatrié, à l’issue de sa détention, en Suisse, pays dans lequel il aurait introduit une demande de protection internationale avant son arrestation au Luxembourg.
En date du 22 mai 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités suisses en vue d’obtenir des informations concernant Monsieur … sur base de l’article 34 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », et en date du 31 mai 2024, les autorités suisses leur repondèrent qu’étant donné que Monsieur … quitta la Suisse le 19 avril 2021, sa demande de protection internationale fut classée sans suite.
Dès lors, le ministre informa le mandataire du concerné par courrier électronique du 31 mai 2024 qu’il sera rapatrié, à sa sortie du prison, vers le Maroc.
Par arrêté ministériel du 26 juin 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à son encontre.
Par un arrêté ministériel séparé du même jour, également notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification du prédit arrêté, sur base des motifs et considérations suivants :
« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;
Vu ma décision de retour du 26 juin 2024, comportant une interdiction de territoire de 5 ans ;
Vu que l’intéressé constitue un danger pour l’ordre public ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
2Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 26 juin 2024, recours qui fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 17 juillet 2024, n° 50728 du rôle.
Par un arrêté du 24 juillet 2024, notifié à l’intéressé le 26 juillet 2024, le ministre décida de prolonger la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois avec effet au 27 juillet 2024. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 26 juin 2024, notifié le 27 juin 2024, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 26 juin 2024 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 août 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 24 juillet 2024.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir exposé certains des faits et rétroactes à la base de la décision déférée, tels que passés en revue ci-avant, fait plaider, en droit, que la légalité d’une mesure de rétention administrative devrait s’inscrire dans un contexte permettant d’établir l’existence d’un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, ainsi que du caractère proportionné d’un placement en rétention basé sur ce premier critère et de l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives.
Tout en citant l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait relever que le recours au placement de l’étranger au Centre de rétention devrait être écarté, lorsqu’il n’existerait aucun risque de fuite dans le chef de celui-ci, du fait notamment de l’existence de garanties de représentation, soumises à l’appréciation souveraine du juge.
Il donne à considérer que lors de son interpellation, il aurait coopéré avec les services de police, tout en exprimant sa volonté de respecter les obligations lui imposées en vue d’organiser son éloignement.
3 Il affirme que le placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle en raison de l’entrave à sa liberté d’aller et de venir, garantie tant par la Constitution que par l’article 5, paragraphe (1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH ». Il estime qu’il y aurait lieu de réexaminer sa situation et de recourir à une alternative à son placement au Centre de rétention, en ordonnant une mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, le demandeur citant, dans ce contexte, un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH », du 6 novembre 1980, dans une affaire Guzzardi c. Italie.
A cet égard, le demandeur fait valoir que le ministre serait resté en défaut d’envisager d’autres solutions plus adaptées et « moins dommageables en termes de privation de liberté » et sollicite une mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et notamment une assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, ci-après désignée par la « SHUK », la possibilité d’une telle assignation résultant, de l’avis du demandeur, d’un jugement du tribunal administratif du 6 mai 2024, inscrit sous le numéro 50351 du rôle.
Il donne à considérer que le placement en structure fermée d’un étranger qui présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon exclure tout risque de fuite dans son chef serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après « la directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition dans le droit national, être d’application directe.
Sur base de ces éléments, ainsi que du fait qu ’il afficherait un comportement irréprochable au Centre de rétention et serait une personne « responsable, particulièrement bien intégrée et respectueuse », le demandeur conclut qu’il n’existerait pas de risque de fuite dans son chef, d’autant plus qu’il aurait démontré son intention de quitter volontairement le Luxembourg.
Il soutient que le principe selon lequel le placement d’un étranger devrait être nécessaire au but légitime poursuivi figurerait non seulement dans la loi du 29 août 2008 mais également dans la directive 2008/115.
Le demandeur cite encore, dans ce contexte, un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d’un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre.
Par ailleurs, le demandeur soutient qu’une assignation à résidence à la SHUK serait plus adaptée à sa situation personnelle et constituerait une garantie de représentation suffisante, tout en relevant qu’une seule garantie de représentation serait exigée. Il donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d’indiquer qu’il sera présent à une audience sans qu’il soit nécessaire de 4recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n’a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».
Le demandeur s’appuie encore sur la jurisprudence de la Cour de Cassation française en vertu de laquelle « la loi n’exige[rait] pas que l’étranger qui sollicite le bénéfice d’une assignation à résidence invoque des circonstances à caractère exceptionnel de nature à justifier cette mesure » et « l’absence de domicile ne constitue[rait] pas une raison suffisante pour refuser une assignation à résidence ».
Sur le fondement de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et de la « jurisprudence constante » de la CourEDH relative à l’article 5 de la CEDH, le demandeur affirme ensuite que le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement devrait être en cours ou exécuté avec toute la diligence requise, ce qui impliquerait que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais. Dans ce contexte, le demandeur reproche au ministre que ses perspectives d’éloignement s’avèreraient impossibles, alors qu’aucun retour du Consulat général du Royaume du Maroc ne serait intervenu suite à la demande ministérielle en obtention d’un laissez-passer du 27 juin 2024.
Le demandeur en conclut qu’il ne serait pas établi que son éloignement vers son pays d’origine pourrait être mené à bien, de sorte que sa libération immédiate du Centre de rétention devrait être ordonnée.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
En vertu de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir 5de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
En l’espèce, et tel que cela avait déjà été retenu notamment par le tribunal dans son jugement du 17 juillet 2024, prémentionné, il est constant que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour comportant une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, a été prise à son encontre le 26 juin 2024, décision qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse, et qu’il ne dispose ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.
Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant encore précisé, à cet égard, que, parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
6Tel que le tribunal l’a déjà retenu dans son jugement du 17 juillet 2024, prémentionné, il aurait, par conséquent, appartenu au demandeur de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, ce qu’il reste toujours en défaut de faire. Ses développements ayant trait à son comportement irréprochable, à sa personnalité et à sa volonté de collaborer avec les autorités luxembourgeoises sont, à défaut d’autres éléments, insuffisants à cet égard, d’autant plus que la volonté affichée du demandeur de quitter volontairement le Luxembourg est de nature à corroborer le risque de fuite présumé dans son chef.
Le ministre pouvait dès lors a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention et maintenir son placement afin d’organiser son éloignement.
S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, et notamment une assignation à résidence, le tribunal relève qu’à cet égard, l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de 7consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.
Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.1 En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne lui a toujours pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-avant.
En effet, le tribunal doit constater que le demandeur ne peut pas se prévaloir d’une attache particulière, voire d’un domicile fixe déclaré au Luxembourg, étant relevé qu’une structure d’hébergement d’urgence, telle que la SHUK, ne saurait être considérée ni comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’est pas concevable, sans que cette conclusion ne soit énervée par le jugement précité du 6 mai 2024, invoqué par le demandeur dans ce contexte, alors que celui-
ci n’a pas retenu qu’une assignation à résidence à la SHUK suffirait en tant que garantie de représentation au sens de l’article 125 précité de la loi du 29 août 2008, alors qu’il traite de la situation d’une personne qui, en vertu du règlement Dublin III, s’était vue assignée à la SHUK en vue de son transfert vers la Pologne. Cette jurisprudence manque partant de pertinence en l’espèce.
Le même constat s’impose quant à l’invocation par le demandeur de jurisprudences de la Cour de Cassation française alors qu’il n’existe aucune obligation de transposition et qu’il n’explique pas dans quelle mesure elles seraient pertinentes par rapport à sa situation personnelle.
Par ailleurs, le demandeur n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux autres mesures moins contraignantes s’impose.
C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence, ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur encourent le rejet.
1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.
8 Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de prorogation du placement en rétention litigieuse, respectivement d’une application erronée et arbitraire des dispositions légales applicables, encourt le rejet pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne les diligences concrètement entreprises par le ministre pour procéder à l’éloignement du demandeur vers son pays d’origine et ainsi écourter la durée de son placement en rétention, le tribunal constate, bien qu’il ne soit saisi que de la question de la légalité et du bien-fondé de l’arrêté de prorogation du placement en rétention du 24 juillet 2024, que dès le premier arrêté de placement en rétention du demandeur, le ministre avait fait les diligences nécessaires en vue de l’organisation de l’éloignement du demandeur, tel que cela a été retenu par le jugement précité du 17 juillet 2024, en ce qu’il avait, par courrier électronique du 27 juin 2024 contacté le Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège en vue de l’identification du demandeur et de la délivrance d’un laissez-passer dans son chef, tout en y joignant un jeu d’empreintes digitales ainsi qu’une photo d’identité.
Force est ensuite de constater que par courrier électronique du 18 juillet 2024, les autorités luxembourgeoises avaient adressé un rappel y relatif aux autorités consulaires marocaines en les priant de bien vouloir les renseigner sur l’état d’avancement du dossier et que par courrier de retour du 19 juillet 2024, lesdites autorités consulaires avaient informé les autorités luxembourgeoises d’avoir reçu le dossier relatif au demandeur et de les tenir informées dès qu’elles sont en possession des éléments d’identification à communiquer par les autorités marocaines compétentes.
Quant aux démarches accomplies depuis la notification de la nouvelle mesure de rétention prise à l’encontre du demandeur, il ressort d’une note au dossier administratif qu’en date du 5 août 2024, l’agent en charge du dossier auprès du ministère a contacté le Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège, lequel lui a confirmé par téléphone que le dossier du demandeur est en cours d’instruction. Par courrier électronique du 19 août 2024, les autorités luxembourgeoises ont de nouveau adressé un rappel aux autorités consulaires marocaines en les priant de bien vouloir les renseigner sur l’état d’avancement du dossier.
Au regard des diligences ainsi accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités marocaines, le tribunal est amené à conclure que le dispositif d’éloignement est en cours, et qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, étant relevé qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier que l’éloignement du demandeur ne puisse pas être mené à bien endéans les délais légalement requis, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.
En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacrée notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (…) f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. (…) ».
Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f), précité, de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu 9dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays.2 Dans un arrêt du 15 décembre 20163, la CourEDH a encore retenu que : « (…) L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir.
Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.
Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) (…) ».
En l’espèce, étant donné, d’une part, que le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour en date du 26 juin 2024, de sorte à se trouver en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, et, d’autre part, qu’il vient d’être retenu ci-avant que la procédure d’éloignement dont il fait l’objet en exécution de ladite décision de retour est menée avec la diligence requise, la décision déférée n’est pas contraire à l’article 5 de la CEDH, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.
Au vu des développements faits ci-avant, le tribunal conclut que les contestations du demandeur quant à la légalité, à la nécessité, au caractère justifié et à la proportionnalité de la mesure de prorogation du placement en rétention litigieuse sont à rejeter dans leur ensemble.
Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/1154, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008 et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de 2 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812 (1er volet), et les autres références y citées.
3 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.
4 Article 15 de la directive 2008/115: « 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:
a) il existe un risque de fuite, ou b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.
Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.
2. La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires.
La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit.
Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres :
a) soit prévoient qu’un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention, b) soit accordent au ressortissant concerné d’un pays tiers le droit d’engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d’un pays tiers de la possibilité d’engager cette procédure.
Le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale. (…) 4. Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté. (…) ».
10protection, entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte5.
Dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008. Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire du demandeur, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.
Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur … de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000,- euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000,- euros, telle que formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 22 août 2024 par :
Michèle STOFFEL, vice-président Géraldine ANELLI, premier juge, 5 Trib. adm., 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 97 (2e volet) et les autres références y citées.
11Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier en chef Xavier DREBENSTEDT.
s. Xavier DREBENSTEDT s. Michèle STOFFEL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 12