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16/08/2024 | LUXEMBOURG | N°47870

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 août 2024, 47870


Tribunal administratif N° 47870 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TAM:2024:47870 1re chambre Inscrit le 26 août 2022 Audience publique extraordinaire du 16 août 2024 Recours formé par la société A, …, contre des décisions de la Ville de Remich en matière de vente de marchandises sur et en bordure de la voie publique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47870 du rôle et déposée le 26 août 2022 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme KR

IEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barrea...

Tribunal administratif N° 47870 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TAM:2024:47870 1re chambre Inscrit le 26 août 2022 Audience publique extraordinaire du 16 août 2024 Recours formé par la société A, …, contre des décisions de la Ville de Remich en matière de vente de marchandises sur et en bordure de la voie publique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47870 du rôle et déposée le 26 août 2022 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société A, établie et ayant son siège social à …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à l’annulation 1) de « […] la décision de l’administration communale de Remich, en date du 25 janvier 2022, concernant le refus d’accorder l’autorisation pour l’installation d’un point de vente pour crêpes et glaces devant la façade du restaurant … […] », 2) de « […] la décision de l’administration communale de Remich, en date du 25 février 2022, concernant le même objet […] » et 3) de « […] la décision de l’administration communale de Remich, énoncée par une lettre de son avocat, en date du 27 mai 2022, concernant le même objet, à la suite d’un recours gracieux du 15 mars 2022 […] » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Kelly FERREIRA SIMOES, en replacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 6 septembre 2022 portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Remich, établie à L-5501 Remich, Place de la Résistance, rue Enz, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Anne-Laure JABIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée le 7 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif, au nom de l’administration communale de la Ville de Remich, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 décembre 2022 par Maître Anne-Laure JABIN, au nom de l’administration communale de Remich, préqualifiée ;

1 Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, et Maître Anne-Laure JABIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 mars 2024.

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Le 13 octobre 2016, la société A, ci-après désignée par « la société A », signa un accord de sous-bail et d’approvisionnement en boissons avec la société …, ci-après désignée par « la BRASSERIE », concernant la location du restaurant … », ci-après désigné par « le Restaurant », se trouvant dans un immeuble sis à …, ci-après désigné par « l’Immeuble ».

Le 13 janvier 2022, le propriétaire de l’Immeuble, Monsieur B, s’adressa à l’administration communale de la Ville de Remich, ci-après désignée par « la commune », en les termes suivants :

« […] Par la présente, nous vous écrivons la présente lettre pour demander que le locataire du café-restaurant « … », sis à … enlève les « tentes » qu’il a installé devant les garages.

En effet, nous sommes propriétaire de tout le bâtiment et il nous bloque l’accès à nos garages. Quand il y a eu les inondations, nous-même et les pompiers avons dû attendre que monsieur vienne pour écarter une partie de son matériel afin que nous puissions accéder à nos garages. C’est inadmissible, ce que nous lui avons dis également.

Apparemment, il aurait une autorisation de la commune pour le faire.

Cependant, il est locataire du local, et le contrat de bail ne comprend pas les garages.

Nous ne lui avons jamais donné l’autorisation d’installer ces « tentes » ou quoi que ce soit d’autre à cet endroit, ou à tout autre endroit qui n’est pas expressément stipulé dans le contrat de bail comme partie louée. […] ».

Par courrier du 25 janvier 2022, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Remich informa la société A de sa décision portant refus de faire droit à une demande de cette dernière tendant à l’octroi d’une autorisation pour l’installation d’un point de vente pour crêpes devant le Restaurant, ce courrier étant rédigé comme suit :

« […] En réponse à votre demande d’installer un point de vente pour crêpes et des tables pour la consommation devant la façade votre restaurant sis au …, nous avons le regret de vous informer que nous ne pouvons pas y donner une suite favorable.

En effet le propriétaire du bâtiment nous a informé que les garages ne font pas partie de votre contrat de location et que l’emplacement devant les garages devra rester libre afin de garantir l’accès à ces derniers.

Dans ce même courrier nous tenons également à préciser que vous n’auriez plus le droit d’y installer quelconque matériel pendant la période d’ouverture des terrasses. […] ».

2Le 25 février 2022, le bourgmestre de la Ville de Remich adressa à la société A un courrier intitulé « Autorisation d’exploiter une terrasse pour la saison 2022 », libellé comme suit :

« […] Suite à votre demande, la Ville de Remich vous autorise par la présente d’exploiter une terrasse selon les conditions suivantes : […] La surface de la terrasse est autorisée selon le plan annexé à votre demande d’exploitation, respectivement le plan établi par la Ville de Remich avec les paramètres suivants :

• Lieu : … • Extension de la terrasse : néant • Société : A | enseigne : … • Surface terrasse principale (en m2) : 280 • Surface extension (en m2) : 0 • Surface totale (en m2) : 280 • Appareils électroniques et autres installations (hors tables, chaises, parasols et bacs à fleurs) : néant • Remarque : Vous n’avez pas le droit d’installer un point de vente pour crêpes et/ou glaces et des tables pour la consommation devant la façade votre restaurant sis au …. Comme déjà précisé dans notre courrier du 25 janvier 2022, le propriétaire du bâtiment nous a informé que les garages ne font pas partie de votre contrat de location et que l’emplacement devant les garages devra rester libre afin de garantir l’accès à ces derniers. Par conséquent nous vous invitons à enlever tous les objets actuellement placés sur la surface devant votre commerce (Plantes, structure de tente,…). […] ».

Par courrier du 15 mars 2022, le litismandataire de l’époque de la société A demanda à la commune de lui transmettre une copie du susdit courrier du 25 janvier 2022, en affirmant que sa mandante ne l’aurait jamais reçu, tout en l’invitant à faire parvenir à cette dernière « […] une autorisation d’exploitation dans laquelle [elle] a[urait] le droit, tel que les 5 dernières années, d’installer son point de vente pour crêpes et/ou glaces […] » et, ainsi, à « […] revoir [son] refus et [à lui] faire parvenir une autorisation rectifiée endéans les meilleurs délais […] ».

La commune y répondit par courrier de son litismandataire du 27 mai 2022, rédigé comme suit :

« […] Je suis le conseil de l’administration communale de la Ville de Remich qui m’a transmis votre courrier du 15 mars 2022, qui est contesté dans toute sa teneur.

En premier lieu et comme demandé, je vous joins en annexe le courrier du 25 janvier 2022 adressé à votre mandant.

En deuxième lieu, il est contesté que votre mandant disposerait d’un quelconque droit acquis quant à un emplacement de terrasse.

3A titre préliminaire, il convient de préciser que pour tout emplacement de terrasse s’applique le règlement relatif à l’établissement de terrasses et étalages, à l’exposition et à la vente de marchandises et de produits indigènes sur et en bordure de la voie publique, tel que voté par le conseil communal le 25 juillet 2012 (ci-après le « Règlement du 25 juillet 2012 »).

Le Règlement du 25 juillet 2012 impose la réglementation suivante : […] Il ressort ainsi du Règlement du 25 juillet 2012 qu’il n’existe aucun droit acquis concernant l’installation d’une terrasse, alors qu’il est exigé d’avoir une demande une fois par année, demande conditionnée à la vérification de différents éléments et au paiement de la taxe y relative.

Ensuite, il convient de faire la différence entre la demande d’installation de terrasse sur la place … de celle sollicitée devant la façade du bâtiment sis au ….

En effet, seules les terrasses, selon le périmètre fixé comme suit par le conseil communal, est autorisé sur la Place … : […] Ainsi, votre mandant disposerait d’une surface théorique de 280 m2 sur la Place ….

Tel n’est pas l’objet de la demande de votre mandant.

En effet, votre mandant a sollicité « un point de vente pour crêpes et des tables pour la consommation devant la façade » du restaurant.

Par décision du 25 janvier 2022, il a été expliqué que le point de vente ponctuelle pour la vente de crêpes ne peut pas avoir lieu devant la façade du restaurant de votre mandant pour des raisons de sécurité publique (cf. Infra), vu que les garages sont utilisés.

Il convient d’insister sur le fait que, dans le dossier de ma mandante, ne se retrouve que trois autorisations purement ponctuelles devant la façade du restaurant, le restant étant des demandes de terrasses sur la place Place … d’une superficie de 170 m2.

Ces demandes ponctuelles étaient les suivantes :

− Pour le jour de la cavalcade du 11 mars 2018, suivant demande du 13 janvier 2018 ;

− Pour le week-end des 7 et 8 avril 2018, suivant demande du 4 avril 2018 :

− Pour le 15 août 2019, suivant demande du 13 août 2019 accordée le 14 août 2019.

Il convient encore d’ajouter que d’ores et déjà par courrier du 6 juillet 2020, ma mandante avait refusé la demande de cuisiner des pâtes et de faire des pizzas dans un four électrique devant la façade de l’immeuble, aux motifs que (i) une telle installation ne peut pas avoir lieu sur le trottoir et que (ii) seules des ventes de crêpes, gaufres et glaces sont possibles suivant l’article 2 du Règlement du 25 juillet 2012 et surtout (iii) uniquement « sur la surface d’exploitation de votre terrasse » sachant que « le passage aux piétons et services d’urgence et la salubrité des lieux devront être garantis en permanence ». Dans ce prédit courrier du 6 juillet 2020, ma mandante avait d’ailleurs informé votre mandant qu’il ne pourrait en tout état de cause installer le point de vente crêpes et glaces qu’après avoir fait les démarches 4nécessaires pour obtenir une autorisation pour sa terrasse régulière, ce que votre mandant n’a pas fait.

En effet, le quai de la moselle est une voirie publique avec trottoir, voirie publique qui en tant que telle reçoit le passage de véhicules motorisés.

Toutefois, la réglementation de circulation n’autorise l’accès au quai de la moselle qu’aux véhicules motorisés qui sont des riverains ou des fournisseurs.

Le fait est que la façade du restaurant … se présente comme suit : […] Ainsi, il est un fait qu’il existe deux garages sur une des façades, la façade la plus à l’Ouest.

Ces garages sont manifestement, selon les dires du propriétaire, utilisés.

Nous avons effectivement connaissance du fait du PAP approuvé le 25 janvier 2016 par le ministre de l’Intérieur (Mémorial A n°64/2016 du 18 avril 2016) et du fait de la convention d’exécution dudit PAP ainsi que des autorisations subséquentes, que ces garages sont liés à des habitations sises dans l’immeuble du …, dont le restaurant de votre mandant se situe au 1er étage.

Dans ces conditions, il est indispensable, pour des raisons de sécurité publique, que les accès à ces garages ne soient pas entravés.

Ma mandante se refuse de prendre le risque de voir un automobiliste renverser des tables situées sur un trottoir devant l’accès à ces garages.

Aussi, ma mandante n’entend pas voir défendre les intérêts privés du propriétaire de l’immeuble, mais doit s’assurer que toute demande d’installation respecte les règles élémentaires de sécurité publique.

Il appartiendrait à votre mandant de faire une demande en autorisation de préparer et vendre des crêpes/glaces sur sa surface de terrace sur la Place … et non pas sur le quai de la moselle.

Enfin et à toutes fins utiles, il est rappelé qu’il est formellement interdit à votre mandant d’installer des tentes avec ou non fixation dans le sol, à l’instar de celles installées dans le passé et sans avoir obtenu la moindre autorisation. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 août 2022, la société A a fait introduire un recours tendant à l’annulation (i) de « […] la décision de l’administration communale de Remich, en date du 25 janvier 2022, concernant le refus d’accorder l’autorisation pour l’installation d’un point de vente pour crêpes et glaces devant la façade du restaurant …, sis à … […] », (ii) « […] la décision de l’administration communale de Remich, en date du 25 février 2022, concernant le même objet […] » et (iii) « […] la décision de l’administration communale de Remich, énoncée par une lettre de son avocat, en date du 27 mai 2022, concernant le même objet, à la suite d’un recours gracieux du 15 mars 2022 […] ».

I) Quant à la compétence du tribunal 5 Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond dans la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce.

II) Quant à la recevabilité du recours A) Quant à l’intérêt à agir de la société A Positions respectives des parties La commune soulève un défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société demanderesse, en soutenant que le propriétaire de l’Immeuble aurait entretemps résilié le contrat de bail conclu avec LA BRASSERIE, de sorte que le contrat de sous-location conclu entre celle-ci et la société A aurait également pris fin. Etant donné que la société demanderesse ne serait plus locataire des lieux, elle n’aurait plus aucun intérêt à agir à l’encontre des actes déférés, de sorte que son recours devrait être déclaré irrecevable.

Par ailleurs, elle conteste l’argumentaire de la société A aux termes duquel celle-ci entend justifier son intérêt à agir par la considération selon laquelle elle aurait fait face, pour l’année 2022, à une perte de revenu d’un montant approximatif de 17.000 euros pour l’acquisition du matériel nécessaire à l’exploitation du point de vente de crêpes et de gaufres litigieux.

A cet égard, elle soutient, en substance, que ce préjudice ne serait pas prouvé et qu’il ne saurait être valablement invoqué par la société demanderesse, compte tenu du fait que celle-ci n’aurait jamais bénéficié d’une autorisation pour l’exploitation de ce point de vente.

Quant à l’argumentation de la société A ayant trait à un manque à gagner auquel elle aurait été confrontée, la commune conteste un tel manque à gagner, et notamment les montants avancés dans ce contexte par la société demanderesse, tout en soutenant que ce préjudice purement économique relèverait de la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire et en rappelant que la société A n’aurait, dans le passé, jamais bénéficié d’une autorisation pour l’exploitation du point de vente litigieux, de sorte qu’elle ne saurait arguer ne pas pouvoir vendre des crêpes ou des gaufres.

La société A n’a pas déposé de mémoire en réplique.

Cependant, à l’audience publique des plaidoiries du 27 mars 2024, le litismandataire de la société demanderesse a soutenu, en substance et de l’entendement du tribunal, que sa mandante garderait un intérêt à agir à l’encontre des actes déférés, nonobstant la résiliation de son contrat de sous-bail – intervenue, de manière non contestée, après l’introduction du présent recours –, étant donné qu’elle souhaiterait engager une action en dommages-intérêts à l’encontre de la commune pour le préjudice financier lui causé par les actes litigieux, étant précisé que malgré le caractère essentiellement écrit de la procédure devant les juridictions administratives, le tribunal tiendra compte de ces explications dudit litismandataire, la question de l’intérêt à agir étant d’ordre public.1 1 Sur ce dernier point, voir : Cour adm., 29 mai 2008, n° 23728C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 5 et les autres références y citées.

6Appréciation du tribunal La recevabilité d’un recours est conditionnée en principe par l’existence et la subsistance d’un objet, qui s’apprécie du moment de l’introduction du recours jusqu’au prononcé du jugement. L’exigence de la subsistance de l’objet du recours est en général liée à l’exigence du maintien de l’intérêt à agir, et plus particulièrement de l’intérêt à voir sanctionner l’acte faisant l’objet du recours, étant précisé que l’existence d’un tel intérêt à agir présuppose que la censure de l’acte querellé soit de nature à procurer au demandeur une satisfaction personnelle et certaine.2 En l’espèce, la commune fait plaider, en substance, que la société A aurait perdu son intérêt à agir en cours d’instance, étant donné que son contrat de sous-location aurait entretemps pris fin du fait de la résiliation, par le propriétaire de l’Immeuble, du contrat de bail principal conclu avec la BRASSERIE.

Or, étant donné que la société A affirme vouloir intenter une action indemnitaire à l’encontre de la commune pour le préjudice financier qu’elle estime avoir subi du fait des actes litigieux, le tribunal retient, conformément à la jurisprudence de la Cour administrative relative à cette question3, qu’elle garde un intérêt suffisant à obtenir une décision relativement à la légalité desdits actes de la part des juridictions administratives, puisqu’en vertu d’une jurisprudence dorénavant bien établie des tribunaux judiciaires, récemment réaffirmée par la Cour de cassation4, la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé aux particuliers par les décisions en question.

Le moyen d’irrecevabilité sous analyse encourt, dès lors, le rejet, sans qu’il appartienne au tribunal de trancher la question de l’existence, dans le chef de la société A, d’un dommage remplissant les conditions requises pour la mise en œuvre de la responsabilité civile de l’autorité communale, pareille question relevant de la compétence des seules juridictions de l’ordre judiciaire.

B) Quant à la question de la recevabilité ratione temporis du recours, en ce qu’il vise la décision du 25 janvier 2022 Positions respectives des parties La commune soulève l’irrecevabilité ratione temporis du recours, en ce qu’il vise la décision du 25 janvier 2022, telle que déférée, en soutenant que le recours gracieux du 15 mars 2022 n’aurait visé que la décision du 25 février 2022, et non pas celle du 25 janvier 2022, de sorte que celle-ci serait coulée en force de chose décidée.

La société demanderesse n’a pas pris position quant à ce moyen d’irrecevabilité.

Appréciation du tribunal 2 Trib. adm., 20 octobre 2010, n° 26758 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 33 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 21 juin 2022, n° 47126C du rôle, de même que Cour adm., 22 février 2024, n° 49674C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

4 Arrêt numéro 53/2022 du 21 avril 2022, numéro CAS-2021-00044 du registre.

7Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 13 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, « (1) Sauf dans les cas où les lois ou les règlements fixent un délai plus long ou plus court et sans préjudice des dispositions de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, le recours au tribunal n’est plus recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance.

(2) Toutefois si la partie intéressée a adressé un recours gracieux à l’autorité compétente avant l’expiration du délai de recours fixé par la disposition qui précède ou d’autres dispositions législatives ou réglementaires, le délai du recours contentieux est suspendu et un nouveau délai commence à courir à partir de la notification de la nouvelle décision qui intervient à la suite de ce recours gracieux.

(3) Si un délai de plus de trois mois s’est écoulé depuis la présentation du recours gracieux sans qu’une nouvelle décision ne soit intervenue, le délai du recours contentieux commence à courir à partir de l’expiration du troisième mois. […] ».

En l’espèce, indépendamment de la question de savoir si le recours gracieux du 15 mars 2022 peut être considéré comme ayant visé, non pas seulement la décision du 25 février 2022, mais aussi celle du 25 janvier 2022, le tribunal constate que la date de la notification de cette dernière décision ne se dégage pas des éléments soumis à son appréciation et qu’il ne ressort pas non plus des pièces versées en cause que la société demanderesse – qui, à travers le courrier de son litismandataire de l’époque du 15 mars 2022, a affirmé ne pas avoir reçu la décision en question et en a sollicité une copie, laquelle ne lui a été adressée qu’en annexe au courrier, précité, du litismandataire de la commune du 27 mai 2022 – aurait eu connaissance de ladite décision à une date antérieure au 26 mai 2022. Ainsi, il n’est en tout état de cause pas établi que le présent recours, introduit le 26 août 2022, serait tardif en ce qu’il vise ladite décision du 25 janvier 2022.

A cela s’ajoute que la décision du 25 janvier 2022 ne contient pas l’instruction sur les voies de recours prescrite par l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », aux termes duquel « Les décisions administratives refusant de faire droit, en tout ou en partie, aux requêtes des parties ou révoquant ou modifiant d’office une décision ayant créé ou reconnu des droits doivent indiquer les voies de recours ouvertes contre elles, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l’autorité à laquelle il doit être adressé ainsi que la manière dans laquelle il doit être présenté. », de sorte que de toute façon, aucun délai pour agir à l’encontre de la décision en question n’a commencé à courir.5 Le moyen d’irrecevabilité ratione temporis sous analyse encourt, dès lors, le rejet.

En l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le tribunal retient que le recours en annulation est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

III) Quant au fond 5 Trib. adm., 26 janvier 1998, n° 10244 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 298 et les autres références y citées.

8Prétentions des parties A l’appui de son recours, la société demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions attaquées.

Plus particulièrement, elle explique qu’au début de chaque année, elle aurait introduit auprès de la commune une demande d’autorisation pour l’exploitation d’une terrasse, qui lui aurait, à chaque fois, été accordée. Dans le cadre de l’exécution de ces autorisations, elle aurait exploité aussi bien la surface située sur la place … que l’emplacement situé devant la façade de l’Immeuble. A cet égard, elle explique que la voirie publique appelée « Quai de la Moselle » séparerait la place … d’une rangée d’immeubles, dont celui dans lequel serait situé le Restaurant. Sur la place … seraient aménagées des terrasses attribuées à différents exploitants.

Pour accéder à la terrasse à partir du Restaurant, il faudrait traverser la voirie publique « Quai de la Moselle ». Sur l’étroit espace entre la voirie et la façade des immeubles seraient disposés des petits points de vente, la société A soulignant que la voirie publique serait une zone piétonne, dans laquelle seuls les riverains auraient le droit de circuler en voiture pour accéder à leurs maisons.

Elle ajoute que depuis 2016, elle aurait utilisé l’espace situé devant la façade de l’Immeuble pour l’installation d’un point de vente de crêpes et de glaces et que la commune ne l’aurait jamais invitée à cesser cette partie de l’exploitation de sa terrasse, que ce soit oralement ou par écrit, de sorte qu’elle aurait estimé que la commune aurait été d’accord avec cet élément de son commerce.

Elle continue, en expliquant qu’en 2016, le propriétaire de l’Immeuble lui aurait accordé l’autorisation d’aménager un point de vente pour crêpes et glaces devant la façade de l’Immeuble et même de faire passer les câbles électriques à travers les garages.

Se basant sur ces autorisations, elle aurait acheté du matériel spécialisé pour le point de vente (machines, tentes, câbles, etc.), la société A soulignant que ce dernier serait entièrement démontable et composé d’éléments mobiles.

En 2022, elle aurait introduit, comme chaque année, une demande d’autorisation auprès de la commune, qui, cette fois-ci, aurait cependant été rejetée, par décision du 25 janvier 2022.

En droit, la société A soutient que les décisions attaquées violeraient le règlement relatif à l’établissement de terrasses et étalages, à l’exposition et la vente de marchandises et de produits indigènes sur et en bordure de la voie publique, adopté par le conseil communal de la Ville de Remich en sa séance du 25 juillet 2012, ci-après désignée par « le règlement du 25 juillet 2012 ».

A cet égard, elle souligne qu’elle aurait certes demandé une autorisation pour sa terrasse, située sur la place …. Cependant, elle aurait aussi demandé une autorisation pour installer un point de vente – et non pas une terrasse – devant la façade de l’Immeuble.

Etant donné que le règlement du 25 juillet 2012 comporterait un titre A concernant l’« Etablissement de terrasses sur et en bordure de la voie publique » et un titre B intitulé « Etablissement d’étalages, exposition et vente de marchandises sur et en bordure de la voie publique », ce même règlement prévoirait bien la possibilité d’aménager tant des terrasses que des points de vente soit sur la voie publique, soit en bordure de la voie publique.

9 Or, le site se trouvant devant la façade de l’Immeuble se trouverait en bordure de la voie publique, laquelle serait constituée par l’ancienne rue « Quai de la Moselle », située entre les immeubles et la place …, la société demanderesse en déduisant, en substance, que le point de vente litigieux y serait, en principe, autorisable.

S’il ressort de l’article 13 du règlement du 25 juillet 2012 que l’autorisation pourrait être refusée si le projet de l’administré concerné compromet la sûreté et la commodité du passage, il se dégagerait néanmoins de la décision déférée du 25 janvier 2022 qu’en l’espèce, le refus communal serait motivé par un « […] problème de droit civil […] » existant entre la société A et le propriétaire de l’Immeuble, en l’occurrence la question de l’accès aux garages de l’Immeuble.

En tout état de cause, cette motivation serait matériellement inexacte, étant donné que le point de vente litigieux ne rendrait nullement impossible l’accès auxdits garages, puisqu’il pourrait être aisément et rapidement déplacé, voire démonté et qu’il subsisterait un passage entre la façade de l’Immeuble et la partie arrière du point de vente, qui rendrait possible l’accès aux garages, même sans déplacement de ce dernier.

Par ailleurs, la société demanderesse réfute l’argumentation développée par le litismandataire de la commune dans son courrier, précité, du 27 mai 2022, selon laquelle il serait indispensable que l’accès aux garages ne soit pas entravé, pour des raisons de sécurité publique. A cet égard, elle conteste que la sécurité publique dans la zone piétonne pourrait être mise en danger par l’inaccessibilité des garages, en soutenant qu’au contraire, pareille inaccessibilité signifierait que les voitures destinées à y être garées ne circuleraient pas dans la zone piétonne, ce qui impliquerait une diminution de la probabilité d’un accident.

Quant aux développements dudit litismandataire selon lesquels la commune refuserait de prendre le risque de voir un automobiliste renverser des tables situées sur un trottoir devant l’accès aux garages, la société A insiste sur le fait qu’à l’endroit litigieux, elle n’entendrait pas installer une terrasse avec des chaises et des tables, mais un point de vente, de sorte qu’il n’y aurait pas de risque de renversement de tables. Elle ajoute qu’un automobiliste imprudent qui serait autorisé à circuler dans la zone piétonne renverserait d’abord les piétons circulant sur la voirie du Quai de la Moselle, avant de pouvoir toucher des clients en attente devant le point de vente. Par ailleurs, la probabilité qu’un véhicule circulant dans la zone piétonne touche une personne devant le point de vente ne serait pas plus grande que celle qu’un véhicule touche une personne sur l’une des terrasses sur la place ….

En tout état de cause, l’argument de la sécurité et de la commodité du passage ne serait pas valable, étant donné qu’entre 2016 et 2021, il n’y aurait jamais eu un quelconque problème à ce sujet.

En outre, le même argument devrait être appliqué à tous les autres points de vente du même genre qui existeraient sur le Quai de la Moselle le long des façades d’immeubles, et plus particulièrement au point de vente de textiles se trouvant à droite de l’emplacement prévu pour le point de vente litigieux en l’espèce et qui serait toujours en fonctions, de sorte à avoir nécessairement été autorisé par la commune.

10Quant à l’argumentation communale selon laquelle les garages ne feraient pas partie du contrat de sous-location conclu par la société A, cette dernière fait valoir, d’une part, que l’argumentation en question serait dépourvue de pertinence au regard des critères de refus prévus par le règlement du 25 juillet 2012 et, d’autre part, qu’il ne serait pas précisé dans ledit contrat que les garages y seraient exclus, la société demanderesse soutenant qu’il serait, au contraire, logique de considérer que ces derniers feraient partie des caves situées au rez-de-chaussée de l’Immeuble, qui, quant à elles, seraient expressément visées dans le contrat en question comme faisant partie de la location.

Dans ce contexte, elle précise que le propriétaire de l’Immeuble n’aurait jamais utilisé les garages pour y stationner des voitures, mais y aurait déposé des objets désaffectés et ne s’y serait presque jamais rendu. L’utilisation de l’espace devant les garages par la société demanderesse aurait toujours été tolérée par ledit propriétaire, qui l’aurait même expressément autorisée à y installer le point de vente litigieux et à faire passer des câbles électriques par les garages, ainsi que cela se dégagerait des attestations testimoniales versées en cause.

Quant à l’argumentation présentée par la partie communale dans le courrier, précitée, de son litismandataire du 27 mai 2022, selon laquelle les garages seraient liés à des habitations se trouvant dans l’Immeuble, la société A insiste sur le fait qu’en réalité, ces garages serviraient au propriétaire de l’Immeuble, qui en ferait l’usage ci-avant décrit, et ne seraient pas donnés en location aux résidents desdites habitations.

Après avoir souligné qu’elle se serait toujours acquittée de la taxe annuelle prévue par le règlement du 25 juillet 2012, elle conclut que les décisions déférées ne seraient pas conformes à ce dernier, de sorte à devoir encourir l’annulation.

Par ailleurs, la société demanderesse soulève une violation de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en soutenant que conformément à cette disposition règlementaire, il appartiendrait à l’administration de respecter le principe du contradictoire, en donnant à l’administré la possibilité de prendre position par rapport à une décision projetée en temps utile, c’est-à-dire suffisamment de temps à l’avance.

La société A estime qu’en l’espèce, après avoir autorisé le point de vente litigieux au cours des années 2016 à 2021, la commune aurait dû la contacter afin d’engager une discussion avec elle quant aux problèmes que poserait, aux yeux de l’autorité communale, l’installation en question, afin de trouver, le cas échéant, une solution de compromis.

En outre, la société A soulève une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en soutenant, en substance, que si, certes, les décisions déférées sont motivées, la motivation fournie par la partie communale serait néanmoins erronée en droit et il n’existerait aucun autre motif d’ordre public ou d’intérêt général qui serait de nature à justifier le refus de la commune d’autoriser l’installation du point de vente litigieux, de sorte que les décisions attaquées devraient être annulées.

La société A soulève encore une violation du principe de confiance légitime, en reprochant à la commune un brusque revirement d’attitude, en ce que pour l’année 2022, elle aurait soudainement refusé de lui délivrer l’autorisation pour l’installation du point de vente litigieux, autorisation qu’elle aurait cependant obtenue pour les années 2016 à 2021, la société demanderesse ajoutant que pendant cette période de 6 ans, la commune ne serait jamais intervenue pour faire cesser l’exploitation dudit point de vente. Etant donné que ce revirement 11d’attitude ne serait pas motivé par un changement de la situation de fait ou de droit, mais uniquement par une « prise à partie » pour l’une des parties impliquées dans un litige en matière de bail commercial, en l’occurrence le propriétaire de l’Immeuble, les décisions attaquées devraient encourir l’annulation.

Finalement, la société A soulève une violation du principe d’égalité devant la loi, tel que consacré par l’article 10bis de la Constitution, en se prévalant d’une différence de traitement entre elle-même, d’une part, et les exploitants respectifs du susdit point de vente de textiles, d’une boulangerie située sur le Quai de la Moselle et comprenant, elle aussi, un point de vente devant l’immeuble, ainsi que de « […] plusieurs autres [commerces] qui dispose[raient] d’un point de vente devant la façade de la maison », situés « […] [p]lus loin en aval de la rue … […] », d’autre part.

La commune conclut au rejet du recours.

Appréciation du tribunal S’agissant d’abord de la légalité externe des décisions déférées et, plus particulièrement, du moyen tiré de la violation de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le tribunal relève que celui-ci prévoit ce qui suit :

« Lorsqu’une décision administrative est susceptible d’affecter les droits et intérêts de tierces personnes, l’autorité administrative doit lui donner une publicité adéquate mettant les tiers en mesure de faire valoir leurs moyens.

Dans la mesure du possible, l’autorité administrative doit rendre publique l’ouverture de la procédure aboutissant à une telle décision.

Les personnes intéressées doivent avoir la possibilité de faire connaître leurs observations.

La décision définitive doit être portée par tous moyens appropriés à la connaissance des personnes qui ont présenté des observations. ».

Or, étant donné que cette disposition réglementaire ne vise que la collaboration de tierces personnes à l’élaboration d’une décision administrative et que la société demanderesse n’a pas cette qualité de tierce personne, alors qu’elle constitue le destinataire direct des décisions déférées refusant de faire droit à sa propre demande d’autorisation pour l’installation d’un point de vente devant le Restaurant dont elle était, à l’époque, l’exploitant, elle n’entre pas dans le champ d’application de la disposition réglementaire en question.6 Il s’ensuit que le moyen tiré d’une méconnaissance de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est à rejeter.

Quant au moyen tiré de la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le tribunal relève que celui-ci est rédigé comme suit :

« Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

6 Voir : trib. adm., 17 mars 2003, n° 15356 du rôle, confirmé par Cour adm., 8 juillet 2003, n° 16355C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 177 et les autres références y citées.

12La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :

- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;

- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;

- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;

- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale. […] ».

Il ressort de cette disposition réglementaire que toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et que certaines catégories de décisions, énumérées à l’alinéa 2 de ladite disposition, parmi lesquelles figurent celles qui refusent de faire droit à la demande de l’intéressé, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.

Le tribunal constate que les décisions déférées comportent bien une motivation qui repose, en substance, sur la considération selon laquelle l’accès aux garages de l’Immeuble ne devrait pas être entravé, pour des raisons de sécurité.

Dans son mémoire en réponse, la partie communale a pris position de manière détaillée quant aux contestations formulées par la société demanderesse et a fourni des motifs complémentaires à l’appui des décisions attaquées, en soutenant, d’une part, qu’en vertu de l’article 19, alinéa 2 du règlement du 25 juillet 2012, il ne serait pas permis de rajouter sur la voie publique ou aux abords de la voie publique des aménagements pour la vente de marchandises et, d’autre part, que l’installation du point de vente litigieux se heurterait encore à l’article 17 du règlement de police de la Ville de Remich, qui interdirait toute occupation de la voirie publique.

La motivation ainsi fournie par la partie communale est suffisamment précise pour permettre à la société demanderesse d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause et au tribunal d’exercer son contrôle de légalité, étant relevé que la question de savoir si la motivation ainsi fournie est de nature à justifier les décisions attaquées relève du fond du litige et sera abordée ci-après. Le moyen sous analyse encourt, dès lors, le rejet.

Quant à la légalité interne des décisions attaquées, le tribunal relève que le règlement du 25 juillet 2012 est subdivisé en un « Titre A », intitulé « Etablissement de terrasses sur et en bordure de la voie publique » et un « Titre B », intitulé « Etablissement d’étalages, exposition et vente de marchandises sur et en bordure de la voie publique ».

En l’espèce, la société demanderesse précise expressément qu’elle aurait sollicité une autorisation pour l’établissement d’une terrasse sur la place …, tandis que s’agissant de l’emplacement situé devant la façade de l’Immeuble, qui est seul concerné par le présent litige, elle aurait demandé une autorisation pour y établir, non pas une terrasse, mais uniquement un point de vente de crêpes et de gaufres.

13Il s’ensuit que les dispositions pertinentes en l’espèce sont celles du « Titre B » du règlement du 25 juillet 2012, et non pas celles du « Titre A », ce que la société A ne conteste, d’ailleurs, pas.

Ledit « Titre B » est subdivisé en un « Chapitre 1 », intitulé « Etalage et exposition de marchandises » et un « Chapitre 2 », intitulé « Vente de marchandises ».

Etant donné qu’en l’espèce, la société A entendait vendre des crêpes et des gaufres, il y a lieu de se référer au « Chapitre 2 », et, plus particulièrement, à l’article 19 du règlement du 25 juillet 2012, qui prévoit ce qui suit :

« Il est interdit aux commerçants de vendre des marchandises, de quel genre qu’elles soient, sur la voie publique et par l’intermédiaire de guichets, comptoirs etc. vers l’extérieur de leurs établissements aux passants circulant sur la voie publique. Sur demande écrite, dûment motivée, le collège des bourgmestre et échevins pourra toutefois délivrer aux commerçants concernés une autorisation à vendre par l’intermédiaire de guichets, comptoirs etc. des marchandises, mais uniquement dans leurs établissements respectifs7 et ceci sous réserve d’être en possession de toute autorisation étatique éventuellement requise en la matière. ».

Il suit de cette disposition que si une autorisation peut être délivrée pour la vente de marchandises à travers des guichets, comptoirs, etc. se trouvant à l’intérieur des établissements des commerçants concernés, la vente de marchandises par l’intermédiaire d’aménagements installés sur la voie publique, à l’extérieur des établissements, est en tout état de cause interdite.

Dès lors, et dans la mesure où le pouvoir réglementaire communal a pris le soin de préciser que sont visées les marchandises « […] de quel genre qu’elles soient […] », de sorte qu’en l’absence de disposition expresse contraire, le terme « marchandises » doit être compris dans son sens le plus large et englobe, dès lors, notamment, les denrées alimentaires, telles que des crêpes ou des gaufres, le tribunal conclut que l’installation du point de vente litigieux sur le Quai de la Moselle, qui constitue, de manière non contestée, une voie publique, n’est pas autorisable sur base du règlement du 25 juillet 2012.

L’autorité communale a, dès lors, a priori valablement pu refuser de faire droit à la demande afférente de la société A, indépendamment du bien-fondé de l’argumentation de la partie communale ayant trait à la nécessité de ne pas entraver l’accès vers les garages de l’Immeuble.

S’agissant du moyen tiré de la violation du principe de confiance légitime, le tribunal précise que ce principe, qui s’apparente au principe de la sécurité juridique, s’oppose à ce que l’administration opère brusquement des revirements de comportement revenant sur les promesses faites aux administrés, autrement dit, le principe de confiance légitime implique que l’administré est en droit d’exiger de l’autorité administrative qu’elle ne se départisse pas brusquement d’une attitude qu’elle a suivie dans le passé.8 7 Souligné par le tribunal.

8 Trib. adm., 22 juin 2016, n° 36604 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et Règlements, n° 63 et les autres références y citées.

14Un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et a réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines.9 En l’espèce, le tribunal constate que le moyen de la société A repose sur la prémisse selon laquelle elle aurait bénéficié d’une autorisation pour l’établissement du point de vente litigieux depuis l’année 2016.

Or, force est au tribunal de constater que la réalité de cette prémisse n’est pas établie, étant donné que face aux contestations de la partie communale, la société A n’a pas fourni un quelconque élément de preuve dont il se dégagerait qu’elle aurait effectivement bénéficié d’une telle autorisation pour la période s’étendant de 2016 à 2021.

Si la société demanderesse semble encore soutenir que dans les faits, elle aurait exploité ledit point de vente pendant la période susvisée, sans que la commune serait intervenue pour faire cesser cette activité, le tribunal relève qu’au niveau de l’application du principe de confiance légitime, il y a lieu d’insister sur le qualificatif légitime, de sorte qu’aucun droit ne saurait être valablement tiré par l’administré d’une application illégale d’un texte de l’ordonnancement juridique par rapport à une même situation administrative qui est la sienne.

C’est dire que si, dans la matière donnée, l’administration n’a pas de pouvoir d’appréciation et qu’elle est amenée à appliquer directement un texte de l’ordonnancement juridique à une situation de fait, soit cette application a été légale et le principe de confiance légitime joue pleinement, soit elle ne l’a pas été et le principe ne saurait jouer valablement. Ce n’est que dans une situation où l’application d’un même texte de l’ordonnancement juridique comporte, dans le chef de l’administration, une certaine marge d’appréciation que l’application du principe de confiance légitime est appelé à jouer pleinement dans le chef de l’administré par rapport à l’application duquel l’administration a été amenée à opérer.10 Il y a encore lieu de relever que le principe général de la confiance légitime ne saurait être utilement invoqué pour aboutir à une interprétation non conforme à la loi11 et le respect des droits acquis ne s’impose que si l’on est en présence d’une décision administrative régulière, conforme au droit existant.12 Dès lors, et étant donné que le tribunal vient ci-avant de retenir que l’installation du point de vente litigieux n’est pas autorisable, en vertu de l’article 19 du règlement du 25 juillet 2012, et qu’en tout état de cause, il vient d’être constaté qu’il n’est pas établi que la société A ait quand même bénéficié d’une telle autorisation pour la période antérieure à 2022, le fait que la commune ne soit, le cas échéant, pas intervenue auprès de la société A au cours de cette même période pour faire cesser cette activité non autorisée et non autorisable ne permet pas à 9 Trib. adm., 25 janvier 2010, n° 25548 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm., 18 mai 2010, n° 26683C du rôle, Pas. adm. 2023 V° Lois et Règlements, n° 61 et les autres références y citées.

10 Cour adm., 2 avril 2015, n° 35541C du rôle, Pas. adm. 2023 V° Lois et Règlements, n° 61 et les autres références y citées.

11 Cour adm., 19 octobre 2017, n° 39576C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et Règlements, n° 61 et l’autre référence y citée.

12 Trib. adm., 14 novembre 2016, nos 36988 et 36989 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et Règlement, n° 62.

15la société demanderesse de se prévaloir utilement d’une violation du principe de confiance légitime.

Le moyen sous analyse encourt, au vu des considérations qui précèdent, le rejet.

S’agissant finalement du moyen tiré de la violation du principe constitutionnel d’égalité devant la loi, le tribunal relève que ce principe, tel qu’inscrit à l’article 10bis de la Constitution, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité, et par extension les droits extrapatrimoniaux sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon.

Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée.

Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but.13 En l’espèce, le tribunal constate que les éléments soumis à son appréciation ne lui permettent pas de constater qu’il y aurait effectivement eu une différence de traitement entre la société A, d’une part, et les autres commerçants visés par elle, d’autre part. Plus particulièrement, il ne se dégage aucunement des éléments de la cause que ces autres commerçants auraient effectivement bénéficié, pour l’année 2022, d’une autorisation pour l’établissement d’un point de vente de marchandises sur la voie publique délivrée en application du règlement du 25 juillet 2012.

Par ailleurs, même si tel avait été le cas, ce qui laisse d’être établi, cette circonstance ne saurait justifier l’annulation des décisions déférées pour violation du principe d’égalité devant la loi, étant donné, d’une part, que le tribunal vient de constater que l’établissement d’un point de vente de marchandises sur la voie publique n’est pas autorisable sur base de ce dernier règlement et, d’autre part, qu’il ne saurait y avoir d’égalité dans l’illégalité.14 Le moyen sous examen encourt, dès lors, lui aussi le rejet.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Eu égard à l’issue du litige, la société demanderesse est à débouter de sa demande d’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000 euros.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

13 Trib. adm. 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 9 et les autres références y citées.

14 Voir, sur ce dernier point : trib. adm., 23 septembre 2022, n° 45626 du rôle, de même que trib. adm., 5 juin 2024, n° 47104 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

16reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

déboute la société demanderesse de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la société demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 16 août 2024 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier en chef Xavier DREBENSTEDT.

s. Xavier DREBENSTEDT s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 47870
Date de la décision : 16/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-16;47870 ?

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