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14/08/2024 | LUXEMBOURG | N°50771

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 août 2024, 50771


Tribunal administratif N° 50771 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50771 chambre de vacation Inscrit le 18 juillet 2024 Audience publique du 14 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50771 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 juillet 2024 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem

bourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, actu...

Tribunal administratif N° 50771 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50771 chambre de vacation Inscrit le 18 juillet 2024 Audience publique du 14 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50771 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 juillet 2024 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribuée au « ministre de l’Immigration et de l’Asile », du 3 juillet 2024 de le transférer vers l’Espagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 juillet 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE, et Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 août 2024.

Le 28 mars 2024, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les recherches effectuées le même jour dans la base de données EURODAC révélèrent que Monsieur … avait été appréhendé par les autorités espagnoles lors d’un franchissement illégal de la frontière espagnole en date du 4 décembre 2023.

Le 2 avril 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 4 avril 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues espagnols en vue de la prise en charge de l’intéressé sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Par courrier électronique du 10 mai 2024, les autorités espagnoles informèrent les autorités luxembourgeoises qu’en raison d’une surcharge de travail et d’une pénurie de ressources humaines, elles accepteraient désormais par défaut la prise, respectivement la reprise en charge, de toutes les personnes dont la responsabilité incombe à l’Espagne en vertu du règlement Dublin III et qu’elles prendraient position par rapport aux seuls cas dans lesquels l’Espagne n’est pas ou plus responsable.

Par décision du 3 juillet 2024, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 5 juillet 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Espagne sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles des articles 13, paragraphe (1) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 28 mars 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Espagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 28 mars 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 2 avril 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 28 mars 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 4 décembre 2023.

2 Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 2 avril 2024.

Sur cette base, une demande de prise en charge sur base de l'article 13(1) du règlement DIII a été adressé aux autorités espagnoles en date du 4 avril 2024, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités espagnoles en date du 5 juin 2024, conformément à l'article 22(7) du règlement DIII.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE)° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

La responsabilité de l'Espagne est acquise suivant l'article 22(7) du règlement DIII en ce que l'absence de réponse à l'expiration d'un délai de deux mois équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée.

Un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 28 mars 2024 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 4 décembre 2023.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Guinée en août 2022 à destination du Maroc en passant par le Mali et l'Algérie. Après un an au Maroc, vous seriez monté à bord 3 d'une embarcation clandestine vers l'Espagne. Vous auriez séjourné trois mois dans un foyer pour réfugiés en Espagne sans pour autant y introduire une demande de protection internationale. Comme votre pays de destination aurait été le Luxembourg, vous auriez quitté l'Espagne en train, via la France, où vous seriez resté trois jours à la gare de Paris, pour finalement arriver au Luxembourg en date du 26 mars 2024.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 2 avril 2024, vous mentionnez que vous auriez des problèmes dentaires et des maux de tête intenses. Il y a cependant lieu de soulever que vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Espagne qui est l'Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous indiquez ne pas vouloir vous rendre en Espagne, car vous risqueriez de vous retrouver à la rue pour avoir quitté le centre de réfugiés de …/Espagne.

Rappelons à cet égard que l'Espagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Espagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] ( « directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Espagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l'Espagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. Torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Espagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Espagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Espagne, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités espagnoles ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes espagnoles, notamment judiciaires.

4 Les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Espagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Espagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Espagne en informant les autorités espagnoles conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités espagnoles n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 3 juillet 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Prétentions des parties 5 A l’appui de son recours et en fait, le demandeur réitère, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tels que repris ci-avant.

En droit, il conteste tout d’abord la compétence de principe de l’Espagne à connaître de sa demande de protection internationale, étant donné qu’il aurait introduit sa première demande de protection internationale au Luxembourg. Il ne s’agirait dès lors pas « d’une demande secondaire (…) pour laquelle le Règlement UE Dublin III précité garantit l’examen par un seul Etat membre prédéterminé et évite le forum shopping ». Il donne encore à considérer qu’en Espagne, il aurait été logé dans une structure d’urgence pour personnes sans domicile fixe sans avoir eu accès à la procédure d’asile.

Ensuite, après avoir cité l’article 3, paragraphe (2), alinéas 2 et 3 du règlement Dublin III et s’être emparé d’un rapport de la Commission espagnole d’aide aux Réfugiés, du rapport de la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, ainsi que des arrêts C-411/10, C-493/10 du 21 décembre 2011 et C-578/16 PPU du 16 février 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », ainsi que d’un arrêt « Tarakhel contre Suisse » du 4 novembre 2014 de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », le demandeur fait valoir que l’Espagne devrait être considérée comme ne respectant pas le système européen commun d’asile du fait des difficultés d’accès à la procédure d’asile, de la défaillance de l’accueil matériel des bénéficiaires de protection internationale ainsi que du taux de reconnaissance des demandes de protection internationale qui serait tombé en Espagne de 16,5 en 2022 à 12% en 2023 et serait le plus bas de tous les Etats membres de l’Union européenne. De ce fait, il devrait être admis que le système d’asile espagnol ne respecterait pas les droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale, ce qui constituerait une défaillance systémique dans la procédure de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale. Il s’appuie également sur un arrêt C-163/17 du 19 mars 2019 de la CJUE pour soutenir que le système commun européen d’asile, qui serait fondé sur le principe de confiance mutuelle, n’exclurait pas, en cas de transfert vers l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale, que le demandeur de protection internationale puisse faire face à des conditions de vie qui l’exposeraient à une situation de dénuement matériel extrême contraire à l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. Il explique, à cet égard, que le seuil particulièrement élevé de gravité auquel la CJUE ferait référence dans l’arrêt du 19 mars 2019, prémentionné, serait atteint en Espagne en raison des retards dans la prise en charge des demandeurs de protection internationale et des conditions matérielles d’accueil caractérisées par des carences structurelles.

Il devrait dès lors être admis que l’exécution de la décision ministérielle litigieuse emporterait une violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« Charte »).

Finalement, le demandeur fait valoir que le ministre aurait dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17 du règlement Dublin III et ainsi déclarer le Grand-

Duché de Luxembourg comme étant l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale. Il reproche dans ce contexte au ministre de ne pas avoir pris en compte son état de santé, alors qu’il ferait l’objet d’un traitement antituberculeux et qu’il serait atteint d’une hépatite B chronique.

Il en conclut que la décision litigieuse du 3 juillet 2024 devrait être réformée.Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Appréciation du tribunal L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, sur base duquel la décision litigieuse a été prise, dispose que « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités espagnoles pour prendre en charge Monsieur …, prévoit que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n°603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers - et ce même sans y avoir introduit une demande de protection internationale, tel qu’avancé à tort par le demandeur -, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

Le tribunal constate qu’en l’espèce, à la lecture de la décision ministérielle déférée, celle-ci est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a irrégulièrement franchi la frontière espagnole le 4 décembre 2023 et, d’autre part, par le fait que les autorités espagnoles ont tacitement accepté de le prendre en charge le 5 juin 2024.

Le tribunal constate ensuite que le bien-fondé de la motivation invoquée à la base de cette décision ressort des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, de même que du récit du demandeur.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer Monsieur … vers l’Espagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Le tribunal relève ensuite que le demandeur considère que son transfert vers l’Espagne l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en raison des défaillances systémiques dans l’accès à la procédured’asile et dans les conditions matérielles d’accueil dans ledit pays, et qu’il invoque, à cet effet et en substance, une violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne d’abord le moyen du demandeur relatif à l’existence de défaillances systémiques en Espagne, le tribunal relève que l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - corollaire de l’article 3 de la CEDH - , une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre1.

A cet égard, le tribunal relève que l’Espagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH et le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 92.Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.

Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un 2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt. 78.

3 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pt. 95.

6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.

9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91. Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.

En l’espèce, le demandeur estime que les défaillances systémiques en Espagne résulteraient tant des retards dans l’accès à la procédure d’asile que des conditions d’accueil et d’hébergement dégradées auxquelles devraient faire face les demandeurs de protection internationale et qui le mettraient à risque de se retrouver à la rue dans ce pays et donc de devoir vivre dans des conditions contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il incombe au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation en Espagne, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.

Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.

Si certes le demandeur a déclaré lors de son audition auprès de la police judiciaire qu’il aurait séjourné dans un foyer à Madrid où il aurait « manifesté [s]a volonté de demander l’asile, mais [aurait] reçu l’ordre de quitter le foyer en retour », il n’en reste pas moins que lors de son entretien Dublin III en date du 2 avril 2024, le demandeur, sur question explicite de l’agent en charge pour quelles raisons il n’aurait pas déposé de demande de protection internationale en Espagne, n’a plus fait état du fait d’avoir eu l’intention d’introduire une demande de protection internationale en Espagne, mais a déclaré, au contraire, avoir eu « [d]ès le début » la volonté de venir au Luxembourg.

Le demandeur, qui n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Espagne, de sorte qu’il ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu y rencontrer, n’a pas non plus fait état dans sa requête introductive d’instance d’une quelconque difficulté d’accès à la procédure d’asile qu’il aurait personnellement vécue.

En effet, le tribunal relève ensuite que les rapports versés par le demandeur à l’appui de sa requête introductive d’instance afin de sous-tendre son affirmation suivant laquelle l’Espagne serait confrontée à des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III concernent, tel que soulevé à juste titre par le délégué du gouvernement, les années 2022, respectivement 2023, de sorte à ne pas refléter la situation 10 Ibid., pt. 92.

11 Ibid., pt. 93.actuelle en Espagne, d’autant plus qu’il ressort des commentaires du gouvernement espagnol à la suite du rapport du commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe que plusieurs des défauts constatés par le commissaire en 2022 étaient formellement contestés, respectivement que des mesures en vue de l’amélioration de la situation avaient été prises ou seraient prises dans un futur proche.

Le tribunal ne s’est pas non plus vu soumettre un quelconque élément de preuve, à part des statistiques abstraites aux termes desquelles le taux de reconnaissance des demandes de protection internationale en Espagne ne serait que de 12%, alors que la moyenne européenne se situerait au niveau de 42%, dont il se dégagerait que concrètement les autorités espagnoles compétentes risquent de violer le droit du demandeur à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles risquent de refuser de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, le demandeur n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile ne serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), désignée ci-après par « la directive Accueil », étant encore relevé à cet égard qu’il ressort du document intitulé par le demandeur d’« Etat des lieux UNHCR de la situation de l‘asile en Espagne au mois de mai 2024 », que le taux de reconnaissance des demandes de protection internationale introduites en Espagne par des ressortissants guinéens est de 74%.

Le tribunal relève également que le demandeur n’établit pas non plus que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale en Espagne ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que l’Espagne est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

S’agissant ensuite de l’état de santé du demandeur, le tribunal constate que le demandeur affirme dans le cadre de sa requête introductive d’instance être atteint d’une tuberculeuse latente et d’une hépatite B. Or, il ne ressort d’aucun des certificats médicaux soumis à son appréciation que Monsieur … aurait besoin d’un traitement médical, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers l’Espagne.

Il ne résulte, par ailleurs, d’aucun élément du dossier que Monsieur … aurait, à un moment donné, infructueusement sollicité l’aide ou l’assistance des autorités espagnoles en raison de son état de santé.

Même à admettre que l’état de santé du demandeur atteigne le niveau de gravité requis par la jurisprudence précitée, il ne se dégage d’aucun élément du dossier que le concerné ne puisse pas bénéficier en Espagne du traitement médicamenteux dont il pourrait avoir besoin.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle,mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers l’Espagne par le biais de la communication aux autorités espagnoles des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal se doit de conclure qu’il ne se dégage pas à suffisance des éléments soumis à son appréciation qu’il existe en Espagne des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale empêchant un transfert du demandeur vers ce même pays.

Dans ces circonstances et au vu de toutes les considérations qui précèdent, le moyen fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le moyen fondé sur l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) », il y a lieu de préciser que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres12, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201713.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge14, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration15.

En l’espèce, le demandeur renvoie en substance, dans ce contexte, à son argumentaire développé à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

12 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, pt. 65.

13 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

14 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 (3e volet) et les autres références y citées.

15 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.Or, dans la mesure où cet argumentaire a été rejeté ci-avant et que d’autres considérations n’ont pas été mises en avant par le demandeur sous cet aspect pour infirmer le constat afférent du tribunal, celui-ci conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 août 2024 par :

Marc Sünnen, président, Michèle Stoffel, vice-président, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50771
Date de la décision : 14/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-14;50771 ?

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