Tribunal administratif N° 50766 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50766 Chambre de vacation Inscrit le 17 juillet 2024 Audience publique de vacation du 14 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures, en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50766 du rôle et déposée le 17 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Maria Ana REAL GERALDO DIAS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Etats-Unis), de nationalité américaine, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 3 juillet 2024 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Maximilien KRZYSTON, en remplacement de Maître Maria Ana REAL GERALDO DIAS et Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Le 4 juin 2024, Monsieur …, de nationalité américaine, introduisit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du Service de Police Judiciaire, Section Criminalité Organisée Police des Etrangers sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Une recherche effectuée à cette occasion dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … avait auparavant déposé une demande de protection internationale en Suisse en date du 18 août 2023, une demande de protection internationale en Belgique en date du 21 novembre 2023 et une demande de protection internationale en Allemagne en date du 21 février 2024.
1Il s’avéra encore que l’Allemagne avait délivré à Monsieur … un permis de séjour valable jusqu’au 22 septembre 2024.
En date du 6 juin 2024, Monsieur … fut entendu par un agent de la Direction générale de l’immigration en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le 13 juin 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les ces dernières sur base de l’article 12, paragraphe (1), dudit règlement par courrier du 17 juin 2024.
Par décision du 3 juillet 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 5 juillet 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il sera transféré vers l’Allemagne, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement les dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 12, paragraphe (1), du règlement Dublin III, cette décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 4 juin 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 12(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 4 juin 2024 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 6 juin 2024.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 4 juin 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Suisse en date du 18 août 2023, une demande en Belgique en date du 21 novembre 2023 et une demande en Allemagne en date du 21 février 2024.
2Il résulte en outre des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que l’Allemagne vous a délivré un permis de séjour, valable jusqu’au 22 septembre 2024.
Sur cette base, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 13 juin 2024. Les autorités allemandes ont accepté de vous prendre en charge conformément à l’article 12(1) du règlement DIII en date du 17 juin 2024.
2.
Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
L’article 12(1) du règlement DIII dispose que, si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’Etat membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE).
3.
Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 4 juin 2024 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Suisse en date du 18 août 2023, une demande en Belgique en date du 21 novembre 2023 et une demande en Allemagne en date du 21 février 2024. Il ressort également des recherches effectuées que l’Allemagne vous a délivré un permis de séjour, valable jusqu’au 28 septembre 2024.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté les Etats-Unis en mars 2023 en prenant l’avion en direction de Berlin/Allemagne muni d’un visa allemand que vous auriez reçu grâce à votre conjointe et votre fils qui vivraient en Allemagne. Depuis votre arrivée en Europe, vous auriez vécu dans différents pays, dont la France, la Suisse et la Belgique et 3vous avez introduit des demandes de protection internationale en Suisse, en Belgique et en Allemagne. Vous auriez ensuite été transféré en Allemagne par les autorités suisses et belges dans le cadre de la procédure Dublin en raison de votre permis de séjour allemand.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 6 juin 2024, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Selon vos dires, vous ne souhaitez pas être transféré en Allemagne, car vous « auriez peur de l’Allemagne » (p.7 du rapport d’entretien).
Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que l’Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, l’Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Allemagne, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités allemandes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes allemandes, notamment judiciaires.
Les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.
4Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré.
Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2024, inscrite sous le numéro 50766 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 3 juillet 2024.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit en l’espèce, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … souligne avoir quitté les Etats-Unis pour l’Allemagne en 2023 sur base d’un visa obtenu pour raisons familiales dans la mesure où il serait devenu père d’un fils né de son union avec sa compagne. Par la suite, il aurait introduit une demande de protection internationale en Allemagne, mais il aurait quitté l’Allemagne avant d’avoir obtenu une réponse dans le cadre de sa demande de protection 5 4internationale, par peur du gouvernement allemand, estimant en effet être une potentielle cible du gouvernement allemand dans la mesure où il aurait été témoin de « certaines infractions », raison pour laquelle il aurait quitté prématurément l’Allemagne afin de trouver refuge au Luxembourg.
En droit, le demandeur affirme qu’être transféré vers l’Allemagne représenterait selon lui un risque pour sa sécurité dans la mesure où il estime avoir été témoin de certaines infractions lors de son séjour en Allemagne, de sorte que sa vie en danger y serait en danger.
Il entend dès lors invoquer l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, alors que selon lui le Luxembourg pourrait lui appliquer le bénéfice de la clause de souveraineté pour des raisons humanitaires, de sorte à examiner sa demande de protection internationale, même si en vertu des critères fixés par le règlement Dublin III le Luxembourg ne serait pas le pays responsable de l’examen de sa demande de protection internationale.
Il expose ainsi avoir quitté volontairement l’Allemagne, bien qu’étant titulaire d’un permis de séjour, en raison d’un sentiment d’insécurité et avoir choisi le Luxembourg pour y introduire sa demande de protection internationale, Monsieur … entendant s’y installer durablement. Il estime que partant sa situation relèverait d’un cas humanitaire de nature à permettre l’examen de sa demande de protection internationale au Luxembourg.
Le délégué du gouvernement, de son côté, conclut au rejet du recours sous analyse.
En ce qui concerne d’abord la compétence de l’Allemagne, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement, la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 12, paragraphe (1), du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour reprendre en charge Monsieur …, prévoit que « Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur bénéficie d’un titre de séjour en cours de validité.
6Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 12, paragraphe (1), du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait l’Allemagne où le demandeur bénéficie d’un permis de séjour valable jusqu’au 22 septembre 2024.
D’ailleurs, le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Allemagne par application du règlement Dublin III, mais il considère que son transfert vers l’Allemagne violerait l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.
Le tribunal rappelle à cet égard que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
Le demandeur invoquant uniquement à l’appui de son recours une violation de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, il importe de rappeler que celui-ci prévoit que : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […]. ».
Cette faculté laissée à chaque Etat membre par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, de décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement Dublin III, est discrétionnaire et relève du pouvoir d’appréciation étendu des Etats membres1, mais ne constitue nullement un droit pour le demandeur, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 16 février 20172.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge3, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 88 et 97.
3 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.
7l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration4.
Le tribunal doit, tout d’abord, constater que le demandeur reste en défaut de lui soumettre un quelconque élément concret et probant permettant de corroborer ses allégations selon lesquelles il craindrait à bon droit le gouvernement allemand pour avoir été témoin de « certaines infractions », le demandeur n’ayant en particulier fourni aucune précision quant aux infractions dont il aurait été prétendument témoin et qui justifieraient, selon lui, sa crainte des autorités allemandes, de telles précisions ne ressortant par ailleurs ni de son rapport d’audition par les services ministériels - le demandeur y ayant indiqué avoir quitté l’Allemagne « because I felt that Germany was never going to grant me anything, but the point of logging my application […] was to find and located my son. […] et à cause de « the first thing : I my son, the second one is the German administration and the third is fraud and the fourth is targeting I did not feel safe. I don’t feel confident in Germany because of the sabotage to me » ainsi que et que « the reason why I am here in Luxembourg is to provide a safe gateway for myself and my child and possibly …. And to stop a lot of financial fraud » -
ni des pièces versées en cause, la seule pièce afférente communiquée, à savoir un courrier manuscrit du demandeur, affirmant que son fils et sa belle-fille feraient l’objet de chantage (« my son and possibly … are potentially being extorted through my and her royal lines ») étant à défaut de toute précision inintelligible en l’état.
La même conclusion s’impose par ailleurs quant aux déclarations du demandeur effectuées à l’occasion de l’introduction de sa demande de protection internationale, le demandeur y ayant indiqué pêle-mêle que sa famille serait persécutée par des terroristes, tandis que lui-même serait persécuté partout à cause de ses origines (« my genetics ») ainsi qu’à cause de « game of thrones nonsense ».
En ce qui concerne l’affirmation du demandeur relative à sa volonté de s’établir au Luxembourg, celle-ci est à rejeter alors qu’elle manque de pertinence en l’espèce pour ne concerner ni la compétence de principe de l’Allemagne en vertu des dispositions du règlement Dublin III ni les possibilités légales prémentionnées dont dispose le ministre pour ne pas procéder au transfert du concerné, cette affirmation ne permettant pas de déceler des raisons pour lesquelles le ministre aurait dû faire application de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III et se déclarer compétent pour statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur ….
Il y a partant lieu de conclure que les problèmes mis en avant ne sauraient s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut de tout autre moyen, il échet de retenir que c’est à bon droit que le ministre a pris la décision de transfert litigieuse, de sorte que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, 4 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.
8le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 14 août 2024 par :
Marc Sünnen, président, Michèle Stoffel, vice-président, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen 9