Tribunal administratif N° 50784 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50784 chambre de vacation Inscrit le 22 juillet 2024 Audience publique du 31 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50784 du rôle et déposée le 22 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … , déclarant être né le … à … (Ghana) et être de nationalité ghanéenne, actuellement retenu au Centre de rétention à Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 10 juillet 2024, ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la prédite décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en sa plaidoirie à l’audience publique du 31 juillet 2024, Maître Eric SAYS s’étant excusé.
Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, commissariat …, dit « Fremdennotiz », du 25 mai 2023, référencé sous le numéro …, qu’en date du même jour, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle par les forces de l’ordre, lors duquel il ne put présenter de documents d’identité en cours de validité, mis à part une attestation de dépôt d’une demande de protection internationale en France valable jusqu’au 8 juin 2023.
Il ressort d’un deuxième rapport de la police grand-ducale de la police grand-ducale, Région Sud-Ouest, commissariat … du 12 février 2024, référencé sous le numéro …, qu’en date du même jour, Monsieur … fit à nouveau l’objet d’un contrôle par les forces de l’ordre, lors duquel il ne put présenter aucun autre document d’identité que l’attestation de demande d'asile française.
Il ressort d’un relevé du Centre pénitentiaire …, ci-après dénommé « … », du 25 avril 2024, que Monsieur … y fut placé le même jour en vertu d’un mandat de dépôt.
Par arrêté ministériel du 10 juillet 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, dénommé ci-après « le ministre », déclara 1irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à son encontre.
Par arrêté séparé du même jour, notifié en mains propres à l’intéressé également le 11 juillet 2024, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question.
Ledit arrêté est fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport no … du 12 février 2024 établi par la Police grand-ducale ;
Considérant que l'intéressé se trouvait en détention préventive au Centre pénitentiaire depuis le 24 avril 2024 ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;
Considérant que l'intéressé n'est pas en possession d'un visa en cours de validité ;
Considérant que l'intéressé fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le Système d'Information Schengen (SIS) ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juillet 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 10 juillet 2024.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant qu’il existerait dans son chef un risque de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour, respectivement de la procédure 2d’éloignement.
Il conteste ensuite que les démarches nécessaires pour son éloignement auraient été entamées, en faisant valoir qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite, tout en soulignant que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vols ne sauraient justifier un placement en rétention.
Il en conclut de l’ensemble de ces développements que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.
Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3 g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.
Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, 3lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
S’agissant d’abord des contestations de Monsieur … quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 10 juillet 2024, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.
Etant donné qu’à cette dernière date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé (…) s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3 de la disposition légale en question.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur restant en défaut d’avoir soumis un quelconque élément pertinent de nature à renverser ladite présomption de risque de fuite.
Les contestations du demandeur quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.
Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.
En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, force est de relever qu’en date du 11 juillet 2024, le ministre a introduit une demande d’information au Centre de Cooperation Policiere et Douaniere, à laquelle les autorités françaises ont répondu que le 4demandeur est actuellement en situation irrégulière en France depuis le 8 octobre 2023, fin de la validité de son attestation de demande d’asile, et qu’il fait actuellement l’objet d’une décision d’éloignement lui notifiée en date du 3 juillet 2023.
Le 12 juillet 2024, soit le lendemain du placement en rétention du demandeur, le ministre a encore effectué une recherche dans la base de données EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, désigné ci-après par le « règlement Dublin III », recherche qui révéla que le demandeur avait déposé des demandes de protection internationale en Croatie le 23 avril 2023 et en France le 9 mai 2023.
Toujours le 12 juillet 2024, les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités croates en vue de la reprise en charge de l'intéressé sur base de l'article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui a été acceptée par ces dernières en date du 26 juillet 2024, sur base de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III.
Au vu des diligences ainsi déployées par les autorités ministérielles luxembourgeoises, par ailleurs tributaires de la collaboration des autorités étrangères jusqu’au 26 juillet 2024, le tribunal est amené à conclure que le dispositif d’éloignement est en cours, et qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, de sorte que c’est à tort que le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement, ses contestations afférentes étant à rejeter pour ne pas être fondées.
Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 juillet 2024 par :
Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Lejila Adrovic.
5 s.Lejila Adrovic s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 6