Tribunal administratif N° 50659 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50659 Chambre de vacation Inscrit le 28 juin 2024 Audience publique extraordinaire du 25 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50659 du rôle et déposée le 28 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel MARIGO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Libye), de nationalité libyenne, assigné à résidence à …, sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 13 juin 2024 de le transférer vers Malte comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marcel MARIGO et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 juillet 2024.
Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », portant le numéro …, daté du 6 février 2024, émanant de l’Unité de la police de …, Service de Garde à …, que Monsieur … s’est présenté à cette dernière en déclarant son intention de déposer une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 » au Luxembourg, demande qu’il introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », en date du 8 février 2024.
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de la police judicaire, section …, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, occasion à laquelle il présenta un titre de séjour maltais valabe jusqu’au 6 février 2026.
Le 14 février 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 1établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
En date du 20 février 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités maltaises en vue de la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 12, paragraphe (1) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités maltaises le lendemain.
Par arrêté du 17 avril 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à … à partir de la notification de l’arrêté en question jusqu’au 7 juin 2024, assignation qui fut prorogée jusqu’au 6 septembre 2024 par arrêté ministériel du 4 juin 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le 7 juin 2024.
Par décision du 13 juin 2024, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre informa Monsieur … qu’il avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers Malte sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 12, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 8 février 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 12(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers Malte qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains, le rapport de Police Judiciaire du 8 février 2024 sur votre demande de protection internationale, ainsi que le rapport d'entretien Dublin III du 14 février 2024 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale du 8 février 2024.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 8 février 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac n'a révélé aucun résultat.
Lors de l'introduction de votre demande de protection internationale, vous avez déposé votre passeport libyen, ainsi que votre permis de séjour maltais, valable jusqu'au 6 février 2026.
2Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 14 février 2024.
Sur base des informations à notre disposition, une demande de prise en charge en vertu de l'article 12(1) du règlement DIII a été adressée aux autorités maltaises en date du 20 février 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités maltaises en date du 21 février 2024.
2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
L'article 12(1) du règlement DIII dispose que, si le demandeur est titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, l'Etat membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
Un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que Malte vous a délivré un titre de séjour valable jusqu'au 6 février 2026.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Libye le 31 mars 2022, lorsque vous auriez pris un vol de Tripoli vers Tunis en Tunisie. De là, vous auriez pris un vol vers Malte grâce à un visa maltais, valable du 3 avril 2022 au 17 juillet 2022.
D'après votre passeport, vous êtes entré sur le territoire des Etats membres à Malte en date du 3 avril 2022. Vous seriez resté du 3 avril 2022 au 5 février 2024 sur le territoire maltais, où vous déclarez avoir travaillé en tant qu'…. Le 5 février 2024, vous auriez quitté Malte en avion afin de vous rendre au Luxembourg après un bref transit par Rome en Italie.
3A votre arrivée au Luxembourg en date du 6 février 2024, vous vous êtes présenté aux autorités luxembourgeoises à l'aéroport du Luxembourg et avez signalé votre volonté d'introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.
Lors de votre entretien DIII vous avez mentionné ne pas avoir introduit de demande de protection international à Malte à la suite des recommandations de votre avocat. En effet, vous déclarez avoir rencontré à Malte un ressortissant libyen qui aurait été présent lors de votre enlèvement en Libye et qui vous aurait à nouveau menacé. Vous n'indiquez pas avoir signalé ce fait aux autorités maltaises et vous n'apportez aucune preuve pour étayer vos déclarations.
Monsieur, lors de votre entretien Dublin III en date du 14 février 2024, vous mentionnez que vous n'allez pas bien mentalement. Cependant, vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers Malte qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que Malte est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que Malte est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que Malte profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, Malte est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers Malte sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence à Malte revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.
torture.
Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée à Malte, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités maltaises ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes maltaises, notamment judiciaires.
4Les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers Malte, seule votre capacité à voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers Malte, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers Malte en informant les autorités maltaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités maltaises n'ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2024, inscrite sous le numéro 50659 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 13 juin 2024.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur rappelle les faits et rétroactes relevés ci-avant, en expliquant avoir été contraint de quitter son pays d’origine en raison d’actes de persécution.
Il ajoute que lors de son séjour à Malte, il aurait, d’une part, été livré à lui-même et que, d’autre 5part, il y aurait eu des « événements mettant constamment sa vie et son intégrité physique en danger » en raison de la présence d’un groupe de criminels libyens.
En droit, il se prévaut d’une violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde de droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », de même que des articles 3 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi que 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».
Quant à la violation alléguée des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il fait valoir que même si Malte était liée par divers instruments juridiques internationaux ou communautaires garantissant les droits de l’Homme, tels la CEDH, la Charte, la Convention de Genève, la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par « la Convention torture », de même que par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte), ci-
après désignée par « la directive Procédure », et la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), ci-après désignée par « la directive Accueil », cela n’impliquerait pas ipso facto que ledit pays les observerait effectivement, notamment dans le contexte de l’accueil des demandeurs de protection internationale.
Il ajoute que même s’il n’existerait pas de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « CourEDH », ou de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « CJUE », respectivement de recommandation de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, ci-après désignée par « l’UNHCR », indiquant de suspendre les transferts vers Malte, il ne pourrait pas être affirmé avec une certitude absolue que ledit pays respecte ses obligations internationales et européennes en matière d’accueil des demandeurs de protection internationale.
Ce serait ensuite à tort que le ministre aurait indiqué qu’il n’avait pas démontré que ses conditions d’existence à Malte auraient revêtu un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles seraient constitutives d’une violation des articles 3 de la CEDH et 3 de la Convention torture.
Il donne, à cet égard, à considérer que les autorités maltaises l’auraient laissé livré à lui-même, en dépit du fait qu’il aurait d’urgence eu besoin d’une protection de leur part contre des agissements d’une personne qui aurait participé à son enlèvement en Libye et qui se trouverait à Malte. L’intéressé précise encore, dans ce contexte, qu’il y aurait un lien entre les groupes de criminels maltais et libyens, de sorte qu’il risquerait le même sort à Malte qu’en Libye.
Le demandeur ajoute qu’il aurait, par ailleurs, urgemment besoin d’une assistance médicale adéquate et effective que les autorités maltaises ne lui auraient pas fournie.
Le demandeur en conclut que, dans ces conditions, il serait constant que les autorités maltaises n’auraient pas respecté les dispositions des articles 17, 19 et 21 de la directive Accueil et qu’il devrait dès lors être admis que son transfert vers Malte constituerait une violation manifeste des dispositions des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, lus en combinaison avec l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.
6Quant à la violation alléguée de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, le demandeur se prévaut de sa situation de vulnérabilité particulière, respectivement des actes de persécution qu’il aurait subis dans son pays d’origine, pour faire valoir que ces éléments, tels que portés à la connaissance du ministre, auraient dû amener celui-ci à examiner sa demande de protection internationale en lieu et place des autorités maltaises.
Enfin, le demandeur estime que les autorités luxembourgeoises ne disposeraient pas de suffisamment de garanties de la part des autorités maltaises au sujet de la prise, par celles-ci, d’une décision de refoulement vers la Libye. Il renvoie, à cet égard, à un arrêt de la CourEDH du 21 janvier 2011, rendu dans une affaire M.S.S c. Belgique et Grèce. Il soutient, dans ce contexte, qu’il risquerait, en cas de transfert vers Malte, d’être immédiatement refoulé vers Libye par les autorités maltaises, une telle pratique de leur part ressortant, d’après l’intéressé, du « rapport versé en cause ».
Au vu de l’ensemble de ces considérations, le demandeur conclut que la décision ministérielle déférée encourrait la réformation.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 12, paragraphe (1) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a également été prise, dispose, quant à lui, que : « (1) Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».
Il suit de cette disposition que si un demandeur de protection internationale s’est vu délivrer un titre de séjour en cours de validité par un Etat membre, ce dernier est en principe responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 12, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale introduite par le demandeur, mais Malte. Il est également constant en cause pour ressortir des éléments du dossier administratif, de même que des déclarations de Monsieur …, que Malte lui a délivré un titre de séjour valable du 19 décembre 2022 au 6 février 2026. Les autorités maltaises ayant en 7outre accepté de le prendre en charge en date du 21 février 2024, c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers Malte et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.
En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne conteste ni la compétence de principe des autorités maltaises, ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais reproche au ministre d’avoir décidé de son transfert à Malte en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, 3 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi que 33 de la Convention de Genève.
Il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En ce qui concerne tout d’abord le moyen ayant trait à la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, celui-ci dispose comme suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ».
Le tribunal est amené à constater que, dans le cadre de son argumentation ayant trait à une violation du prédit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le demandeur invoque surtout un risque de subir en Malte des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en raison notamment (i) de l’absence de protection de la part des autorités maltaises contre des agissements de groupes criminels libyens présents à Malte, (ii) de l’absence de prise en charge médicale dans ce pays et (iii) des dysfonctionnements dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.
A cet égard, le tribunal relève tout d’abord que Malte est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats 8membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats membres, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.
Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la Convention de Genève ainsi qu’à la CEDH. Cette présomption peut toutefois être renversée lorsqu’il y a lieu de craindre qu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il y a lieu d’apprécier dans chaque cas, au vu des pièces communiquées, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités répondent à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile.
Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives2, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE3, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt du 16 février 20174.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur de protection internationale, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20195 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, pt. 78.
2 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
3 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.
4 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
5 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
91.
9dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine6. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant7.
En l’espèce, le demandeur remettant en question cette présomption du respect par Malte des droits fondamentaux, puisqu’il fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation à Malte, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.
Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.
S’agissant tout d’abord de l’absence de protection de la part des autorités maltaises contre les agissements des membres d’un groupe criminel libyen qui auraient des liens avec des groupes criminels maltais, le tribunal constate que lors de son entretien Dublin III, le demandeur a affirmé « […] Il y a 20 jours quand j’ai vu une personne (d’un de ces groupes armé) avec laquelle j’avais eu un événement traumatique en Libye. Cela a réveillé des sentiments de peurs en moi qui m’ont poussé à quitter Malte. […] J’ai eu un entretien avec un avocat à Malte et ce dernier m’a recommandé de partir de Malte et d’introduire une demande de protection internationale. […] »8, sans qu’il ne résulte d’un quelconque élément du dossier qu’il aurait demandé aux autorités maltaises une protection contre des éventuels agissements de ladite personne ou que celles-ci lui auraient refusé une protection, de sorte que l’absence d’une telle protection de leur part reste à l’état de pure allégation.
Ce constat n’est pas énervé par un document intitulé « Letter of support for international Protection » établi par un dénommé … en date du 24 juin 2024, ni par l’ « … » établi par un dénommé … en date du 23 juin 2024, alors que le demandeur reste en défaut de verser un quelconque rapport officiel de la part d’organisations non-gouvernementales établissant que les autorités maltaises ne protégeraient pas les ressortissants libyens contre des agissements de groupes criminels libyens à Malte. Un tel support politique ne ressort, par ailleurs, pas non plus du « Memorandum of Understanding Between the Government of National Accord of the State of Libya and the Government of The Republic of Malta in the Field of Combatting Illegal Immigration », signé entre Malte et la Libye, alors que celui-ci a exclusivement trait à l’immigration illégale de Libye vers Malte.
En ce qui concerne ensuite l’absence de prise en charge médicale alléguée, le tribunal constate que le demandeur est resté en défaut de faire état d’un quelconque problème de santé physique, voire d’un besoin de traitement médical, mais a, au contraire, indiqué être en bonne santé lors de son entretien Dublin III du 14 février 20249.
6 Ibid., pt. 92.
7 Ibid., pt. 93.
8 Page 5 du rapport d’entretien Dublin III.
9 Page 2 du rapport d’entretien Dublin III : « […] Mentalement je ne vais pas bien, mais physiquement ça va.
[…] ».
10Si le demandeur a, certes, dans le cadre de son recours, déposé un rapport médical du docteur … établi le 16 avril 2024, ainsi qu’un rapport médical du même médecin établi le 21 juin 2024, desquels il ressort qu’il souffre d’une sécheresse des yeux en raison d’un « Sicca-
Syndrom » et qu’une « Therapie mit Tränenersatzmittel » lui a été conseillée, les conséquences pour le demandeur en cas d’absence d’accès audit traitement à Malte ne ressortent pas dudit rapport, le demandeur restant, par ailleurs, en défaut d’établir la réalité d’une telle absence d’accès de nature à être constitutive d’un traitement inhumain et dégradant.
En ce qui concerne l’état de santé mentale du concerné, si celui-ci a certes indiqué lors de son entretien Dublin III, qu’il n’irait pas bien « mentalement », il reste en défaut de verser un quelconque document établissant l’étendue d’une éventuelle défaillance de sa santé psychologique ou d’un traitement prescrit dans ce cadre, de sorte que cette affirmation reste au stade de pure allégation.
Il ne résulte, par ailleurs, d’aucun élément du dossier que Monsieur … ait, à un moment donné, infructueusement sollicité l’aide ou l’assistance des autorités maltaises en raison de son état de santé. L’affirmation suivant laquelle le demandeur n’aurait pas pu bénéficier d’une prise en charge médicale à Malte reste dès lors également à l’état de pure allégation, étant d’ailleurs relevé que le demandeur n’a pas séjourné en tant que demandeur de protection internationale à Malte mais sur base d’une autorisation de séjour.
Même à admettre, pour les besoins de la discussion, que l’état de santé du demandeur atteigne le niveau de gravité requis par la jurisprudence précitée, il ne se dégage d’aucun élément du dossier que le concerné ne puisse pas bénéficier à Malte du traitement médicamenteux dont il pourrait avoir besoin.
A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers Malte par le biais de la communication aux autorités maltaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.
S’agissant ensuite plus généralement des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, force est de constater que le demandeur reste en défaut de faire valoir un problème concret étant susceptible d’affecter l’analyse future de sa demande de protection internationale par les autorités maltaises, respectivement ses futures conditions d’accueil à Malte. Ce dernier se limite, en effet, à affirmer de façon péremptoire que les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte seraient défaillantes, notamment au regard des exigences posées par les articles 17, 19 et 21 de la directive Accueil, et qu’il n’existerait « aucune garantie tangible » du respect par les autorités maltaises desdites dispositions.
11Or, il y a plus particulièrement lieu de relever qu’outre le fait qu’il n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour à Malte, de sorte qu’il ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu y rencontrer, il n’a pas non plus ni dans le cadre de son entretien Dublin III, ni dans le recours sous examen, fait état de problèmes particuliers qu’il aurait personnellement rencontrés à Malte, notamment pour y déposer une demande de protection internationale. Il se dégage, au contraire, de ses déclarations faites dans le cadre de son entretien Dublin III, que le demandeur n’a pas introduit de demande de protection internationale à Malte aux motifs suivants : « […] Après avoir eu un entretien avec mon avocat à Malte, ce dernier m’a déconseillé d’introduire une demande de protection internationale. […] J’ai obtenu un permis de séjour parce que je travaillais à Malte en tant que … […] »10.
Le tribunal relève ensuite que l’article de presse intitulé « Malta among EU states demanding plan to send asylum seekers to third countries » publié le 16 mai 2024 sur le site internet « www.timesofmalta.com », invoqué par le demandeur à l’appui de son recours afin de sous-tendre son affirmation suivant laquelle Malte serait confrontée à des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (3), alinéa 2 du règlement Dublin III a trait à une demande conjointe signée par un certain nombre d’Etats membres, dont Malte, tendant à faciliter leurs possibilités de transférer des demandeurs de protection internationale à des pays tiers pendant la période d’examen de leurs demandes, sans qu’il n’en ressorte que Malte procéderait, à l’heure actuelle, à une telle pratique.
En ce qui concerne finalement le « Memorandum of Understanding Between the Government of National Accord of the State of Libya and the Government of The Republic of Malta in the Field of Combatting Illegal Immigration », signé entre Malte et la Lybie le 28 mai 2020, il échet de constater, tel que relevé ci-avant, que celui-ci a trait au contrôle des frontières de la Libye du sud. Or, cette situation est totalement étrangère à celle du demandeur et doit partant être considérée comme dépourvue de pertinence dans le cadre de l’analyse du bien-
fondé des critiques générales dirigées par celui-ci à l’encontre du système d’asile maltais, dans la mesure où il se dégage des déclarations du concerné auprès de la police judiciaire, ainsi qu’auprès de la direction générale de l’Immigration lors de son entretien Dublin III qu’il est entré sur le territoire maltais moyennant un visa étudiant et que son transfert à Malte découlant de la décision déférée est basé sur le règlement Dublin III, les autorités maltaises ayant accepté sa prise en charge sur base de l’article 12, paragraphe (1) dudit règlement.
Le tribunal ne s’est pas non plus vu soumettre un quelconque élément de preuve, tel que notamment des rapports internationaux, relatif aux difficultés que rencontreraient de manière générale les autorités maltaises dans le traitement des demandes de protection internationale et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, de même qu’il ne se dégage pas davantage des éléments de la cause que concrètement les autorités maltaises compétentes risquent de violer le droit du demandeur à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles risquent de refuser de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, le demandeur n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile ne serait pas conduite conformément aux normes imposées par les directives Procédure et Accueil.
10 Page 5 du rapport d’entretien Dublin III.
12Le tribunal relève également que le demandeur n’établit pas non plus que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale à Malte ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que Malte est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 -
ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal se doit de conclure qu’il ne se dégage pas à suffisance des éléments soumis à son appréciation qu’il existe à Malte des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale empêchant un transfert du demandeur vers ce même pays.
S’agissant ensuite plus particulièrement de la crainte mise en avant par Monsieur … de se voir renvoyer arbitrairement par les autorités maltaises vers son pays d’origine, force est au tribunal de relever qu’il reste en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un tel risque dans son chef, le demandeur ne fournissant pas d’éléments susceptibles de démontrer que Malte ne respecterait pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant, après l’examen de sa demande de protection internationale, dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient mises sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays. Il ne ressort plus particulièrement pas du précité accord signé entre la Lybie et Malte que les autorités maltaises expulseraient, en méconnaissance du principe de non-refoulement, des demandeurs de protection internationale déboutés vers la Lybie, alors qu’outre le fait que l’article 6 dudit accord précise que « […] this Memorandum should not contravene with rights and obligations under other international conventions signed by either party […] », ledit accord a, tel que relevé ci-avant, trait au contrôle aux frontières libyennes de l’immigration en provenance de la Libye du Sud, ainsi qu’à la lutte contre la traite des êtres humains et non pas à la réadmission de ressortissants libyens sur le territoire libyen.
Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments versés par le demandeur que si les autorités maltaises devaient néanmoins décider de le rapatrier dans son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités maltaises en usant des voies de droit adéquates.
Il ne ressort dès lors pas des éléments versés par le demandeur que son transfert vers Malte l’exposerait à un retour forcé à la Libye, qui serait contraire au principe de non-
refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Dans ces circonstances et au vu de toutes les considérations qui précèdent, le moyen fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque 13Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201711. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge12, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration13.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, ainsi que l’article 33 de la Convention de Genève, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation qu’il estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que les problèmes mis en avant ne sauraient pas davantage s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 25 juillet 2024 par :
11 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.
12 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.
13 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.
14Thessy Kuborn, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président Laura Urbany, premier juge, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 15