Tribunal administratif N° 50062 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50062 3e chambre Inscrit le 19 février 2024 Audience publique extraordinaire du 25 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50062 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 février 2024 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Turquie), de nationalité turque, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 19 janvier 2024 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 mai 2024.
Le 6 mai 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-
police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date du 13 décembre 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 19 janvier 2024, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée en date du 24 janvier 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur …, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est formulée comme suit :
1 « […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 6 mai 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-
après.
1. Quant à vos déclarations En mains, le rapport du Service de Police Judiciaire du 6 mai 2022, le rapport d'entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale du 13 décembre 2022, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de …en Turquie, d'ethnie Kurde et de confession musulmane.
Vous avancez que vous auriez quitté votre pays d'origine pour introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, étant donné que vous ne souhaiteriez pas effectuer votre service militaire obligatoire.
Vous précisez que vous auriez atteint l'âge légal pour prester le service militaire en Turquie le … 2022 et que « Les démarches pour le service militaire allaient commencer » (p.5/11 de votre rapport d'entretien).
Concernant les raisons de votre refus d'effectuer le service militaire, vous indiquez que vous seriez d'ethnie Kurde et vous déclarez qu'« Il y a un slogan militaire qui dit : « Heureux comme un turc. Je suis heureux d'être turc. » Je ne suis pas turc, je suis kurde. Je refuse de dire ce slogan. C'est tout » (p.5/11 de votre rapport d'entretien).
Vous expliquez en outre que vous seriez contre la violence et que vous ne souhaiteriez pas tuer en ajoutant que les autorités turques enverraient « (…) les kurdes se battre contre d'autres kurdes dans des régions dangereuses » (p.8/11 de votre rapport d'entretien).
Enfin, vous indiquez que vous seriez contraint d'effectuer le service militaire en cas de retour dans votre pays d'origine, étant donné que « Les militaires ou les policiers vont m'attraper et vont m'amener au service militaire. Si je m'enfuis à nouveau, j'aurai des sanctions pouvant aggraver ma situation » (p.8/11 de votre rapport d'entretien).
Vous auriez quitté la Turquie le 17 avril 2022 pour vous rendre au Luxembourg.
A l'appui de votre demande, vous présentez votre carte d'identité turque et votre permis de conduire turc.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale 2Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Vous déclarez que vous auriez quitté votre pays d'origine pour ne pas devoir prester votre service militaire obligatoire.
Dans ce contexte, il convient de noter qu'un Etat a le devoir d'organiser sa défense nationale et peut par conséquent légitimement exiger que ses nationaux accomplissent le service militaire. Soit noté qu'il résulte de ce même droit que les Etats ont le droit de sanctionner, de façon proportionnée, les citoyens refusant d'effectuer le service militaire, sans que cette sanction proportionnée ne saurait être considérée comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.
Par conséquent, le simple fait de ne pas vouloir effectuer son service militaire n'est en principe pas de nature à justifier l'octroi du statut de réfugié.
Il est en effet de principe « qu'une personne ne saurait être considérée comme réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n'a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l'ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat. Il convient encore de rappeler que la crainte de poursuites et d'un châtiment pour désertion ou insoumission ne peut servir de base à l'octroi du statut de réfugié que s'il est démontré que le demandeur se verrait infliger, pour l'infraction militaire commise, une peine d'une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques v. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, précité, §§ 167 et ss). En outre, des personnes peuvent invoquer des raisons de conscience pour justifier leur opposition au service militaire d'une force telle que la peine 3prévue pour l'insoumission ou la désertion puisse être assimilée à une persécution du fait de ces raisons de conscience ».
Or, Monsieur, force est de constater que vous n'établissez pas que votre refus d'effectuer le service militaire serait motivé par un conflit personnel grave et insurmontable entre l'obligation de servir dans l'armée et votre conscience ou vos convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre.
En effet, vous affirmez simplement : « Je refuse de faire le service militaire parce que je suis kurde mais aussi parce que je refuse de tuer. Je suis contre la violence et je ne veux pas être témoin ou victime de violences ou de choses dangereuses. Lors du service militaire, on vous fait répéter le matin et le soir le slogan que je vous ai dit. Je ne suis pas turc. Je suis kurde. Je ne veux pas devoir répéter ce slogan tous les jours. » (p.6/11 de votre rapport d'entretien).
Monsieur, le simple fait de mentionner que vous n'auriez pas envie d'effectuer le service militaire, étant donné que vous seriez d'ethnie Kurde et que vous refuseriez de tuer ou que vous seriez contre la violence ne saurait être considéré comme une conviction profonde.
A cet égard, il convient de souligner que le fait de devoir effectuer son service militaire n'implique pas ipso facto la participation à un conflit ou de tuer. A cela s'ajoute que des simples conscrits ne sont pas déployés pour des opérations militaires de grande envergure, généralement menées par des soldats professionnels.
Concernant vos allégations selon lesquelles « (…) ils vont m'envoyer dans des zones où il y a beaucoup de kurdes. Je ne veux pas me battre avec des kurdes ou qui que ce soit. Dans les terres de la mère patrie, il y a beaucoup de kurdes et ils envoient les kurdes dans les zones où il y a beaucoup de kurdes (…) » (p.6/11 de votre rapport d'entretien), il sied de souligner qu'il s'agit de pures spéculations de votre part alors que vous restez en défaut d'apporter le moindre élément concret pour corroborer vos dires.
De plus, force est encore de constater que vous n'apportez pas la moindre preuve que vous risqueriez une sanction disproportionnée, voire discriminatoire du fait de votre refus d'effectuer le service militaire.
En effet, vos déclarations selon lesquelles vous laissez entendre que vous seriez recherché par les autorités turques ne semblent guère correspondre à la réalité alors que vous affirmez avoir quitté la Turquie avant même que vous auriez été convoqué pour effectuer votre service militaire.
A cela s'ajoute que vous n'avez versé aucun document pouvant établir que vous auriez entre-temps été convoqué, respectivement que vous seriez recherché par les autorités turques en tant qu'insoumis, ou encore que vous risqueriez une quelconque sanction disproportionnée.
Le constat que vous ne risqueriez pas une sanction disproportionnée, voire discriminatoire est confirmé par vos propres déclarations. Concernant les conséquences concrètes de votre prétendue insoumission, respectivement de votre refus de prester votre service militaire, vous indiquez simplement que vous risqueriez d'être contraint à l'effectuer.
En effet, vous déclarez : « Les militaires, les gendarmes ou les policiers vous amènent au service militaire de force » (p.6/11 de votre rapport d'entretien).
4 Monsieur, il y a lieu de conclure qu'il est indéniable que les procédures visant à obtenir une protection internationale n'ont pas pour finalité de permettre aux demandeurs de se soustraire aux obligations légales de leur pays d'origine, de sorte qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenu dans votre chef dans ce contexte.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
Il sied de souligner qu'à l'appui de votre demande de protection subsidiaire, vous invoquez en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de votre demande de reconnaissance du statut de réfugié. Or, sur base des développements et conclusions retenues qui précèdent dans le cadre du rejet du statut de réfugié, vous n'invoquez aucun autre élément additionnel susceptible de rentrer dans le champ d'application de l'article 48 précité.
Ainsi, tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victime d'atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d'un retour dans votre pays d'origine.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Turquie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».
5Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 19 janvier 2024 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 19 janvier 2024, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend les faits et rétroactes exposés ci-avant, tout en précisant qu’il serait né en Turquie, de nationalité turque, de religion musulmane et d’ethnie kurde. Il explique avoir quitté son pays d’origine en avril 2022 alors qu’il aurait risqué d’être appelé au service militaire obligatoire dès qu’il aurait atteint l’âge de vingt ans en … 2022. A cet égard, le demandeur donne à considérer qu’il aurait risqué d’être envoyé dans les régions frontalières de l’Irak et de la Syrie où il aurait dû combattre d’autres Kurdes, raison pour laquelle il refuserait catégoriquement d’effectuer son service militaire dans l’armée turque, le demandeur ajoutant que, par ailleurs, les Kurdes feraient l’objet d’insultes, de discriminations et de traitements inhumains et dégradants au sein de l’armée turque. Il ajoute qu’il n’aurait toutefois pas porté plainte, ni sollicité une protection auprès des autorités turques, étant donné que le service militaire serait obligatoire en Turquie, tout en relevant qu’il serait, en cas de retour dans son pays d’origine, immédiatement incorporé de force dans l’armée turque.
En droit, le demandeur invoque d’abord une violation par le ministre de l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, en ce que ce dernier aurait, dans le cadre de la décision litigieuse, fait une mauvaise analyse de la situation des Kurdes en Turquie et de leur histoire mouvementée. Après avoir expliqué l’évolution des relations entre les Kurdes et l’Empire ottoman, puis la République de Turquie au cours des derniers siècles, il fait valoir qu’il serait objecteur de conscience et qu’il ne voudrait pas être incorporé dans l’armée turque.
Il se réfère, dans ce contexte, à un rapport intitulé « L’objection de conscience en Turquie », publié le 15 mai 2021 sur le site internet « connection-ev.org », et estime que plusieurs organisations internationales, à savoir l’Organisation des Nations Unies (ONU), « Human Rights Watch » et « Amnesty International », considéreraient la Turquie comme le « pays aux violations passées et actuelles des droits fondamentaux », où les autorités continueraient de restreindre fortement la liberté d’expression. Il en conclut que le ministre n’aurait pas procédé à une évaluation individuelle de sa demande de protection internationale, telle qu’exigée par l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’il n’aurait pas pris en compte la situation réelle sécuritaire, politique et institutionnelle de la Turquie et du conflit kurde.
Quant au volet de la décision portant refus d’un statut de réfugié dans son chef, le demandeur, après avoir rappelé les critères d’octroi dudit statut tels que définis aux articles 2, point f), 42, paragraphe (1) et 39 de la loi du 18 décembre 2015 et après avoir plus 6particulièrement cité les termes de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, fait valoir que son refus d’effectuer le service militaire obligatoire en Turquie démontrerait qu’il craindrait, du fait de ses opinions politiques, religieuses et ethniques, de subir des traitements dégradants et humiliants dès son retour sur le territoire turc.
Il se prévaut ensuite de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, en estimant qu’il ne saurait être contesté qu’il existerait de bonnes raisons de penser que les persécutions et les atteintes graves dont il ferait état pourraient se produire en cas de retour dans son pays d’origine, étant donné que les organes militaires turcs seraient sous l’autorité du gouvernement turc et que leurs méthodes de persécutions et d’atteintes graves seraient dénoncées dans « les rapports précités de l’ONU, d’Human Rights Watch, et d’Amnesty International ». Il met encore en exergue que sa crainte de faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves serait d’autant plus fondée qu’il aurait fui la Turquie afin de ne pas être incorporé dans l’armée turque et qu’il serait, dès lors, considéré comme déserteur par les autorités turques.
Tout en se référant encore à l’article 37, paragraphe (5), point c) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur réitère que le ministre n’aurait pas procédé à une évaluation individuelle de sa demande de protection internationale et conclut que toutes les conditions seraient remplies dans son chef, de sorte que le statut de réfugié devrait lui être accordé.
Quant au volet de la décision portant refus du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur souligne, en citant les articles 48 et 39 de la loi du 18 décembre 2015, que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale seraient graves et constitueraient une atteinte à ses droits fondamentaux, alors qu’il risquerait de subir des persécutions, ainsi que des menaces graves et individuelles, dans la mesure où il aurait dû fuir en Europe afin de ne pas être emprisonné ou incorporé de force dans l’armée en Turquie, tout en mettant en exergue que l’Etat turc serait l’acteur desdites persécutions et atteintes graves. Il en conclut qu’il remplirait toutes les conditions légales pour l’octroi de la protection subsidiaire et que la décision déférée devrait dès lors être réformée en ce sens.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
a) Quant au statut de réfugié La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
7Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :
« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
b) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la 8religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En ce qui concerne tout d’abord les développements du demandeur relatifs à l’article 37, paragraphe (5), point c) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal constate qu’alors même que le ministre lui a reproché de ne pas avoir apporté des éléments de preuve à l’appui de son récit, il n’a pas autrement mis en cause la crédibilité générale dudit récit, de sorte que les développements y afférents sont d’ores et déjà à rejeter pour manquer de fondement.
Ensuite, force est au tribunal de constater qu’il ressort du rapport d’entretien sur les motifs à la base de la demande de protection internationale du demandeur, ainsi que de sa requête introductive d’instance, que celui-ci tend à établir (i) qu’il risquerait de subir, en tant que Kurde et objecteur de conscience, des sanctions disproportionnées « du fait de ses opinions politiques, religieuses et ethniques » en raison de son refus d’effectuer le service militaire et (ii) qu’il risquerait d’être obligé, en cas de retour en Turquie, d’effectuer son service militaire sous des conditions discriminatoires en raison de son ethnie kurde.
A cet égard, le tribunal rappelle qu’il est de jurisprudence constante des juridictions administratives que la désertion ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié1 et qu’une personne ne saurait être considérée comme réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n’a pas rejoint son corps, comme elle en avait reçu l’ordre, est son aversion du service militaire ou sa peur du combat, sa crainte n’étant pas motivée par un des critères de fond définis par la Convention de Genève2.
1 Trib. adm. 8 février 2021, n° 44546 du rôle, confirmé par Cour adm. 11 mai 2021, n° 45758C du rôle, Pas. adm.
2023, V° Etrangers, n° 175 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 13 juin 2018, n° 39843 du rôle, confirmé par Cour adm., 13 novembre 2018, n° 41368C du rôle, Pas.
adm. 2023, V° Etrangers, n° 176 et les autres références y citées.
9Il convient encore de rappeler que la crainte de poursuites et d’un châtiment pour désertion ou insoumission ne peut servir de base à l’octroi du statut de réfugié que s’il est démontré que le demandeur se verrait infliger, pour l’infraction militaire commise, une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques3.
En outre, pour justifier leur opposition au service militaire, des personnes peuvent invoquer des raisons de conscience d’une force telle que la peine prévue pour l’insoumission ou la désertion puisse être assimilée à une persécution du fait de ces raisons de conscience4, étant toutefois relevé que, pour pouvoir fonder l’octroi du statut de réfugié, ces raisons de conscience doivent au sens de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à leur tour, relever de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou des opinions politiques de la personne ainsi persécutée.
Or, s’agissant d’abord de la prétendue qualité d’objecteur de conscience du demandeur, force est de constater que celui-ci n’a pas démontré à suffisance que son aversion au service militaire serait motivée par un conflit personnel grave et insurmontable entre l’obligation de servir dans l’armée et sa conscience ou ses convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre, ni expliqué en quoi ce conflit serait insurmontable et en quoi ses convictions profondes consisteraient exactement.
En effet, le simple fait pour le demandeur d’affirmer qu’il refuserait de servir l’armée turque au motif qu’il serait kurde et qu’il refuserait, dès lors, de répéter une devise militaire turque et de combattre les Kurdes, celui-ci ayant en effet déclaré que « Comme je suis kurde, je ne voulais pas faire le service militaire. Il y a un slogan militaire qui dit : « Heureux comme un turc. Je suis heureux d’être turc. » Je ne suis pas turc, je suis kurde. Je refuse de dire ce slogan. C’est tout. »5 et que « Je refuse de faire le service militaire parce que je suis kurde mais aussi parce que je refuse de tuer. Je suis contre la violence et je ne veux pas être témoin ou victime de violences ou de choses dangereuses. Lors du service militaire, on vous fait répéter le matin et le soir le slogan que je vous ai dit. Je ne suis pas turc. Je suis kurde. Je ne veux pas devoir répéter ce slogan tous les jours. […] Comme je suis kurde, ils vont m’envoyer dans des zones où il y a beaucoup de kurdes. Je ne veux pas me battre avec des kurdes ou qui que ce soit »6, est insuffisant à cet égard.
Par ailleurs, le demandeur s’est limité, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, à affirmer qu’il serait « objecteur de conscience » et qu’il ne voudrait pas « être incorporé dans l’armée turque »7, tout en citant, de manière générale, un rapport sur l’objection de conscience en Turquie, publié le 15 mai 2021 sur le site internet « connection-ev.org », sans toutefois expliquer dans quelle mesure son opposition au service militaire résulterait d’une conviction s’opposant radicalement à toute sorte de violence et atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance tel à tomber sous le champ d’application de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et sans concrètement mettre ledit rapport en relation avec sa situation personnelle.
3 Ibid..
4 Voir p. ex. : Cour adm., 11 mai 2021, n° 45758C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
5 Page 5 du rapport d’entretien du 13 décembre 2022.
6 Page 6 du rapport d’entretien du 13 décembre 2022.
7 Page 3 de la requête introductive d’instance.
10Force est ensuite au tribunal de constater que le demandeur reste pareillement en défaut d’établir qu’il risquerait, en cas de retour en Turquie, de se voir infliger une peine d’une sévérité disproportionnée du fait notamment de son ethnie kurde, sinon de sa prétendue qualité d’objecteur de conscience, en raison de son refus d’effectuer le service militaire.
En effet, interrogé quant aux conséquences d’un refus de faire le service militaire, celui-
ci s’est limité à affirmer lors de son entretien sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale que « Les militaires, les gendarmes ou les policiers vous amènent au service militaire de force »8 et que « Si je m’enfuis à nouveau, j’aurai des sanctions pouvant aggraver ma situation »9, tandis que dans le cadre de sa requête introductive d’instance, il fait valoir « qu’il est évident qu’il craint de subir des traitements dégradants et humiliants dès son retour sur le territoire de la Turquie, du fait de ses opinions politiques, religieuses et ethniques », sans toutefois faire état d’une quelconque sanction concrète qu’il estime risquer dans son pays d’origine.
Si le demandeur a, certes, indiqué dans ses développements relatifs au volet de la protection subsidiaire contenus dans sa requête introductive d’instance qu’il « craint d’être jeté en prison ou incorporé de force dans l’armée », il échet de rappeler, d’une part, qu’un Etat peut organiser sa défense et, par conséquent, exiger que ses nationaux accomplissent le service militaire et, d’autre part, que les procédures visant à obtenir une protection internationale n’ont pas pour finalité de permettre aux demandeurs de se soustraire à la justice de leur pays d’origine.
Par ailleurs, le délégué du gouvernement a, à juste titre, relevé que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il aurait entretemps été convoqué, respectivement qu’il serait recherché par les autorités turques en raison de son insoumission, étant donné qu’il est constant en cause que celui-ci a quitté son pays d’origine avant même d’avoir été appelé au service militaire.
Ce constat relatif à l’absence de tout risque dans le chef du demandeur de subir une sanction disproportionnée en Turquie n’est pas énervé par le rapport sur l’objection de conscience en Turquie du 15 mai 2021, prémentionné, dont le demandeur cite un extrait dans sa requête introductive d’instance, alors que, tel que relevé ci-dessus, ce dernier reste en défaut de mettre ledit rapport en relation avec sa situation personnelle et d’expliquer concrètement dans quelle mesure ledit rapport serait transposable à sa propre situation, étant encore souligné que ledit rapport date de 2021 et n’est, dès lors, plus de nature à refléter la situation actuelle en Turquie.
Force est, ensuite, au tribunal de constater que le demandeur reste également en défaut d’établir qu’il serait forcé d’effectuer son service militaire dans des conditions discriminatoires en raison de son ethnie kurde, et notamment qu’il ferait l’objet d’insultes, qu’il serait envoyé « dans des zones où il y a beaucoup de kurdes »10, qu’il serait utilisé pour faire le « sale boulot »11 des militaires et qu’il serait envoyé dans des « zones à risque »12, ces déclarations restant, en effet, à l’état de pures allégations et ne résultant d’aucun élément du dossier.
8 Page 6 du rapport d’entretien du 13 décembre 2022.
9 Page 8 du rapport d’entretien du 13 décembre 2022.
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12 Page 7 du rapport d’entretien du 13 décembre 2022.
11Au vu de l’ensemble de ces considérations, les craintes de Monsieur … liées à son refus d’effectuer le service militaire obligatoire en Turquie ne sauraient être assimilées à des craintes fondées de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, de sorte c’est à bon droit que le ministre lui a refusé l’octroi du statut de réfugié.
Ce constat n’est pas énervé par les développements du demandeur relatifs à l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, ce dernier reprochant au ministre d’avoir omis de prendre en considération la situation des Kurdes en Turquie et d’avoir basé sa décision sur une situation qui ne correspondrait pas au contexte sécuritaire, politique et institutionnel réel de la Turquie et du conflit kurde. En effet, d’une part, la Cour administrative a déjà, à plusieurs reprises, retenu que la situation générale des Kurdes en Turquie n’est pas telle que tout membre de la minorité kurde puisse valablement se prévaloir d’une crainte fondée d’être persécuté du seul fait de sa présence sur le territoire turc13, le demandeur n’ayant invoqué en l’espèce aucun élément permettant de retenir le contraire, étant relevé que le renvoi dans son recours à un seul rapport sur l’objection de conscience en Turquie, publié le 15 mai 2021 sur le site internet « connection-ev.org », n’est pas suffisant à cet égard, d’autant plus que ce rapport ne peut dépeindre l’actualité en Turquie pour avoir été publié il y a plus de trois ans, et que, d’autre part, la situation sécuritaire, politique et institutionnelle en Turquie est, à défaut de toute mise en relation avec la situation individuelle du demandeur, sans pertinence quant à la question de savoir si celui-ci remplit les conditions pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié.
b) Quant au statut conféré par la protection subsidiaire En ce qui concerne le volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015 peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi, énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-
avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
13 Cour adm., 10 mars 2022, n° 46709C du rôle ; Cour adm., 12 mai 2022, n° 47147C du rôle ; Cour adm., 8 juin 2023, n° 48799C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
12Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier de la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles atteintes graves se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié. Dans la mesure où il ne prétend pas risquer la peine de mort ou de se retrouver dans une situation d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé, tels que prévu aux points a) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il invoque risquer de subir, en cas de retour dans son pays d’origine, des atteintes graves sous forme de traitements « dégradants et humiliants », le tribunal se limitera à examiner si les difficultés dont il fait état peuvent être qualifiées de risque de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants au sens du point b) dudit article.
Au vu des considérations dégagées ci-avant au sujet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que le demandeur n’a pas établi d’être dans le collimateur des autorités turques en raison de son refus d’effectuer son service militaire, que ce soit du fait de son ethnie ou du fait de sa prétendue qualité d’objecteur de conscience, le tribunal ne saurait, en ce qui concerne lesdits motifs à la base de sa demande de protection internationale, se départir de ses conclusions, alors qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que le demandeur encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 précité, étant encore relevé que le demandeur ne tombe, dès lors, pas non plus dans les prévisions de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, dont il sollicite l’application.
C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres éléments, que le recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’octroi d’une protection internationale dans le chef de Monsieur … est à rejeter pour être non fondé.
132) Quant au recours visant la décision du ministre portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal à l’encontre de la décision ministérielle du 19 janvier 2024 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A titre principal et en renvoyant à ses développements précédents, le demandeur sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de refus d’octroi d’un des statuts de protection internationale dans son chef.
A titre subsidiaire, il se prévaut d’une violation autonome de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », en donnant à considérer qu’il serait constant qu’il ferait état d’un risque réel et personnel de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, tout en soulignant que ces deux articles poseraient un principe absolu d’interdiction de refoulement ou d’extradition d’une personne vers un pays où elle risquerait de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 qu’ « une décision du ministre vaut décision de retour […] » et en vertu de l’article 2, point q), de la même loi, la notion de « décision de retour » est définie comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Bien que le législateur n’ait pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre en matière de protection internationale.
Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre a a priori valablement assorti sa décision de refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.
En ce qui concerne la demande subsidiaire de voir réformer l’ordre de quitter le territoire pour être contraire aux articles 3 de la CEDH et 129 de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur n’a pas fourni d’éléments de nature à justifier dans son chef l’existence d’une crainte actuelle et fondée de subir des persécutions, ni des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, le tribunal ne saurait actuellement pas se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse, de sorte que le moyen y afférent encourt le rejet.
14Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 19 janvier 2024 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 19 janvier 2024 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 25 juillet 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 15