Tribunal administratif N° 49473 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49473 2e chambre Inscrit le 25 septembre 2023 Audience publique du 15 juillet 2024 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49473 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 septembre 2023 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Venezuela), et de son épouse, Madame …, née le … à … (Venezuela), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur enfant mineur …, née … à … (Venezuela), tous les trois de nationalité vénézuélienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 septembre 2023 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 novembre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yasmine Guebasi, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 avril 2024.
Le 16 novembre 2021, Monsieur …, son épouse, Madame …, accompagnés de leur enfant mineur …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Leurs déclarations sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 10 mai et 28 juin 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Madame … fut entendue les 19 mai, 30 juin, 26 juillet et 17 août 2022 pour les mêmes raisons.
Par décision du 11 septembre 2023, notifiée aux intéressés par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa les consorts … que leurs demandes de protection internationale avaient été refusées comme non fondées, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites le 16 novembre 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-
après dénommée « la loi de 2015 ») pour votre propre compte et pour celui de votre enfant mineure …, née le … à …/Venezuela, de nationalité vénézuélienne.
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 novembre 2021, votre rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes, des 10 mai et 28 juin 2022, Monsieur, et le vôtre, Madame, des 19 mai, 30 juin, 26 juillet et 17 août 2022, sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de vos demandes.
Monsieur, vous signalez être de nationalité vénézuélienne, être marié et avoir vécu avec votre épouse et votre fille à …. Entre août 2018 et décembre 2020, vous auriez vécu et travaillé en Bolivie, ensuite, vous seriez retourné au Venezuela et auriez travaillé comme indépendant depuis votre domicile en livrant des …. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous craindriez pour la sécurité de votre famille, respectivement, parce que vous craindriez qu’on puisse vous assassiner ou tuer, sinon kidnapper un membre de votre famille au Venezuela.
En 2012, vous auriez commencé à travailler pour l’…. Il existerait beaucoup de propagande pro-régime au sein de cette entreprise et vous auriez pendant une phase été obligée de participer à des manifestations en soutien du régime, vous auriez été obligé de vêtir la couleur rouge au travail et dans le cadre des élections, vos supérieurs auraient exigé que vous preniez une photo de votre vote comme preuve de votre soutien du régime. Vous auriez en outre été obligé de demander le carnet de la patrie pour ne pas être privé des biens élémentaires. Vous ajoutez qu’il y aurait eu des malversations ou des vols au sein de … et que ce serait à vous que serait revenue la tâche de la « signature » (p. 7 du rapport d’entretien).
Vous vous seriez opposé à ces pratiques et vous vous seriez plaint auprès de votre supérieur.
Par conséquent, vous auriez commencé à recevoir des menaces de mort et vous auriez été insulté d’apatride, de traitre ou de crapaud par des collègues de travail impliqués dans ces pratiques.
Vous prétendez avoir été identifié comme ne partageant pas l’idéologie de l’entreprise et précisez que cela vous aurait valu des insultes et que « les autres voulaient imposer leur idéologie, ça pouvait arriver jusqu’aux coups » (p. 7 de votre rapport d’entretien). Convié à préciser qu’est-ce qui vous serait personnellement arrivé, vous vous plaignez du fait que vous auriez à un moment donné été transféré vers une autre région, selon vous une sorte de punition pour vous « terroriser » (p. 7 de votre rapport d’entretien), où il n’y aurait pas eu de surveillance lorsqu’il n’y aurait pas eu de forage. Du coup, vous ne vous seriez pas senti en sécurité en précisant que des colectivos auraient par exemple pu passer la nuit pour vous tuer.
Vous y auriez travaillé sept jours avant d’avoir droit à sept jours de repos. Vous auriez alors commencé à éprouver une grande fatigue mentale et en 2018, vous auriez décidé de démissionner de votre poste après qu’il y aurait eu une réunion du personnel pour faire de la propagande pour le régime au cours de laquelle vous seriez sorti en exprimant publiquement votre désaccord. Vous dites que les harcèlements auraient alors cessé, que vous auriez changé de numéro de téléphone pour ne plus recevoir de messages et que vous seriez resté à la maison jusqu’à votre départ pour la Bolivie en décembre 2018. Vous craindriez néanmoins qu’il pourrait toujours vous arriver quelque chose au Venezuela alors que le régime serait toujours en place et que les colectivos continueraient avec leur travail.
Pendant votre séjour en Bolivie, vous seriez souvent retourné pour quelque temps au Venezuela. Vous auriez notamment passé Noël 2018 à la maison et précisez que votre vie se serait alors stabilisée. Quatre mois plus tard, vous auriez à nouveau voulu retourner chez vous, mais il y aurait eu une crise diplomatique entre les deux pays et vous auriez été bloqué en Bolivie faute de vols. Le 30 novembre 2020, votre épouse vous aurait appelé pour faire part de menaces téléphoniques qu’elle aurait reçues. Le 18 décembre 2020, vous auriez pu retourner au Venezuela. Le 4 août 2021, vous trouvant en voiture en famille, deux voitures vous auraient bloqué la route et quatre personnes armées vous auraient fait sortir de la voiture pendant qu’elles auraient volé à votre épouse son portable de l’entreprise, une montre et une chaine.
Par la suite, un de vos agresseurs vous aurait donné un coup sur la tête avec son arme et vous aurait poussé dans votre voiture en disant, selon votre épouse, « Ici celui qui commande c’est le gouvernement » (p. 10 de votre rapport d’entretien), avant de repartir. Selon vous, vos agresseurs devraient être associés au gouvernement et vous ne seriez pas d’avis qu’il se serait agi de délinquants puisqu’ils auraient commis ce vol dans un lieu fréquenté. En plus, des délinquants n’auraient pas accès à des armes à feu longues et auraient plutôt des couteaux.
Après cet incident, vous auriez commencé à faire des recherches quant au pays qui pourrait vous accueillir.
Le 11 novembre 2021, vous avez quitté le Venezuela depuis l’aéroport de Caracas à destination de la Turquie, où vous auriez pris un avion pour l’Espagne. Par la suite, vous auriez pris un avion à destination de la Belgique avant de prendre le train pour venir au Luxembourg. Vous n’auriez pas demandé une protection internationale dans un desdits pays alors « qu’on a créé un plan et notre option c’était le Luxembourg » (p. 5 de votre rapport d’entretien). Bien qu’en possession d’un permis de travail bolivien valable jusqu’au 5 octobre 2022, vous n’avez pas non plus jugé opportun de vous installer dans ce pays plutôt que d’immédiatement quitter votre continent et venir au Luxembourg alors que « J’étais en Bolivie pour le rapports (sic) avec le travail pas pour migrer » (p. 5 de votre rapport d’entretien).
Madame, vous signalez être de nationalité vénézuélienne et confirmez avoir vécu avec votre famille à …, où vous auriez travaillé jusqu’en octobre 2021, comme gérante de la production pour la société …. En 2018, le gérant et le chef de l’entreprise seraient partis se réfugier aux Etats-Unis pour avoir été harcelés et vous seriez restée comme leur représentante.
Toujours en 2018, le gouvernement aurait lancé une série d’inspections dans les entreprises d’alimentation pour avoir le contrôle sur la production et la distribution des aliments. Le gouvernement n’aurait toutefois pas suivi les règles d’hygiène nationales ou internationales.
Vous n’auriez pas été d’accord avec cela et l’auriez fait savoir aux inspecteurs. Le 21 octobre 2019, le DGCIM aurait procédé à une inspection de votre entreprise en s’adressant à la directrice des ressources humaines pour savoir où se trouveraient les propriétaires, qui serait en charge et s’il y avait des problèmes avec le personnel, tout en demandant votre adresse. En arrivant dans votre bureau, vous auriez dit aux militaires armés de la DGCIM de partir alors qu’il serait interdit de porter des armes au sein de l’entreprise. Un collègue de travail vous aurait en outre expliqué que les militaires ne posséderaient pas d’autorisation écrite et vous aurait mise en contact avec un dénommé … qui vous aurait expliqué qu’il s’agirait d’un « ordre général au niveau national » (p. 6 de votre rapport d’entretien). Un collègue de travail aurait en outre demandé que vous lui envoyiez des photos de vous et des propriétaires pour les envoyer à la DGCIM, ce que vous auriez refusé de faire.
Le 3 décembre 2019, vous auriez reçu un appel d’une personne se présentant comme membre d’un groupe syndical des travailleurs de … qui aurait menacé de vous tuer. Vous auriez prévenu votre chef et le chef de la sécurité de l’entreprise, ces derniers auraient alors appelé la police. Le soir, la police serait venue pour sécuriser votre maison. Le 4 décembre 2019, vous auriez voulu déposer plainte auprès du CICPC, mais on vous aurait signalé de déposer plainte si quelque chose de plus grave ne vous arrive. Le 5 décembre 2019, la gouverneure aurait fait passer le message aux propriétaires de votre entreprise de garder une certaine quantité de marchandises destinées aux personnes en besoin. Vous auriez toutefois déjà fait comprendre plus tôt à vos chefs que vous seriez opposée à leur idée de transformer des produits en mauvais état en des produits à nouveau consommables. Le 10 décembre 2019, vous auriez déposé plainte auprès du CONAS à cause dudit appel et on vous aurait signalé que le numéro de l’appelant proviendrait d’une prison. Vous seriez ensuite partie vous installer à … jusqu’au 7 janvier 2020. En retournant au travail le 13 janvier 2020, vous auriez été obligée de transformer ladite marchandise en de la marchandise consommable. Le 21 octobre 2020, votre entreprise aurait été inspectée par des militaires appartenant aux Ministère de l’environnement. L’inspecteur aurait été désagréable et aurait fait des jugements sans fondement et vous auriez par la suite été convoquée par le Ministère de l’environnement et la Fiscalia pour remettre un document. Le 30 novembre 2020, vous auriez reçu un autre appel menaçant. Le 20 décembre 2020, votre époux serait rentré de Bolivie. En février 2021, vous auriez ouvert avec votre époux un commerce de livraison de …. Le 27 mars 2021, lors d’une livraison de …, deux motards vous auraient suivie et fait signe de vous arrêter. Vous auriez toutefois réussi à rentrer dans votre résidence sécurisée. Le 15 juin 2021, une voiture aurait bloqué la vôtre devant une pharmacie, où vous vous seriez restée pendant une heure. Personne ne serait jamais sorti de cette voiture. Après avoir placé votre fille dans votre voiture, la vitre de l’autre se serait baissée et quelqu’un vous aurait dit « Très malin … » (p. 9 de votre rapport d’entretien).
Le 4 août 2021, votre époux serait venu vous chercher au travail et, en rentrant, deux voitures vous auraient bloqué la route et des personnes armées auraient fait sortir votre époux tandis qu’on vous aurait demandé votre chaine, votre montre et votre portable. De retour à la maison, vous auriez pris la décision de quitter le Venezuela. Le 15 octobre 2021, vous auriez démissionné de votre travail. En cas d’un retour au Venezuela, vous craindriez qu’« ils », à savoir, le « gouvernement (…) le CICPC, la DGCIM, (…) le CONAS, la gouverneure, (…), les CP, le CLAP, tout cela c’est le gouvernement » (p. 9 de votre rapport d’entretien), ne vous tuent pour ne pas être d’accord avec leur façon de produire des aliments.
A l’appui de vos demandes de protection internationale, vous présentez les documents suivants :
- Vos passeports vénézuéliens prolongés en janvier et février 2021, vos cartes d’identité vénézuéliennes et votre titre de séjour temporaire bolivien, Monsieur ;
- votre badge de travail …, Monsieur, des documents en lien avec votre travail et des photos vous montrant travailler ;
- un rapport d’une psychologue établi le 28 juillet 2022 ;
- la copie de votre acte de mariage ;
- des documents informant sur vos vols vers la Turquie, l’Espagne et la Belgique ;
- des captures d’écran des menaces en langue espagnole que vous auriez reçues, Madame ;
- des photos et des documents en langue espagnole en lien avec votre travail, Madame.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant à la crédibilité de votre récit Avant tout autre développement, je suis amené à remettre en cause la crédibilité de votre récit.
Il y a lieu de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’évaluation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.
Ce constat doit en premier lieu être dressé alors que vous, Madame, développez pendant une grande partie de votre entretien la théorie selon laquelle vous baseriez vos prétendues craintes de mort sur le fait qu’en date du 3 décembre 2019 vous auriez reçu cet unique appel menaçant, seulement pour ajouter pendant la relecture de votre entretien qu’il y aurait en fait eu au moins deux appels menaçants, dont un premier que vous n’auriez toutefois pas pris au sérieux. Conviée à préciser pourquoi vous ne l’auriez pas pris au sérieux, vos explications ne tiennent ensuite pas la route. En effet, vous prétendez avoir immédiatement raccroché à ce premier appel pour la seule raison que l’appelant se serait présenté comme … et que vous ne connaitriez pas de telle personne. Vous précisez surtout avoir remarqué au vu du numéro d’appel que l’appel proviendrait d’une prison (p. 14 de votre rapport d’entretien).
Or, hormis le constat qu’il est tout de même étonnant de ne pas prendre au sérieux un « appel menaçant » qui proviendrait d’une prison, il s’agit surtout de noter que vous aviez encore préalablement prétendu que ça ne serait que suite à votre dépôt de plainte auprès de la CONAS à cause de l’appel du 3 décembre 2109, que l’agent vous aurait signalé que le numéro de l’appel en question serait originaire d’une prison. A part le constat que cet appel du 3 décembre 2019, n’aurait donc manifestement pas constitué le premier appel menaçant, il faudrait surtout se demander comment vous auriez fait pour comprendre que le premier appel proviendrait d’une prison tout en ne le prenant pas au sérieux mais que vous n’auriez pas eu d’idée quant à l’origine de l’appel du 3 décembre 2019, tout en le prenant cette fois-ci bien au sérieux.
A cela s’ajoute que vous ne répondez à plusieurs reprises au cours de votre entretien tout simplement pas aux questions qui vous sont posées, voire, que les mêmes questions doivent vous être posées plusieurs fois alors que vos réponses n’ont rien à voir avec les sujets en question (p. 14 ou 20 de votre rapport d’entretien) ou encore que vous retirez ou changez dans le cadre de la relecture de votre entretien des réponses concrètes que vous aviez préalablement données en présentant votre récit (p. 19 de votre rapport d’entretien).
Madame, il est en outre étonnant que vous vous plaignez du fait que les inspections qui auraient eu lieu dans votre entreprise ne vous auraient pas été annoncées d’avance par les institutions en question. En effet, des inspections inopinées dans le cadre de la production d’aliments sont tout à fait normales et logiques. Il est pareillement étonnant de constater que vous ne connaitriez tout simplement pas un document essentiel de base concernant les normes sanitaires que vous auriez été censée présenter dans le cadre de l’inspection de votre entreprise. Ainsi, alors que vous vous présentez tout au long de votre entretien comme une employée qui aurait justement été très adroite dans le respect de la loi et très stricte quant au respect des normes d’hygiène dans le cadre de la production d’aliments, ce qui vous aurait justement conduit à rejeter la politique alimentaire du gouvernement qui n’aurait pas respecté les lois nationales et internationales, vous ignorez toutefois le document essentiel que vous seriez censée posséder pour justifier de votre respect des normes. Votre justification selon laquelle « Je n’ai pas regardé la loi. Mais je soupçonne que la personne qui est venue et a demandé le document pourrait l’avoir fait pour nous compliquer la vie. Je me rends compte que c’était peut-être un piège pour m’envoyer à la fiscalia. J’ai envie de faire des recherches maintenant… » (p. 20 de votre rapport d’entretien) n’explique en tout cas rien et permet uniquement de conclure que vous n’étiez donc pas tellement à point avec les normes ou lois sanitaires.
Pour être complet quant aux incohérences en lien avec votre prétendu vécu au travail, on peut encore ajouter qu’il ne paraît manifestement pas plausible non plus que la DGCIM, donc le service de renseignement extérieur, ait besoin d’inspecter une entreprise dans le but de trouver votre numéro de téléphone ou votre adresse, voire, pour se faire envoyer une photo de vous, Madame, parce que vous seriez devenue représentante de l’entreprise. A part le constat qu’un service de renseignement certainement est à même de se procurer facilement de telles informations banales sans procéder à une inspection d’une entreprise, on peut aussi noter que votre adresse au Venezuela est même consultable depuis le Luxembourg dans le registre électoral vénézuélien publiquement accessible. Il faut en déduire que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises, respectivement, que vous tentez de rendre votre vécu plus grave ou dramatique qu’il ne l’a été.
Force est par ailleurs de constater que les documents remis ne sauraient nullement permettre de contrebalancer ces constats ou de donner plus de poids à vos dires. Ainsi, il s’agit en premier lieu de soulever, Madame, que vous êtes restée en défaut de verser des traductions dans une des trois langues prévues par la loi, pour l’ensemble des documents remis. Pour des raisons qui vous sont propres, vous avez certes décidé de faire traduire les documents totalement impertinents concernant notamment votre travail en Bolivie, Monsieur, mais vous n’avez à aucun moment jugé opportun de faire traduire les documents qui vous concerneraient, Madame. Ces pièces ne sauraient donc de toute façon pas être prises en compte dans le cadre de l’analyse de votre demande.
Que votre situation n’a en tout cas nullement été si grave que vous voulez le faire croire, respectivement, que vous n’éprouviez nullement ces craintes de mort sur lesquelles vous basez vos demandes de protection internationale se trouve davantage confirmé par votre comportement adopté depuis que vous auriez rencontré vos prétendus problèmes. En effet, Monsieur, non seulement avez jugé opportun d’entreprendre des multiples retours volontaires vers le Venezuela depuis 2018, mais surtout, Madame, vous n’auriez apparemment à aucun moment depuis réception des menaces de mort songé de quitter le Venezuela, pour rejoindre votre époux en Bolivie, voire, pour rechercher une protection ailleurs. Dans ce même contexte, il faut soulever que le fait que vous vous êtes encore fait prolonger vos passeports en janvier et février 2021, tout comme vous avez par la suite pu quitter le Venezuela de manière officielle et sans le moindre souci depuis l’aéroport de Caracas, prouve bien que vous ne vous trouvez nullement dans le collimateur des autorités et que vos craintes de vous faire tuer par « ils », à savoir, le « gouvernement (…) le CICPC, la DGCIM, (…) le CONAS, la gouverneure, (…), les CP, le CLAP, tout cela c’est le gouvernement » doivent clairement et indubitablement être définies comme étant totalement inventées et racontées dans le seul but de rendre votre récit plus dramatique et ainsi augmenter les probabilités de vous faire octroyer une protection internationale.
Que les craintes de mort évoquées sont inventées et que votre situation au Venezuela n’a nullement été si urgente que vous voulez le faire croire aux autorités luxembourgeoises se trouve également confirmé par votre comportement adopté depuis votre arrivée en Europe. En effet, alors qu’on peut attendre d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée, qu’elle introduise sa demande de protection internationale dans les plus brefs délais et dans le premier pays sûr rencontré, il ressort toutefois de vos dires que vous auriez d’abord voyagé en Espagne sans y rechercher une forme quelconque de protection, pour par la suite voyager en avion vers la Belgique, à nouveau sans y rechercher une forme quelconque de protection. Cette idée ne vous est venue qu’après votre arrivée au Luxembourg, un pays qui, selon vos estimations, correspondrait mieux à vos attentes par rapport aux autre pays européens.
Vos excuses, Madame, selon lesquelles en Espagne, il n’existerait pas de sécurité, tandis qu’en Belgique il n’y aurait pas de contrôles ne sont en outre pas intelligibles, respectivement, crédibles. Le fait que vous n’auriez en plus à aucun moment estimé opportun de vous servir de votre permis de travail pour vous installer en Bolivie en préférant immédiatement quitter votre continent et venir au Luxembourg alors que « J’étais en Bolivie pour le rapports (sic) avec le travail pas pour migrer », permet de plus de supposer que d’autres motifs que ceux racontés aux autorités luxembourgeoises sous-tendent en réalité vos demandes de protection internationale, un constat qui vaut encore davantage alors que vous avez décidé de faire prolonger vos passeports bien avant le prétendu incident du 4 août 2021, qui vous aurait fait prendre le choix de quitter le pays. En effet, la seule raison dans la démarche de faire prolonger un passeport réside dans l’idée de l’utiliser pour partir à l’étranger.
Quand bien même la crédibilité de vos récits devrait être établie, ce qui reste contesté, il s’avère que vous ne remplissez pas les conditions pour l’octroi du statut de réfugié, respectivement pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils n’émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.
Monsieur, concernant tout d’abord vos problèmes ou critiques en lien avec votre travail auprès de la société …, il échet de constater que bien que vous donnez un aspect politique à ces faits en vous plaignant de l’idéologie pro-régime à laquelle on vous aurait exposé, de sorte à les relier a priori à la Convention de Genève ou Loi de 2015, rien de grave ne vous serait en fait jamais arrivé.
En effet, convié à préciser qu’est-ce qui vous serait personnellement arrivé au travail, après avoir émis des critiques générales, vous vous plaignez en fait uniquement de votre transfert vers une autre région qui aurait à un moment été décidé, et suite auquel vous auriez travaillé sept jours de suite, suivi de sept jours de repos. Or, bien que vous qualifiez ce transfert de punition censée vous « terroriser », rien ne permet de conclure que vous ayez été traité de façon injuste, voire, discriminé par vos patrons, à cause de votre prétendue opposition à l’idéologie pro-régime qui aurait régné chez …. Le seul transfert vers un autre lieu de travail ne revêt en tout cas pas un degré de gravité tel à pouvoir être défini comme un acte de persécution au sens des textes précités.
Le constat est identique pour ce qui est de votre seule autre réel souci que vous auriez rencontré au travail, à savoir le fait que vous auriez été insulté ou menacé par des collègues de travail qui auraient été impliqués dans des pratiques de vol au sein de l’entreprise, pratiques que vous auriez rejetées. En effet, il ne vous serait jamais rien arrivé de grave chez …, vos collègues de travail se limitant apparemment, à proférer des menaces ou insultes au cours de toutes ces années. Que vos prétendus problèmes chez … n’étaient pas graves se trouve d’autant plus confirmé que vous avez donc, tel que susmentionné, décidé de retourner volontairement au Venezuela et ce à de multiples reprises entre 2018 et 2020, de sorte que vous-même n’auriez donc pas pris au sérieux vos prétendues craintes de vous faire tuer dans votre pays d’origine.
Dans ce contexte, et au vu de tout ce qui précède, vos prétendues craintes de vous faire tuer pendant la nuit par des colectivos, des colectivos qui font d’ailleurs irruption dans votre récit sans réelle raison et logique, doivent en tout cas être définies comme étant totalement hypothétiques, voire, infondées. Surtout, vous précisez avoir démissionné de votre travail après avoir ressenti une fatigue mentale en 2018 et vous confirmez que les harcèlements auraient alors cessé, de sorte que vos problèmes feraient donc clairement partie du passé et ne risqueraient par conséquent plus de se reproduire en cas d’un retour au Venezuela.
Madame, les conclusions sont identiques concernant vos prétendus problèmes et craintes en lien avec votre ancien poste de travail. Ainsi, il ressort de vos explications qu’à partir de 2018, vous auriez souffert sur votre lieu de travail d’inspections qui auraient été ordonnées par les autorités, vous vous plaignez de la politique de production d’aliments de mauvaise qualité qui aurait été décidée par les autorités et vous faites part d’un, voire, de plusieurs appels menaçants. Vous auriez en outre une fois été suivie par deux motards et une voiture se serait une fois arrêtée derrière la vôtre devant une pharmacie. Vous précisez dans ce contexte que le but recherché par ces pressions ou menaces aurait été de vous faire quitter votre travail (p. 18 de votre rapport d’entretien).
Force est à nouveau de constater que ces problèmes ou incidents ne revêtent clairement pas un degré de gravité tel à pouvoir être perçus comme des actes de persécution au sens des textes précités. Surtout, il faudrait ajouter que vous auriez donc entretemps démissionné de votre travail de sorte à ce que les personnes qui vous auraient jadis menacée ou mise sous pression auraient atteint leur but et pourraient désormais s’occuper de la production des aliments sans vos plaintes en lien avec la qualité des aliments produits ou le respect des normes et des lois. Ce problème serait du coup résolu et vos prétendues craintes ou motifs de fuite en rapport avec votre travail feraient partie du passé.
Quant au vol que vous auriez subi dans votre voiture le 4 août 2021, il s’agit en premier lieu de soulever les incidents de ce jour reposent sur vos seules allégations alors que ne versez la moindre pièce objective, susceptible de corroborer vos dires. Quand bien même cet incident serait établi, il s’agirait de constater qu’il n’est aucunement établi qui auraient été les acteurs de cette agression et quelles auraient été leurs motivations. En effet, bien que vous seriez d’avis qu’il ne se serait pas agi de délinquants mais de personnes associées au gouvernement puisque vous auriez été volés dans un endroit fréquenté par beaucoup de monde et au vu de leurs armes, ces éléments ne permettent évidemment pas de retenir vos allégations comme étant avérées et vos agresseurs restent des parfaits inconnus. De plus, il ressort de votre fiche de motifs manuscrite remplie le 16 novembre 2021, Monsieur, que vous auriez quitté le Venezuela à cause de « vols personnels », respectivement, parce que l’« éducation des enfants n’est pas bonne » et que « Nous avons vécu (sic) vols très frustrants et la petite était présente dans ces événements », de sorte à clairement faire état d’un vol commis par des simples délinquants. Il en ressort en outre que vous auriez donc quitté le Venezuela à cause de l’insécurité générale et de vols subis et non pas à cause d’une prétendue crainte envers des personnes liées au gouvernement.
Que cette agression aurait été commise par des simples délinquants et que vous ne vous trouvez nullement dans le collimateur des autorités, respectivement, du gouvernement ou de personnes liées au gouvernement est d’autant plus évident au vu du constat que vous n’auriez en fait jamais été inquiétés ou même dérangés par les autorités vénézuéliennes, que celles-ci vous ont encore prolongé vos passeports en début d’années 2021 et qu’elles vous ont par la suite permis de quitter le pays de manière officielle et sans rencontrer le moindre souci.
Au vu de ce qui précède, il ne saurait clairement pas être retenu que ce vol unique dont vous auriez été victimes au Venezuela rentrerait dans le champ d’application de la Convention de Genève ou de la Loi de 2015, alors qu’absolument rien ne permet de conclure qu’il aurait été commis à cause de votre race, de votre nationalité, de votre confession, de vos opinions politiques ou de votre appartenance à un certain groupe social.
Ladite agression subie, à la supposer établie, devrait du coup être perçue comme étant perpétrée par des personnes privées sans lien avec les autorités vénézuéliennes. Il s’ensuit que l’agression ou le vol subis seraient à définir comme étant des infractions de droit commun, punissables selon la législation vénézuélienne et du ressort des autorités de votre pays d’origine.
Par ailleurs, s’agissant d’actes perpétrés par des personnes privées, une persécution commise par des tiers ne peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.
Or, tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce. En effet, il ne saurait pas être retenu que vous n’ayez pas pu compter sur la protection des autorités vénézuéliennes, alors que vous confirmez ne jamais avoir dénoncé les menaces, ni avoir déposé plainte à cause de ces menaces par peur qu’on ne découvre votre adresse. Il n’est par conséquent nullement établi que les autorités n’auraient pas pu ou pas voulu vous aider ou vous permettre de faire valoir vos droits chez vous.
Bien au contraire, il ressort de vos dires, qu’après la réception de ladite menace de mort par téléphone, Madame, vous, respectivement, des collègues de travail auraient appelé la police et que celle-ci aurait par la suite surveillé votre maison. Vous précisez même que « la police était là pour vérifier que tout allait bien » (p. 12 de votre rapport d’entretien, Madame) bien que vous précisez aussi ne jamais vous être personnellement adressée à la police parce vous ne lui feriez pas confiance (p. 12 de votre rapport d’entretien). Or, au vu de ces seuls constats il ne saurait évidemment pas être conclu que les autorités vénézuéliennes n’auraient pas pu ou pas voulu vous aider, voire, qu’il ne vous aurait pas été possible de faire valoir vos droits chez vous.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.
L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il y a lieu de retenir qu’il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015. En effet, vous omettez d’établir qu’en cas de retour au Venezuela, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Vos demandes en obtention d’une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Venezuela, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2023, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision ministérielle du 11 septembre 2023 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 11 septembre 2023, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de leur recours et au-delà des faits et rétroactes retranscrits ci-dessus, les consorts … font valoir que les menaces évoquées pourraient être scindées entre celles visant Madame … et celles visant Monsieur …. Ainsi, la demanderesse serait en danger dans son pays d’origine en raison de son emploi de « chargée de protection et gérante corporative au sein de “…” depuis 2013 », et ne pourrait pas y disposer d’une protection étatique effective, tout en se référant aux déclarations faites dans le cadre de ses entretiens sur les motifs sous-tendant sa demande de protection internationale. Le demandeur, quant à lui, donne à considérer qu’il aurait également vécu une situation lui permettant de croire avec raison que s’il était resté au Venezuela, il aurait subi des traitements inhumains et dégradants sans pouvoir être protégé par les autorités vénézuéliennes, en s’appuyant pareillement sur ses déclarations faites devant l’agent en charge de ses entretiens. Les demandeurs ajoutent que leur départ de leur pays d’origine n’aurait pas été prévu, mais qu’ils y auraient été contraints.
En droit, les demandeurs font valoir que la décision ministérielle sous analyse devrait être réformée pour violation de la loi, notamment de l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés, respectivement pour erreur manifeste d’appréciation des faits.
A cet égard, ils rappellent que la notion de crainte prévue à la Convention de Genève devrait être qualifiée de raisonnable lorsqu’elle est basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile et que cette crainte découle du manquement de l’Etat d’origine dudit demandeur de remplir ses obligations de protection de ses citoyens, lesquelles résulteraient de la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, désignée ci-après par « la DUDH », obligations auxquelles le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, désigné ci-après par « le PICP », aurait donné « force obligatoire », de sorte que la mise en cause de ces droits civils et politiques constituerait une persécution.
Dans ce contexte, les consorts … estiment que leurs droits tels qu’énumérés dans la DUDH et dans le PICP auraient été violés dans leur pays d’origine, de sorte que le ministre aurait fait une appréciation erronée des faits de l’espèce en retenant que ces mêmes faits ne justifieraient pas, dans leur chef, une crainte fondée de persécution en raison de leur appartenance à « un groupe social vulnérable », respectivement à des personnes qui seraient considérées comme étant des opposants politiques du régime vénézuélien actuellement en place.
Ensuite, les demandeurs mettent en avant la situation desdits opposants, en soutenant que le gouvernement vénézuélien exercerait une répression politique systématique, via notamment des arrestations arbitraires, des détentions prolongées, des actes de torture, des interrogatoires coercitifs, des traitements inhumains et dégradants, et des conditions de détention déplorables. En outre, le système judiciaire vénézuélien serait souvent utilisé pour persécuter les opposants politiques, dans la mesure où des accusations politiquement motivées seraient fréquemment portées contre eux et les procès qui s’ensuivraient manqueraient souvent de transparence et d’équité. Les violations des droits humains seraient aussi « monnaie courante ». La privation de liberté, la torture, les disparitions forcées et les menaces à l’intégrité physique seraient des risques constants pour les opposants politiques. Les pratiques de persécution cibleraient non seulement lesdits opposants, mais également les membres de leur famille. Par ailleurs, la liberté d’expression serait fortement restreinte au Venezuela, en ce que les médias indépendants seraient sous pression et les journalistes critiquant le gouvernement seraient harcelés et menacés. Les opposants politiques auraient du mal à faire entendre leur voix, que ce soit dans les médias traditionnels, sur les réseaux sociaux, ou même dans un cadre plus restreint, tel qu’au sein de leur sphère professionnelle. La stigmatisation et le harcèlement seraient des éléments constants de la vie des opposants politiques, ce dont les demandeurs affirment avoir fait l’objet au sein de leurs entreprises respectives. De plus, la persécution constante et la menace permanente auraient un impact profond sur la santé mentale des opposants politiques, ce qui générerait du stress, de l’anxiété, de la dépression et d’autres problèmes de santé mentale. Ce constat serait appuyé par un article publié par Amnesty international le 21 septembre 2023, intitulé « Americas: Growing exodus of Venezuelans highlights failure of Colombia, Peru, Ecuador and Chile to comply with obligations » et par un autre article du même organisme publié le 29 août 2023, intitulé « Venezuela. Le gouvernement continue à recourir aux détentions arbitraires comme outil de contrôle et de répression ».
Concernant le manque de crédibilité de leurs récits, les demandeurs estiment avoir été de bonne foi en transmettant l’ensemble des informations et pièces nécessaires à l’examen de leurs demandes de protection internationale. Ils font valoir que le ministre aurait, à tort, reproché à Madame … de ne pas avoir répondu aux questions, alors que son rapport d’audition ferait 23 pages, que les entretiens se seraient déroulés sur trois journées et qu’elle aurait fourni de nombreuses réponses. Les demandeurs soutiennent qu’ils auraient méthodiquement et chronologiquement expliqué l’ensemble des menaces qui auraient pesé sur eux et auraient versé diverses pièces à l’appui de leurs dires. Ils ajoutent qu’ils auraient, de ce fait, droit à ce que le principe du bénéfice du doute s’applique.
Quant à leurs opinions politiques, les demandeurs indiquent que leur opposition constante envers un régime dictatorial et corrompu les aurait poussés à quitter leur pays d’origine et ils seraient, à présent, dans l’impossibilité d’y retourner, dans la mesure où ils seraient connus pour s’être dressés contre le gouvernement vénézuélien. Comme ils seraient considérés comme opposants politiques par celui-ci, ils risqueraient de subir des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». Leurs récits prouveraient que leurs craintes d’être emprisonnés et de subir de tels traitements seraient réelles et fondées.
Les demandeurs estiment ensuite que la condition relative à l’existence d’actes revêtant une gravité suffisante conformément à l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et celle tenant à la nature des actes au sens de l’article 42 (2) de ladite loi, seraient remplies en l’espèce, tout en rappelant à cet égard qu’ils auraient déjà subi des violences mentales en raison du harcèlement découlant des « interpellations et coups de téléphones » lors desquels ils auraient été menacés de mort. Ils ajoutent qu’ils ne pourraient pas obtenir de protection des autorités vénézuéliennes, étant donné qu’ils se seraient confrontés à celles-ci, avant de conclure qu’ils devraient se voir octroyer le statut de réfugié.
S’agissant de la protection subsidiaire, après avoir cité les articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs relèvent que les notions de torture et de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants devraient être interprétées à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », relative à l’article 3 de la CEDH pour soutenir qu’ils seraient exposés à des atteintes graves au sens dudit article 48 en cas de retour dans leur pays d’origine au vu du manque de sécurité et de protection au Venezuela, et qu’ils devraient, dès lors, se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, indépendamment de la question de la crédibilité du récit des demandeurs, le tribunal relève que ces derniers ont déclaré avoir quitté le Venezuela par manque de sécurité en raison de leurs professions respectives dans le cadre desquelles ils auraient manifesté leur opposition au régime vénézuélien en place. Dans ce contexte, ils font valoir avoir subi les faits suivants : (i) des menaces de mort téléphoniques en date des 3 décembre 2019 et 30 novembre 2020, (ii) le blocage du véhicule de Madame … par des inconnus le 15 juin 2021 et (iii) le vol avec violences subi le 4 août 2021.
Le tribunal est amené à retenir, tout d’abord, quant aux prétendues persécutions liées à leurs comportements au sein de leurs emplois respectifs, que si elles peuvent être considérées comme l’expression de leurs opinions politiques, elles ne permettent cependant pas l’octroi d’un statut de réfugié.
En effet, force est, en premier lieu, de relever que les menaces de mort, qui ont été proférées à l’égard de Monsieur … lors de discussions houleuses au sein de son entreprise1 se sont arrêtées à partir du moment où il a démissionné, soit en 2018, et qu’il n’a plus été personnellement menacé depuis lors, de sorte que ses craintes à ce propos sont hypothétiques.
1 Page 8 du rapport d’audition du demandeur.
En second lieu, quant aux craintes de Madame …, elle affirme avoir été menacée de mort les 3 décembre 2019 et 30 novembre 2020 par des inconnus, dont l’un l’aurait menacée par téléphone depuis une prison. A ce propos, le tribunal rappelle que face à des auteurs de persécution qui sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, il convient d’examiner si la victime peut être protégée par les autorités publiques compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit, la crainte de persécution ne pouvant être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent pas ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution.
Il est encore de jurisprudence établie qu’une protection n’est suffisante que si les autorités étatiques ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions, sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux, la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquant en effet pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais supposant des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Or, le tribunal constate qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à son appréciation que l’Etat vénézuélien n’aurait pas été disposé ou aurait été dans l’incapacité de fournir une protection aux demandeurs contre les agissements dont Madame … déclare avoir été victime, ni qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils ne pourraient pas bénéficier d’une telle protection.
Au contraire, force est de relever que lorsque des menaces de mort ont été proférées à l’encontre de Madame … par téléphone le 3 décembre 2019, elle en a fait part au chef de la sécurité de son entreprise, qui a alors contacté la police. Les policiers se sont rendus chez les demandeurs et ont surveillé leur maison pendant 24 heures et ont ensuite fait des rondes devant leur domicile. Il ressort ainsi de leurs déclarations qu’ils ont eu accès à une protection de la part des autorités de leur pays d’origine. La demanderesse a d’ailleurs pu déposer officiellement une plainte le 10 décembre 2019 auprès du Comando Nacional Antiextorsión y Secuestro (CONAS), qui l’aurait alors informée que l’appel téléphonique avait été émis d’une prison, étant ici précisé que le simple fait que le coupable n’ait pas pu être sanctionné par les autorités policières et judiciaires n’entraîne pas ipso facto un défaut de protection.
Quant à la menace reçue le 30 novembre 2020, il ressort de l’entretien de Madame … qu’elle n’a pas porté plainte « Parce que [les policiers] allaient me répondre de la même façon, et j’avais peur. »2, mettant ainsi les autorités de son pays d’origine dans l’impossibilité de lui fournir une protection.
2 Page 21 du rapport d’audition de la demanderesse.
Ensuite, il convient de constater, tant pour le blocage du véhicule de Madame … que pour le vol avec violences, que les demandeurs restent en défaut de démontrer que ces faits auraient un lien avec leurs emplois respectifs, sinon avec leurs opinions politiques. En effet, outre le fait que le blocage du véhicule de la demanderesse n’est pas d’une gravité suffisante pour pouvoir être considéré comme une persécution, il ne ressort pas des déclarations des demandeurs que celui-ci serait d’une quelconque manière lié à l’emploi de Madame …, étant relevé que les inconnus ayant bloqué son véhicule ont simplement déclaré « Très malin … »3.
Quant au vol avec violences du 4 août 2021, si certes les individus ayant agressé les demandeurs ont mentionné le gouvernement en indiquant qu’« Ici celui qui commande c’est le gouvernement […] ici celui qui a de l’importance c’est le gouvernement […] »4, les demandeurs manquent de faire un lien entre cet incident et une quelconque action de Madame … au sein de l’entreprise publique qui aurait conduit à ce vol et à ces paroles, - étant d’ailleurs relevé que les demandeurs avaient commencé à partir de février 2021 un commerce de vente de … qui aurait été prospère -, mais il ressort, au contraire, de leurs déclarations que le but de ces individus était de se procurer les objets de valeur leur appartenant, à savoir une chaîne, une montre et un téléphone.
Ces deux faits devant ainsi être considérés comme l’œuvre de personnes privées, force est de constater que les demandeurs restent en défaut de démontrer que les autorités vénézuéliennes ne pourraient pas ou ne voudraient pas leur fournir une protection, étant donné que les demandeurs n’ont aucunement tenté de porter plainte, restant ainsi en défaut de démontrer un quelconque manque de protection de la part des autorités vénézuéliennes.
Si les demandeurs soutiennent que les différents actes mentionnés seraient le fait des autorités de leur pays d’origine, dont ils seraient dans le collimateur, force est de constater que ces affirmations restent à l’état d’allégations, dans la mesure où (i) la police s’est rendue à leur domicile lors de la première menace téléphonique et l’ont surveillé, apportant ainsi aux demandeurs une protection et (ii) les demandeurs ont pu faire prolonger leurs passeports en janvier et février 2021 et quitter officiellement le Venezuela depuis l’aéroport international de Caracas le 15 octobre 2021, sans que les autorités vénézuéliennes ne les en aient empêchés.
Dans ces circonstances, le tribunal retient que les faits sous analyse ne sont pas de nature à établir l’existence, dans le chef des demandeurs, d’une crainte fondée de persécutions en cas de retour dans leur pays d’origine, de sorte à ne pas justifier l’octroi dans leur chef du statut de réfugié.
Le recours est partant à rejeter en ce qui concerne ce premier volet.
En ce qui concerne le volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de 3 Page 9 du rapport d’audition de la demanderesse.
4 Page 9 du rapport d’audition de la demanderesse.
subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), respectivement « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-
avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.
Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles atteintes graves se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier de la protection subsidiaire.
Le tribunal constate qu’à l’appui de leurs demandes de protection subsidiaire, les consorts … invoquent en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de leurs demandes de reconnaissance du statut de réfugié. Dans la mesure où ils ne prétendent pas risquer de se retrouver dans une situation de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé, tel que prévu au point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils invoquent risquer de subir, en cas de retour dans leur pays d’origine, la mort ou des traitements inhumains et dégradants, le tribunal examinera si les problèmes dont ils font état peuvent être qualifiés d’atteintes graves au sens des points a) et b) dudit article.
Or, dans la mesure où le tribunal a été amené à retenir dans les développements qui précèdent que les demandeurs n’avaient pas démontré le défaut de protection de la part des autorités vénézuéliennes, il ne saurait se départir de ses conclusions à ce stade.
C’est, dès lors, également à bon droit que le ministre a rejeté leurs demandes de protection subsidiaire comme étant non fondées.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres éléments, que le recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’octroi d’une protection internationale dans le chef des consorts … est à rejeter pour être non fondé.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Les demandeurs sollicitent la réformation de l’ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation du refus d’une protection internationale. A titre subsidiaire, ils font encore valoir que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 3 de la CEDH et que la réalité du risque qui pèserait sur eux en cas de retour au Venezuela interdirait leur éloignement vers ce pays.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.
Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs l’un des statuts conférés par la protection internationale, il a également a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
En ce qui concerne la demande de voir réformer l’ordre de quitter le territoire pour être contraire à l’article 3 de la CEDH, il y a lieu de relever que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques doit présenter une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus par les demandeurs en cas de retour au Venezuela, le tribunal a conclu ci-avant qu’ils n’avaient pas démontré que les autorités de leur pays d’origine ne pourraient ou ne voudraient pas les protéger contre les actes qu’ils redouteraient, de sorte à ne pas fournir² d’éléments de nature à justifier dans leur chef l’existence d’une crainte actuelle et fondée de subir des persécutions ni de risques de subir des atteintes graves, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH5, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs au Venezuela soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen y afférent encourt le rejet.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 11 septembre 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 11 septembre 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 15 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
5 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 21