Tribunal administratif N° 49331 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49331 2e chambre Inscrit le 21 août 2023 Audience publique du 15 juillet 2024 Recours formé par Madame …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49331 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 août 2023 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 juillet 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 octobre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav Perederiy en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 mars 2024.
Le 29 septembre 2020, Madame …, accompagnée de ses enfants mineurs …, …, … et …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Ses déclarations sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.
Une recherche effectuée à cette même occasion dans la base de données EURODAC renseigna que l’intéressée avait introduit une demande de protection internationale en Norvège le 29 août 2013 et en Espagne le 23 avril 2014.
Toujours le 29 septembre 2020, Madame … fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 1 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
En date du 2 octobre 2020, les autorités luxembourgeoises requirent de leurs homologues espagnols la reprise en charge de Madame …, ce qu’ils refusèrent en date du 7 octobre 2020.
Les autorités luxembourgeoises leur demandèrent de réexaminer leur demande de reprise en charge en date du 13 octobre 2020, demande que les autorités espagnoles refusèrent en date du 19 octobre 2020.
Le 29 octobre 2020, les autorités luxembourgeoises adressèrent une nouvelle demande de réexamen de leur requête de reprise en charge de Madame …, demande que leurs homologues espagnols refusèrent une nouvelle fois en date du 4 novembre 2020.
Le 2 avril 2021, les autorités luxembourgeoises initièrent une procédure de conciliation au titre de l’article 37 du règlement Dublin III, à laquelle les autorités espagnoles refusèrent de participer en date du 15 juillet 2021.
Le 24 septembre 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent à nouveau les autorités espagnoles pour les inviter à réévaluer la demande de reprise en charge de Madame …, démarche qui resta sans réponse.
Les 12 novembre, 9 et 27 décembre 2021, ainsi que le 31 mars 2022, Madame … fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 18 juillet 2023, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Cette décision est libellée dans les termes suivants :
« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 18 mars 2022 pour votre propre compte ainsi qu’au nom et pour le compte de vos enfants mineurs, …, née le … à … (Norvège), …, né le … à … (Espagne), …, né le … à … (Espagne) et …, née le … sinon le … à … (Espagne), sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-
après.
1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche des motifs du 29 septembre 2020 établie lors de l’introduction de votre demande de protection internationale, le rapport du Service de Police Judiciaire du 29 septembre 2020, votre rapport d’entretien « Dublin III » du 29 septembre 2020, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 12 novembre 2 2021, 9 et 27 décembre 2021 et 31 mars 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.
Avant tout progrès en cause, il convient de noter qu’il ressort de la comparaison de vos empreintes avec le système « Eurodac » que vous avez déjà introduit des demandes de protection internationale en Norvège le 29 août 2013 et en Espagne le 23 avril 2014. En outre, il ressort de votre rapport d’entretien « Dublin III » que vous êtes entrée en Espagne en août 2013 par le biais d’un visa espagnol et que vous ne voulez plus retourner en Espagne au motif qu’« Ils ne vont pas m’aider. Je vais me retrouver à la rue » (page 4/10 du rapport d’entretien « Dublin III »).
Lors de l’introduction de votre demande vous déclarez vous nommer …, être née le … à … (Algérie), être de nationalité algérienne, d’ethnie Arabe, de confession musulmane, d’appartenir au clan de la tribu …, et d’être mariée avec le dénommé … mais de vivre séparément entretemps. Vous indiquez également avoir toujours vécu à … avec votre belle-
famille jusqu’à votre départ en août 2013.
A l’appui de votre demande, vous prétendez d’abord que le 11 mai 2010, lorsque vous auriez été chez la famille de votre mère, en même temps la famille de votre futur époux, quatre hommes, « die Männer waren Drogendealer » (page 15/20 du rapport d’entretien) seraient venus alors qu’ils auraient été à la recherche de votre époux qui leur aurait causé des problèmes (page 15/20 du rapport d’entretien). A ce moment, vous et votre belle-sœur auraient été seules à la maison, et malgré le fait que votre belle-sœur les aurait informés que votre époux, respectivement son frère, ne serait pas à la maison et leur aurait refusé l’accès, ces derniers seraient entrés et auraient « das komplette Haus nach meinem Ehemann durchsucht » (page 7/20 du rapport d’entretien). Vous relatez qu’alors que votre belle-sœur aurait tenté de les empêcher de prendre des objets de valeur, un homme aurait commencé à la frapper et que vous auriez également été frappée lorsque vous auriez tenté de sortir de la maison. Or, vous auriez réussi à vous enfuir dans le jardin et de vous cacher dans un réservoir de pétrole « Ich kletterte in diesen Tank, woraufhin der Mann mit der Schlosszange draufschlug und laut schrie :
« Komm raus ! Komm raus ! » » (page 7/20 du rapport d’entretien). L’homme vous aurait sortie de force du réservoir et vous aurait violée et frappée. Vous ajoutez encore que vous auriez constaté par après que votre belle-sœur aurait également été violée et qu’elle aurait été blessée à l’arrière du crâne.
Ensuite, quand votre future belle-mère serait rentrée, votre belle-sœur aurait tout raconté à cette dernière, qui aurait du coup commencé à pleurer et à crier. En raison des cris, votre belle-sœur aurait subi une attaque cérébrale et serait décédée plus tard des suites à l’hôpital. Votre belle-mère aurait alors commencé à vous frapper et à crier « Warum habt ihr sie reingelassen ? » (page 8/20 du rapport d’entretien). Votre beau-frère vous aurait par la suite ramenée à la maison et aurait raconté l’incident à votre propre mère qui vous aurait également frappée et qui vous aurait reproché « Du hast unsere Ehre verletzt, unsere Familienehre » (page 8/20 du rapport d’entretien). Votre mère vous aurait enfermée dans votre chambre et vous aurait menacée « Wenn du irgendeinem etwas darüber erzählst, dann schneiden wir deine Zunge raus. Wenn jemand davon erfährt, wird keine deiner Schwestern heiraten können » (page 8/20 du rapport d’entretien). Vous ajoutez que par la suite votre famille vous aurait „ als wertlos angesehen », qu’« An manchen Tagen wurde mir sogar kein Essen gebracht. Meine Famille hat mich verachtet. Ich wurde geschlagen und gefoltert von meiner Famille" (page 8/20 du rapport d’entretien).
3 Vous racontez que cette situation aurait perduré pendant 15 à 20 jours et que votre mère vous aurait observée pendant tout ce temps. Cette dernière aurait même engagé une obstétricienne qui vous aurait visitée trois fois et qui aurait conclu que vous seriez enceinte.
Cette femme vous aurait alors donné une boisson que vous aurait dû boire chaque jour afin d’interrompre la grossesse. Cette procédure n’ayant pas porté fruit, l’obstétricienne aurait dû vous opérer et aurait « mit einer Eisenzange in meine Gebärmutter gestochen. Dadurch habe ich mein Kind verloren » (page 8/20 du rapport d’entretien).
Vous poursuivez que six semaines plus tard votre futur époux aurait, contre la volonté de sa famille, déposé plainte contre les attaquants en raison du viol que vous aurait subi et que les autorités auraient demandé des preuves. Votre époux aurait dans ce contexte contacté votre frère qui aurait alors répondu « Wir geben dir gar nichts. Vergiss alles. Wir müssen dieses Ereignis geheim halten. Deine Schwester ist gestorben. Die Sache ist vorbei » (page 9/20 du rapport d’entretien).
Vous auriez alors décidé de quitter votre maison familiale et un de vos frères et votre futur époux auraient organisé votre fuite. Votre futur époux vous aurait alors amenée chez sa propre famille, mais votre belle-mère aurait refusé que vous vous installeriez chez eux de sorte que vous vous seriez finalement établie dans un local de stockage au poste de travail de votre futur époux.
Vous poursuivez que le 27 juillet 2010 vous vous seriez mariés. Or, le mariage n’aurait rien changé à votre situation, alors que votre belle-mère aurait toujours refusé de vous voir et que votre frère aîné aurait promis à votre famille « dass er mich umbringt » (page 9/20 du rapport d’entretien).
Environ un mois après le mariage, vous et votre époux auraient fait valoir vos témoignages de l’incident du 11 mai 2010 auprès des autorités et auraient déposé plainte contre les hommes. Vous ajoutez que votre époux aurait déjà eu des problèmes avec ces hommes et qu’il y aurait déjà eu des procédures judiciaires entre votre époux et ceux-ci. Les autorités auraient alors commencé leur enquête. Vous indiquez que vous n’auriez pas été en possession de preuves de votre viol. Suite au dépôt de cette plainte, votre époux aurait à nouveau été menacé par ces hommes et ils l’auraient demandé de retirer la plainte. Au cours de la procédure, le juge aurait demandé le témoignage de votre belle-mère, mais cette dernière aurait refusé ceci. Finalement, le juge aurait conclu que « Sie haben nicht genügend Beweise » (page 10/20 du rapport d’entretien).
Fin septembre, respectivement début octobre 2010, les hommes seraient venus dans le magasin de votre époux et vous auraient menacés. Ils auraient également rendu visite à votre belle-mère, tout en frappant vos autres beaux-frères et belles-sœurs. Votre époux et quelques de vos beaux-frères auraient alors à nouveau déposé plainte contre ces hommes. Or, en raison du fait que personne du voisinage n’aurait voulu témoigner contre ces hommes, la procédure aurait été abandonnée. Au cours de cette période, le magasin de votre mari aurait même été brûlé par ces hommes. Ensuite, vous auriez déménagé à … et vous vous seriez à nouveau adressés aux autorités pour qu’ils enquêtent à l’encontre de ces hommes, mais celles-ci vous auraient informés que la procédure aurait été abandonnée. Votre époux aurait également eu des problèmes avec les autorités en raison de violence utilisée contre celles-ci de sorte qu’il aurait dû se cacher auprès d’un ami et qu’il n’aurait pas donné suite aux convocations du tribunal.
Vous expliquez encore qu’en avril 2011, l’Imam vous aurait contactée alors qu’il 4 disposerait d’une lettre qui vous seriez destinée. Vous indiquez dans ce contexte qu’en 1994 votre père aurait reçu une arme de l’Etat pour se défendre contre des terroristes. Vous continuez qu’« Im Jahr 1999 oder 2000 hat die Regierung die Reform der Gesetze veranlasst.
Alle Personen, welche vorher Waffen vom Staat erhielten, mussten diese dem Staat wieder zurückgeben » (page 11/20 du rapport d’entretien). Or, au moment de la promulgation de la loi, votre père aurait déjà été mort, de sorte que les autorités auraient invité tous les membres de la famille à signer une déclaration de renonciation « dass wir keinen Anspruch mehr auf die Kaution hätten » (page 11/20 du rapport d’entretien).
Vous poursuivez que dans la lettre reçue de l’Imam en 2011, la question aurait été posée « Aus welchem Grund sind Sie nicht bei den Behörden erschienen um diese Verzichtserklärung zu unterschreiben?" (page 12/20 du rapport d’entretien). Vous insinuez alors qu’après votre départ en 2010, votre famille aurait reçu un telle lettre et se serait présentée auprès des autorités en raison de cette déclaration de renonciation. Votre époux aurait soupçonné votre frère d’être à l’origine de la lettre de 2011. Ensuite vous auriez décidé de ne pas engager d’avocat et de ne pas donner suite à la lettre. Votre époux aurait même dit « Wenn du zu den Behörden gehst, können die Behörden uns auffinden und ich bekomme wieder Probleme" (page 11/20 du rapport d’entretien). Vous précisez plus tard que « Der erste Brief wurde im Jahr 1999 oder 2000 ausgestellt » (page 16/20 du rapport d’entretien).
Entre 2011 et 2013, vous vous seriez cachés, afin d’éviter que les autorités vous arrêtent, et ce en raison du fait que vous n’auriez pas signé la déclaration de renonciation.
Vous indiquez encore que vous auriez refusé de vous présenter auprès des autorités alors que « Sowieso konnte ich keinen der Behörden oder dem Gericht leiden [sic] » (page 12/20 du rapport d’entretien). Invitée plus tard par l’agent ministériel à répondre à la question « Was vermuteten Sie wäre konkret passiert wären Sie zum Gericht oder den Behörden gegangen? » vous répondez qu’« Ich befürchtete, dass die Behörden mich auf der Stelle festnehmen und mich in Untersuchungshaft einsperren (…). Zweitens hatte mein Mann Probleme mit den Behörden.
Er war gesucht. Ich befürchtete, dass die Behörden durch mich den Aufenthaltsort meines Mannes entdecken" (page 17/20 du rapport d’entretien).
Par après, votre relation avec votre époux n’aurait plus été la même. Votre époux aurait contacté un ami qui séjournerait en Norvège et qui vous aurait informé « über das Asyl Gesetz der EU » (page 12/20 du rapport d’entretien) et qui vous aurait organisé votre départ d’Algérie ainsi que vos Visa espagnols. Vous précisez dans ce contexte qu’« Eigentlich hatte wir nie vorgehabt das Land zu verlassen, wir wollten nur den Aufenthaltsort wechseln » (page 17/20 du rapport d’entretien).
Vous ajoutez encore que votre époux aurait refusé que vous demanderiez une protection internationale en Espagne ou en Norvège et que ce dernier ne se serait plus occupé de vous et de vos enfants. Vous auriez alors décidé de le quitter. Il refuserait également de vous envoyer des documents relatifs à votre vécu, mais que vous seriez toujours en contact avec lui via Whatsapp.
Vous déclarez aussi que la population algérienne serait harcelée par les autorités et le gouvernement de votre pays d’origine et que personne ne se serait occupée de la population et qu’il n’y aurait pas d’organisations d’entraide.
Vous affirmez craindre qu’en cas de retour dans votre pays d’origine, vous seriez immédiatement arrêtée alors que vous n’auriez pas répondu aux convocations du tribunal et qu’ainsi personne ne pourrait s’occuper de vos enfants qui seraient considérés comme non 5 « Scharia legitime » (page 18/20 du rapport d’entretien) et comme des enfants nés hors-
mariage et que de toute manière personne ne pourrait vous accueillir.
A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :
- votre passeport algérien n° …, valable du 27 février 2019 au 26 février 2020 ;
- le certificat de naissance de votre fille … établi par les autorités norvégiennes ;
- le certificat de naissance de votre fils … établi par les autorités espagnoles ;
- un extrait du registre civil de votre fils … établi par les autorités espagnoles.
Les quatre documents ont été envoyés pour authentification à l’Unité de Police de l’Aéroport, qui, en date du 3 novembre 2021 a établi que malgré une irrégularité au niveau de la rubrique « sexe » dans votre passeport, les quatre documents sont à considérer comme des documents authentiques.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.
Madame, lors de votre entretien individuel sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous déclarez craindre de subir des représailles futures de la part de votre propre frère alors que ce dernier aurait promis à votre famille de vous tuer en raison du fait que vous auriez apporté la honte sur votre famille, et encore que vous seriez immédiatement arrêtée par les autorités étant donné que vous n’auriez pas signé la déclaration de renonciation à la caution concernant l’affaire de la restitution des armes.
Avant tout autre développement, il convient de rappeler que vous séjournez désormais 6 depuis environ dix ans en Europe, tout en ayant d’ores et déjà déposé des demandes de protection internationale dans deux pays européens. En outre, trois de vos enfants sont nés en Espagne et votre époux, le père de ces enfants, séjourne toujours dans ce pays. Il aurait dès lors pu être attendu que vous tenteriez de régulariser votre séjour en Espagne. Or, votre façon de procéder correspond manifestement à pratiquer de l’«asylum shopping » en soumettant des demandes dans les Etats membres, qui selon vos estimations, satisferont au mieux vos attentes.
Ceci étant dit, concernant premièrement votre crainte d’être tuée par votre frère, force est tout d’abord de noter que cet incident remonte à 2010 et qu’il est ainsi trop éloigné dans le temps pour justifier l’octroi d’une protection internationale en 2023. A cela s’ajoute qu’il ne ressort aucunement de vos déclarations que depuis 2010, votre frère vous aurait menacée d’une quelconque manière, et ce malgré le fait que vous auriez encore vécu pendant trois ans en Algérie.
Quand bien même ce fait serait pris en compte, il convient de souligner que cette crainte s’inscrit dans un cadre purement privé et familial, alors que votre famille considérerait que vous lui aurait apporté la honte en raison du fait d’avoir été violée et d’avoir porté plainte contre les agresseurs.
Il découle donc de manière claire et évidente qu’un pur conflit d’ordre privé est à l’origine de votre demande de protection internationale. Or, un simple conflit entre vous et votre famille, qui vous aurait exclue, respectivement votre frère qui aurait promis à cette dernière de vous tuer, ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié, alors que de telles craintes n’ont aucun lien avec l’un des cinq motifs de fond définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015.
Il convient également de constater que les problèmes, respectivement, le fait que vous décrivez ne revêt pas un degré de gravité suffisant tels qu’il puisse être assimilé à un acte de persécution ou une crainte fondée de persécution au sens des dispositions précitées.
En effet, il convient de rappeler que mis à part le fait que votre frère aurait promis en 2010 à votre famille de vous tuer, ce dernier n’aurait depuis entrepris aucune démarche concrète qui établirait qu’il aurait effectivement l’intention de passer à l’acte. La simple supposition de la part de votre époux que votre frère aîné serait à l’origine de la lettre reçue par l’Iman en 2011 en lien avec la déclaration de renonciation à la caution : « Mein Mann sagte mir dauernd : « ich glaube dein Bruder steckt dahinter » » (page 12/20 du rapport d’entretien), ne saurait guère suffire pour démontrer la moindre initiative dans le chef de votre frère. Or, une simple promesse de tuer une personne non-suivie d’une menace personnelle et concrète, ne saurait guère revêtir le caractère de gravité nécessaire pour constituer un acte de persécution voire une crainte fondée de persécution.
Ce constat peut encore être confirmé par le fait que vous auriez jugé nécessaire de quitter votre pays d’origine uniquement en août 2013, alors que la promesse daterait de 2010 (page 9/20 du rapport d’entretien) et que vous n’auriez même pas eu l’intention de partir de votre pays d’origine « Eigentlich hatten wir nie vorgehabt das Land zu verlassen, wir wollten nur den Aufenthaltsort wechseln » (page 17/20 du rapport d’entretien). Or, une personne qui se serait réellement sentie menacée par son frère, voire sa famille, n’aurait pas attendu trois ans pour quitter son pays d’origine. Ainsi, force est de constater que votre situation dans votre pays d’origine ne semble manifestement pas être à telle point intolérable à y avoir rendu votre vie impossible et que vos craintes dans ce contexte sont purement hypothétiques.
7 Même à supposer que vos problèmes seraient à qualifier d’actes de persécutions motivés par un des cinq motifs de fond définis dans la Convention de Genève et de la Loi de 2015, quod non, il convient de constater que s’agissant d’actes émanant de personnes privées, ici votre frère, ceux-ci peuvent être considérées comme fondant une crainte légitime uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités algériennes.
Or, force est de souligner que vous n’auriez jamais jugé nécessaire d’informer les autorités de votre pays d’origine d’un risque de menace de la part de votre frère et ce malgré le fait que vous auriez bien vu que les autorités auraient procédé à une enquête dans le cadre de votre viol, respectivement dans le cadre des menaces proférées par vos agresseurs à l’encontre de votre époux et de la famille de celui-ci. Le simple fait que ces enquêtes n’auraient, faute de preuves, pas abouti à un résultat concluant dans votre esprit, ne permet aucunement de conclure à une quelconque défaillance, respectivement, absence d’action des autorités algériennes compétentes.
Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d’actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il n’y a toutefois aucun indice dans votre récit qui indique que ceci serait le cas en l’espèce.
Pour être complet, il convient encore de rappeler qu’il ressort de vos dires que vous n’auriez même pas eu l’intention de quitter votre pays d’origine mais que vous auriez envisagé de vous installer dans une autre région de celui-ci « Eigentlich hatten wir nie vorgehabt das Land zu verlassen, wir wollten nur den Aufenthaltsort wechseln » (page 17/20 du rapport d’entretien) et que vous auriez uniquement quitté l’Algérie en raison du fait que l’ami de votre époux qui aurait résidé en Norvège vous aurait convaincus de quitter pour ce pays. Force est donc de constater que vous auriez vous-même considéré que votre situation permettrait une réinstallation dans une autre ville ou région de votre pays d’origine.
Partant, il ne saurait être question dans votre chef de l’existence d’une crainte fondée de persécution en lien avec la prétendue menace de votre frère au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.
Deuxièmement, vous avancez encore craindre d’être arrêtée en cas de retour dans votre pays d’origine en raison du fait que vous auriez refusé de faire suite à la lettre que l’Imam vous aurait présentée en 2011 et de vous présenter auprès des autorités afin de signer la déclaration de renonciation à la caution.
Tout d’abord, il y a lieu de souligner que vos déclarations dans ce contexte ne semblent pas très claires, alors que vous parlez tout d’abord du fait qu’en 1999/2000 les autorités algériennes auraient réclamé la restitution des armes distribuées au début des années 1990, pour ensuite avancer que les autorités algériennes auraient forcé votre famille à signer une déclaration de renonciation à la caution. Or, vous restez en défaut de préciser l’origine de cette caution, voire le lien exact entre la restitution des armes et la prédite caution. De plus, vous n’expliquez pas pourquoi votre famille aurait dû renoncer à la prédite caution, et n’aurait pas simplement pu la récupérer.
8 Ensuite, il y a lieu de relever qu’il ressort de vos propres dires que le fait de ne pas signer la prédite déclaration de renonciation à la caution constituerait une infraction « für welche ich mit einer Freiheitsstrafe oder Bussgeld rechnen sollte » (page 12/20 du rapport d’entretien).
Or, force est de constater que le fait d’être poursuivi pour avoir commis une infraction au sens des lois algériennes en ne donnant pas suite à l’invitation de signer cette déclaration de renonciation ne saurait être assimilable à un acte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015. Le déclenchement par les autorités algériennes d’une procédure judiciaire à votre encontre ne constitue évidemment pas un acte de persécution. En tout cas, le seul fait de quitter votre pays d’origine pour vous soustraire à la justice ne saurait évidemment pas justifier l’octroi du statut de réfugié.
Par ailleurs, il ressort de votre entretien « Dublin III », que vous auriez quitté l’Algérie en prenant « le ferry à Alger pour nous rendre à Alicante » (page 4/10 du rapport d’entretien Dublin III). Or, si vous et surtout votre mari avaient effectivement été recherchés par les autorités algériennes, vous n’auriez certainement pas pu quitter le pays d’une manière officielle, en prenant le ferry à Alger, mais les autorités algériennes vous auraient évidemment arrêtés au contrôle de frontière avant l’embarquement du ferry.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.
L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous fondez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut de réfugié. Or, et tout en renvoyant aux arguments développés précédemment, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, respectivement que les autorités algériennes seraient dans l’impossibilité de vous offrir une 9 protection.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Vos demandes en obtention d’une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de l’Algérie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2023, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 18 juillet 2023 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 18 juillet 2023, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, Madame … expose avoir quitté l’Algérie en 2013, ensemble avec son époux et leurs enfants mineurs, tous munis d’un visa espagnol, qui devait leur permettre d’arriver en Espagne. Ils auraient par la suite déposé une demande de protection internationale en Norvège « le 29 août 2023 », puis en Espagne le 23 avril 2014, et se seraient retrouvés depuis lors en situation irrégulière dans ce dernier pays. Elle ne souhaiterait pas y retourner alors qu’entre-temps elle se serait séparée de son époux se retrouvant ainsi seule avec ses enfants et craignant de n’y disposer d’aucune forme d’aide matérielle. Elle fait valoir avoir quitté son pays d’origine suite à l’accumulation de divers problèmes qui trouveraient principalement leur cause dans l’agression sexuelle dont elle aurait été victime de la part d’un groupe de personnes en conflit avec son époux. Elle aurait, en effet, été victime en date du 11 mai 2010 d’un viol commis sur sa personne ainsi que sur celle de sa belle-sœur par des individus qui auraient été à la recherche de son époux. Suite à ce viol, elle serait tombée enceinte et aurait dû avorter, tandis que sa belle-sœur serait décédée après avoir succombé à une attaque cérébrale au moment de révéler à sa mère la nature de l’agression subie. Lorsque sa propre mère aurait appris l’agression dont elle aurait été victime, elle lui en aurait voulu et l’aurait battue au motif qu’elle aurait « sali leur honneur ». De ce fait, elle aurait été enfermée dans sa chambre par sa famille et aurait été menacée de ne révéler ce viol à personne au risque de se faire couper la langue. Depuis lors, elle aurait perdu toute valeur aux yeux des membres de sa famille, qui l’auraient frappée et torturée. En raison du viol dont elle aurait été victime, son époux aurait porté plainte et celle-ci n’aurait pas abouti faute de preuves. Sa famille aurait décidé de rester à l’écart de cette même procédure et son frère aurait déclaré qu’il fallait qu’elle oublie cette histoire qui devait rester secrète. Il l’aurait également menacée de mort. La demanderesse explique encore qu’après le dépôt de plainte, et plus précisément fin septembre, voire début octobre 2021, ses agresseurs se seraient présentés au magasin géré par son époux pour l’incendier. Son époux et elle se seraient alors cachés jusqu’à leur départ pour l’Europe, non 10 seulement pour échapper à leurs agresseurs mais aussi pour éviter d’être arrêtés par les autorités algériennes. Elle explique que ces dernières leur auraient officiellement demandé de signer une déclaration de renonciation à une caution en rapport avec des armes qu’elles auraient apparemment remises à son père en 1994 dans le contexte de la lutte contre les terroristes.
En droit, la demanderesse définit les violences basées sur le genre, avant de soutenir qu’elle aurait été victime de violences physiques et psychiques graves résultant du viol qu’elle aurait subi et de ses conséquences, à savoir le fait d’être rejetée et menacée par sa famille, et que de ce fait elle serait victime d’une « persécution de genre ». Après avoir cité l’article 37 (3) a) de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse se prévaut de divers articles de presse et rapports concernant les violences faites aux femmes en Algérie, ainsi que l’absence de réelles sanctions, notamment en raison d’une « clause de pardon » qui permettrait de mettre fin à l’action en justice lorsque la victime pardonne à son agresseur.
Quant au statut de réfugié, elle soutient satisfaire aux critères énoncés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015. Ainsi, les actes qu’elle craindrait seraient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la prédite loi, dans la mesure où son frère l’aurait menacée de mort.
Les faits relatés entreraient également dans le champ d’application de l’article 42 (2) a), puisqu’elle risquerait de subir des violences psychiques et physiques en cas de retour en Algérie. Par ailleurs, ces faits seraient liés à son appartenance à un groupe social au sens de l’article 43 d) de la loi du 18 décembre 2015, étant donné qu’elle serait perçue différemment par les membres de sa communauté, en raison du viol subi, de la réaction de rejet de sa famille, de la menace de mort de son frère et de l’atteinte portée à l’honneur de sa famille.
Elle ajoute à ce propos que bien qu’il s’agisse de personnes privées, elle ne pourrait obtenir de protection à leur encontre, la demanderesse renvoyant dans ce contexte à l’absence de protection efficace en Algérie des femmes victimes de violences liées à leur genre. En s’emparant de l’article 40 (2) de la loi du 18 décembre 2015, elle donne à considérer que le système judicaire algérien, ainsi que les autorités de police n’assureraient pas une protection suffisante aux femmes victimes d’un viol. Elle précise encore que le fait qu’il ne lui soit rien arrivé pendant les trois années qui ont précédé son départ d’Algérie serait sans pertinence dès lors qu’elle aurait vécu cachée.
La demanderesse se prévaut encore de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 et estime, dans ce contexte, qu’il n’existerait aucune « bonne raison » au sens dudit article de penser que les persécutions qu’elle aurait d’ores et déjà subies en Algérie ne se reproduiraient plus.
S’agissant de la protection subsidiaire, la demanderesse se prévaut d’abord de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, en ce qu’elle estime courir un risque de subir en Algérie des traitements dégradants, à savoir « des actes d’une extrême violence en ce sens qu’elle est susceptible de voir se réaliser les menaces de mort proférées à son encontre par son frère », sinon de se retrouver contrainte de vivre dans un état d’angoisse « particulièrement aigu », dans la mesure où elle serait obligée de vivre cachée. Elle se réfère, dans ce contexte, à diverses jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par la « CourEDH », portant sur l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.
11 Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
12 Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« […] a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
Aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Il échet de relever que la demanderesse estime risquer des persécutions ou des atteintes graves pour deux motifs : (i) les menaces de mort proférées à son encontre par son frère pour avoir porté atteinte à l’honneur de sa famille et sa crainte de subir des violences physiques et 13 psychiques de sa famille pour les mêmes raisons et (ii) la crainte d’être arrêtée par les autorités algériennes pour ne pas avoir signé une lettre de renonciation à la caution versée suite à la délivrance d’une arme à son père par l’Etat algérien en 1994.
Indépendamment de la qualification des faits dont se prévaut la demanderesse, il y a lieu de relever, quant au premier motif, que l’auteur des agissements dont elle craint d’être victime, en cas de retour en Algérie, est son frère, respectivement sa famille en général, donc des personnes privées. A cet égard, le tribunal rappelle que face à des auteurs de persécutions ou d’atteintes graves qui sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, il convient d’examiner si la victime peut être protégée par les autorités publiques compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit, la crainte de persécution ou le risque d’atteinte grave ne pouvant être considérés comme fondés que si les autorités ne veulent pas ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave.
Il est encore de jurisprudence établie qu’une protection n’est suffisante que si les autorités étatiques ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves, sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux, la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquant en effet pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais supposant des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Or, le tribunal constate qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à son appréciation que l’Etat algérien n’aurait pas été disposé ou aurait été dans l’incapacité de fournir une protection à la demanderesse contre les agissements dont elle déclare avoir été victime, ni qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle ne pourrait pas bénéficier d’une protection à l’encontre de son frère, qui l’a menacée de mort, ou de manière générale à l’encontre des autres membres de sa famille, étant tout de même souligné à cet égard qu’outre le fait que les évènements dont elle se prévaut remontent à plus de 10 ans, la demanderesse n’est de toute façon pas dans l’obligation d’avoir un quelconque contact avec les membres de sa famille en cas de retour en Algérie.
Au contraire, force est de relever que la demanderesse a précisé que suite au viol subi, son époux a porté plainte, que les autorités algériennes ont diligenté une enquête, mais que faute de preuve, les poursuites ont été abandonnées. Elle a encore déclaré que son époux aurait de nouveau porté plainte suite à l’agression des membres de sa famille, mais qu’en l’absence de témoignage du voisinage, celle-ci aurait également été abandonnée. Il ressort dès lors de ces déclarations qu’elle avait accès aux autorités de son pays d’origine, malgré ses affirmations dans sa requête introductive d’instance selon lesquelles les femmes victimes de violence ne pourraient pas être protégées, étant précisé que le simple fait que les coupables n’aient pas pu 14 être sanctionnés par les autorités policières et judiciaires n’entraîne pas ipso facto un défaut de protection dans leur chef.
En tout état de cause, il ne se dégage pas de ses déclarations relatives à son expérience personnelle qu’il convienne de retenir qu’elle a pu irrémédiablement douter de la volonté ou de la possibilité de protection des autorités algériennes, la demanderesse ne démontrant pas un défaut de protection de la part de ces dernières. Ainsi, ni le statut de réfugié ni la protection subsidiaire ne saurait lui être accordée pour ce motif.
Quant au second motif, à savoir la crainte d’être arrêtée par les autorités algériennes pour ne pas avoir signé une lettre de renonciation à la caution versée suite à la délivrance d’une arme à son père par l’Etat algérien en 1994, outre le fait que les circonstances autour de cette lettre de renonciation et des poursuites qui en découleraient restent nébuleuses et que la demanderesse n’en fait aucunement mention dans sa requête introductive d’instance, le tribunal est amené à relever que, même dans l’hypothèse où elle risquait de faire l’objet de poursuites, celles-ci ne seraient, au vu de ses déclarations, que le résultat de son inaction pendant de nombreuses années de donner suite aux convocations des autorités algériennes émises en ce sens.
Etant donné que la procédure pour l’obtention d’une protection internationale n’a pas pour finalité de permettre à un individu de se soustraire à la justice et aux lois en vigueur dans son pays d’origine, ce fait ne saurait permettre à la demanderesse d’obtenir ni le statut de réfugié ni la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est partant à bon droit que le ministre a retenu qu’il n’existait pas dans le chef de Madame … une crainte actuelle et fondée de subir des persécutions ou un risque de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine et qu’il a refusé en conséquence de lui octroyer une protection internationale, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2. Quant au recours contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire La demanderesse sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation du refus d’une protection internationale. A titre subsidiaire, elle fait encore valoir que l’ordre de quitter le territoire serait contraire au principe de non-
refoulement consacré aux articles 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et 54 (1) de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce volet du recours.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a 15 refusé d’accorder à la demanderesse l’un des statuts conférés par la protection internationale, il a également a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
En ce qui concerne la violation du principe de non-refoulement, le tribunal a conclu ci-
avant que la demanderesse n’a pas fourni d’éléments de nature à justifier dans son chef l’existence d’une crainte actuelle et fondée de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement se départir à ce niveau-ci de cette conclusion.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle du 18 juillet 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 18 juillet 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 15 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 16