Tribunal administratif N° 49316 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49316 2e chambre Inscrit le 17 août 2023 Audience publique du 15 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49316 du rôle et déposée le 17 août 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-François Steichen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à F-… (France), …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 juin 2023 constatant son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, lui ordonnant de quitter ledit territoire sans délai et prononçant une interdiction d’entrée sur le même territoire d’une durée de cinq ans ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2023 ;
Vu les pièces en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Fabien Atangana Omgba, en remplacement de Maître Jean-François Steichen, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe Lorenzo en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 avril 2024.
En date du 2 novembre 2022, Monsieur … introduisit, par l’intermédiaire de son litismandataire, une demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié sur base de l’article 42 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’immigration, désigné ci-après par « le ministère », demande qui fut encore complétée par Monsieur … par le biais d’un courrier daté au 7 mars 2023 et réceptionné par le ministère le 12 avril 2023.
Par décision du 22 mai 2023, notifiée au litismandataire de l’époque de l’intéressé par courrier recommandé avec avis de réception expédié le 25 mai 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié de Monsieur … en raison de l’absence de qualifications professionnelles requises en son chef pour l’exercice de l’activité visée.
Suivant un rapport de la police grand-ducale, Région Sud-Ouest, Commissariat …, du 7 juin 2023, référencé sous le numéro …, Monsieur … fit l’objet à la même date, d’un contrôle 1d’identité à l’occasion duquel il ne put présenter un document de voyage valable.
Par arrêté du 7 juin 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre constata le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, tout en lui ordonnant de quitter ledit territoire sans délai, cette décision étant, par ailleurs, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de la sortie de l’espace Schengen. Ledit arrêté est basé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu le procès-verbal n° … du 7 juin 2023 établi par la Police grand-ducale ;
Considérant que l'intéressé n'est pas en possession d'un passeport en cours de validité ;
Considérant que l'intéressé n'est ni en possession d'une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d'une autorisation de travail ;
Considérant que l'intéressé ne justifie pas l'objet et les conditions du séjour envisagé ;
Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé ; […] ».
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de l’arrêté en question, afin d’entamer les démarches nécessaires en vue de son éloignement.
Suite à une demande de renseignements portant sur la situation administrative de Monsieur …, adressée aux autorités belges et françaises via le Centre de coopération policière et douanière (CCPD) en date du 8 juin 2023, il fut constaté qu’il était connu des autorités françaises pour y avoir formulé une demande de protection internationale et pour y avoir fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire, mesure qui lui fut notifiée le 12 mars 2019.
Le 21 juin 2023, le service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, fut chargé par le ministre d’organiser le départ de Monsieur … vers son pays d’origine.
Le recours contentieux introduit par Monsieur … en date du 27 juin 2023 contre la décision de placement en rétention du 7 juin 2023, prémentionnée, fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 5 juillet 2023, inscrit sous le numéro 49085 du rôle, pour ne pas être fondé.
Par arrêté du 4 juillet 2023, notifié à l’intéressé le 7 juillet 2023, la mesure de placement en rétention initiale fut prorogée pour une durée d’un mois afin de garantir l’exécution de la mesure de son éloignement.
Il ressort d’un rapport d’éloignement du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers du 4 août 2023, référencé sous le numéro …, que Monsieur … fut éloigné vers l’Albanie le 2 août 2023. A cette occasion, il fut signalé dans le système d’information Schengen (SIS) avec la mention que l’entrée sur le territoire Schengen devait lui être refusée.
En date du 10 août 2023, les autorités croates informèrent les autorités luxembourgeoises via le réseau nommé « SIRENE » (Supplément d’Information Requis à 2l’Entrée Nationale) qu’ils avaient, en date du même jour, découvert Monsieur … lors d’un contrôle aux frontières croates.
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 août 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel du 7 juin 2023, précité, déclarant son séjour sur le territoire luxembourgeois irrégulier, lui enjoignant de quitter ledit territoire sans délai et portant interdiction d’entrée sur ledit territoire pour une durée de cinq ans à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de la sortie de l’espace Schengen.
Dans la mesure où l’article 113 de la loi du 29 août 2008 prévoit un recours en annulation à l’encontre des décisions du ministre constatant l’irrégularité du séjour sur le territoire luxembourgeois, comportant un ordre de quitter le territoire et étant assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir repris les termes de la décision déférée, donne à considérer que l’autorité ministérielle serait tenue d’asseoir sa décision sur une motivation légale, tout en prenant en considération la situation individuelle de l’administré.
Il explique, dans ce contexte, qu’en vertu de la décision ministérielle déférée, lui notifiée le 7 juin 2023, il aurait été dans l’obligation de quitter le territoire luxembourgeois sans délai, ce qui sous-entendrait qu’il lui serait demandé de quitter ledit territoire « de manière volontaire ».
En se prévalant ensuite des paragraphes (1) et (2) de l’article 124 de la loi du 29 août 2008, il fait valoir qu’en vertu de ces dispositions, une interdiction d’entrée sur le territoire ne pourrait être prononcée que si l’étranger s’était maintenu sur le territoire luxembourgeois au-
delà du délai qui lui aurait été imparti pour quitter ledit territoire.
Or, étant donné qu’il aurait été placé en rétention « le même jour », il aurait été dans l’impossibilité matérielle de respecter ou d’exécuter la décision lui enjoignant de quitter le territoire, de sorte que la décision déférée serait constitutive d’un excès de pouvoir dans le chef du ministre.
A titre subsidiaire, le demandeur fait valoir qu’en date du 7 octobre 2022, il aurait signé un contrat de travail à durée indéterminée avec la société à responsabilité limitée …, ci-après désignée par « la société … », et qu’en date du 2 décembre 2022, il aurait introduit une demande en obtention d’une autorisation de séjour temporaire pour ressortissant de pays tiers en vue de l’exercice d’une activé salariée, demande qui aurait été avisée négativement par l’autorité ministérielle en date du 22 mai 2023.
Le demandeur avance, à cet égard, que comme un recours contentieux pourrait être introduit à l’encontre de ladite décision de refus endéans les trois mois à compter de sa notification, de même qu’un recours gracieux pourrait également être introduit endéans le même délai, interrompant, par ailleurs, le délai lui imparti pour introduire un recours contentieux, il disposerait encore « de deux moyens de recours » contre la décision ministérielle de refus du 22 mai 2023 dont il entendrait se prévaloir étant donné que le contrat de travail 3signé avec la société … représenterait une réelle opportunité financière pour lui et pour sa famille.
Il estime, même à supposer que la décision ministérielle litigieuse soit fondée, qu’il serait plus juste et proportionné d’attendre au moins l’expiration des délais de recours mentionnés ci-avant, alors que la jurisprudence de la Cour administrative exigerait, en ce qui concerne la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois, que le ministre procède à un examen in concreto de la situation individuelle d’un requérant afin d’éviter « toute disproportionnalité dans la décision d’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois ».
Il donne, à cet égard, à considérer qu’en lui enjoignant de quitter le territoire luxembourgeois tout en lui interdisant l’entrée sur ledit territoire pendant une durée de cinq ans à partir de la sortie de celui-ci, respectivement de la sortie de l’espace Schengen, le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation de sa situation et qu’en tout état de cause, la décision d’interdiction d’entrée sur le territoire dans son chef serait constitutive d’un excès de pouvoir au regard du principe de proportionnalité.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal constate, en premier lieu, que la décision déférée comporte un triple volet, à savoir le constat de l’irrégularité du séjour du demandeur sur le territoire luxembourgeois, un ordre de quitter ledit territoire sans délai et une interdiction d’entrée sur le même territoire pour une durée de cinq ans.
S’agissant de la régularité du séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, l’article 100, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, tel qu’applicable au moment de la prise de la décision déférée, dispose que :
« (1) Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire la présence d’un ressortissant de pays tiers:
a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34;
b) qui se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire;
c) qui n’est pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail si cette dernière est requise;
d) qui relève de l’article 117. ».
Il se dégage de la lecture de la disposition légale précitée qu’elle prévoit des critères alternatifs permettant de conclure au caractère irrégulier du séjour d’un étranger, de sorte qu’il suffit que l’étranger en question tombe dans l’une des hypothèses y visées pour que le ministre puisse déclarer irrégulier son séjour.
L’article 34 de la loi du 29 août 2008, visé au point a) de l’article 100 précité de la loi du 29 août 2008, tel qu’applicable au moment de la prise de la décision déférée, dispose, quant à lui, comme suit :
« (1) Pour entrer sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et pour le quitter, 4le ressortissant de pays tiers doit être muni d’un document de voyage valable et le cas échéant du visa requis, tels que prévus par les conventions internationales et la réglementation communautaire.
(2) Il a le droit d’entrer sur le territoire et d’y séjourner pour une période allant jusqu’à trois mois sur une période de six mois, s’il remplit les conditions suivantes :
1. être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis ;
2. ne pas faire l’objet d’un signalement aux fins de non-admission sur base de l’article 96 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 et être signalé à cette fin dans le Système d’Information Schengen (SIS) ;
3. ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire ;
4. ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales du Grand-Duché de Luxembourg ou de l’un des Etats parties à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant le Grand-Duché de Luxembourg ;
5. justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé, et justifier de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, ou justifier de la possibilité d’acquérir légalement ces moyens et disposer d’une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire. Un règlement grand-ducal définit les ressources exigées et précise les conditions et les modalités selon lesquelles la preuve peut être rapportée. […] ».
En l’espèce, force est de constater que le ministre a motivé sa décision du 7 juin 2023 par la circonstance que le demandeur n’est pas en possession d’un passeport en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail et qu’il ne justifie pas l’objet et les conditions du séjour envisagé par lui.
Force est au tribunal de constater qu’il ressort du dossier administratif et qu’il n’est, par ailleurs, pas contesté, qu’au moment de la prise de la décision déférée, le demandeur n’était pas en possession d’un passeport en cours de validité, de sorte qu’il ne remplissait pas les conditions prévues au paragraphe (2) de l’article 34 de la loi du 29 août 2008, étant relevé que le fait de ne pas remplir une des conditions prévues au paragraphe (2) de l’article 34 de la loi du 29 août 2008 entraîne de plano l’irrégularité du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers.
Le demandeur n’ayant, par ailleurs, pas disposé au jour de la prise de la décision déférée, d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois au Luxembourg, respectivement d’une autorisation de travail, le ministre a encore pu considérer son séjour irrégulier en application de l’article 100, paragraphe (1), point c) de ladite loi.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a déclaré, dans sa décision du 7 juin 2023, le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois comme étant irrégulier.
Quant à l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle litigieuse précitée, il y a lieu de relever que l’article 100, paragraphe (1bis) de la loi du 29 août 2008 dispose comme suit : « Une décision de retour est prise conformément à l’article 111 à l’encontre de tout ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire, sans préjudice des paragraphes (2) et (3) […] », l’article 111, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, tel qu’applicable au moment de la prise de la décision déférée, prévoyant ce qui suit : (1) « Est considérée comme décision de retour toute décision du ministre déclarant illégal le 5séjour d’un ressortissant de pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de quitter le territoire pour la personne qui s’y trouve. Cette décision vaut décision d’éloignement et peut être exécutée d’office conformément à l’article 124.
Les décisions assorties d’une obligation de quitter le territoire comportent l’indication du délai imparti pour quitter volontairement le territoire, ainsi que le pays à destination duquel le ressortissant de pays tiers sera renvoyé en cas d’exécution d’office. Elles ne peuvent être exécutées qu’après expiration du délai imparti, à moins que, au cours de celui-ci, un risque de fuite tel que visé au paragraphe (3), point c), apparaisse. ».
Il suit de ces dispositions légales que le séjour irrégulier d’un ressortissant de pays tiers sur le territoire luxembourgeois dans les cas prévus à l’article 100, paragraphe (1), précité, de la même loi, donne automatiquement lieu à une décision de retour, c’est-à-dire une décision déclarant le séjour illégal assortie d’un ordre de quitter le territoire, sans que le ministre ne dispose d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard. Dès lors, et étant donné que le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré irrégulier le séjour du demandeur sur le territoire luxembourgeois, il a valablement pu prononcer un ordre de quitter le territoire à son égard, cette mesure n’étant, au regard de la compétence liée du ministre résultant de l’article 100, paragraphe (1bis), précité, pas disproportionnée.
Il s’ensuit que le recours, en ce qu’il est dirigé contre le volet de la décision du 7 juin 2023 ordonnant à Monsieur … de quitter le territoire luxembourgeois, est rejeté pour manquer de fondement.
Pour autant que le demandeur ait, à travers son affirmation selon laquelle il n’aurait pas pu quitter de manière volontaire le territoire luxembourgeois en raison de son placement au Centre de rétention, entendu critiquer la décision du ministre de lui enjoindre de quitter le territoire sans délai conformément à l’article 111, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, tel qu’applicable au moment de la prise de la décision déférée, le tribunal relève que ledit article prévoit que « (3) Le ressortissant de pays tiers est obligé de quitter le territoire sans délai:
a) si son comportement constitue un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale;
b) si une demande en obtention d’une autorisation de séjour ou d’un titre de séjour a été rejetée au motif qu’elle était manifestement irrecevable, non fondée ou frauduleuse;
c) s’il existe un risque de fuite dans son chef. Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé dans les cas suivants:
1. s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 ;
2. s’il se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;
3. s’il s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ;
4. si une décision d’expulsion conformément à l’article 116 est prise contre lui ;
5. s’il a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage ou s’il a fait usage d’un tel document ;
6. s’il ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, ou qu’il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu’il n’a pas déclaré 6le lieu de sa résidence effective, ou qu’il s’est soustrait aux obligations prévues au présent article et à l’article 125.
Le risque de fuite est apprécié au cas par cas. ».
L’article 111, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 énumère un certain nombre de situations dans lesquelles le risque de fuite est présumé. Les six cas y énoncés reposent sur des critères objectifs permettant de penser qu’un ressortissant de pays tiers faisant l’objet d’une procédure de retour serait susceptible de prendre la fuite, c’est-à-dire de se soustraire à l’obligation de quitter le territoire.
Il ressort du dossier administratif qu’en l’espèce, plusieurs de ces critères permettaient au ministre de présumer qu’il existe un risque de fuite dans le chef de Monsieur … au moment de la prise de la décision litigieuse, alors que ce dernier ne remplissait pas les conditions de l’article 34 et qu’il n’était, par ailleurs, pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.
C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a considéré qu’il existait une présomption de fuite dans le chef du demandeur et qu’il a prononcé sur base de l’article 111, paragraphe (3), alinéa c) de la loi du 29 août 2008 un ordre de quitter sans délai le territoire luxembourgeois à son encontre.
Monsieur … reste, par ailleurs, en défaut de soumettre le moindre élément de nature à renverser la présomption de risque de fuite existant dans son chef, étant plus particulièrement relevé que ses développements tenant à la signature d’un contrat de travail en vue de l’exercice d’une activité salariée au Luxembourg sont de nature à conforter l’existence d’un risque de fuite dans son chef. Il s’ensuit que le recours, en ce qu’il est dirigé contre le volet de la décision du ministre ne lui accordant pas de délai pour quitter le territoire luxembourgeois, est également à rejeter.
En ce qui concerne l’interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans à partir de la sortie du demandeur du territoire luxembourgeois ou à partir de sa sortie de l’espace Schengen dont est assortie la décision déférée, il échet de relever que celle-ci est basée sur l’article 112, paragraphe (1) de la même loi, tel qu’applicable au moment de la prise de la décision déférée, aux termes duquel « Les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée maximale de cinq ans prononcée soit simultanément à la décision de retour, soit par décision séparée postérieure. Le ministre prend en considération les circonstances propres à chaque cas. Le délai de l’interdiction d’entrée sur le territoire peut être supérieur à cinq ans si l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. […] Une interdiction d’entrée sur le territoire est prononcée par le ministre à l’encontre du ressortissant de pays tiers auquel aucun délai n’a été accordé pour le retour volontaire ou qui se maintient sur le territoire après expiration du délai imparti pour quitter volontairement le territoire conformément à l’article 111, paragraphe (2). […] ».
L’article 112, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008 oblige donc le ministre à assortir une décision de retour, ne comportant pour l’intéressé aucun délai de départ, d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire dont la durée ne peut, en principe, pas excéder cinq ans, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace grave pour l’ordre public, 7la sécurité publique ou la sécurité nationale, étant encore relevé que l’obligation faite par le même article 112 de la loi du 29 août 2008 de prendre en considération les circonstances propres à chaque cas se rapporte uniquement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée1.
Etant donné que, tel que relevé ci-avant, le ministre a valablement pu ordonner au demandeur de quitter le territoire sans délai, le ministre était obligé d’assortir la décision de retour déférée d’une interdiction d’entrée sur le territoire. Les reproches afférents sont, dès lors, à rejeter.
En ce qui concerne enfin la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois prononcée à l’encontre du demandeur, force est de relever que si le ministre a un large pouvoir d’appréciation en la matière, un tel pouvoir n’échappe cependant pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire. Ainsi, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision2.
Le tribunal relève encore qu’en ce qui concerne les interdictions d’entrée sur le territoire jusqu’à cinq ans, la loi ne prévoit pas de critères fixes permettant de guider la décision du ministre, celle-ci exigeant, en revanche, que le ministre prenne en considération les circonstances propres à chaque cas, de sorte que le tribunal, dans le cadre de son contrôle, doit également procéder à une analyse in concreto du dossier administratif afin de vérifier, au regard des motifs avancés, si la durée de l’interdiction ne semble pas disproportionnée en l’espèce.
Il se dégage, à cet égard, du dossier administratif, et plus particulièrement du rapport de la police grand-ducale du 7 juin 2023, prémentionné, ainsi que des explications fournies par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, que le demandeur a, à cette date, indiqué être arrivé sur le territoire des Etats membres de l’Union européenne en 2019, être actuellement domicilié à … en France tout en travaillant illégalement au Luxembourg. Il ressort encore du dossier administratif que Monsieur … a fait l’objet, de la part des autorités françaises, d’un ordre de quitter le territoire lui notifié en date du 12 mars 2019 et que malgré ledit ordre de quitter le territoire émis par les autorités françaises, Monsieur … s’est maintenu pendant plusieurs années sur le territoire français de manière irrégulière. A cela s’ajoute qu’il est constant en cause que Monsieur … s’est rendu au Luxembourg aux fins d’y travailler, alors même qu’il n’a jamais disposé d’une autorisation de travail valable.
Eu égard à l’ensemble de ces considérations, desquelles il ressort que le demandeur a adopté un comportement témoignant d’un mépris total de la législation sur l’immigration, force est au tribunal de conclure que le ministre n’a pas dépassé sa marge d’appréciation, ni méconnu le principe de proportionnalité, en fixant la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire 1 Cour adm., 11 octobre 2018, n° 40795C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 747 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 27 février 2013, n° 30584 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 729 et les autres références y citées.
8litigieuse à cinq ans.
En l’absence d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 15 juillet 2024 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 9