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12/07/2024 | LUXEMBOURG | N°48285

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2024, 48285


Tribunal administratif N° 48285 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48285 3e chambre Inscrit le 19 décembre 2022 Audience publique extraordinaire du 12 juillet 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48285 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2022 par Maître Françoise NSAN-NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Tunisie) et ê...

Tribunal administratif N° 48285 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48285 3e chambre Inscrit le 19 décembre 2022 Audience publique extraordinaire du 12 juillet 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48285 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2022 par Maître Françoise NSAN-NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 novembre 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 février 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Françoise NSAN-NWET et Madame le délégué du gouvernement Hélène MASSARD en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 avril 2024.

Le 24 août 2022, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame … fut entendue sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers.

En date du 2 septembre 2022, Madame … fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 21 novembre 2022, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée le 25 novembre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Madame … et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours dans les termes suivants :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite en date du 24 août 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-

après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 24 août 2022 et votre rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 2 septembre 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que des doutes ont été retenus quant à votre allégation selon laquelle vous auriez quitté la Tunisie à bord d'un bateau pour clandestinement entrer en Italie. En effet, vous prétendez avoir d'abord quitté la Tunisie en mars 2022 à bord d'un avion à destination de la Turquie et qu'en date du « 10 juillet » 2022, voire, « Ich kann mich auch jetzt errinnern, dass ich meinen Freund Ende Juli kennengelernt habe », vous y auriez rencontré un homme et vous auriez immédiatement formé un couple. Fin juillet 2022, votre ami aurait décidé de quitter la Turquie et de voyager jusqu'au Luxembourg pour y demander l'« asile ». Le 5 ou 6 août 2022, vous seriez retournée en Tunisie. Après qu'un médecin vous aurait annoncé que vous seriez enceinte, votre mère vous aurait menacée de vous tuer. Vous auriez par conséquent ressenti le besoin de quitter à nouveau la Tunisie, cette fois-

ci à bord d'un bateau en direction de l'Italie, une version de faits non partagée par la Police Judiciaire au vu des incohérences ressortant de votre description du trajet et de vos prétendus oublis dans le cadre de votre interrogatoire.

Vous signalez auprès de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes vous nommer …, être née le …, être célibataire et originaire de …, où vous auriez vécu avec vos parents et votre fratrie et travaillé en vendant des accessoires et des parfums via Facebook, après les avoir achetés lors de voyages en Turquie. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous craindriez que votre père ne vous tue pour être tombée enceinte et ne pas être mariée.

En juin ou juillet 2022, vous auriez à nouveau voyagé à Istanbul pour y passer des vacances et vous approvisionner en accessoires et vêtements pour les revendre sur internet.

Pendant ce dernier séjour en Turquie, qui aurait duré plus de deux mois, vous auriez fait connaissance d'un dénommé …, qui serait de nationalité palestinienne et syrienne et qui serait le père de votre enfant à naître. Vous dites que … aurait vécu à Istanbul depuis que son titre de séjour au Liban n'aurait plus été prolongé, mais qu'il aurait déjà à l'époque prévu de venir au Luxembourg. Vous prétendez toutefois aussi que … aurait quitté la Tunisie avant vous.

Depuis la Grèce il serait venu au Luxembourg où il séjournerait depuis « deux mois », donc depuis début juillet 2022. Il aurait également introduit une demande de protection internationale. Vous auriez d'abord été d'avis que sa demande de protection aurait été acceptée puisqu'il serait en possession d'un papier rose.

Vous déclarez également qu'après votre dernier séjour en Turquie, vous seriez retournée vivre en Tunisie. Interrogée quant à la date à laquelle vous seriez tombée enceinte, vous ne répondez pas et versez un document concernant des résultats d'analyse et une feuille de rendez-vous chez un gynécologue au Luxembourg. Après que l'agent chargé de votre entretien en a déduit que cela ferait cinq à huit semaines que vous seriez enceinte, vous êtes alors invitée à préciser quand vous auriez appris votre grossesse. Vous répondez que cela aurait eu lieu lorsque vous auriez été à la maison et que vous auriez eu des « vertiges » (p. 3 du rapport d'entretien), voire, lorsque vous vous seriez « évanouie » (p. 8 du rapport d'entretien). Etant donné que votre mère aurait tout de suite compris que quelque chose « cloche » (p. 3 du rapport d'entretien), elle vous aurait accompagnée chez un médecin où votre grossesse aurait été découverte suite à quoi vous auriez été « choquée » (p. 8 du rapport d'entretien). De retour à la maison le même jour, en août 2022, votre mère aurait informé votre père de votre grossesse et ce dernier l'aurait alors frappée, aurait pris un couteau et vous aurait menacée de vous tuer si vous restiez à la maison. En plus, votre famille aurait voulu savoir qui vous aurait mise enceinte et où il vivrait afin de le « prendre » (p. 8 du rapport d'entretien), mais vous ne lui auriez pas dévoilé l'identité de votre ami. Vous prétendez d'un côté que vous vous seriez alors cachée derrière vos soeurs avant de vous enfuir de chez vous en montant à bord d'un des taxis qui seraient garés près de votre maison. De l'autre côté, vous prétendez qu'environ une semaine après avoir eu connaissance de votre grossesse, vous auriez décidé de vous enfuir de chez vous et auriez pris contact avec des passeurs. Vous n'auriez jusque-là pas eu de plan, respectivement, pas prévu de venir au Luxembourg, mais la grossesse aurait tout changé et vous auriez été obligée de rejoindre … au Luxembourg pour « corriger ma faute et me marier avec lui » (p. 10 du rapport d'entretien).

Vous auriez alors été hébergée pendant une semaine par un passeur et, mi-août 2022, avec une vingtaine d'autres migrants, vous auriez quitté la Tunisie en bateau en direction de l'Italie. Aux « frontières italiennes » (p. 6 du rapport d'entretien), une voiture vous aurait attendue pour vous amener à Rome avec le passeur et quatre autres migrants. A Rome, vous vous seriez séparée de votre groupe et seriez montée à bord d'un train pour Paris, où vous auriez pris un BlaBlaCar pour venir au Luxembourg. En cas d'un retour en Tunisie, vous craindriez de vous faire tuer par votre père, alors qu'il ne vous aurait même pas posé de questions mais uniquement demandé où vous seriez, « Comme ça, il me tuerait pour se libérer de moi » (p. 8 du rapport d'entretien) en précisant qu'il s'agirait d'une question d'« honneur » (p. 9 du rapport d'entretien). Vous prétendez que votre père vous aurait menacée parce qu'il serait honteux pour une jeune femme de tomber enceinte avant le mariage et vous ajoutez avoir quitté le pays, alors que vos soeurs vous détesteraient si votre père se retrouvait /en prison pour vous avoir tuée. Vous n'auriez pas pu vous installer dans une autre région de la Tunisie alors qu'après sa naissance, votre enfant serait enregistré sans père et serait perçu par la société comme un enfant « illégal » (p. 11 du rapport d'entretien). Vous seriez alors obligée de vivre cachée de votre famille et vous ne pourriez pas vous financer une vie dans quartier plus riche où la mentalité serait plus ouverte.

A l'appui de vos dires vous versez un rapport médical établi le 27 août 2022 au Luxembourg et une feuille pour un rendez-vous médical, émise le 29 août 2022. Vous ne seriez pas en possession de pièces d'identité alors que tous vos documents se trouveraient en Tunisie.

Vous prétendez initialement avoir téléphoné à une de vos soeurs pour vous faire envoyer des copies de ces documents et qu'elle vous aurait alors envoyé une copie de votre passeport.

Rendue attentive au fait qu'il serait opportun de verser des pièces originales, vous prétendez alors ne jamais avoir possédé de passeport et qu'« ils m'ont aussi envoyé des originaux. Le permis de conduire, la carte d'identité » (p. 2 du rapport d'entretien). Vous prétendez également avoir perdu votre passeport et que vous seriez en possession d'une déclaration de perte que « je peux vous la montrer. Je peux l'apporter » (p. 2 du rapport d'entretien). Priée d'effectivement verser cette pièce, vous répondez que vous devriez appeler votre soeur pour vous la faire envoyer. Priée d'également demander à votre soeur de vous envoyer des photos de ces documents, vous prétendez ne pas posséder de téléphone et d'uniquement communiquer avec votre soeur à travers l'application WhatsApp de votre ami. Informée que votre soeur pourrait alors vous envoyer des photos desdits documents via cette application de votre ami, vous répondez par l'affirmative et que « Je vais faire ça » (p. 3 du rapport d'entretien).

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Madame, avant tout autre développement en cause, il s'agit de soulever que des doutes évidents doivent être formulés par rapport à la crédibilité de vos propos.

Ce constat doit en premier lieu être dressé alors que vous n'êtes pas en mesure de verser la moindre pièce pertinente à l'appui de vos dires, surtout, vous ne versez aucune pièce qui permettrait de vous identifier et de retracer votre vécu avant votre arrivée au Luxembourg. A cela s'ajoute que vos explications censées justifier l'absence d'un passeport sont manifestement contradictoires. En effet, vous prétendez d'abord que votre soeur vous aurait envoyé une copie de votre passeport. Après avoir été informée qu'il serait mieux de verser des pièces originales, vous avancez une nouvelle version en prétendant cette fois-ci ne jamais avoir possédé de passeport. De plus, priée de confirmer cette deuxième version, vous ajoutez carrément une troisième version à votre récit en prétendant cette fois-ci que vous auriez en fait perdu votre passeport. Il est dès lors évident que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités desquelles vous souhaitez pourtant vous faire octroyer une protection internationale et que vous refusez simplement de soumettre aux autorités luxembourgeoises votre passeport, sinon du moins une copie de ce dernier.

Il est d'autant plus évident que la sincérité de vos propos est à rejeter alors qu'il n'est manifestement pas crédible non plus que vous ayez entrepris tous vos voyages en Turquie sans avoir eu besoin d'un passeport, respectivement d'un titre de voyage. En effet, vous prétendez avoir uniquement eu besoin de votre « ticket » (p. 7 du rapport d'entretien) pour voyager en Turquie. Or, si comme vous le prétendez, les Tunisiens n'ont effectivement pas besoin d'un visa pour entrer en Turquie et peuvent y séjourner jusqu'à 90 jours, il est pourtant évident qu'ils auraient, à part de leur « ticket », aussi besoin de leur passeport ou de toute autre document de voyage permettant de les identifier, pour pouvoir passer les contrôles et monter à bord d'un avion et entrer sur le territoire turc. Dans ce contexte, il s'agit d'ailleurs aussi de rappeler que vous prétendez d'abord être en possession d'une déclaration de perte de votre passeport que vous pourriez verser à la Direction de l'immigration, pour ensuite préciser que vous devriez en fait demander à votre soeur de vous la faire envoyer.

En tout état de cause, à l'instar de tous les autres documents ou copies de documents qui vous auraient été envoyés par votre soeur, respectivement, des photos de documents qu'elle vous aurait envoyées via WhatsApp, vous êtes jusqu'à ce jour restée en défaut de verser la moindre pièce à l'appui de vos dires. Etant donné que vous prétendez en plus être en contact régulier avec votre soeur, il vous aurait pourtant été facile de faire parvenir des preuves quelconques permettant de corroborer vos dires, en commençant par votre identité et votre prétendue fuite en bateau vers l'Italie. Au vu de tout ce qui précède, il doit en tout cas être conclu que vous vous êtes défaite de votre passeport ou que vous l'occultez des autorités luxembourgeoises, rendant ainsi impossible de confirmer votre identité et de retracer votre vécu ou votre parcours avant votre arrivée au Luxembourg, dans le but plus que probable d'éviter que votre histoire de « fuite » d'août 2022, soit démasquée comme étant inventée de toutes pièces, respectivement, de cacher le fait que vous auriez, comme les fois précédentes, quitté votre pays de manière officielle moyennant votre passeport.

Ce constat vaut d'autant plus que vous prétendez vous-même avoir passé des vacances de plus de deux mois en Turquie et qu'elles auraient débuté en juin ou juillet 2022, de sorte que vous ne seriez donc rentrée en Tunisie qu'en août 2022, vous-même parlez du 5 ou 6 août 2022, et que vous auriez à ce moment encore forcément été en possession d'un passeport que vous auriez par la suite comme par hasard perdu pendant le très bref espace de temps qui séparerait votre prétendue « fuite » de mi-août 2022 et l'introduction de votre demande de protection internationale le 24 août 2022. Pour être complet à ce sujet, ajoutons encore que vous ne précisez d'ailleurs pas non plus que vous auriez perdu votre passeport pendant cette « fuite », respectivement, pendant votre prétendu passage en bateau de la Méditerranée. Il paraît en tout cas bien plus évident, qu'à supposer que vous soyez effectivement retournée vivre en Tunisie en août 2022, ce qui reste contesté, que vous auriez alors comme toutes les fois précédentes à nouveau pris la décision de quitter votre pays tout normalement et de manière officielle, plutôt que de risquer votre vie en traversant la Méditerranée sur une embarcation de fortune. Rappelons encore dans ce contexte, que la Police Judiciaire ne partage donc pas non plus votre version de faits et émet ses doutes quant à votre prétendu retour en Tunisie en août 2022.

Le constat que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises se trouve davantage confirmé par les incohérences chronologiques ressortant de vos dires. Ainsi, vous prétendez que votre dernier séjour en Turquie aurait duré plus de deux mois et que ce voyage aurait débuté en juin ou en juillet 2022. Vous expliquez que vous seriez tombée enceinte pendant ce voyage et que le prétendu père de l'enfant, …, aurait déjà été au Luxembourg début juillet 2022, après avoir préalablement quitté la Turquie en direction de la Grèce. Vous auriez donc eu une très brève relation avec … fin juin 2022, ou durant les premiers jours de juillet 2022. Vous prétendez toutefois aussi que vous auriez rencontré … le « 10 juillet », puis vous dites vous rappeler que vous l'auriez rencontré à la fin du mois de juillet 2022, ce qui est toutefois impossible, si comme vous le prétendez, il aurait déjà été au Luxembourg au début de ce même mois. De plus, étant donné qu'il résulte des pièces versées que vous êtes enceinte depuis les semaines suivant la première semaine de juillet 2022, …, à supposer qu'il s'agisse effectivement du père de votre enfant, aurait donc manifestement encore été avec vous en Turquie durant cette époque. Votre version des faits concernant votre parcours et celui de … devant être réfutée, il ne saurait manifestement pas non plus être retenu que vous soyez effectivement retournée vivre en Tunisie en août 2022, respectivement, que vous n'ayez pas déjà tous les deux, en été 2022, passé en vacances en Turquie, prévu de venir au Luxembourg sur base de considérations économiques ou de convenance personnelle, tout en faisant état d'un récit inventé de toutes pièces dans le but évident d'augmenter les probabilités de vous faire octroyer une protection internationale.

Dans ce contexte, il s'agirait aussi de soulever que vous restez en défaut d'expliquer les raisons qui auraient poussé le prétendu père de votre enfant à quitter Istanbul en juin ou en tout début de juillet 2022, pendant que vous y auriez encore passé des vacances et ce quelques jours seulement après que vous l'auriez rencontré. En effet, vous ne faites pas état d'un quelconque souci que vous ou … auriez rencontré en Turquie, mais vous vous limitez à expliquer, que pour une raison inconnue, il aurait déjà à l'époque prévu venir précisément au Luxembourg, en préférant passer par une multitude de pays européens, tandis que vous tentez d'argumenter de manière non convaincante que vous n'auriez encore à l'époque nullement songé à accompagner … ou à venir au Luxembourg, mais que vous auriez encore passé des vacances en Turquie jusqu'en août 2022, avant de prétendument rentrer chez vous en avion et de rester en contact avec … via WhatsApp, communications que vous êtes d'ailleurs aussi restée en défaut de verser, tout en prétendant justement utiliser régulièrement le portable de … pour communiquer avec votre soeur.

Dans ce même contexte il faudrait aussi se demander pourquoi, après avoir prétendument été « choquée » de découvrir que vous seriez enceinte, vous auriez ressenti le besoin de rejoindre … au Luxembourg plutôt que par exemple demander au prétendu père de votre enfant, de venir vous rejoindre en Tunisie, un pays où vous auriez eu vos racines, votre travail, dans lequel vous auriez tous les deux parlé la langue officielle et notamment ressenti plus de proximité culturelle. La réponse à cette question serait forcément à chercher dans le constat que vous ne vous trouviez en fait à ce moment nullement en Tunisie dans les conditions décrites, voire, elle serait motivée par des considérations économiques ou de convenance personnelle.

Le constat que votre parcours, respectivement, votre vécu suite à votre grossesse ne s'est nullement déroulé tel que vous le décrivez se trouve encore confirmé par d'autres incohérences ou contradictions ressortant de vos propos.

Ainsi, vous prétendez initialement que votre grossesse aurait été découverte après que vous auriez eu des « vertiges » et que votre mère vous aurait amenée à l'hôpital. Or, vous prétendez par la suite que votre mère aurait décidé de vous amener à l'hôpital après que vous vous seriez « évanouie », ce qui ne représente manifestement pas la même chose. Vous expliquez auprès de la Police Judiciaire avoir été emmenée à l'hôpital parce que vous n'auriez pas arrêté de vomir.

Vous vous contredisez encore en prétendant d'un côté, qu'après la découverte de votre grossesse, ce serait votre mère qui vous aurait menacée de mort, mais de l'autre côté que vous auriez été menacée de mort votre père. Concernant les prétendues menaces proférées par votre père, vous présentez à nouveau deux versions différentes en prétendant d'abord que votre père, équipé d'un couteau, vous aurait menacée de vous tuer si vous ne quittiez pas la maison et que vous vous seriez d'abord cachée derrière vos soeurs avant de vous enfuir le même jour en taxi.

Or, vous prétendez de l'autre côté, qu'après avoir appris votre grossesse et avoir été menacée le même jour par votre père en rentrant de l'hôpital, vous auriez encore vécu pendant une semaine chez vous avant de vous décider à « fuir » la maison parentale.

Enfin, pour être complet au sujet de vos incohérences, notons encore qu'il n'est pas crédible non plus que le prétendu père de votre enfant possède la double-nationalité palestinienne et syrienne, alors que les Palestiniens de Syrie ne possèdent pas la nationalité syrienne, sauf dans des cas très rares. Les questions quant à ses origines et son votre véritable vécu, voire, votre vécu commun avant votre arrivée au Luxembourg se posent d'autant plus que vous précisez à un moment donné que … « a quitté la Tunisie avant moi. Il est venu à travers la Grèce », en ajoutant dans le cadre de la relecture de votre entretien qu'« il a quitté à partir d'Istanbul pour se diriger vers la Grèce avant moi » (p. 3 du rapport d'entretien).

Au vu de tout ce qui précède, il est en tout cas retenu que la crédibilité de vos dires doit être réfutée et que vous avez décidé de faire part d'un récit inventé de toutes pièces pour rendre votre vécu plus dramatique et éviter de parler des motifs économiques et de convenance personnelle qui fondent réellement votre demande de protection internationale.

Quand bien même une once de crédibilité devrait être accordée à vos dires en lien avec votre prétendue fuite de la Tunisie, ce qui reste contesté, toujours est-il qu'aucune suite positive à votre demande de protection internationale ne saurait être envisagée pour les raisons énoncées ci-dessous.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu'une d'elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Soulevons en premier lieu que les motifs économiques ou de convenance personnelle qui sens-tendent votre demande de protection internationale ne sauraient justifier l'octroi d'une protection internationale alors qu'ils ne rentrent nullement dans le champ d'application de la Convention de Genève ou de la Loi de 2015 et qu'ils ne permettent pas non plus de retenir que vous remplissiez les conditions pour vous faire remettre le statut conféré par la protection subsidiaire.

Concernant vos allégations selon lesquelles vous craindriez que votre père ne puisse vous tuer au nom de l'« honneur », respectivement, parce qu'il serait mal-vu en Tunisie qu'une jeune femme non mariée tombe enceinte, notons, a priori, que vous pourriez donc relier vos prétendus motifs de fuite à l'un des cinq critères précités de la Convention de Genève, à savoir votre appartenance à un certain groupe social en tant que mère célibataire ou non-mariée.

Force est toutefois de constater que le seul fait d'avoir une seule fois été menacée par votre père qu'il vous tuerait si vous ne quittiez pas la maison parentale, ne saurait pas suffire pour revêtir un caractère de gravité tel à pouvoir être qualifié de persécution au sens de la Convention de Genève, respectivement, pour justifier dans votre chef une crainte fondée d'être victime de persécutions au sens des textes précités. Ce constat vaut d'autant plus qu'il ressort donc d'une version de votre récit que vous auriez encore vécu pendant une dizaine de jours à la maison après avoir été menacée sans que rien ne vous serait arrivé. De plus, en ayant quitté la maison parentale, vous auriez déjà rempli la seule condition posée par la menace unique de votre père, de sorte que ce dernier n'aurait donc logiquement plus de raisons de continuer à vous menacer. Il résulte d'ailleurs de vos propres dires que vous n'auriez en fait aucune idée ce que votre père voudrait ou pourrait faire, alors qu'il n'aurait plus jamais proféré de menaces ni entrepris de quelconques démarches après cette menace unique, mais que vous supposeriez uniquement qu'il voudrait vous tuer parce qu'après lui avoir prétendument téléphoné depuis le Luxembourg, vous dites que «Je crains papa. Il veut me tuer. Il ne m'a même pas posé de questions. Il m'a juste demandé où j'étais. Comme ça, il me tuerait pour se libérer de moi », de sorte à ce que vos prétendues craintes doivent clairement être définies comme étant totalement hypothétiques, voire, infondées. De même, vous êtes uniquement en mesure d'émettre des suppositions quant au fait que vous risqueriez d'être tuée par votre père au nom de l'« honneur », alors que lui-même n'aurait en fait jamais prononcé de tels propos ou menaces.

Dans ce contexte, ajoutons encore qu'il est manifestement étonnant que vous prétendez craindre être tuée par votre père mais que vous auriez en même temps le réflexe ou l'envie de contacter votre père suite à votre arrivée au Luxembourg. Etant donné que vous prétendez en plus ne pas posséder de téléphone mais communiquer avec votre famille via l'application WhatsApp du portable de …, il est clair aussi que vous ne semblez donc pas trop vous soucier non plus du fait qu'elle risque de découvrir l'identité du prétendu père de votre fils, bien que vous prétendez avoir voulu la lui cacher.

Quand bien même cette menace unique serait à considérer comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève, ce qui reste contesté, toujours est-il que s'agissant alors d'un acte émanant d'une personne privée, une persécution commise par un tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce.

En effet, hormis le fait que la menace de mort proférée par votre père serait à qualifier d'infraction de droit commun, commise par une personne privée, relevant du ressort des autorités de la Tunisie et punissable en vertu de la législation tunisienne et notamment les articles 218 - 223 du Code pénal tunisien, concernent des menaces ou agressions subies, il s'agit de constater que vous n'auriez à aucun moment recherché l'aide ou la protection des autorités tunisiennes, de sorte qu'il n'est clairement pas établi que celles-ci n'auraient pas pu ou pas voulu vous protéger. Partant, si jamais vous deviez, en cas de retour en Tunisie, rencontrer un problème quelconque avec votre père, voire, votre mère, il vous appartient de vous adresser aux autorités tunisiennes, notamment policières, aux fins de solliciter leur protection, y compris concernant les risques purement hypothétiques liés à la prétendue menace contre votre vie.

Notons à titre d'information que les forces de sécurité intérieures sont compétentes, entre autres, en matière de protection des personnes. Dans ce contexte, l'article 2 du Statut particulier de la Sûreté nationale tunisienne dispose que « le corps de la sûreté nationale et de la police constitue une force publique civile armée, préventive et répressive, responsable au premier degré, sur tout le territoire de la république, du maintien de l'ordre public, de la sûreté de l'état, du contrôle des frontières, de la condition des étrangers, de la circulation et de la sécurité des routes. Elle enquête et informe sur tout ce qui touche aux domaines de la vie politique, économique, sociale et culturelle, elle est aussi chargée de veiller d'une manière générale à la sûreté des personnes et des biens, de constater les infractions, d'en rechercher les auteurs et de procéder aux enquêtes judiciaires conformément aux procédures légales, et de concourir à l'exécution des décisions judiciaires et des règlements administratifs ».

Ajoutons encore pour être complet que vous restez d'ailleurs aussi en défaut d'expliquer concrètement en quoi il vous aurait été ou il vous serait impossible de vivre seule en Tunisie avec votre enfant, respectivement, de façon éloignée de votre père ou de la maison parentale.

En effet, il résulte uniquement de vos dires que vous n'auriez pas assez d'argent pour vivre dans des quartiers riches en Tunisie, où la mentalité serait plus ouverte, en vous limitant à préciser que dans les quartiers populaires, la mentalité serait pire que celle de votre père ou que votre enfant serait du coup « illégal ». Or, à défaut d'avancer des quelconques exemples concrets ou personnels, voire, des explications plus cohérentes, plus complètes et plus pertinentes, il ne saurait clairement pas être conclu qu'il ne vous serait pas possible de vivre en Tunisie avec votre enfant. Ce dernier constat vaut d'autant plus, que comme susmentionné, rien ne vous aurait d'ailleurs empêchée de demander au prétendu père de votre enfant de vous rejoindre en Tunisie pour ainsi ne plus être seule. Vos explications ne permettent en tout cas pas de retenir que vous, voire, votre enfant à venir, seriez personnellement victimes de persécutions ou à risque d'être victimes de persécutions en cas de votre retour en Tunisie.

Notons encore que vous aviez justement précisé à la Police Judiciaire qu'« Ich habe vier Jahre in Tunesien gearbeitet, ich hatte Geld », pour expliquer que vous auriez pu voyager en avion et passer des vacances en Turquie, de sorte qu'à première vue, rien ne vous empêcherait de tout simplement continuer avec un tel train de vie en Tunisie qui vous a même permis de partir en vacances.

A cela s'ajoute qu'il n'est en outre même pas démontré que vous ne pourriez pas tout simplement retourner vivre chez vos parents, vos trois frères et trois soeurs, alors qu'en se basant sur vos dires présentés dans le cadre de votre entretien concernant vos motifs de fuite, hormis votre père, tous les autres membres de la famille vous auraient en fait laissée tranquille et qu'il n'est par conséquent pas non plus établi que vous ne pourriez pas compter sur leur soutien en cas d'un retour dans la maison parentale. Le cas est identique si on se base sur le rapport de la Police Judiciaire, alors que vous auriez donc uniquement dû faire face à une menace proférée par votre mère. Ce dernier constat vaut d'autant plus qu'en se basant sur une version de vos dires, suite à la menace proférée, vous auriez donc encore continué à vivre pendant dix jours sous le toit de vos parents, sans que plus rien d'autre n'arrive, respectivement sans que votre père n'ait proféré d'autres menaces ou qu'il ne vous ait agressée d'une quelconque manière.

Finalement, notons encore à toutes fins utiles, qu'il ressort des informations en mains, qu'il est tout à fait possible de vivre en tant que mère célibataire en Tunisie et de subvenir à ses besoins en travaillant, surtout dans les grandes villes et en premier lieu chez vous à Tunis.

Au cours de la dernière décennie la situation des femmes en Tunisie s'est en outre nettement améliorée au point que la Tunisie peut légitimement être définie comme étant la « pionnière du monde arabe en matière de promotion du statut des femmes ». A cela s'ajoute qu'il existe en Tunisie une multitude d'associations et d'organisations de soutien aux femmes victimes de violence, sans domicile ou aux mères de famille et mères célibataires. Il n'est en outre pas exclu que vous pourriez demander une aide étatique pour élever votre fils.6 Partant, le statut de réfugié ne vous est pas octroyé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Outre les conclusions ci-dessus retenues quant aux doutes relatives à la crédibilité de vos déclarations, il y a encore lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015.

En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour en Tunisie, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou vous personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Vos seules prétendues craintes en rapport avec le fait que vous supposeriez que votre père, voire, votre mère, risque de vouloir vous tuer après que vous auriez été une fois menacée, sont en tout cas à percevoir comme étant totalement hypothétiques et ne sauraient pas permettre de retenir que vous risqueriez d'être victime d'une telle atteinte grave lors d'un retour en Tunisie. Ce dernier constat vaut d'autant plus au vu des possibilités de protection qui vous seraient offertes en Tunisie.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Tunisie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 21 novembre 2022 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 21 novembre 2022, telle que déférée.

Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse explique avoir été contrainte de fuir son pays d’origine en raison de persécutions qu’elle aurait subies de la part de sa famille en raison de son état de grossesse. A cet égard, elle fait valoir avoir fait connaissance de son compagnon, un dénommé … lors d’un voyage commercial en Turquie. De retour en Tunisie dans sa maison familiale, elle aurait fait un malaise qui aurait conduit sa mère à l’emmener à une visite médicale, lors de laquelle le médecin l’aurait informée de sa grossesse. Alors que sa mère aurait été présente lors de cette annonce, cette dernière en aurait le jour même informé son père, la demanderesse expliquant que toute sa famille aurait des conceptions religieuses traditionnalistes et rejetterait les relations hors mariage et les enfants issus de telles relations, de sorte que son père aurait immédiatement menacé de la tuer en raison de son comportement qui aurait apporté le déshonneur sur toute sa famille, le seul moyen pour réparer l’honneur de son père étant, d’après la demanderesse, celui de tuer sa propre fille. Son père serait même passé à l’acte, en l’attaquant à l’aide d’un couteau, la demanderesse expliquant n’avoir pu se sauver que grâce au fait de s’être cachée derrière sa sœur, alors que son père n’aurait pas osé blesser cette dernière. L’intéressée explique avoir pris très au sérieux les menaces proférées par son père, ce d’autant plus alors qu’elles auraient été suivies d’un passage à l’acte par celui-

ci, de sorte qu’elle aurait immédiatement pris contact avec un passeur afin de pouvoir protéger son enfant à naître, alors qu’elle saurait que tant la société tunisienne, que la police tunisienne ne la secoueraient pas en raison de son « nouveau statut social » et qu’elle ne pourrait dès lors pas rester en Tunisie. Elle serait ainsi, à l’issue d’un long périple, arrivée au Luxembourg afin d’y déposer sa demande de protection internationale.

En droit, en se prévalant de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse fait tout d’abord valoir que la décision déférée serait le fruit d’une erreur d’appréciation des faits de la part du ministre, alors que celui-ci se serait abstenu d’examiner sa situation particulière. En prenant appui sur les recommandations du Haut-Commissariat des Nations Unies, désigné ci-après par « le UNHCR » contenues dans les « Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des Réfugiés » et sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CourEDH », l’intéressée estime qu’elle devrait profiter du bénéfice du doute en ce qui concerne la crédibilité de son récit. En l’espèce, le ministre n’aurait pas respecté les recommandations du prédit guide de l’UNHCR, duquel il ressortirait que (i) la crédibilité du récit d’un demandeur de protection internationale ne saurait être soumise à une obligation d’établir l’ensemble de ses dires par des preuves matérielles, (ii) les traumatismes vécus par celui-ci devraient être pris en compte en cas d’incohérence de son récit et (iii) des faits contenus dans ledit récit ne sauraient être considérés isolément et hors de leur contexte, mais de manière globale. Elle critique dans ce contexte l’analyse du ministre suivant laquelle son père ne l’aurait menacée qu’une seule fois et que la législation tunisienne réprimerait les menaces de mort et agressions physiques, la demanderesse estimant que le ministre aurait ainsi manqué d’analyser la situation, plus complexe que celle d’une simple infraction de droit commun, des crimes d’honneur en Tunisie et dans laquelle elle se trouverait du fait d’avoir été menacée de mort et attaquée au couteau par son père en raison de sa grossesse hors mariage. De même, le ministre aurait omis d’analyser sa situation personnelle in concreto, alors que, pour rejeter sa demande de protection internationale, il se serait contenté d’évoquer la situation générale en Tunisie.

L’intéressée fait encore valoir qu’il ressortirait des rapports internationaux, et plus particulièrement d’un document publié par le Conseil de l’Europe et intitulé « Crimes commis au nom du prétendu “honneur” », de documents publiés sur les sites internet de « euromedrights.or/fr » et « www.hrw.org » et d’un rapport de l’organisation non gouvernementale « Human Rights Watch », intitulé « Il t’a frappée, et alors ? sur la lutte contre les violences domestiques en Tunisie », qu’il y aurait, en Tunisie, des lacunes importantes en matière de protection des femmes contre les violences domestiques et contre les crimes d’honneur, qui ne seraient pas criminalisés par le Code pénal tunisien et contre lesquels les autorités tunisiennes n’offriraient pas de protection. La demanderesse ajoute que le ministre aurait omis de prendre en compte (i) son état de vulnérabilité en raison de sa grossesse, (ii) le facteur de la violence fondée sur son genre qu’elle encourrait dans son pays d’origine et (iii) la détresse psychologique dans laquelle elle se trouverait, de sorte que la décision du ministre de lui refuser l’octroi d’un des statuts de la protection internationale encourrait la réformation pour violation de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015 et pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

En ce qui concerne plus particulièrement le refus du ministre de lui octroyer le statut de réfugié, tout en se prévalant de l’article 60, paragraphe (2) de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, désignée ci-après « la Convention d’Istanbul », la demanderesse reproche au ministre de ne pas avoir pris en compte son genre féminin et le risque accru pour elle d’encourir des violences domestiques en Tunisie.

La demanderesse estime ainsi, qu’outre le fait pour elle d’avoir été victime de menaces de mort, d’intimidation et d’une tentative de meurtre revêtirait un caractère de gravité suffisant, alors que le droit à la vie, ainsi que celui de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants seraient prévus aux articles 2 et 3 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH », ces actes auraient été fondés sur son genre, de sorte qu’elle remplirait les conditions pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié.

En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, la demanderesse, outre de faire valoir qu’elle remplirait les conditions prévues à l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, estime qu’elle risquerait, en cas de retour en Tunisie, de subir des actes de torture ou de mauvais traitements au sens de l’article 3 de la CEDH, de sorte que la décision déférée encourrait également la réformation dans ce volet.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Force est au tribunal de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la prédite loi, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Il convient ensuite de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Madame … n’est pas crédible en son ensemble, le délégué du gouvernement confirmant cette approche.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.

Or, en l’espèce, le tribunal partage les doutes du ministre quant à la crédibilité du récit de la demanderesse, dans la mesure où celui-ci, dans son ensemble, de même que le comportement de la concernée, ne sauraient laisser conclure à la véracité de ses dires et plus particulièrement au fait qu’elle risquerait effectivement des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour en Tunisie.

Le tribunal constate que la demanderesse, dans sa requête introductive d’instance, entend, en substance, réfuter le faisceau d’incohérences relevé par le ministre par l’argument qu’en violation de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre (i) aurait pris chaque élément de son récit isolément, au lieu de faire une analyse globale de celui-

ci, et (ii) n’aurait pas pris en compte son état de vulnérabilité, voire son état psychologique traumatisé, la demanderesse restant par ailleurs en défaut de prendre position de manière circonstanciée sur les différents éléments d’incohérence dans son récit relevés par le ministre.

Or, en l’espèce, la demanderesse se prévaut à tort du principe du bénéfice du doute prévu à l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, celui-ci présupposant, notamment, que le demandeur de protection internationale s’est réellement efforcé d’étayer sa demande et que ses déclarations sont cohérentes, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, en ce qui concerne les preuves formelles à l’appui de sa demande de protection internationale, le ministre a, à bon droit, relevé, dans la décision déférée, que les déclarations de la demanderesse quant à l’absence de documents établissant son identité seraient incohérentes, en ce qu’elle a, à tour de rôle, déclaré posséder une copie de son passeport, pouvoir demander à sa sœur de lui envoyer l’original du passeport pour après soutenir avoir perdu ledit passeport et pouvoir demander à sa sœur de lui envoyer une copie de la déclaration de perte afférente, sans pour autant jamais verser un quelconque document. C’est encore à bon droit que le ministre a estimé que le défaut pour la demanderesse de verser l’original, sinon du moins une copie de son passeport était de nature à sérieusement ébranler la crédibilité de son récit, dans la mesure où celle-ci a nécessairement été en possession d’un passeport au moment de son retour en Tunisie en été 2022, après son séjour en Turquie, voyage pour lequel elle a nécessairement eu besoin d’un passeport, ce que la demanderesse ne conteste, au demeurant, pas dans le cadre de son recours. Or, ledit document aurait pu établir la réalité de son récit en ce qui concerne ses voyages en Turquie où elle aurait fait connaissance du père de son enfant et où elle serait tombée enceinte. Ledit document aurait également permis au ministre de vérifier la réalité du récit de la demanderesse en ce qui concerne sa fuite de la Tunisie par bateau, le ministre pouvant légitimement se poser la question pour quelle raison la demanderesse, en possession d’un passeport en validité a, comme elle le prétend, choisi de s’enfuir de manière clandestine au lieu de faire usage de son passeport et quitter la Tunisie de manière légale. Il n’est ainsi, pas non plus crédible que la demanderesse aurait emmené son passeport pour traverser la Mer Méditerranée en bateau et qu’elle l’aurait perdu à cette occasion. Dans la mesure où la demanderesse ne prend, dans sa requête introductive d’instance, pas position par rapport à ces incohérences, pourtant de nature à sérieusement mettre en doute sa franchise envers les autorités luxembourgeoises et la crédibilité de son récit, le tribunal ne saurait que rejoindre la partie étatique dans son constat que le récit de la demanderesse relativement à la perte de son passeport n’est pas crédible et laisse supposer qu’elle ne joue pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises en ce qui concerne l’établissement de la réalité de son récit.

Il s’ensuit que la demanderesse ne s’est pas réellement efforcée d’étayer sa demande et que le ministre a, à bon droit, refusé de lui appliquer le bénéfice du doute tel que prévu par l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015.

Le tribunal constate, par ailleurs, que contrairement aux affirmations de la demanderesse, le ministre n’a pas pris en compte des éléments de son récit de manière isolée pour conclure à l’absence de crédibilité globale de son récit, mais a, au contraire, procédé à une analyse globale de son récit et relevé de nombreuses incohérences, étant encore relevé qu’outre cette critique générale, la demanderesse reste en défaut d’apporter des éléments circonstanciés pour rétablir la crédibilité de son récit et pour réfuter les incohérences soulevées par le ministre, relatives (i) aux dates de son voyage en Turquie en été 2022, (ii) à la date à laquelle elle aurait rencontré le prétendu père de son enfant, (iii) à la circonstance que le père de son enfant aurait déjà songé se rendre au Luxembourg lors de leur séjour en Turquie, (iv) à ses explications divergentes relatives à la nature du malaise qu’elle aurait eu en raison de la grossesse, (v) à ses explications divergentes concernant le parent qui l’aurait menacé de mort, sa mère ou son père, (vi) aux incohérences relatives au moment où elle aurait quitté sa maison familiale, le jour même de la prétendue attaque au couteau ou une semaine plus tard seulement et (vii) à l’absence d’explications des raisons qui l’auraient empêchée de demander au père de son enfant de la rejoindre en Tunisie pour s’y marier et éviter ainsi d’accoucher de son enfant hors mariage. En effet, l’ensemble des incohérences ainsi relevées par le ministre se rapportent à des éléments clés du récit de la demanderesse, de sorte que l’absence de crédibilité de ces éléments affectent la crédibilité de son récit en sa globalité.

L’affirmation globale de la demanderesse que le ministre aurait, dans le cadre de l’analyse de la crédibilité de son récit, manqué de prendre en compte son état de vulnérabilité, laisse par ailleurs également de convaincre le tribunal, alors qu’un état de vulnérabilité, même établi ne permet pas d’expliquer les incohérences relevées par le ministre lesquelles touchent, tel que relevé ci-avant aux éléments clés du récit de la demanderesse, étant encore relevé que celle-ci reste en défaut d’apporter le moindre élément circonstancié quant à sa situation de vulnérabilité personnelle, de sorte que ces développements sont à rejeter.

Au vu de ces considérations, il y a lieu de confirmer la décision déférée en ce qu’elle a déclaré le récit de la demanderesse comme non crédible, de sorte qu’à défaut de faits avérés permettant de vérifier le bien-fondé de la demande de protection internationale, soumise à son analyse et prise en ses volets relatifs tant au statut de réfugié qu’au statut conféré par la protection subsidiaire, le tribunal ne saurait invalider le rejet de la demande en octroi d’un des statuts de la protection internationale, présentée par la demanderesse.

Ce constat n’est pas énervé par les développements de la partie demanderesse par rapport à la situation des femmes réprimées en Tunisie dans le cadre des crimes d’honneur, alors que la demanderesse reste, tel que relevé ci-avant, en défaut d’établir qu’elle se trouverait dans une telle situation en cas de retour en Tunisie.

Il s’ensuit que le recours, en ce qu’il est dirigé contre le volet de la décision déférée portant refus d’octroyer une protection internationale à Madame …, est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 21 novembre 2022 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

En ce qui concerne l’ordre de quitter le territoire déféré, l’intéressée réitère ses développements par rapport à l’article 3 de la CEDH et les risques encourus par elle en cas de retour en Tunisie, pour conclure à la réformation de ce volet de la décision déférée.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements, non circonstanciés, de la demanderesse relativement à l’article 3 de la CEDH, alors que, tel que relevé ci-avant, c’est à juste titre que le ministre a rejeté sa demande de protection internationale, impliquant qu’il a, à bon droit, pu retenir que son retour en Tunisie ne l’expose pas à des conséquences graves, et qu’il a également, sans violer l’article 3 de la CEDH, valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est, à son tour, à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 21 novembre 2022 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 21 novembre 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 12 juillet 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 18


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 48285
Date de la décision : 12/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-12;48285 ?

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