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12/07/2024 | LUXEMBOURG | N°47087

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2024, 47087


Tribunal administratif N° 47087 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47087 4e chambre Inscrit le 1er mars 2022 Audience publique du 12 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du directeur de l’administration … en matière de fonctionnaires et agents publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47087 du rôle et déposée le 1er mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc KOHNEN, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tend...

Tribunal administratif N° 47087 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47087 4e chambre Inscrit le 1er mars 2022 Audience publique du 12 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du directeur de l’administration … en matière de fonctionnaires et agents publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47087 du rôle et déposée le 1er mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc KOHNEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration … du 14 janvier 2022, lui ayant confirmé l’obligation de se « soumettre aux dispositions de ma note de service P- n°92 du 12 janvier 2022 ayant pour objet le régime 3G obligatoire » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 juin 2022 par Maître Marc KOHNEN pour le compte de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 septembre 2022 ;

Vu les pièces versées et notamment l’acte critiqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en sa plaidoirie à l’audience publique du 20 février 2024.

Il ressort du dossier administratif que par une note de service P-n°91, du directeur de l’administration …, ci-après dénommé « le directeur », respectivement « l’…», du 22 novembre 2021, un périmètre Covid check au sens de la loi modifiée du 17 juillet 2020 portant introduction d’une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19, désignée ci-après par « la loi du 17 juillet 2020 », pour certaines réunions et pour toutes les formations, fut mis en place au sein de l’….

Par une note de service P-n°92, du directeur, du 12 janvier 2022, le régime 3G obligatoire au sens de la loi du 17 juillet 2020 fut mis en place au sein de l’…, applicable à tous les agents à partir du 15 janvier 2022 pendant les heures d’ouverture de l’administration.

Par courrier du 12 janvier 2022, Monsieur … adressa un courrier au directeur afin de contester la mise en place du régime 3G obligatoire au sens de la loi du 17 juillet 2020 ausein de l’…, en qualifiant cette mise en place d’« ordre », selon lui « illégal », pris en violation de plusieurs principes constitutionnels, ainsi que du principe général de proportionnalité, tout en sollicitant la confirmation de l’absence de toute obligation de s’y soumettre. Ledit courrier est libellé comme suit :

« (…) Je soussigné …, chef de la …, ai pris connaissance de la mise en place du CovidCheck dans nos services à partir du 15 janvier 2022.

Je conteste formellement cet ordre que je considère comme illégal pour les raisons suivantes :

S'il est vrai que le nouvel article 3septies de la loi Covid oblige le chef d'administration de placer son administration sous le régime CovidCheck, je suis d'avis que cette mesure est illégale, puisque ledit article est contraire à l'article 10 bis de la Constitution.

En effet, cette différence de traitement manifeste entre personnes vaccinées et non vaccinées n'est nullement justifiée par des critères d'objectivité et de proportionnalité retenus par la Cour Constitutionnelle.

En second lieu la mesure est encore contraire à l'article 11, paragraphe 4 de la Constitution qui garantit le droit au travail et qui charge spécialement l'Etat de préserver ce droit.

Il s'en suit incontestablement que l'Etat ne saurait conditionner l'accès au poste de travail notamment par des exigences financières, à savoir, la prise en charge par le fonctionnaire d'éventuels frais de tests.

Cette interdiction est également confirmée par la loi modifiée du 19 mars 1988 concernant la sécurité dans les Administrations au service de l'Etat, dans les établissements publics et dans les écoles.

La mesure est par ailleurs disproportionnée pour les motifs suivants :

Les circonstances actuelles de la crise sanitaire et plus particulièrement la communauté scientifique internationale confirment incontestablement que les personnes vaccinées restent contagieuses et sont susceptibles d'être infectées et de transmettre le virus.

Dans ce contexte il y a également lieu de se référer à l'annonce de Madame la Ministre de la Santé qui a confirmé l'inefficacité des vaccins disponibles contre les variantes delta et omicron ainsi que l'exemple de différents pays européens qui ont été amenés à décréter des « lockdowns » malgré le fait que 90% (voire même plus) de la population est vaccinée.

Les personnes non vaccinées testées négatives, tout comme les personnes vaccinées sont exposées à un risque non-négligeable de contagion et d'infection, alors qu'elles sont en contact avec des personnes vaccinées et non testées et potentiellement contagieuses.

2 Compte tenu de ces risques incontestables il importe impérativement de faire intervenir la médecine du travail afin de vérifier si la santé et la sécurité sont garanties sur le lieu de travail (voir article 2 du RGD du 05/03/2004, tel que modifié).

Il y va également de la responsabilité de l'Etat et, le cas échéant, de votre responsabilité personnelle.

Au vu des développements qui précèdent, je vous prie de bien vouloir me confirmer que je n'ai pas à me soumettre à cet ordre illégal de devoir présenter un code QR afin d'avoir accès à mon poste de travail et me forcer à ainsi participer à un système discriminatoire en violation à la Constitution.

Dans la négative, je vous prie de bien vouloir me communiquer une décision motivée.

Pour des raisons inhérentes à la protection des données à caractère personnel, je m'oppose finalement à ce que la validité de mon code QR soit le cas échéant contrôlée moyennant un dispositif privé appartenant à la personne en charge du contrôle. En effet, dans un tel cas, l'…ne peut plus assurer le respect de toutes les garanties ancrées dans le RGPD. En plus une utilisation d'un dispositif privé à des fins professionnelles va à l'encontre de la politique de sécurité de l'….

Je me réserve formellement tous autres droits (…). » Par courrier du 14 janvier 2022, le directeur s’adressa à Monsieur … dans les termes suivants :

« (…) Je fais référence à votre courrier du 12 janvier 2022 par lequel vous entendez contester un ordre prétendument illégal qui vous aurait été donné et qui résulterait de la « mise en place du Covid-Check dans les services de l'administration … à partir du 15 janvier 2022 » et qui serait « celui de devoir présenter un code QR afin d'avoir accès à [votre] poste de travail et de [vous] forcer à ainsi participer à un système discriminatoire en violation à la Constitution ».

Par la présente, je confirme l'obligation qui vous est faite de vous soumettre aux dispositions de ma note de service P- n°92 du 12 janvier 2022 ayant pour objet le régime 3G obligatoire.

La note de service en question est elle-même parfaitement conforme aux dispositions de la loi modifiée du 17 juillet 2020 portant introduction d'une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19.

Les agents doivent être en mesure de présenter un certificat de vaccination, de rétablissement ou de test Covid-19 PCR ou antigène rapide certifié conforme sur leur lieu de travail (référence est faite aux articles 3 bis, 3 ter, 3 quater et 3 septies (1) de la loi modifiée du 17 juillet 2020). Par ailleurs, les préposés/chefs de division ou à défaut leurs adjoints sont en charge de l'application exacte de la note de service (article 3 septies (1) de la même loi). (…). » Par requête déposée le 1er mars 2022 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 47087 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation du courrier précité du directeur du 14 janvier 2022.

Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal.

Il ne saurait partant être saisi que du recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève plusieurs irrecevabilités et notamment l’irrecevabilité du recours dans la mesure où celui-ci serait dirigé contre un simple courrier d’information, sinon de confirmation, qui ne comporterait aucun élément décisionnel contre lequel le requérant pourrait introduire un recours.

Le délégué du gouvernement fait relever que suite à la communication de la note de service interne P-n°92 du 12 janvier 2022, l’intéressé aurait adressé un courrier daté du même jour au directeur afin de contester « formellement cet ordre que je considère illégal pour les raisons suivantes (…) » et de demander « de bien vouloir me confirmer que je n'ai pas à me soumettre à cet ordre illégal de devoir présenter un code QR afin d'avoir accès à mon poste de travail et me forcer ainsi à participer à un système discriminatoire en violation à la Constitution ». Ainsi, en ce que le courrier de réponse ne ferait que confirmer l’application de la note de service P-n°92 du 12 janvier 2022, conformément aux dispositions légales en vigueur, le courrier du 14 janvier 2022 ne ferait donc qu’itérer l’obligation légale imposée par la loi du 17 juillet 2020 et mise en exécution par la note de service précitée, de sorte que ledit courrier n’aurait qu’une valeur informative ou confirmative, sans comporter un quelconque élément décisionnel, la décision d’instaurer un régime Covid check obligatoire au lieu de travail à partir du 15 janvier 2022 ayant été prise par le législateur.

Le requérant, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, retient, quant à lui, l’existence d’une décision susceptible de recours en ce que le courrier litigieux du 14 janvier 2022 émanerait d’une autorité administrative, à savoir le directeur, et constituerait une décision individuelle, comportant un élément décisionnel, à savoir le refus de faire droit à sa demande, refus constituant une étape finale dans la procédure.

Concernant la nature de l’acte déféré, le requérant conclut, dans le cadre de son mémoire en réplique, au rejet de l’argumentation de la partie gouvernementale, en ce que le recours ne serait de toute évidence pas dirigé contre la circulaire émise par son chef d’administration, mais contre une décision administrative individuelle prise par son supérieur hiérarchique, non transposable à une autre personne n’ayant pas fait la démarche de demander une exemption au régime Covid-Check.

Dans le cadre de son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement reprend en substance le moyen d’irrecevabilité soulevé dans son mémoire en réponse.

Il appartient dès lors au tribunal d’analyser si le recours subsidiaire en annulation, en ce qu’il vise une « décision », ainsi qualifiée, du directeur est bien dirigé contre un acte administratif susceptible de recours contentieux, le tribunal étant ainsi amené à examiner le caractère décisionnel de l’acte attaqué, cette question ayant non seulement été soulevée par la partie gouvernementale, mais relevant, par ailleurs, de l’ordre public.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommé ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et que cet acte doit affecter les droits et intérêts de la personne qui le conteste1.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2.

Plus particulièrement n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision3 qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celle-ci4.

En ce qui concerne l’argument du requérant selon lequel l’acte attaqué constituerait une étape finale dans la procédure, il convient de constater qu’il résulte du libellé de l’acte attaqué, tel que repris in extenso ci-avant, que le directeur a rendu attentif le requérant sur l’obligation légale de se soumettre au régime 3G obligatoire sur son lieu de travail, prévue par la loi du 17 juillet 2020 et mis en place au sein de l’…par l’émission de sa note de service P- n°92 du 12 janvier 2022.

Si le directeur a ainsi certes confirmé l’application du régime 3G obligatoire à l’égard du requérant en ce que ce dernier se base sur des dispositions légales en vigueur qui lui étaient a priori applicables, pour ne pas avoir été déclarées inconstitutionnelles, respectivement nulles par les juridictions compétentes en la matière, il y lieu de relever que la demande du requérant adressée au directeur en date du 12 janvier 2022 visait en réalité à engager une discussion juridique avec le directeur au sujet de la validité du régime 3G obligatoire y visé, demande par rapport à laquelle ce dernier a répondu en confirmant l’existence de ladite obligation légale, en déclarant sa note de service, applicable en l’espèce, comme étant conforme aux dispositions de la loi du 17 juillet 2020, et pour ensuite éclairer le requérant sur les différentes mesures prévues par le dispositif sanitaire de l’…afin de respecter le régime 3G obligatoire.

Le courrier litigieux du directeur, rappelant au requérant son obligation de se soumettre au régime 3G obligatoire prévu par la loi du 17 juillet 2020 et implémenté au sein de l’…par la note de service P- n°92 du 12 janvier 2022, ne saurait ainsi pas constituer un acte attaquable toisant définitivement une demande concrète d’un administré, mais tout au plus une réfutation de la position juridique in abstracto du requérant.

1 Trib. adm. du 6 octobre 2004, n° du rôle 16533, Pas. adm. 2023, V° Acte administratif, n°5 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 18 juin 1998, nos 10617 et 10618, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 45 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm.

2023, V° Actes administratifs, n° 69 (1er volet) et les autres références y citées.

4 Voir Cour adm., 22 janvier 1998, nos 9647C, 9759C, 10080C et 10276C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 68 et les autres références y citées.

Or, une simple information juridique, respectivement avis juridique, émanant de l’administration, n’est pas à considérer comme un acte administratif faisant grief5.

En outre, il a été jugé que pour qu’une administration puisse prendre une décision faisant grief, la demande lui adressée doit être formulée de manière à ce que l’autorité compétente puisse la trancher, soit favorablement soit par un refus6, une simple discussion juridique abstraite sur la validité de certaines dispositions susceptibles de trouver application dans le chef d’un administré, en dehors de tout litige concret, ne possédant manifestement pas ce caractère.

Il suit de ces considérations que le recours dirigé contre le courrier du directeur du 14 janvier 2022 est à déclarer irrecevable pour défaut d’objet, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant, notamment sur les autres causes d’irrecevabilité invoqués.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne Monsieur … aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 juillet 2024 par :

Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 5 En ce sens : Trib. adm. 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 82 (1er volet) et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 12 novembre 2021, n° 42862 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 6


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 47087
Date de la décision : 12/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-12;47087 ?

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