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10/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50696

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juillet 2024, 50696


Tribunal administratif N° 50696 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50696 5e chambre Inscrit le 5 juillet 2024 Audience publique du 10 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50696 du rôle et déposée le 5 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie)...

Tribunal administratif N° 50696 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50696 5e chambre Inscrit le 5 juillet 2024 Audience publique du 10 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50696 du rôle et déposée le 5 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 2 juillet 2024 ayant prorogé son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de ladite décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 10 juillet 2024, Maître Philippe STROESSER s’étant excusé, le délégué du gouvernement ne s’étant ni présenté, ni excusé.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », du 3 juin 2024, qu’à cette date, Monsieur …, connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur … », fit l’objet d’un contrôle policier lors duquel il ne put présenter de documents d’identité ou de voyage valables.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de le quitter sans délai.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également le 3 juin 2024, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport n° … du 3 juin 2024 établi par la Police Grand-Ducale, … ;

Considérant que l'intéressé a déjà été transféré en date du 22 novembre 2023 vers les Pays-Bas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Considérant que l'intéressé est revenu au pays malgré la décision de transfert du 6 octobre 2023 ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant que l'intéressé fait l'objet d'un signalement dans le Système d'information Schengen (SIS) ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que l'intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant introduit plusieurs demandes de protection internationale sur le territoire des Etats membres ;

Considérant qu'une demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue du transfert de l'intéressé vont être engagées ;

Considérant que l'exécution de la mesure de son transfert est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Le recours contentieux introduit par Monsieur … contre l’arrêté ministériel, précité, du 3 juin 2024 fut rejeté pour ne pas être fondé par jugement rendu en date du 26 juin 2024 par le tribunal administratif, inscrit sous le numéro 50614 du rôle.

Le 4 juin 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités néerlandaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, désigné ci-après par « le règlement Dublin III », demande qui fut acceptée par lesdites autorités par courrier du 13 juin 2024 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point c) du même règlement.

Par arrêté du 13 juin 2024, notifié à l’intéressé le 18 juin 2024, le ministre rapporta la décision de retour prise à l’encontre de Monsieur … le 3 juin 2024, décida de le transférer vers les Pays-Bas et prononça à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à partir de sa sortie du territoire luxembourgeois.

Par arrêté ministériel daté du 2 juillet 2024, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prolongea le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification. Ladite décision est basée sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 3 juin 2024, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Vu l'accord de reprise en charge des autorités néerlandaises du 13 juin 2024 sur base de l'article 18, paragraphe (1), point c) du règlement (UE) le 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Vu ma décision de transfert du 13 juin 2024 ;

Considérant que les démarches en vue d'un transfert ont été engagées ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 3 juin 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure du transfert ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 2 juillet 2024 ayant prorogé son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification.

1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

2) Quant au fond Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes ayant abouti à la décision déférée.

En droit, le demandeur cite d’abord l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 pour expliquer que le placement d’une personne au Centre de rétention ne serait ni une obligation systématique, ni un automatisme pour le ministre, mais constituerait une simple faculté qui devrait être considérée comme l’ultime remède. Cette faculté accordée au ministre devrait se baser sur des motifs sérieux et être proportionnée par rapport à la situation donnée, alors que le placement en rétention d’une personne constituerait une atteinte à la liberté de mouvement qui devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Sur le fondement de l’article 120 (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur affirme que le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement devrait être en cours ou exécuté avec toute la diligence requise, ce qui impliquerait que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Dans ce contexte, il reproche au ministre de le retenir au Centre de rétention, alors qu’il n’existerait, à l’heure actuelle, aucune perspective d’éloignement ni une date exacte de son transfert, de sorte que se poserait la question de savoir comment le ministre pourrait exécuter cette mesure d’éloignement dans un délai raisonnable et endéans la durée maximale de la mesure de rétention.

Le demandeur fait encore valoir que le maintien au Centre de rétention constituerait une mesure privative de liberté dont la durée devrait être réduite au strict minimum et qu’il ne devrait pas être retenu au Centre de rétention en attendant l’exécution de la mesure d’éloignement dans un délai raisonnable.

Le demandeur soutient, par ailleurs, qu’il n’y aurait pas de risque de fuite dans son chef, étant donné qu’il aurait été blessé par une arme à feu en date du 5 décembre 2023, qu’il aurait été auditionné en tant que plaignant par la police en date du 5 janvier 2024 et qu’il souhaiterait se constituer partie civile « dans le procès à venir ».

Il estime de ce fait que son placement au Centre de rétention serait disproportionné au regard des circonstances de l’espèce et de son comportement et que le ministre aurait dû appliquer, conformément à l’article 125 de la loi du 29 août 2008, des mesures moins coercitives en l’assignant à résidence dans un lieu qu’il aurait fixé avec l’obligation de se présenter régulièrement à des intervalles à fixer auprès de ses services ou de toute autre autorité désignée.

Le demandeur conclut que son maintien au Centre de rétention ne serait pas justifié, de sorte que la décision ministérielle du 2 juillet 2024 serait à réformer.

Dans le cadre du dispositif, le demandeur sollicite encore, à titre subsidiaire, l’annulation de ladite décision ministérielle du 2 juillet 2024 pour « violation de la loi, détournement sinon excès de pouvoir, sinon violation des formes destinées à protéger les intérêts privés ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Appréciation du tribunal En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s’en dégageant.

S’agissant, d’abord, de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève que dans la mesure où aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention – l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision –, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais. La rétention peut par ailleurs être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées à l’article 120 (1) de la loi susmentionnée sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, il est constant que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg et qu’il est démuni de tout document d’identité et de voyage valable.

Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 6. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité […] ».

Par ailleurs, suivant l’arrêté ministériel du 13 juin 2024, il a fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, de sorte qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

De plus, le risque de fuite est encore corroboré par le comportement du demandeur, alors qu’il ressort du rapport de la police grand-ducale, …, référencé sous le numéro …, du 3 juin 2024, que Monsieur … est connu sous trois différents alias et surtout le fait qu’il a exprimé son refus de quitter volontairement le territoire luxembourgeois, étant relevé à cet égard que le risque de fuite se définit dans ce contexte comme risque de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) et (3) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant soumis aucun élément pertinent de nature à renverser la présomption de risque de fuite qui existe dans son chef.

Cette présomption de l’existence d’un risque n’est pas non plus renversée par la simple affirmation du demandeur selon laquelle il envisagerait de se constituer partie civile dans le cadre d’un éventuel procès pénal au Luxembourg. Il convient de relever en premier lieu que cette argumentation tend à voir reconnaître au demandeur un droit de se maintenir sur le territoire luxembourgeois et qu’elle n’est dès lors pas pertinente dans le cadre d’un recours contentieux contre une mesure de placement en rétention qui ne comporte pas en elle-même un élément décisionnel à cet égard. Le constat demeure que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg et l’affirmation du demandeur est même de nature à corroborer l’existence d’un risque de fuite dans son chef, le demandeur admettant ne pas vouloir quitter le territoire luxembourgeois, étant rappelé que le risque de fuite visé à l’article 120 de la loi du 29 août 2008 n’est pas à considérer comme le risque qu’un ressortissant de pays tiers quitte le territoire luxembourgeois pour un autre pays, mais comme celui de se soustraire à sa mesure d’éloignement.

Les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite dans le chef de Monsieur … ne sont partant pas fondées.

En ce qui concerne, ensuite, les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal constate qu’il a retenu à travers son jugement précité du 26 juin 2024 (i) qu’en date du 4 juin 2024, les autorités luxembourgeoises ont effectué une recherche dans la base de données EURODAC, laquelle a révélé que le demandeur avait introduit des demandes de protection internationale aux Pays-

Bas en date des 28 juillet 2021 et 30 octobre 2022, ainsi qu’en Allemagne en date des 2 et 7 mars 2023, (ii) qu’en date du 4 juin 2024, une demande de reprise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 18 (1) d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III », a été adressée aux autorités néerlandaises, demande qui a été acceptée par ces dernières en date du 13 juin 2024, (iii) que par arrêté du 13 juin 2024, le ministre a pris une décision de transfert vers les Pays-Bas à l’encontre de Monsieur … et (iv) qu’en date du 19 juin 2024, le ministre a chargé la police grand-ducale d’organiser le départ du demandeur vers les Pays-Bas. Eu égard aux considérations qui précèdent, le tribunal a conclu qu’à cette époque les autorités ministérielles avaient accompli les démarches en vue de l’éloignement de Monsieur … avec la diligence légalement requise.

À travers le recours sous examen, le tribunal n’est saisi que de la décision ministérielle du 2 juillet 2024 ayant prolongé le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois, de sorte que son analyse est limitée à la question de la légalité et du bien-

fondé de ladite décision en s’assurant qu’à l’heure actuelle le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec toute la diligence requise. À cet égard, il ressort du dossier administratif qu’en date du 1er juillet 2024, le ministre a adressé un rappel à la police grand-ducale afin de connaître l’état d’avancement du dossier en vue d’organiser le départ du demandeur vers les Pays-Bas et que par courrier électronique du 9 juillet 2024, les autorités luxembourgeoises ont informé les autorités néerlandaises du transfert de Monsieur … prévu pour le 18 juillet 2024, tout en y joignant un laissez-passer à cette fin en application de l’article 29 (1) du règlement Dublin III.

Au vu des diligences ainsi déployées par les autorités ministérielles luxembourgeoises, le tribunal conclut que c’est à tort que Monsieur … reproche au ministre de ne pas avoir accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement, de sorte que ses contestations afférentes sont à rejeter pour ne pas être fondées.

Il en est de même en ce qui concerne l’argumentation du demandeur ayant trait à l’absence de perspective d’éloignement, étant donné qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient vouées à l’échec, alors que les autorités néerlandaises ont accepté de reprendre en charge Monsieur …, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien. Le moyen sous analyse est par conséquent à rejeter.

S’agissant, enfin, de l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait dû bénéficier de mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment d’une assignation à résidence, le tribunal relève que cette disposition légale prévoit ce qui suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.1 En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le demandeur n’a pas soumis au tribunal d’éléments de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite existant dans son chef. Ainsi, le tribunal rappelle qu’il ressort du dossier administratif et plus particulièrement du rapport de la 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.

police grand-ducale, …, référencé sous le numéro …, du 3 juin 2024, que Monsieur …, qui est connu sous plusieurs alias, a clairement exprimé son refus de quitter volontairement le territoire luxembourgeois, ce qui, tel que retenu ci-avant, est de nature à corroborer l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite. Il est, par ailleurs, constant qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg, et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à écarter.

Dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le demandeur conclut encore à titre subsidiaire à l’annulation de la décision ministérielle du 23 mai 2024 « pour violation de la loi, détournement, sinon excès de pouvoir, sinon violation des formes destinées à protéger les intérêts privés ». Pour autant que le demandeur a entendu conclure à l’annulation de la décision déférée dans le cadre du recours en réformation, force est au tribunal de constater que le demandeur se contente d’énumérer les cas d’ouverture d’un recours contentieux devant le tribunal administratif tels que prévus par l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, sans fournir la moindre explication relative aux tenants et aboutissants de ce moyen. Il s’ensuit que ce moyen simplement suggéré est à rejeter, étant donné qu’il n’incombe pas au tribunal de rechercher les éventuels argumentaires susceptibles de sous-tendre un moyen non explicité.

Il suit des considérations qui précèdent que, contrairement à l’argumentation du demandeur, la mesure de placement et de maintien en rétention litigieuse n’est ni injustifiée, ni disproportionnée.

Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juillet 2024 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge, Benoît HUPPERICH, juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 50696
Date de la décision : 10/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-10;50696 ?

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